Dessin de Blanchet selon la seconde photographie Carjat |
L’histoire des photographies de Rimbaud commence en 1884 lorsque Verlaine fit connaître pour la première fois un portrait de l’auteur du Bateau ivre. C’était un dessin de Blanchet représenté selon une photographie exécutée à Paris par Carjat en octobre 1871. Verlaine exhibait ce portrait comme une image fidèle du poète, mais en réalité - on le lit dans sa correspondance au moment de la publication du portrait - il le trouvait déjà trop allongé. Cinq ans plus tard, en 1888, il écrira en définitive qu’il ne fallait pas trop se fier à ce portrait ! La photographie ne sera révélée qu’en 1922 par Berrichon aux éditions de La Banderole. Elle est devenue depuis ce jour l’image mythique du poète. Entre-temps, un autre portrait de Rimbaud par Carjat avait été révélé en 1906 par Ernest Delahaye, puis à nouveau en 1912 par Berrichon. L’iconographie actuelle a retenu les deux portraits de Rimbaud sous la forme où Berrichon les a présentés.
Mais ces deux photographies posent un problème. Comme on peut le lire dans le catalogue du Musée d’Orsay publié lors de l’exposition Rimbaud de 1991 : « La plus grande confusion résulte de l’attribution tout à fait variable des appellations de première et seconde photographie Carjat, de leur chronologie et de leur datation ». Dans notre article on nommera première photographie celle publiée en 1906 et 1912, et seconde photographie le portrait mythique de Rimbaud, le plus connu.
Première photographie Carjat donnée par Berrichon |
Seconde photographie Carjat |
Parlons à présent de leurs datations respectives. Lorsque Verlaine présente le second portrait il donne la date d’octobre 1871. Charles Houin, qui a publié une iconographie de Rimbaud en 1901, précise que l’un serait d’octobre 1871, l’autre de décembre de la même année. A noter que Charles Houin avait pu examiner les photographies par l’intermédiaire d’Isabelle Rimbaud qui en avait d’ailleurs confiée une à Jean Bourguignon. Il est utile d’indiquer de quelle façon Isabelle Rimbaud parle de la seconde photographie de Rimbaud, la plus connue. En écrivant à son futur mari Berrichon elle lui écrivait : « Il y a ici une photographie faite par Carjat, un peu après celle qui vous a servi de modèle : Arthur était déjà bien changé : il est maigri et à l’air inspiré ». Observons qu’Isabelle trouve le portrait différent puisqu’elle écrit « bien changé ». Mais elle n’insiste pas vraiment sur l’âge puisqu’elle se contente de dire que la photo a été exécutée « un peu après ». « L’air inspiré » correspond bien à ce que nous connaissons du portrait. En 1912, Berrichon soutiendra que les photos ont été prises à quelques heures de distance. On sait que Berrichon connaissait Carjat qui ne gardait pas un bon souvenir de Rimbaud. L’avait-il interrogé sur la question des portraits ? C’est possible puisqu’il avait questionné Fantin-Latour au sujet de son Coin de table. Monsieur Petitfils, dans son étude sur les visages de Rimbaud, retient les dates données par Houin en précisant octobre 71 pour le premier portrait et décembre 71 pour le second. Mais il écrit : « signalons à ce propos une erreur de P. Berrichon qui, dans l’un de ses ouvrages, déclare que cette photographie a été prise par Carjat quelques heures après la première. Bien que le veston que portait Rimbaud soit le même sur ces deux portraits, ils sont visiblement trop différents pour dater du même jour ». Pour compléter ce tableau des confusions de dates, ajoutons que Delahaye présenta en 1906, dans une revue, le premier Carjat comme ayant été étant exécuté au printemps 1872, puis la même année, le même portrait est publié dans son livre, daté cette fois de 1871 ! François Ruchon, lui pense que la première photographie qu’il présente d’après celle donnée par Delahaye est de décembre 1871 tandis que la seconde serait d’octobre. Allez vous y retrouver avec ça !
Il se trouve que Patrick Taliercio, bien connu des rimbaldiens pour sa découverte récente d’un texte inédit de Rimbaud, a eu l’heureuse idée de mettre en ligne une excellente vidéo qu’il a réalisée en avril 2008 et qui porte précisément sur la question qui nous occupe. L’intérêt majeur de ce petit film est qu’il nous présente deux opinions complètement opposées : celles de M. Jeancolas et de M. Lefrère.
Pour M. Jeancolas il ne fait aucun doute que les photos ont été prises le même jour. A l’argument du même habit donné par Petitfils il ajoute celui de la coiffure. Pour lui, il s’agit de la même coupe de cheveux. Si l’une des photos avait été prise en octobre et l’autre en décembre les cheveux n’auraient pas la même longueur sur les deux portraits. De plus, sur le tableau de Fantin-Latour, Rimbaud a les cheveux bien plus longs que sur les portraits Carjat. Les séances de pose pour le Coin de table ont commencé début janvier 1872. On est très proche de décembre 71 et cela pose donc un problème pour dater le second Carjat de cette époque. Pour M. Jeancolas les différences entre les deux portraits s’expliquent par le jeu des éclairages différents réalisé par le photographe pendant les séances de pose.
M. Lefrère, en revanche, ne retient même pas l’hypothèse des dates octobre-décembre 1871. Selon lui, les portraits montrent une différence d’âge trop grande et il estime que sur la première photographie Rimbaud aurait 12 ou 13 ans. Pour expliquer cette disparité, M. Lefrère fait l’hypothèse que Verlaine aurait fait retirer par Carjat une photographie de Rimbaud exécutée auparavant à Charleville. Dans ses publications M. Lefrère donne des précisions. Il se base sur une lettre de mai 1887 : « Verlaine écrivait à son éditeur Léon Vanier qu’il avait en sa possession en même temps que l’autre photographie prise par Carjat une photographie de Rimbaud plus gosse encore ».
Pour être tout à fait exact, Verlaine ne dit pas qu’il possède une autre photographie « plus gosse » mais qu’il doit en avoir une. Voici le texte exact :
« […] ce Forain-là ? Tâchez donc d'en tirer plume ou poil. Il a une photo de Rimbaud, non unique (car je dois en avoir une autre, plus gosse encore), et une de moi très amusante. Faut tâcher de l'avoir : son adresse, si l'avez ?... »
Verlaine ne fera jamais connaître cette autre photographie. Peut-être avait-il seulement le souvenir de la première photo Carjat et c’est pour cette raison que l’année d’après, en 1888, il pensait qu’on pourrait donner un jour des ressemblances approchantes de Rimbaud.
L’hypothèse d’une photo antérieure à l’arrivée de Rimbaud à Paris avait été repoussée en 1991, avant même que M. Lefrère ne la formule dans sa biographie, dans le catalogue d’Orsay où il est dit : « l’hypothèse selon laquelle la photographie où il semble plus jeune n’aurait pas été exécutée par Carjat, mais par un quelconque photographe de province, dans les années 1869-1870, ne peut pas non plus être retenue ». Mme Hélène Dufour qui a rédigé les notices ne donne pas de raison précise pour écarter l’hypothèse. Il y a cependant au moins une objection. Tout le monde s’accorde à dire que Rimbaud porte le même costume sur les deux photos et sur le dessin de Blanchet. Rimbaud pourrait avoir la même veste et le même gilet à boutons pendant deux ou trois mois, mais avoir exactement les mêmes à Charleville et à Paris quatre ou cinq ans après, c’est difficile à croire. D’ailleurs, on imagine mal que Rimbaud soit arrivé à Paris avec sa photo dans sa poche. M. Lefrère a donc raison de parler d’une simple hypothèse.
On termine ici l’exposé d’un problème que posent les photographies Carjat. Le lecteur devrait avoir à présent des éléments suffisants pour se forger sa propre opinion. D’autres problèmes existent. Ce sera l’objet d’une seconde partie.
Les arguments de Jeancolas me semblent sans appel: même veste et même longueur de cheveux. On peut être plus précis. De 13-14 ans à 17 ans, Rimbaud a grandi et la même veste bien rodée ne s'ajusterait plus de la même façon. Il n'y a pas que la veste qui est la même. C'est un couple: la veste plus le gilet à boutons! La première Carjat présente à peu près les mêmes cheveux en pétard, l'effet magique de la seconde tient à peu, un petit geste.
RépondreSupprimerEnfin, on dirait que certains n'ont jamais été dans un photomaton avec les quatre essais au choix. A méditer.
Pour conclure, c'est le dessin des ombres qui modifie profondément l'apparence des deux visages, voilà tout.
Petites précisions. Les entretiens ont pour cadre l'ancienne Bibliothèque de Charleville et ils n'ont pas été préparés. Ils se sont passés à des dates différentes. Ainsi l'interview de Claude Jeancolas a eu lieu le matin tôt par un froid glacial (information communiquée par M.Alain Tourneux qui a mis en contact Patrick Taliercio et les deux biographes).
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