Que nous importe la tête du voyageur traversant le Saint-Gothard en 1875 ou celle du vagabond venant offrir ses services à la maison Bardey en 1880 ?
Pierre Petitfils, « L’œuvre et le visage d’Arthur Rimbaud », Nizet 1949, p.267.
Le dossier annoncé, concernant la polémique autour du visage de Rimbaud, commence ici. Il nous paraît indispensable d’effectuer un retour en arrière d’une soixantaine d’années, sans lequel le débat d’aujourd’hui serait incompréhensible, comme nous le montrerons. Dans cette première partie, nous présentons deux documents et l’intégrale de la controverse qui s’est déroulée du 28 avril au 28 juillet 1951 dans les colonnes du Figaro littéraire, hebdomadaire qui était édité chaque samedi. Les deux documents consistent d’abord en une reproduction fidèle à l’originale. Elle a été faite à partir d’un tirage à part sur grand papier effectué le 4 mai 1951 sur les presses de l’imprimerie André Tournon. Les reproductions de ce portrait avaient surtout été publiées jusqu’à présent en noir et blanc comme dans l’album Pléiade sur Rimbaud. Toutefois, M. Lefrère en a donné une dans « Face à Rimbaud », en couleur, mais elle est de mauvaise qualité car elle n’est pas fidèle à l’original. Il a obtenu cette reproduction de l’agence photographique Namut[sic]-Lalance/SIPA. Le second document représente le verso du portrait tel qu’il a été montré à l’exposition de 1954 à la Bibliothèque nationale. Il comporte une note inédite de René Char concernant le portrait, qui est présenté à ce moment-là comme lui appartenant. M. Lefrère a mal retranscrit le nom donné par Garnier « Raimbaut » en « Rimbaut », dans sa biographie de Rimbaud et dans le texte de « Face à Rimbaud » qui n’est d’ailleurs qu’un copier-coller de celui de ladite biographie. La seconde partie de ce dossier sera consacré à des documents et des commentaires sur le portrait présumé de Rimbaud par Garnier. On comprendra alors le lien capital avec la polémique actuelle, puis je donnerai une suite importante de ce dossier qui pourrait réserver quelques surprises. On se contente ici de jeter les bases du débat du portrait Garnier.
Un portrait inconnu de Rimbaud (28 avril 1951)
Nos lecteurs ressentiront probablement une surprise égale à la nôtre en voyant ce portrait censé figurer Rimbaud en 1872. Mais René Char et Jacques Dupin, et avec eux maints bons esprits, croient à l’authenticité de la peinture que nous reproduisons (reproduction qui fixe, hélas ! moins que l’original certains points de concordance avec le visage déjà connu du poète). Pourquoi ne point les croire ? ...en attendant le démenti possible d’autres rimbaldisants. L’affaire, en tout cas, ferait moins de bruit que n’en fit « La chasse spirituelle ».
En 1937, M. Albert Tenaillon, conservateur du musée Vivenel à Compiègne, faisait l’achat chez M. Baumone, antiquaire de la ville, d’un portrait de jeune homme peint à l’huile sur carton. Ce portrait, signé A. Garnier, mentionnait comme date d’exécution : 1873. Cependant, au dos du carton figuraient les lignes suivantes écrites et signées d’une encre pâlie, mais très lisible :
Portrait du Poëte Arthur Raimbaut.
Je l’ai fait en 1872 à Paris, Bard d’Enfer,
en face la porte du Cimetière Montparnasse.- Garnier.
M. Albert Tenaillon, aujourd’hui conservateur honoraire, s’enquit auprès de l’antiquaire de la provenance de ce portrait. Il lui fut répondu qu’il avait été cédé contre une petite somme d’argent par un capitaine de gendarmerie, le capitaine Guy. L’antiquaire ignorait la personne et l’œuvre de Rimbaud.
En possession de ce portrait dont nous donnons ci-contre la reproduction, nous nous sommes attachés à retrouver la trace du peintre qui en est l’auteur. Nous croyons que ce ne peut être qu’Alfred-Jean Garnier, né à Puiseaux, qui exposa diverses œuvres au salon de Paris, de 1874 à 1878. On lui doit entre autres une tête de l’acteur Truffier, un assassinat du duc de Guise et une Solange.
La manière de Garnier, toute académique, reflète l’enseignement de son maître Cabanel ; toutefois, il ne lisse pas ni ne dramatise artificiellement les traits du modèle, mais vise, au contraire, à faire ressemblant.
Tel parait être cet Arthur Rimbaud(1) qu’il a rencontré et peint en l’orthographiant ensuite Raimbaut.
René Char et Jacques Dupin.
(1) « ... Là, je bois de l’eau toute la nuit. Je ne vois pas le matin, je ne dors pas, j’étouffe. Et voilà. » ( A. Rimbaud ; Lettre à E. Delahaye. Paris, juin 1872.)
Bravo et merci pour Rimbaud (5 mai)
M. PIERRE PETITFILS, rédacteur en chef du Bateau ivre (bulletin des amis de Rimbaud), nous écrit au sujet du portrait présenté par René Char et Jacques Dupin dans notre précédent numéro :
Il ne fait aucun doute que nous sommes en présence d’une œuvre authentique : la signature de l’artiste l’atteste, le lieu de la composition (qui fixe la date : début 1872, quand Rimbaud habitait rue Campagne-Première, près du boulevard d’Enfer devenu Raspail) – mais surtout la ressemblance, qui est bouleversante. Elle saute aux yeux si l’on rapproche ce document des portraits connus d’Isabelle Rimbaud : ces boursouflures au bas du visage, ces lèvres épaisses sont caractéristiques. Ce portrait donne à penser que peut-être Fantin-Latour a un peu idéalisé son modèle, car la fidélité est ici brutale, photographique, pour ainsi dire. C’est un document vraiment extraordinaire et d’autant plus précieux qu’il date de l’époque cruciale de la vie du poète. Il a renoncé, dirait-on, à jouer les voyous insupportables, il a tondu sa chevelure provocante, son air est plus rassis, mais les yeux, malgré leur tristesse, gardent trace de cette gaîté mystificatrice et féroce qui ne l’abandonna jamais. Je puis l’affirmer : ce portrait est le meilleur – de loin – de tous ceux que nous possédons de Rimbaud. Encore une fois bravo, et merci.
En transmettant ces compliments à René Char et Jacques Dupin qui sont seuls à les mériter, car nous n’avions osé, formellement, garantir l’authenticité de l’œuvre reproduite dans nos colonnes, informons nos lecteurs, selon le vœu de notre correspondant, que le dernier numéro du Bateau ivre « contient des vers inédits (et authentiques) de Rimbaud ».
SUR UN PORTRAIT INCONNU DE RIMBAUD (19 mai)
M. DANIEL-A. DE GRAAF, correspondant hollandais du Bateau ivre en Zélande, nous adresse sa « réaction à la réaction » de M.Petitfils, au sujet du portrait inédit de Rimbaud qu’ont présenté ici-même MM. René Char et Jacques Dupin. Il se déclare pour l’authenticité, mais...
Il n’y a qu’un seul argument à faire valoir à l’appui de la thèse de MM. Char et Dupin, et à la défense qu’en a faite M. le rédacteur en chef du Bateau ivre : c’est de faire la supposition que Garnier a rendu les traits du jeune homme qui surgit devant lui, à cet endroit situé aux confluents du cimetière et de l’enfer, non pas en 1872, comme il le prétend , ni même en 1873,mais plutôt en 1878, date à laquelle Rimbaud fit sa dernière apparition à Paris. Alors le poète, quelque peu rassis, tout en gardant les traits indélébiles de ses « matinées d’ivresse d’antan », présenta en effet l’aspect de cette « ingénuité amèrement rassise » dont parle une des Illuminations faisant allusion à une période dont je fais remonter – ensemble avec M.Antoine Adam- l’avènement à une époque plus récente qu’on a admis jusqu’ici.
Figure démoniaque ? Il est candide à notre sens d’attribuer à tout prix une figure littéraire au visage réel de Rimbaud.
UNE PREUVE TIREE ... PAR LES CHEVEUX (26 mai)
M. JEAN DARTHET, d’Ostende, se refuse à admettre que le portrait inconnu de Rimbaud que nous avons publié représente bien le poète :
Comparons les portraits connus de Rimbaud à celui-ci. Examinons-le soigneusement et que remarquons-nous ? La disposition des cheveux diffère. Au lieu d’être à la gauche, la ligne de séparation des cheveux se trouve maintenant à la droite. Or nous pouvons constater le fait psychologique qu’un homme – et Rimbaud, vu son caractère, plus que tout autre – ne change pratiquement jamais la disposition de ses cheveux.
Comme, d’autre part, d’après les déclarations mêmes de MM. Char et Dupin, la méthode de Garnier consistait à faire ressemblant, j’ai une raison de plus pour douter si « Raimbaut » serait vraiment Rimbaud.
Est-il vraiment plus difficile de changer de coiffure ...que de mode de vie ? Or il est acquis que le poète de « Changer la vie » était susceptible de vastes changements.
L’original du portrait de Rimbaud que nous avons mis en débat est exposé actuellement à la librairie Pierre à Feu, Galerie Maeght.
D’autre part, M. Jacques Dupuis (8, avenue du Parc, à Vanves) en a fait faire une lithographie en couleurs (tirage cinq cents exemplaires) pour les rimbaldiens.
CE RIMBAUD-LA N’EST PAS RIMBAUD ! (9 juin)
DECIDEMENT, le scepticisme à l’égard du portrait présumé de Rimbaud, peint par Garnier à Paris en 1872, ne fait que croître. M. Michel Steichen, de Paris en conteste l’authenticité en historien.
Rimbaud a séjourné à Paris de septembre 1871 à mars 1872, puis en mai-juin pour partir à Londres le 7 juillet en compagnie de Verlaine. Il ne reviendra plus à Paris au cours de l’année ; le portrait retrouvé aurait donc été fait dans les premiers mois de 1872. Rimbaud, né le 20 octobre 1854, n’avait alors guère plus de 17 ans.
Ces deux courts séjours correspondent à la période cruciale de la vie du poète : fin 1873, il a définitivement renoncé à la littérature ; le poète est mort à dix-neuf ans.
Cette vie intérieure intense se manifeste, à l’extérieur, par un souverain mépris des convenances. Ce sont les réunions des « vilains bonshommes », l’ « Académie d’Absomphe » (cette sauge des glaciers !), une scandaleuse tenue. Quand Verlaine le prie, en mai, de venir le rejoindre, il lui dit : « faire en sorte, au moins quelque temps,d’être moins terrible d’aspect qu’avant : linge, cirage, peignage... » ( Lettre de mai 1872).
Le portrait que vous nous faites connaître peut-il représenter le garçon de dix-sept ans, « terrible d’aspect », tel qu’on peut se l’imaginer ? Franchement non !
Telle est, aussi, l’impression qui s’impose d’abord. Mais, si M. Steichen était allé voir la peinture à la Galerie Maeght, il aurait été frappé comme nous des points de correspondances de ce portrait avec ceux déjà connus- et sûrs- de Rimbaud.
CE RIMBAUD-LA N’EST PAS RIMBAUD (23 juin)
M. JULES LEPARC, de Paris, vient grossir le nombre de ceux qui se refusent à admettre l’authenticité du portrait peint par Garnier :
Verlaine a écrit que Rimbaud, à son arrivée à Paris, avait un visage parfaitement ovale d’ange en exil, une vraie tête d’enfant, dodue et fraîche. C’est bien avec une tête d’enfant que Fantin-Latour l’a vu à la fin de 1871. Au contraire c’est un adulte que Garnier a peint, « un jetie[sic] petit vieux », à mine triste.
... On a pensé que le portrait avait été exécuté par Garnier au début de l’année 1872, lorsque Rimbaud logeait rue Campagne-Première, dans le voisinage du boulevard d’Enfer. Mais le carton précise qu’il a été fait boulevard d’Enfer, « en face la porte du cimetière Montparnasse ». Le cimetière avait donc une porte boulevard d’Enfer. Il faudrait dire en quel point de cette voie elle était située
Rimbaud arriva rue Campagne-Première vers le 1er janvier 1872, et l’on sait, d’une façon certaine, qu’il en était parti à la fin du mois de mars suivant. Le portrait, peint dans la rue, aurait été fait par une journée d’hiver ? Disons seulement qu’on peut, à bon droit, s’en étonner...
Tant de déductions terriblement précises sont-elles le bon chemin vers la vérité ?
UNE EXPERTISE CONTESTEE (28 juillet)
S’il y a des textes qui ne sont pas de qui l’on croit, il y a des portraits qui, peut-être, ne représentent pas du tout qui l’on suppose...
Celui-ci, présumé de Rimbaud, que nous redonnons à la demande de nombreux lecteurs, a suscité, depuis sa parution dans nos colonnes, au mois d’avril, beaucoup de lettres passionnées, tantôt pour, tantôt contre.
Rappelons qu’il porte, au dos du carton : « Portrait du poète Arthur Rimbaud. Je l’ai fait en 1872 à Paris, boulevard d’Enfer, en face la porte du cimetière Montparnasse. – Garnier. »
Rappelons aussi que René Char et Jacques Dupin le tiennent pour une incontestable représentation du poète.
Mais ne nous dissimulons pas qu’il n’y a pas moins de difficultés, parfois, à authentifier un visage qu’une œuvre.
Fin de la polémique
Le dossier annoncé, concernant la polémique autour du visage de Rimbaud, commence ici. Il nous paraît indispensable d’effectuer un retour en arrière d’une soixantaine d’années, sans lequel le débat d’aujourd’hui serait incompréhensible, comme nous le montrerons. Dans cette première partie, nous présentons deux documents et l’intégrale de la controverse qui s’est déroulée du 28 avril au 28 juillet 1951 dans les colonnes du Figaro littéraire, hebdomadaire qui était édité chaque samedi. Les deux documents consistent d’abord en une reproduction fidèle à l’originale. Elle a été faite à partir d’un tirage à part sur grand papier effectué le 4 mai 1951 sur les presses de l’imprimerie André Tournon. Les reproductions de ce portrait avaient surtout été publiées jusqu’à présent en noir et blanc comme dans l’album Pléiade sur Rimbaud. Toutefois, M. Lefrère en a donné une dans « Face à Rimbaud », en couleur, mais elle est de mauvaise qualité car elle n’est pas fidèle à l’original. Il a obtenu cette reproduction de l’agence photographique Namut[sic]-Lalance/SIPA. Le second document représente le verso du portrait tel qu’il a été montré à l’exposition de 1954 à la Bibliothèque nationale. Il comporte une note inédite de René Char concernant le portrait, qui est présenté à ce moment-là comme lui appartenant. M. Lefrère a mal retranscrit le nom donné par Garnier « Raimbaut » en « Rimbaut », dans sa biographie de Rimbaud et dans le texte de « Face à Rimbaud » qui n’est d’ailleurs qu’un copier-coller de celui de ladite biographie. La seconde partie de ce dossier sera consacré à des documents et des commentaires sur le portrait présumé de Rimbaud par Garnier. On comprendra alors le lien capital avec la polémique actuelle, puis je donnerai une suite importante de ce dossier qui pourrait réserver quelques surprises. On se contente ici de jeter les bases du débat du portrait Garnier.
Un portrait inconnu de Rimbaud (28 avril 1951)
Nos lecteurs ressentiront probablement une surprise égale à la nôtre en voyant ce portrait censé figurer Rimbaud en 1872. Mais René Char et Jacques Dupin, et avec eux maints bons esprits, croient à l’authenticité de la peinture que nous reproduisons (reproduction qui fixe, hélas ! moins que l’original certains points de concordance avec le visage déjà connu du poète). Pourquoi ne point les croire ? ...en attendant le démenti possible d’autres rimbaldisants. L’affaire, en tout cas, ferait moins de bruit que n’en fit « La chasse spirituelle ».
En 1937, M. Albert Tenaillon, conservateur du musée Vivenel à Compiègne, faisait l’achat chez M. Baumone, antiquaire de la ville, d’un portrait de jeune homme peint à l’huile sur carton. Ce portrait, signé A. Garnier, mentionnait comme date d’exécution : 1873. Cependant, au dos du carton figuraient les lignes suivantes écrites et signées d’une encre pâlie, mais très lisible :
Portrait du Poëte Arthur Raimbaut.
Je l’ai fait en 1872 à Paris, Bard d’Enfer,
en face la porte du Cimetière Montparnasse.- Garnier.
M. Albert Tenaillon, aujourd’hui conservateur honoraire, s’enquit auprès de l’antiquaire de la provenance de ce portrait. Il lui fut répondu qu’il avait été cédé contre une petite somme d’argent par un capitaine de gendarmerie, le capitaine Guy. L’antiquaire ignorait la personne et l’œuvre de Rimbaud.
En possession de ce portrait dont nous donnons ci-contre la reproduction, nous nous sommes attachés à retrouver la trace du peintre qui en est l’auteur. Nous croyons que ce ne peut être qu’Alfred-Jean Garnier, né à Puiseaux, qui exposa diverses œuvres au salon de Paris, de 1874 à 1878. On lui doit entre autres une tête de l’acteur Truffier, un assassinat du duc de Guise et une Solange.
La manière de Garnier, toute académique, reflète l’enseignement de son maître Cabanel ; toutefois, il ne lisse pas ni ne dramatise artificiellement les traits du modèle, mais vise, au contraire, à faire ressemblant.
Tel parait être cet Arthur Rimbaud(1) qu’il a rencontré et peint en l’orthographiant ensuite Raimbaut.
René Char et Jacques Dupin.
(1) « ... Là, je bois de l’eau toute la nuit. Je ne vois pas le matin, je ne dors pas, j’étouffe. Et voilà. » ( A. Rimbaud ; Lettre à E. Delahaye. Paris, juin 1872.)
Bravo et merci pour Rimbaud (5 mai)
M. PIERRE PETITFILS, rédacteur en chef du Bateau ivre (bulletin des amis de Rimbaud), nous écrit au sujet du portrait présenté par René Char et Jacques Dupin dans notre précédent numéro :
Il ne fait aucun doute que nous sommes en présence d’une œuvre authentique : la signature de l’artiste l’atteste, le lieu de la composition (qui fixe la date : début 1872, quand Rimbaud habitait rue Campagne-Première, près du boulevard d’Enfer devenu Raspail) – mais surtout la ressemblance, qui est bouleversante. Elle saute aux yeux si l’on rapproche ce document des portraits connus d’Isabelle Rimbaud : ces boursouflures au bas du visage, ces lèvres épaisses sont caractéristiques. Ce portrait donne à penser que peut-être Fantin-Latour a un peu idéalisé son modèle, car la fidélité est ici brutale, photographique, pour ainsi dire. C’est un document vraiment extraordinaire et d’autant plus précieux qu’il date de l’époque cruciale de la vie du poète. Il a renoncé, dirait-on, à jouer les voyous insupportables, il a tondu sa chevelure provocante, son air est plus rassis, mais les yeux, malgré leur tristesse, gardent trace de cette gaîté mystificatrice et féroce qui ne l’abandonna jamais. Je puis l’affirmer : ce portrait est le meilleur – de loin – de tous ceux que nous possédons de Rimbaud. Encore une fois bravo, et merci.
En transmettant ces compliments à René Char et Jacques Dupin qui sont seuls à les mériter, car nous n’avions osé, formellement, garantir l’authenticité de l’œuvre reproduite dans nos colonnes, informons nos lecteurs, selon le vœu de notre correspondant, que le dernier numéro du Bateau ivre « contient des vers inédits (et authentiques) de Rimbaud ».
SUR UN PORTRAIT INCONNU DE RIMBAUD (19 mai)
M. DANIEL-A. DE GRAAF, correspondant hollandais du Bateau ivre en Zélande, nous adresse sa « réaction à la réaction » de M.Petitfils, au sujet du portrait inédit de Rimbaud qu’ont présenté ici-même MM. René Char et Jacques Dupin. Il se déclare pour l’authenticité, mais...
Il n’y a qu’un seul argument à faire valoir à l’appui de la thèse de MM. Char et Dupin, et à la défense qu’en a faite M. le rédacteur en chef du Bateau ivre : c’est de faire la supposition que Garnier a rendu les traits du jeune homme qui surgit devant lui, à cet endroit situé aux confluents du cimetière et de l’enfer, non pas en 1872, comme il le prétend , ni même en 1873,mais plutôt en 1878, date à laquelle Rimbaud fit sa dernière apparition à Paris. Alors le poète, quelque peu rassis, tout en gardant les traits indélébiles de ses « matinées d’ivresse d’antan », présenta en effet l’aspect de cette « ingénuité amèrement rassise » dont parle une des Illuminations faisant allusion à une période dont je fais remonter – ensemble avec M.Antoine Adam- l’avènement à une époque plus récente qu’on a admis jusqu’ici.
Figure démoniaque ? Il est candide à notre sens d’attribuer à tout prix une figure littéraire au visage réel de Rimbaud.
UNE PREUVE TIREE ... PAR LES CHEVEUX (26 mai)
M. JEAN DARTHET, d’Ostende, se refuse à admettre que le portrait inconnu de Rimbaud que nous avons publié représente bien le poète :
Comparons les portraits connus de Rimbaud à celui-ci. Examinons-le soigneusement et que remarquons-nous ? La disposition des cheveux diffère. Au lieu d’être à la gauche, la ligne de séparation des cheveux se trouve maintenant à la droite. Or nous pouvons constater le fait psychologique qu’un homme – et Rimbaud, vu son caractère, plus que tout autre – ne change pratiquement jamais la disposition de ses cheveux.
Comme, d’autre part, d’après les déclarations mêmes de MM. Char et Dupin, la méthode de Garnier consistait à faire ressemblant, j’ai une raison de plus pour douter si « Raimbaut » serait vraiment Rimbaud.
Est-il vraiment plus difficile de changer de coiffure ...que de mode de vie ? Or il est acquis que le poète de « Changer la vie » était susceptible de vastes changements.
L’original du portrait de Rimbaud que nous avons mis en débat est exposé actuellement à la librairie Pierre à Feu, Galerie Maeght.
D’autre part, M. Jacques Dupuis (8, avenue du Parc, à Vanves) en a fait faire une lithographie en couleurs (tirage cinq cents exemplaires) pour les rimbaldiens.
CE RIMBAUD-LA N’EST PAS RIMBAUD ! (9 juin)
DECIDEMENT, le scepticisme à l’égard du portrait présumé de Rimbaud, peint par Garnier à Paris en 1872, ne fait que croître. M. Michel Steichen, de Paris en conteste l’authenticité en historien.
Rimbaud a séjourné à Paris de septembre 1871 à mars 1872, puis en mai-juin pour partir à Londres le 7 juillet en compagnie de Verlaine. Il ne reviendra plus à Paris au cours de l’année ; le portrait retrouvé aurait donc été fait dans les premiers mois de 1872. Rimbaud, né le 20 octobre 1854, n’avait alors guère plus de 17 ans.
Ces deux courts séjours correspondent à la période cruciale de la vie du poète : fin 1873, il a définitivement renoncé à la littérature ; le poète est mort à dix-neuf ans.
Cette vie intérieure intense se manifeste, à l’extérieur, par un souverain mépris des convenances. Ce sont les réunions des « vilains bonshommes », l’ « Académie d’Absomphe » (cette sauge des glaciers !), une scandaleuse tenue. Quand Verlaine le prie, en mai, de venir le rejoindre, il lui dit : « faire en sorte, au moins quelque temps,d’être moins terrible d’aspect qu’avant : linge, cirage, peignage... » ( Lettre de mai 1872).
Le portrait que vous nous faites connaître peut-il représenter le garçon de dix-sept ans, « terrible d’aspect », tel qu’on peut se l’imaginer ? Franchement non !
Telle est, aussi, l’impression qui s’impose d’abord. Mais, si M. Steichen était allé voir la peinture à la Galerie Maeght, il aurait été frappé comme nous des points de correspondances de ce portrait avec ceux déjà connus- et sûrs- de Rimbaud.
CE RIMBAUD-LA N’EST PAS RIMBAUD (23 juin)
M. JULES LEPARC, de Paris, vient grossir le nombre de ceux qui se refusent à admettre l’authenticité du portrait peint par Garnier :
Verlaine a écrit que Rimbaud, à son arrivée à Paris, avait un visage parfaitement ovale d’ange en exil, une vraie tête d’enfant, dodue et fraîche. C’est bien avec une tête d’enfant que Fantin-Latour l’a vu à la fin de 1871. Au contraire c’est un adulte que Garnier a peint, « un jetie[sic] petit vieux », à mine triste.
... On a pensé que le portrait avait été exécuté par Garnier au début de l’année 1872, lorsque Rimbaud logeait rue Campagne-Première, dans le voisinage du boulevard d’Enfer. Mais le carton précise qu’il a été fait boulevard d’Enfer, « en face la porte du cimetière Montparnasse ». Le cimetière avait donc une porte boulevard d’Enfer. Il faudrait dire en quel point de cette voie elle était située
Rimbaud arriva rue Campagne-Première vers le 1er janvier 1872, et l’on sait, d’une façon certaine, qu’il en était parti à la fin du mois de mars suivant. Le portrait, peint dans la rue, aurait été fait par une journée d’hiver ? Disons seulement qu’on peut, à bon droit, s’en étonner...
Tant de déductions terriblement précises sont-elles le bon chemin vers la vérité ?
UNE EXPERTISE CONTESTEE (28 juillet)
S’il y a des textes qui ne sont pas de qui l’on croit, il y a des portraits qui, peut-être, ne représentent pas du tout qui l’on suppose...
Celui-ci, présumé de Rimbaud, que nous redonnons à la demande de nombreux lecteurs, a suscité, depuis sa parution dans nos colonnes, au mois d’avril, beaucoup de lettres passionnées, tantôt pour, tantôt contre.
Rappelons qu’il porte, au dos du carton : « Portrait du poète Arthur Rimbaud. Je l’ai fait en 1872 à Paris, boulevard d’Enfer, en face la porte du cimetière Montparnasse. – Garnier. »
Rappelons aussi que René Char et Jacques Dupin le tiennent pour une incontestable représentation du poète.
Mais ne nous dissimulons pas qu’il n’y a pas moins de difficultés, parfois, à authentifier un visage qu’une œuvre.
Fin de la polémique
Note : on peut cliquer (deux fois) sur les images pour agrandissement
Voir la deuxième partie
Nous espérons tous que dans les articles à venir, vous aborderez aussi la polémique concernant le portrait présumé de Rimbaud par Fantin-Latour qui a été choisi comme bannière de ce blog.
RépondreSupprimerJe ne suis pas certain que tout le monde espère que je parlerai du dessin rehaussé à la gouache de Fantin Latour, car je me suis déjà exprimé à ce sujet dans le "Magazine littéraire" de juin et je n'ai rien de plus à ajouter.Pour répondre à mon correspondant anonyme, je ne crois pas qu'on puisse vraiment parler de polémique pour ce portrait. M. Lefrère est le seul à avoir écrit que ce portrait est de Berrichon, et je crois être le seul à avoir donné des arguments contre cette attribution.Pour le Garnier, c'est différent puisque de nombreuses personnes ont donné leur avis.
RépondreSupprimerNe pas oublier de cliquer sur les images pour un premier agrandissement, une seconde fois pour une image encore plus grande et détaillée, notamment pour le texte écrit au verso du portrait.
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