samedi 2 avril 2011

Réponse de David Ducoffre à Bernard Teyssèdre



J’ai pris tout à l’heure connaissance de la réponse en trois points de monsieur Teyssèdre qui annonce joliment vouloir en rester là. Il s’excuse, donc il reconnaît être en tort, et, en même temps, il m’envoie, dans la foulée, quelques piques. Voilà une démarche que je trouve un tantinet contradictoire.
En fait, sa réponse est assez courte et elle est globalement méprisante.  Ce mépris est bien résumé par son troisième point : il minimise mes commentaires comme stériles, ce qu’ils ne sont pas, ne fût-ce que parce que j’ai droit à des excuses, et il laisse entendre qu’il serait inutile de répondre aux arguments et griefs d’un rimbaldien aussi peu sérieux et important que moi : je ne serais que passion sans raison. Il se sent dispensé de répliquer à mes arguments. Et monsieur Teyssèdre de nous apprendre son âge pour je ne sais quel espoir de ménagement.
Le deuxième point est ésotérique et fuyant : son livre ne serait pas à défendre, il existerait une communion universelle mystique entre lecteurs pour trancher de la valeur de la marchandise.
Enfin, j’en reviens au premier point qui contient les excuses, mais qui surtout montre que, pour me répondre, monsieur Teyssèdre a préféré le sophisme et la langue de bois. Il s’excuse, mais ne précise pas ce qu’il se reproche m’avoir pillé. Il laisse cela dans le flou et l’exagération, et c’est au bon vouloir de chaque lecteur d’imaginer s’il y a excuse ou ironie de sa part. Le problème, c’est que seuls ceux qui se satisfont des sophismes approuveront la repartie. Quant à prétendre me refuser le débat argumenté, cela est contradictoire avec le nombre conséquent de mentions de mes articles dans son livre, bien qu’il m’ait refoulé avec résolution dans son ensemble de notes en fin d’ouvrage.
Je vais donc mettre quelques points sur les « i ».
Excusez-moi d’y revenir, mais il est des oreilles un peu sourdes. Dans un article de la revue Rimbaud vivant paru en juin 2010, j’ai proposé un chapitre intitulé « Datation des contributions de Rimbaud », où j’ai dit ceci :

Dès le poème liminaire, la coprésence d’Antoine Cros et d’Arthur Rimbaud exclut l’idée d’une création du groupe en septembre, puisque, d’après les témoignages connus (merci à Darzens), les deux hommes ne se sont rencontrés pour la première fois qu’au début du mois d’octobre, dans le salon du docteur Antoine Cros précisément, et après le dîner des Vilains Bonshommes du 30 septembre. Au verso du feuillet 9, Charles de Sivry a donné son unique contribution à l’Album, en précisant sa libération au présent de l’indicatif : « Je sors de Satory pour venir faire le plus bel ornement du doigt rabic, mais… » […] L’événement eut lieu le 18 octobre. Donc, les huit feuillets précédents et le recto du feuillet 9 comporteraient pour l’essentiel des compositions antérieures à cette date. Au-delà du passage de Charles de Sivry, […], la date du « 22 Octobre 18771 » au verso du feuillet 10 conforte cette impression. Ensuite, nous aurions quelques transcriptions qui se seraient étalées du « 22 octobre 1871 » au « 1er 9bre », puis d’autres du « 1er 9bre » au « 6 IXbre 1871 », puis d’autres […] [Un] essoufflement du cercle […] est confirmé par un quatrain de Valade […] En tous les cas, la fin d’activité littéraire du premier « zutisme » n’a pas dû excéder de beaucoup la date fatidique du samedi 11 novembre. La première phase de transcriptions d’œuvres dans l’Album zutique a à peine duré un mois.

Cette étude est connue des rimbaldiens Jean-Jacques Lefrère, Steve Murphy et Michael Pakenham. Elle est citée pour d’autres raisons dans l’ouvrage de Bernard Teyssèdre qui m’évoque encore pour des articles plus récents. Cet article de juin 2010 est bien présent dans la bibliographie du livre Arthur Rimbaud et le foutoir zutique.
Pourtant, voici ce qu’on peut lire dans l’Avant-propos de J.-J. Lefrère, « L’apport majeur de Bernard Teyssèdre, avec sa datation de nombre de pièces de l’Album, est de montrer que la participation de Rimbaud s’est déroulée sur une période très resserrée, de l’ordre d’un mois : de la mi-octobre à la mi-novembre 1871. » Ne l’ai-je pas déjà dit ? Donc, il est très important d’attribuer à B. Teyssèdre cette datation auprès du grand public, et ma propre antériorité n’a aucun intérêt. Certes, monsieur Teyssèdre a ses propres découvertes et ses propres méthodes. Mais, il reprend mes arguments sans me citer dans le passage suivant (page 124), et on peut même noter dans les pages avoisinantes que mon « merci à Darzens » se tranforme en louanges à l’intention de J.-J. Lefrère. Si c’est à Darzens que nous devons le témoignage de Mercier, B. Teyssèdre prétend que, sans Lefrère, nous n’aurions jamais connu les prises de notes de Darzens. Voici ce point capital de la datation des contributions zutiques où je ne suis pas cité :

En effet il n’est pas douteux que Rimbaud et Mercier ont pris part tous les deux à la beuverie inaugurale du Cercle, puisque les deux noms figurent dans le sonnet qui était destiné à immortaliser cet événement. Or Mercier déclare qu’il ne connaissait pas Rimbaud avant leur rencontre chez Antoine Cros. Cette rencontre a donc nécessairement précédé la première réunion du Cercle.

B. Teyssèdre n’a pas daigné rappeler que j’avais déjà publié une telle conclusion (voir plus haut). Pour la contribution de Charles de Sivry, la démarche est plus étonnante. Alors que j’ai insisté sur l’impossibilité matérielle pour celui-ci de participer à l’Album zutique avant sa sortie de prison, B. Teyssèdre insiste sur le fait qu’il fasse allusion à la pièce Fais ce que dois de Coppée représentée au même moment. Mon argument est plus fort, mais il n’est pas mentionné par B. Teyssèdre qui en préfère un autre. Dans la mesure où il a épluché mon article, cet oubli a de quoi surprendre.
Pour se justifier de ne pas m’avoir cité, monsieur Teyssèdre prétend que cela n’est pas important, mais alors pourquoi est-il salué par J.-J. Lefrère pour une conclusion que j’ai déjà proposée ? Pourquoi monsieur Teyssèdre lui-même considère-t-il cette datation comme le plus beau de ses résultats critiques dans un livre de 800 pages ? Qui plus est, en refusant de me répondre, il évite de traiter le problème de datation des colonnes de gauche des feuillets 2 et 3, ainsi que des dessins obscènes sur le modèle « doigtpartiste ». La position de Vieux de la vieille ! sur le manuscrit pose problème comme je l’ai fait remarquer, ce qui ne permet pas d’admettre une fois pour toutes que ce poème date du 21 octobre, parce qu’il prècède de peu un poème daté du 22 octobre par Léon Valade. Monsieur Teyssèdre ne séparera donc pas raison et passion ?
Poursuivons. Le livre de Bernard Teyssèdre exhibe plusieurs gages de rigueur auprès du grand public (concours du Centre national du livre pour la publication, appareil de notes, bibliographie, remerciements à trois rimbaldiens connus qui auraient, d’après lui, corrigé son ouvrage page à page, parfois ligne à ligne, en dépit d’abondantes erreurs factuelles qui nous étonneraient de la part de M. Pakenham, voire de S. Murphy (problème d’attribution des transcriptions, mélange d’identités de personnages, etc.)). Dans son Introduction (page 24), monsieur Teyssèdre établit une liste de rimbaldiens de référence au sujet de l’Album zutique. Cette liste obéit à des règles de bienséance. Les noms n’y sont pas disposés au hasard, mais en fonction de préséances sociales. Peu importe, ce n’est pas cela qui va me déranger. Cette liste fait état de rimbaldiens qui ont assez peu publiés au sujet de l’Album zutique. Seth Whidden est remercié et l’index montre que c’est la seule fois où il se voit cité dans le livre de Teyssèdre. Yves Reboul n’a publié que sur le poème Paris. Les contributions zutiques de Marc Ascione, Jean-Pierre Chambon et Alain Chevrier sont peu nombreuses. En revanche, j’ai publié plusieurs articles sur l’Album zutique, tout comme Steve Murphy et Michael Pakenham qui ont participé à la mise au point du foutoir zutique. Or, Monsieur Teyssèdre qui soutient dans sa réponse sur ce blog que les mentions de chercheurs ne sont pas autrement importantes auprès du grand public, a cité généreusement les personnes ayant collaboré à son ouvrage. L’index en fait foi (sept lignes pour Murphy). Il n’a pas négligé l’universitaire J.-P. Chambon qui est cité dans l’index pour huit pages (142, 149, 200, 301, 320, 348, 525, 528). Justement, en me reportant à la page 200, j’y trouve plusieurs mentions du nom de cet enseignant en Sorbonne, bien que cela ne soit pas a priori nécessaire auprès du grand public : « Un aspect important de la phrase a été décrypté par Jean-Pierre Chambon », « Selon J.-P. Chambon, Rimbaud se paie la tête… », « Sur la conclusion de Chambon, je suis tout à fait d’accord », « On croirait à lire Chambon que… » Il est alors question du monostiche de Ricard : « L’Humanité chaussait le vaste enfant Progrès. » Ce vers étant attribué à Ricard, on peut croire qu’il n’est pas moins important de trouver l’intertexte que d’attribuer un sens obscène au verbe « chausser ». Justement, un intertexte a été découvert et un article de Bruno Claisse sur ce monostiche souligne fortement cette découverte intertextuelle comme mienne dans le volume La Poésie jubilatoire (classiques Garnier, 2010). Monsieur Teyssèdre cite à son tour l’intertexte que j’ai trouvé à la page 201 de son livre, mais, loin de me mettre en relief, il reporte la mention de mon nom en note de fin d’ouvrage. Voici le texte : « La maxime […] répond, dans les termes les plus précis, à un texte que Ricard avait publié en 1862 chez Poulet-Malassis dans son recueil Les Chants de l’aube […] Il s’agit d’un long dialogue allégorique en vers, L’Egoïste ou la leçon de la mort, Ricard faisant dire à son « égoïste » :

Prends en pitié ce fou qui, se prenant un sage,
Croit que l’humanité marche dans le progrès. »

Il faut se reporter à la note 43 du chapitre V en fin d’ouvrage pour lire ceci : « David Ducoffre a signalé ce texte de Ricard à André Guyaux qui en a tiré parti pour son édition de Rimbaud dans la Pléiade (2009). » On voit bien que les critiques sont considérés selon deux poids, deux mesures.
Si ce cas ne paraît pas probant à certains, voici le cas du poème Lys. J’ai publié à deux reprises ma découverte intertextuelle à ce sujet, la première fois dans le numéro de la revue Rimbaud vivant de juin 2010 cité plus haut, la deuxième fois dans le volume collectif La Poésie jubilatoire. Personne ne croyait que ce poème était une parodie d’un passage précis des poésies d’Armand Silvestre. Steve Murphy a affirmé que le quatrain visait Napoléon III et Seth Whidden cite cet article comme la référence au sujet du poème Lys dans une note de son volume La Poésie jubilatoire, bien qu’il publie parallèlement ma démonstration. Il était déjà frustrant que mon intertexte ne soit pas reconnu d’emblée, voilà que je découvre plusieurs reprises de mon explication dans le livre de B. Teyssèdre. Mais je ne suis pas cité une seule fois dans le corps du texte. Ma découverte ne m’est attribuée qu’en notes de fin d’ouvrage. Pourtant, B. Teyssèdre prend plaisir à revenir sans arrêt sur mes idées. Il propose, une première fois, une lecture de Lys aux pages 148-154 de son livre et me renvoie en notes de fin d’ouvrage. Il inclut un titre de sous-partie avec la mention « Sylvestre le spiritualiste », où il signale à l’attention la formule de George Sand « spiritualiste malgré lui » de la préface au premier recueil de Silvestre. Il ne précise nullement que c’est une découverte mienne, il ne m’attribue que l’identification du sonnet de Silvestre qui a été parodié, toujours dans les seules notes (500 pages de distance). Il revient sur les poésies de Silvestre et la formule « spiritualiste malgré lui » dans son étude sur Vu à Rome, sans me citer même en note (page 189). Enfin, dans son dossier, il revient sur le sujet avec un chapitre Georges Sand et le poète spiritualiste malgré lui (pages 634-635), à nouveau sans me citer, pas même dans l’une des deux notes. A trois reprises, il a parlé de la formule du « spiritualiste malgré lui », mais, même en lisant les notes qui m’attribuent une étude sur la parodie de Silvestre, le lecteur ne peut se rendre compte qu’il s’agit d’une découverte mienne.
Je ne suis cité dans le corps même du texte que pour les « centons » de Belmontet Vieux de la vieille et Hypotyposes saturniennes ex Belmontet. Mais, mes lectures sont refaites et le jugement est suspendu, là où pour ma part je ne le suspendais pas. Je profite de l’occasion pour préciser que Belmontet est un « archétype Parnassien », tout simplement par comparaison avec les poses nostalgiques d’anciens empires adoptées par nombre de parnassiens, Leconte de Lisle, etc. Même Banville peut être concerné avec son recueil favori Les Exilés. Les hypotyposes sont saturniennes par reprise du titre de Verlaine et par allusion, pleine de connivences avec celui-ci, au fameux Prologue ironique du recueil Poëmes saturniens qui joue avec le cliché du regret des anciens dieux. B. Teyssèdre se permet même de me charrier. Je me serais trompé. Rimbaud n’a pas lu Lumières de la vie, mais Les Nombres d’or. Je répondrai qu’il a lu l’un ou l’autre, et plus probablement la version la plus récente et la plus diffusée, à savoir Lumières de la vie.
Je ne demande pas à être cité partout et tout le temps. Mais, monsieur Teyssèdre est-il bienveillant quand il me refoule aussi systématiquement en notes de fin d’ouvrage, quand il se donne le plaisir d’exploiter mes découvertes dans ses confidences au grand public sans établir clairement que telle découverte est mienne (« spiritualiste malgré lui ») ou sans me citer le moins du monde (témoignage de Mercier recueilli par Darzens, libération de Charles de Sivry). A propos des vers monosyllahiques, il annonce un article à venir d’Alain Chevrier. Il croit sans doute que ma citation d’un article de Verlaine sur les vers d’une syllabe d’Amédée Pommier célébrés par Barbey d’Aurevilly n’est pas probante. En revanche, il prend au sérieux l’affirmation selon laquelle un très long poème en vers d’une syllabe paru en 1878 est un poème de Baudelaire. Ce poème contient pourtant des reprises de vers de Cocher ivre. Il ne faut pas être grand clerc pour comprendre que nous avons affaire à un faux Baudelaire par quelqu’un qui a lu l’Album zutique et qui s’est notamment inspiré de Cocher ivre. On attendra qu’un rimbaldien plus important recueille la découverte.
Enfin, si mon nom est ainsi minimisé, cela permet de moins faire sentir que la critique rimbaldienne a longuement erré. Il n’est pas trop bon que le grand public apprenne que je suis le premier rimbaldien à m’être réellement penché sur les cibles zutiques que sont Armand Silvestre, Louis-Xavier de Ricard et Belmontet. Il convient que le constat soit discret. Des articles ont été publiés sur ces poèmes, mais les poètes ciblés n’avaient pas été lus. Dans le même ordre d’idées, des articles ont été publiés sur le caractère rimbaldien du dizain « L’Enfant qui ramassa les balles… », alors qu’il est signé « PV ». Mes découvertes sur Silvestre, Belmontet et mon insistance sur cette signature ont fragilisé le livre Rimbaud et la Ménagerie impériale de Steve Murphy. Depuis ma découverte des citations de Belmontet, certains rimbaldiens continuent de déclarer que cela n’empêche pas l’allusion au titre homonyme d’un poème de Gautier dans Emaux et camées. Il est dérangeant que j’ai déchiffré avec facilité les deux vers illisibles de L’Homme juste et que j’ai accompagné cela d’une démonstration si ferme. Ce manuscrit était facile à consulter depuis 1994, et voilà qu’un rimbaldien n’a aucun mal à le lire. C’est un crime de lèse-rimbaldisme. Les minutes du procès de Verlaine ne nous apprennent rien, sauf que personne n’avait songé à les rechercher à la source, dans les archives judiciaires bruxelloises. Avec mon temps et mon argent, je me suis rendu dans la banlieue de Cureghem et ce document a enfin été publié (édition 2009 de la Pléiade). Les rimbaldiens s’étaient contentés du dossier transporté à la bibliothèque royale de Bruxelles. Ils se demandaient où étaient les minutes du procès. Hélas, je n’en ai pas terminé, j’ai d’autres découvertes en réserve. Par exemple, personne n’a jamais pensé que Rimbaud a dû fréquenter le salon de Nina de Villard en 1875 et s’y disputer avec Charles Cros et Ernest Cabaner au sujet du roman Quatre-vingt-treize. Ou bien, si B. Teyssèdre cite favorablement un ouvrage de Victor Fournel, personne ne s’est demandé si ce Victor Fournel n’était pas un anti-commuanrd qui avait enflammé de colère le jeune Arthur Rimbaud. Plusieurs poèmes de Rimbaud pourraient bien être des réponses au poème Le Drapeau rouge, deux cent vers (deux fois plus que Le Bateau ivre) où il est question de « peaux-rouges », de « panthères » et d’autres perles. Et oui, je suis passionné. De là à ne pas prendre au sérieux mes raisonnements…

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