samedi 28 janvier 2012

Boulevart et amaranthes, par Jacques Bienvenu

             

        Dans son édition des Poésies de Rimbaud, publiée en 1939, Henry de Bouillane de Lacoste donne le poème : « Plates-bandes d’amaranthes … » selon la publication faite dans la préoriginale de La Vogue N°8 du 13-20 juin 1886. Il commente en note :

 Nous n’avons à signaler que deux singularités orthographiques de cette première édition : elle écrit Boulevart et amaranthes, peut-être d’après l’autographe. 

Bouillane de Lacoste corrige cependant  en « Boulevard » et « amarantes ».

La réponse a été donnée soixante-sept ans plus tard lors de la vente Berès de juin 2006 (voir p.22). Sur le manuscrit était bien écrit « Boulevart » et « amaranthes. » Le mot « Boulevart » écrit avec un t à la fin  n’a pas posé de problèmes aux critiques actuels. Ainsi, Steve Murphy dans le premier tome de son édition philologique des Œuvres complètes de Rimbaud écrit-il en 1999 :

« On ne peut considérer comme une erreur ce t terminal qui était au contraire un trait d’orthographe tout à fait courant à l’époque ».

Cette question mérite d’être approfondie. Il est exact que l’orthographe « Boulevart » est attestée au 19ème siècle. Néanmoins, si elle était courante vers les années 1830 et avant, elle tend à se raréfier dans la seconde moitié du siècle. Ainsi le dictionnaire Bescherelle de 1861 écrit : « Boulevard et non Boulevart », excluant cette orthographe que le dictionnaire de l’Académie continue néanmoins d'accepter. La consultation des textes des écrivains et poètes de la seconde moitié du 19ème siècle montre que l’écriture « boulevart » est inexistante ou rarissime, chez Hugo par exemple. Chez les Goncourt, dont l’écriture précieuse est connue, elle n’y figure pas, sauf erreur. D’ailleurs, Rimbaud lui-même écrit « Boulevard » dans le poème Villes [II].

            Et une heure je suis descendu dans le mouvement d’un boulevard de Bagdad […] 

Je précise qu’il s’agit du poème  Villes dont le manuscrit est de l’écriture de Rimbaud et non de celle de Germain Nouveau. On pourrait alors se poser la question de savoir si en Belgique cette orthographe de « Boulevart » n’aurait pas été conservée en 1872. Divers documents montrent qu’il n’en est rien. Boulevard du Régent à l’époque de Rimbaud s’écrit « Boulevard ». En revanche il est attesté qu’on écrivait « Boulevart du Régent » vers 1830. Donc ce n’est pas une « erreur » de Rimbaud. Il y a eu volonté d’écrire « Boulevart » de la part du poète pour semble-t-il placer l'esprit de son poème à une date antérieure.

Dans cette liste il est écrit : Boulevard du Régent

Dans cet almanach il est écrit :  Boulevart du régent

            Il se trouve que cette question se pose à nouveau avec l’orthographe du mot « amaranthe ». Selon les dictionnaires classiques de l’époque comme le Littré de 1873 où le Bescherelle de 1861 l’orthographe « amaranthe » n’est plus mentionnée. Dès l’édition en plaquette des Illuminations dans La Vogue on écrivait « amarantes » sans suivre l’édition préoriginale du 13-20 juin 1886. Ceci n’est pas anodin. Soit les éditeurs ne possédaient déjà plus le manuscrit à ce moment là, soit ils ont pris la liberté de corriger le mot « amaranthe ». En 1886 « amarante » était déjà l’orthographe normale. Il faut d’ailleurs observer que Rimbaud lui-même avait écrit à Banville dans le poème « Ce qu’on dit… »

Le Lys qu’on donne au Ménestrel
Avec l’œillet et l’amarante

Cependant, comme pour « Boulevart », il ne s’agit pas d’une « erreur » de Rimbaud. L’orthographe « amaranthe » est attestée à une date plus ancienne. Ainsi dans le poème de Du Bellay « De deux amants à Venus » on peut lire :
…….
Avec le lis, l’amaranthe immortel
……..
On trouve aussi cette orthographe dans les anciens recueils des jeux floraux de Toulouse dont parle Rimbaud.
Tous les éditeurs successifs de Rimbaud ont écrit « amarante » à l’exclusion de l’édition préoriginale de La Vogue. On peut regretter que Steve Murphy n’ait pas cru bon de dire un mot à ce sujet dans son article pourtant consacré à la révélation du manuscrit de la collection  Berès en 2006. C’était là un élément philologique de première importance.

            En conclusion, il semble bien  que Rimbaud ait écrit « Boulevart » et « amaranthes » en rajoutant dans son poème une dimension temporelle à celle d’un espace géographique bien  délimité. Une exégèse du poème ne saurait, à mon avis, faire l’économie de cette hypothèse. 




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