Ce compte rendu est
réalisé sur la base de notes que j’ai prises pendant les interventions des
invités de la table ronde. Elles sont bien
évidemment incomplètes et ne sont qu’un simple reflet de ce qui a été
dit.
La séance est présidée
par André Guyaux. Elle se déroule dans le cadre des séminaires dix-neuvièmistes
organisés conjointement par l’Université Paris Sorbonne (Paris IV) et Paris
Sorbonne nouvelle (Paris III). La salle est pleine et comporte notamment de
nombreux étudiants et doctorants. Les
amis de Rimbaud sont représentés par Louis-Claude Paulic et Jean-François Laurent. Des enseignants sont
aussi dans la salle, ce qui donne un public très intéressé et diversifié. Dans
son introduction, l’éditeur de Rimbaud à la Pléiade précise qu’il s’agit de
faire le point sur la critique rimbaldienne. Il évoque la thèse d’Etiemble soutenue
en 1952. Il nous dit qu’il a lui-même
préparé sa thèse sous la direction du
terrible pourfendeur du mythe de Rimbaud. On sent qu’il a pour lui
estime et admiration. Il pense qu’il faut mieux organiser la connaissance de la
critique en systématisant l’accès à la bibliographie. Il avait publié
naguère un article portant ce même titre : « Où en est Rimbaud ? »
Mais depuis ce temps, il observe l’importance de l’informatique qui permet
d’obtenir des repérages plus facilement qu’autrefois. Il regrette un peu ce
qu’il appelle l’inflation des hypothèses mais note que Rimbaud l’a un peu suscitée
lui-même par des expressions comme : « Trouvez… »; « J’ai
seul la clef… » etc. Il évoque notamment cette inflation à propos du sonnet
Voyelles qui a conduit Etiemble en
1968 à écrire un livre entier sur ce sujet. Il pense aussi qu’il faut aborder
de manière objective la guerre dans les études rimbaldiennes qui peut être
considérée comme un sujet d’études. C’est précisément le sujet
que comptait aborder Éric Marty, qui n’a pas pu être présent. Après cette brève introduction il donne la
parole à Olivier Bivort.
Olivier Bivort est professeur à l’université "Ca' Foscari" de
Venise. On lui doit des éditions de plusieurs recueils de Verlaine au « Livre de poche »,
notamment une édition de «Cellulairement » qui tire profit d’un
manuscrit de Verlaine vendu récemment et classé « trésor national ».
Il est l’auteur de nombreuses publications sur Rimbaud. Je rappelle qu’il a
identifié la phrase : « Prends y garde, Ô ma vie absente »
écrite au dos du manuscrit de Patience,
comme étant de Marceline Desbordes-Valmore[1].
Indentification importante et encore peu exploitée à mon sens. L’intervention
d’Olivier Bivort porte sur « la langue de Rimbaud ». Il distribue une
bibliographie sur ce sujet de façon à aborder la question en commençant par une
approche historique. Cette bibliographie compte 117 références, la plus ancienne
datant de 1888. Il s’agit du Petit glossaire pour servir à l’intelligence des auteurs décadents et
symbolistes, de Jacques Plowert. La plus récente étant
Le Nouveau Dictionnaire Rimbaud de
Claude Jeancolas, réédité en 2012 dont nous avons parlé sur ce blog. Dans cette
bibliographie est également mentionné l’article d’André Guyaux publié dans Rimbaud ivre. Olivier Bivort cite un
des premiers travaux importants sur ce sujet mais dont il n’existe que deux
exemplaires ! Un, à la Bibliothèque de la Sorbonne, et l’autre à la Médiathèque
de Charleville-Mézières. Il s’agit du diplôme d’études supérieures de
langues classiques de Françoise Des
Maisons : Le Vocabulaire, la syntaxe et le style de
Rimbaud, Université de Paris, 1935.On
observe que la monographie peu connue de François Ruchon de 1929 est citée aussi.
Voici pour les anciens. Olivier Bivort parle avec éloge des travaux de
Jean-Pierre Chambon sur le lexique de Rimbaud. Travaux qu’il considère comme
plus élaborés que le dictionnaire de Claude Jeancolas dont il dit que la
nouvelle version n’est qu’une réplique à l’identique de 1991.Il pense que sur un
sujet aussi vaste que celui de la langue de Rimbaud il manque une synthèse. Ce
sujet est d’autant plus important que le poète déclare dans ses écrits qu’il
est à la recherche d’une nouvelle langue. Il signale aussi qu’il faudrait
parler de l’oralité dans l’œuvre de Rimbaud.
Le second conférencier
est Jacques Bienvenu. Je n’ai pas beaucoup parlé de moi sur ce blog et je me
permets à cette occasion d’indiquer mon parcours atypique. Je suis à l’origine
un spécialiste de Maupassant, auteur sur lequel j’ai travaillé pendant 20 ans
ayant publié et dirigé sur cet écrivain une
revue L’Angélus pendant 17 ans. Je
suis docteur ès lettres avec une thèse sur l’auteur du Horla. J’ai aussi complété l’iconographie de l’écrivain et
publié 50 documents inédits dans mon ouvrage Maupassant inédit. J’ai montré que le portrait de Maupassant par Feyen-Perrin exposé à
Versailles ne représentait pas l’écrivain normand. J’ai aussi prouvé que les
souvenirs de Madame X attribuées à une
amie de Maupassant étaient des faux. Par ailleurs, je suis professeur de
mathématiques à Marseille et j’ai publié un article sur les nombres premiers, en ligne sur le site de
l’école normale supérieure. Je travaille depuis 1995 sur Rimbaud. Je situe mes recherches
sur les relations entre Rimbaud et Banville dans un sens nouveau. Je les
présente dans la continuation de l’article d’Yves Reboul qui a prouvé que les
attaques de Rimbaud dans L’Homme juste
visaient Victor Hugo et non le Christ. Je montre qu’en 1978 Jacques Roubaud a souligné
que, dans le poème « Qu’est-ce pour nous mon cœur… », Rimbaud a
démoli l’alexandrin hugolien comme il l’avait annoncé à Banville. L’étude de
Roubaud portant sur la métrique était révolutionnaire et je précise qu’un des
plus grand progrès de la critique rimbaldienne porte sur cette question résumée
dans le remarquable livre de Michel Murat : L’Art de Rimbaud (2002). Puis j’explique la nouvelle poétique de
Verlaine et Rimbaud par une lecture critique du Petit traité de poésie française de Théodore de Banville. J’ai
montré que la publication du traité avait
repris après une interruption d’un an dans L’Echo
de la Sorbonne par un chapitre V qui sera la bible des symbolistes. Cette reprise coïncidait avec la présence de Rimbaud chez Banville en novembre 1871. Le traité de Banville, selon
moi, a été mal daté et personne ne pouvait imaginer que ce poète oublié pouvait avoir une telle
importance pour Rimbaud. Puis j’expose mon idée que la nouvelle poétique de
Verlaine et Rimbaud résulte d’une discussion critique qu’ils ont pu avoir sur
les idées de Banville. Celui-ci disait
que seul Hugo aurait pu libérer le vers et que, ce que le géant n’a pas fait,
nul ne le fera. Je pense que Rimbaud relève le gant et, d’accord avec Yves
Reboul, j’estime que c’est en se
dressant contre Hugo, comme il l’avait fait dans L’Homme juste, qu’il va libérer le vers. Je publierai sur ce blog
le texte de mon intervention. La parole est donnée
ensuite à Yves Reboul.
Yves Reboul est
professeur honoraire de l'Université de Toulouse Le Mirail. Il vient de publier
une somme de ses travaux dans un ouvrage intitulé : Rimbaud dans son temps
publié aux éditions Classiques Garnier. Son intervention porte sur un
sujet qui lui est cher : « Rimbaud et
le politique ». Il commence par parler
du rapport de Rimbaud avec l'Histoire.
Il observe que si Fénéon, le premier, à lu Rimbaud dans une perspective
historique, on a longtemps présenté Rimbaud comme un voyant en négligeant son engagement
politique. Il est en effet d'abord perçu
dans le cadre du mouvement symboliste où le
politique est exclu de son image: il ne faut pas oublier que la publication des Illuminations en 1886 coïncide avec ce mouvement. La question de
Rimbaud communard s'est donc longtemps cristallisée sur une question
biographique : Rimbaud a-t-il participé à la Commune ? On l'ignore toujours. La présence de la
Révolution dans l'œuvre de Rimbaud est cantonnée à cette époque de la Commune
et donc, pendant longtemps à un bref
laps de temps. La nouveauté est que certains
critiques, dont Yves Reboul fait naturellement partie, pensent
aujourd'hui que Rimbaud est resté longtemps communard et qu'il ne faut plus contenir ce rapport au politique à une
seule partie de son œuvre. Yves Reboul se réjouit par exemple du fait que dans
la nouvelle Pléiade, le poème en prose
de Rimbaud Après le Déluge puisse être
envisagé sous l'angle politique. Il prends trois exemples dans les Illuminations qui s'articulent autour du
politique : Démocratie, Barbare,
Génie. Certes, il précise que tout
dans l'œuvre de Rimbaud ne saurait se
réduire à cet aspect politique, mais il serait vain d'ignorer cette importance.
Comme je l'ai précisé au début il ne s'agit ici que de quelques notes qui ne
peuvent donner toute la dimension de l'intervention. Je signale une remarque intéressante d’Yves Reboul qui
montre que George Sand a réhabilité Satan dans Consuelo, dès 1843, ce qui n'est pas sans rapport avec l'œuvre de Rimbaud. Enfin
j'ajoute qu’Yves Reboul a fait une longue critique d’une publication de David
Ducoffre qui y a répondu récemment. La parole est donnée au dernier orateur
Jean-Luc Steinmetz .
Jean-Luc Steinmetz est
professeur émérite à l’université de Nantes. C’est un spécialiste de Mallarmé,
Lautréamont, Baudelaire, notamment. Pour ce qui nous intéresse ici, il est à la
fois biographe et éditeur de Rimbaud. Son intervention porte sur l’édition de
la correspondance de l’auteur du Bateau
ivre qu’il prépare pour la collection GF destinée au grand public, ce qui
pourrait constituer un événement. Il évoque le travail considérable que cela
représente. Il cherchera dans ses annotations à souligner l’importance du
destinataire. Rimbaud n’est pas le même selon qu’il écrit à sa mère, à Ilg ou à
Bardey. L’édition d’une correspondance globale soulève la question de
l’articulation entre les deux périodes de la vie de Rimbaud (pendant et après la période littéraire).
Certes, il note une discontinuité, mais pense que certains éléments
rétablissent une façon d’être de Rimbaud. Il va à rebours, selon lui, d’une
légende qui est le trucage des lettres
par Isabelle Rimbaud. Il pense qu’on a beaucoup exagéré sur ce dernier point.
Il signale la copie peu connue par Claudel de la lettre d’Isabelle qui concerne
la conversion de Rimbaud à son dernier moment. Rimbaud, dit-il, est « pratique »
dans sa vie comme dans sa poésie. À travers sa correspondance, Jean-Luc Steinmetz
montrera l’unité d’une vie et d’un tempérament. Par exemple, son ironie est restée la même et il pense que le
chemin du second Rimbaud peut se comparer au premier. Il évoque son refus de se
fixer et son dégoût de la sédentarisation. Il est donc en accord avec les idées
de ses amis Alain Borer et Alain Jouffroy.
Il ajoute même que Rimbaud se montre écrivain dans ses dernières
lettres. Propos que nuancera André Guyaux dans sa conclusion en parlant de
reflets d’écriture chez le second Rimbaud.
On regrettera l’absence
d’Eric Marty qui n’a pu venir. Le déroulement de cette séance (plus de trois
heures) a été très agréable et la qualité d’écoute était remarquable. J’invite,
comme je l’ai fait le 26 octobre, les étudiants, les doctorants et tous ceux
qui s’intéressent à Rimbaud à participer à ce blog qui se veut
ouvert. Il serait bon qu’il devienne le lieu d’échanges productifs des études
rimbaldiennes.
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