Ce
deuxième volet de notre chronologie des œuvres de Rimbaud se fonde sur les
lettres du poète en 1871, ses contributions à l’Album zutique, le dossier paginé de Verlaine parvenu entre les mains
de Forain et Millanvoye, un sommaire de Verlaine qui correspond au dossier
paginé précédent, les poèmes inédits signalés à l’attention par Delahaye dans
ses Souvenirs familiers, les sonnets
« Immondes » et les quatrains « Vers pour les lieux », et enfin la publication du poème Les Corbeaux. En revanche, nous exclurons
le dizain « L’Enfant qui ramassa les balles… » qui est une copie par
Rimbaud du second poème d’un diptyque de Verlaine comme l’atteste la signature
« PV » du manuscrit, la date réelle de composition de cette pièce
étant elle-même inconnue. Nous contesterons certaines dates au bas de poèmes.
Nous prévenons aussi le lecteur qu’il faut distinguer l’invention d’un poème et
son remaniement ultérieur, ce qui doit toujours entrer en considération en
ce qui concerne les versions de Paris se
repeuple et le dossier paginé remis à Forain, lequel dossier suppose
lui-même un partage délicat entre poèmes composés soit à Charleville, soit à
Paris. Nous traiterons aussi de poèmes dont seuls les titres nous sont
parvenus. La datation du Bateau ivre
et des Corbeaux s’inscrira enfin en
porte-à-faux face au discours ambiant.
Janvier-mai 1871 : Les Pauvres à l’Eglise
(Poème envoyé à
Paul Demeny dans une lettre du 10 juin 1871 qui contient également Les Poètes de sept ans et Le Cœur du pitre. La transcription est
accompagnée d’une datation évasive : une simple mention de l’année en
cours « 1871 », ce qui laisse penser que le poème est plus ancien
déjà, peut-être de quelques mois, d’autant que, le 10 juin, nous ne sommes pas
éloignés dans le temps d’une Semaine sanglante dont ce poème ne semble pas
subir l’empreinte tragique. La revue « sociologique » d’une
population réunie en un même lieu est à rapprocher de la conception du poème A la Musique de juin-juillet 1870.)
Janvier-mai 1871 : Les Poètes de sept ans
(Poème envoyé à
Paul Demeny dans une lettre du 10 juin 1871, mais la transcription est
accompagnée d’une date de création fictive « 26 mai 1871 ». Il s’agit
d’une datation symbolique. Le jour de la fin de la Semaine sanglante est plutôt
le « 28 mai » selon les historiens, mais, à l’époque, le « 26
mai » semble avoir été considéré comme décisif. Par exemple, c’est le 27
mai que réagit Hugo publiquement au sujet des massacres, comme cela a déjà été
observé. Cette date ajoutée au poème permet de préciser l’adhésion à la
Commune, plus largement même aux agitations révolutionnaires qui marquaient
l’actualité depuis septembre 1870, adhésion dont il est question quand l’enfant
de sept ans s’intéresse aux « hommes » « Noirs, en
blouse », qui font « rire et gronder les foules ». L’idée d’un
poème à peu près contemporain de la proclamation de la Commune nous semble
plausible, mais nous ne saurions rien prouver. Dans une note manuscrite
impossible à dater, mais qu’il prévoyait d’intégrer à la nouvelle publication
d’un article datant de 1911 (voir son livre posthume Rimbaud tel que je l’ai connu dans l’édition originale de 1946), Izambard
a prétendu que le poème avait été composé en septembre ou en octobre 1870.
Rimbaud le lui aurait montré avant de le dédicacer à Demeny. Ce témoignage est
amené par une remarque qui se veut de bon sens : ce poème ne peut pas
avoir été écrit juste après « l’agonie de la Commune ». Et une autre
note impossible à dater d’Izambard va préciser que le poème est tout juste
postérieur au 24 octobre 1870, en l’assimilant à une réaction d’Arthur face au
courrier de sa mère (avec une erreur d’Izambard : le courrier date du 24
septembre et non du 24 octobre) ; celle-ci exigeait le retour de son fils
au foyer maternel lors de la première fugue et suite au refuge douaisien qui
suivit l’incarcération à Mazas. En réalité, Izambard s’est montré imprudent. La
transcription connue n’est pas dédicacée à Paul Demeny, comme invitait à tort à
le penser les éditions d’époque, mais elle fait partie d’une lettre au profil
particulier. La mention en tête de la lettre « A M. P. Demeny » vaut
pour l’ensemble des trois poèmes ainsi que pour les mots qui s’y entremêlent,
et elle relève plus exactement du geste d’adresse que d’un acte de dédicace
proprement dit. Or, cette lettre date du 10 juin 1871. En 1911, Izambard
ignorait que le poème faisait partie d’une lettre et qu’il était accompagné de
deux mentions de dates « 26 mai 1871 » pour sa transcription et
« 10 juin 1871 » pour la lettre l’incluant. Il ne connaissait que les
éditions du poème abusivement ornées d’une dédicace à Demeny. C’est en 1912
qu’Izambard a appris l’envoi par lettre. Refusant la contradiction imposée par
les faits, car ce n’est pas l’unique occasion qu’il a prise pour justifier un
témoignage erroné après-coup, le professeur, qui parle bien de son
« opinion », va ensuite soutenir, dans une autre note inédite de 1927,
parue elle aussi dans Rimbaud tel que je
l’ai connu, que Rimbaud a remis le même poème à deux reprises à Demeny. Izambard
déclarait que le poème avait été composé à Douai et que Demeny en avait reçu
deux exemplaires, par inadvertance. D’autres manuscrits n’ont pas reparu et il
faut bien considérer que le témoignage fondé sur des impressions de souvenir,
puis des justifications laborieuses du point de vue, est en soi irrecevable.
Ajoutons que c’est dans cette lettre du 10 juin 1871 que Rimbaud demande à
Demeny de brûler tous les poèmes remis lors de ses passages à Douai, alors que Les Poètes de sept ans y seraient déjà
inclus selon Izambard, ce qui achève
d’établir contre l’opinion de ce dernier que des poèmes tels que Les Pauvres à l’Eglise et Les Poètes de sept ans sont distincts de
la première période poétique du jeune carolopolitain. Les menaces d’émeutes
eurent lieu bien avant le 18 mars, ce qui nous interdit de tenter de resserrer
encore un peu la datation. On peut remarquer que le poème évoque bien la
situation personnelle d’un adolescent soucieux d’échapper à l’autorité
maternelle. Il est en phase avec l’esprit de fugue à Paris en 1871.)
Janvier-avril (sinon début mai) 1871 : Mes Petites amoureuses
(Poème envoyé à
Paul Demeny dans la célèbre lettre « du voyant » du 15 mai 1871. Les
strophes sont celles du poème Ce qui
retient Nina d’août 1870, strophe de rimes croisées alternant octosyllabes
et vers courts de quatre syllabes sur le patron de la Chanson de Fortunio de Musset. Izambard prétend avoir eu la primeur
d’une version sans titre de ce poème qu’il aurait critiquée, information que
nous considérons comme fiable et qui pose le problème de la rétention
d’informations de la part d’Izambard, lequel n’a probablement pas divulgué
toutes les lettres de Rimbaud qui lui sont parvenues. Izambard n’ayant jamais
revu Rimbaud après le mois d’octobre 1870, seules des lettres inconnues peuvent
expliquer que le professeur ait eu une connaissance aussi sûre des opinions
communardes de Rimbaud, à moins d’informations par Deverrière. L’interjection
« Pouah » du poème revient volontiers sous la plume d’Izambard,
notamment au sujet d’une lettre « littératuricide » qu’il aurait
reçue, mais qu’il a confondue avec la lettre du 13 mai, ce qui fait que
l’existence ou non de cette lettre ne saurait être démontrée, en laissant la
part belle aux convictions personnelles. Nous considérons comme probable
l’influence décisive des critiques négatives d’Izambard sur le reniement de
l’œuvre de 1870, voire sur le reniement de ce poème qui ne figurera pas
ultérieurement dans le dossier paginé constitué par Verlaine.)
Janvier-mai 1871 : Accroupissements
(Poème envoyé à
Paul Demeny dans la célèbre lettre « du voyant » du 15 mai 1871.
Rimbaud poursuit les caricatures du type Rages
de Césars, Le Rêve de Bismarck, Le Châtiment de Tartufe, voire L’Eclatante victoire de Sarrebrück, mais
sa manière et son art ont nettement évolué. La forme rarissime du quintil ABABA
est commune à deux poèmes de juillet 1871 : L’Homme juste et un autre cité par Delahaye (il en sera question
plus bas), mais Rimbaud a dû repérer ce type de strophes dans la revue
satirique La Charge dès 1870, ce qui
ne permet pas de resserrer la datation du poème. Il est simplement plausible
qu’il ne soit pas si ancien lors de son envoi le 15 mai. Sa nature violemment
anticléricale fait songer au sort de Monseigneur Darboy, lequel était toutefois
encore en vie le 15 mai au moment de l’envoi de cette pièce.)
Avril(-début mai 1871) : Chant de guerre Parisien
(Poème envoyé à
Paul Demeny vers le début de la célèbre lettre « du voyant » du 15
mai 1871. Malgré des lectures en grande partie intéressantes de ce poème,
Benoît de Cornulier et Steve Murphy considèrent la composition comme
contemporaine de l’envoi par lettre le 15 mai, ce qui ne nous convainc pas. Les
Versaillais ont ouvert les hostilités le 2 avril et Meudon fut d’emblée un lieu
d’affrontements. Il suffit de se reporter à l’article Ils ont attaqué en première page du Rappel (organe de presse hugolien), le 3 avril 1871, pour voir se
dresser le contexte justifiant la composition du poème. Il y aurait beaucoup de
rapprochements à faire entre la presse et le poème de Rimbaud, mais nous nous
en tiendrons ici aux arguments chronologiques. Il nous paraît important de
signaler, pour des raisons d’émulation littéraire, qu’en première page du Rappel du 10 avril 1871, Hugo a republié
deux poèmes des Châtiments en en
modifiant les titres. Précisément, il a publié sous le titre Les Ruraux les soixante-deux derniers
vers du poème « Ainsi les plus
abjects… » (Châtiments, livre
troisième, IV), à partir de « Ils ont voté ! », et il
l’a fait suivre du poème Ecrit le 17
juillet 1851, en descendant de la tribune (Châtiments, livre quatrième, VI) sous le titre En descendant de la tribune. Ce dernier poème est suivi d’une mention
« 1851 » qui montre bien à ceux qui ne reconnaîtraient pas deux
extraits des Châtiments que le vote
des Ruraux en 1871 est assimilé à un précédent vote bonapartiste. La forme du
poème Chant de guerre Parisien
appelle un commentaire. Sa banalité à cette époque ne l’empêche pas d’avoir ici
une importante portée historique. Le quatrain de rimes croisées est banal au
XIXe siècle de Lamartine à Baudelaire, et le quatrain de rimes
croisées d’octosyllabes correspond à une poésie plus légère comme les Chansons des rues et des bois de Victor
Hugo, mais aussi à une forme d’art pour l’art, suite à son recours important
dans le recueil Emaux et camées de
Théophile Gautier. Cette forme est celle du Chant
de guerre circassien de François Coppée qui a servi de support intertextuel
à la création rimbaldienne, mais qui est plus de l’art pour l’art qu’un
« psaume d’actualité » comme il est dit dans la lettre du 15 mai.
Cette forme est aussi funambulesque dans les poèmes de Bergerat et Banville au
moment de la guerre franco-prussienne : Idylles prussiennes, Cuirassiers
de Reischoffen, etc. Les mentions
« Sèvres, Meudon, Bagneux, Asnières » montrent une identité
des lieux de combat entre deux sièges, celui précédent des prussiens et celui
actuel des Versaillais, en permettant l’assimilation des Versaillais à une
menace comparable aux prussiens. Le recours à cette forme banale relevait d’un
certain génie de poète voyant, mais l’optimisme de la victoire communarde sera
bien vite démenti par les faits et explique sans doute que ce poème n’ait pas
survécu et figuré dans le dossier paginé constitué par Verlaine.)
[Nota Bene : Lettre du 17 avril 1871
à Demeny dont un passage (« Quant à ce que je vous demandais… ») nous
apprend qu’elle a été précédée d’au moins un autre courrier inconnu. Elle nous
informe également que Rimbaud a vécu à Paris « du 25 Février au 10
Mars », ce qui coïncide probablement avec une période de moindre activité
poétique pour des raisons matérielles évidentes. Mais nous ignorons comment
Rimbaud a vécu pendant cette espèce de séjour dans la capitale. Par ailleurs, si,
selon certains témoignages, Rimbaud a encore effectué un autre séjour et a pu
être à Paris pendant la Commune, ce ne peut être en tout cas avant le 17 avril.
L’éventuel second séjour à Paris, cette fois sous la Commune, n’a pu avoir lieu
qu’entre le 17 avril et le 13 mai ou bien juste après le 15 mai. Par ailleurs, Rimbaud
offre à Demeny un compte rendu des publications d’actualité, ce qui confère à
cette lettre du 17 avril une réelle importance critique et littéraire. Elle
introduit également le thème de la « Sœur de charité » appelé à
devenir poème : « il est des misérables qui, femme ou idée, ne
trouveront pas la Sœur de charité ».]
(fin mars-avril ou) Début mai 1871 : Le Cœur supplicié
(Unique poème
envoyé à Georges Izambard dans la célèbre lettre du 13 mai 1871. Une nouvelle
version intitulée Le Cœur du pitre
figurera dans la lettre du 10 juin 1871 à Demeny, mais la transcription est
alors accompagnée d’une datation erronée « Juin 1871 » comme pour
souligner un nouveau départ par opposition aux poèmes de 1870 qu’Arthur demande
de brûler. Deux autres versions ultérieures nous sont parvenues de la main de
Verlaine, l’une intitulée Le Cœur volé,
l’autre sans titre et réduite d’un triolet. Etant donné qu’Izambard prétend
également avoir eu la primeur d’une version sans titre de Mes Petites amoureuses, l’antériorité de l’envoi du Cœur supplicié nous paraît
significative. Rimbaud éprouve d’abord l’ancien professeur avec lequel il a une
relation plus poussée, avant de se tourner vers le poète douaisien Paul Demeny.
Nous savons qu’il nous manque des lettres à Izambard, selon l’intéressé
lui-même, et nous n’avons jamais su ce que Rimbaud avait pu communiquer à
Deverrière. Dans de telles conditions, l’importance conférée à Demeny nous
paraît excessive et nous envisageons même que les lettres à ce douaisien ne
soient que le prolongement amer (sous forme pratiquement de redites) d’échanges
infructueux avec Izambard. Nous pensons qu’il faut lire les idées de la lettre
à Demeny du 15 mai, comme plutôt adressées (en pensée) à l’ancien professeur
qu’au poète effacé. Toujours est-il que Le
Cœur supplicié est nettement porté à l’attention d’Izambard et pourrait
participer d’un acte de raillerie à l’égard de celui-ci sur le plan politique.
Au-delà d’influences nettes de Gautier ou Banville pour le vocabulaire et la
forme, par son cadre imagé : « poupe », « mer »,
« flots abracadabrantesques » (« gouvernail » dans la
version intitulée Le Cœur volé), le
poème annonce clairement, tout comme certains passages des Poètes de sept ans, la métaphore du Bateau ivre. Il s’agit d’un poème de dénonciation du siège
versaillais sur Paris, comme l’attestent les termes militaires et
bonapartistes : « caporal » et « chiques »,
« rire général », « troupe », « pioupiesques »,
« gouvernail » (de la famille de « gouvernement »), et
l’atermoiement du poème n’est pas exactement celui de Rimbaud. Ce n’est pas lui
qui hésitera, pour être sauvé, à se jeter dans ces « flots » qui
s’imposent comme une métaphore courante du peuple révolutionnaire Parisien, ce
sera le discours métaphorique explicite du Bateau ivre. Enfin, si Izambard n’a pas soupçonné ou relevé
nettement l’allusion à la situation politique du mois de mai, ses témoignages
n’auront de cesse de combattre la violente provocation à son égard de la
formule d’indécision : « Comment agir, ô cœur volé ? »)
(fin mars ) Avril- début mai 1871 : (La) Mort
de Paris et (Les) Amants de Paris
(Existence
hypothétique de ces deux poèmes inconnus, du moins ont-ils nécessairement
existé comme projets. Dans sa lettre à Demeny du 15 mai 1871, Rimbaud se plaint
d’un manque d’argent pour les frais de port, ce qui l’empêcherait d’ajouter à
sa lettre ses « Amants de Paris, cent hexamètres, Monsieur, » et sa
« Mort de Paris, deux cents hexamètres », deux poèmes visiblement
d’actualité communarde, ce que souligne l’emploi sarcastique du mot
« Monsieur » comme pour l’en-tête de la lettre à Izambard du 13 mai. La
Semaine sanglante explique-t-elle qu’il n’ait plus été question de ces deux
pièces par la suite ? La mention « hexamètres » pour
« alexandrins » est un trait humoristique qui rappelle à l’attention
les prix de vers latins de Rimbaud qui, alors, composait des hexamètres au sens
strict du mot. La perfection des chiffres fait nettement songer au Bateau ivre, dont Rimbaud aurait pu
aussi bien dire : « cent hexamètres, Monsieur ». Les thèmes ou
motifs des « Amants » et de la « Mort » associés à Paris se
retrouvent au cœur du poème Paris se
repeuple, comme s’il y avait eu une refonte de ces deux poèmes ou de ces
deux projets en une seule œuvre.)
[Nota Bene : envoi à deux jours de
distance d’une lettre à Izambard le 13 mai et d’une autre à Demeny le 15 mai, lettres
qui invitent à penser, mais sans certitude, que Rimbaud ne s’est pas rendu à
Paris entre le 17 avril et le 13 ou 15 mai, laissant la part belle à l’idée
d’un séjour très bref dans la seconde moitié du mois de mai. Ces deux lettres
exposent les idées d’un devenir du poète en « voyant », motif
littéraire courant depuis le romantisme, mais qui subit un traitement original
de la part de Rimbaud. La sincérité du propos n’a pas à être mise en doute,
malgré le caractère excessif et trouble des formules employées. Rimbaud oppose
pour Izambard « poésie objective » et « poésie
subjective ». La « poésie objective » est celle du poète qui
n’est pas que sujet, mais qui réfléchit sur soi-même en créant de soi à soi une
distance de sujet à objet. Elle s’oppose à l’abandon du « moi »
romantique qui confondrait la parole spontanée, immédiate, avec la pensée
(forme la plus excessive de la « poésie subjective »). Mais la lettre
du 15 mai, si elle critique également le manque de réflexion des romantiques,
salue aussi leur capacité à sortir des normes pour rapporter des
« visions » de poètes appelées à guider l’humanité dans des
directions nouvelles. Le « Je est un autre » formule différemment
l’opposition entre « poésie subjective » et « poésie
objective ». L’éducation et les impulsions permettent un
« développement naturel » de notre pensée qui ne doit pas être
confondu avec la connaissance, socratique ou non, de soi-même. Le 9 juillet
1898, dans un article sur Rimbaud paru dans La
Liberté, Izambard a écrit une phrase qu’il est intéressant de mettre en
tension avec un extrait de la lettre à Demeny : « Car, pourquoi leur
créer, sans cela, un intellectualisme artificiel contraire au développement
normal de leurs aptitudes et de leurs facultés natives ? » fait
contraste à « […] en tout cerveau s’accomplit un développement naturel
[…] ». Rimbaud se place clairement du côté de la raison : « La
raison m’inspire plus de certitudes sur le sujet que n’aurait jamais eu de
colères un jeune-France[,] » « Les romantiques, qui prouvent si bien
que la chanson est si peu souvent l’œuvre, c’est-à-dire la pensée chantée et comprise du chanteur[,] »,
« Le Poète se fait voyant par un
long, immense et raisonné dérèglement
de tous les sens. » Nous en
concluons que le « Je est un autre » se dresse contre la socialisation
passive en conciliant usage de la raison et exploration des champs du possible.
Ces considérations sont ici nécessaires, étant donné l’hermétisme ultérieur de
la poésie rimbaldienne et étant donné la versification encore traditionnelle
des poèmes envoyés à Izambard et Demeny dans les lettres du 13 mai (Le Cœur supplicié), du 15 mai (Chant de guerre Parisien, Mes Petites amoureuses, Accroupissements) et même du 10 juin
1871 (Les Poètes de sept ans, Les Pauvres à l’Eglise, Le Cœur du pitre).]
[Nota Bene : lettre du 10 juin à
Demeny contenant trois poèmes et demandant de brûler tous les vers remis en
1870. Le même mois, Jean Aicard a reçu une lettre du poète carolopolitain avec
une version des Effarés. Loin de nous
en étonner et de considérer qu’il y a là une contradiction, nous y voyons
l’indice plausible que Rimbaud a dû détruire chez lui ses manuscrits
personnels, peut-être à cause des réactions d’Izambard, et qu’il a envoyé à
Aicard le seul poème qu’il ait daigné conserver.]
Avril-Juin 1871 : Les Assis
(Allusion aux
deux sièges, ce poème a été écrit soit pendant le second siège, celui des
Versaillais contre la Commune de Paris, soit suite au contrecoup de la Semaine
sanglante. Le poème fait clairement allusion à la situation politique. Le
témoignage des Poètes maudits prétend
nous imposer la caricature au pluriel d’un bibliothécaire dont Verlaine saurait
le nom et s’en souviendrait mieux qu’un quelconque vers des Veilleurs. Verlaine parle encore d’école
buissonnière, ce qui peut s’appeler mentir par omission quand on sait la
situation du pays au printemps 1871. Nous ne sommes pas obligés de croire à un
pareil témoignage qui cherche sans doute à cacher la signification politique et
satirique réelle du poème.)
Juin 1871 : Paris se repeuple
(Poème antidaté
de « Mai 1871 », nous en voulons pour preuve l’allusion aux
« niches de planches » utilisées pour cacher les désastres avant de
réparer les dégâts causés par la Commune. Rimbaud n’a pas pu anticiper la
reconstruction de Paris. Qui plus est, tout comme L’Homme juste, le poème a été remanié à Paris, ce que nous pouvons
plaider ne fût-ce que par l’existence de deux versions bien distinctes. Raynaud
a récupéré une de ces versions chez Charles Cros, alors qu’une lettre de
celui-ci à Gustave Pradelle en novembre 1871 nous apprend qu’il ne détenait
encore aucun échantillon de poésie rimbaldienne.)
Juin 1871 : Les Sœurs de charité
(Transcription
de Verlaine datée de « juin 1871 », motif qui apparaît dans la lettre
à Demeny du 17 avril, lequel Demeny a reçu une autre lettre datée du 10 juin. Une
réponse de Demeny a-t-elle déclenchée l’invention du poème ? L’idée d’Une saison en enfer est en germe dans
cette composition où la « charité » est déjà envisagée en « sœur
de la mort » pour le poète.)
Juin 1871 : « Oh si les cloches sont
de bronze… »
(Poème de
Rimbaud selon Delahaye qui nous l’a transmis, en le plaçant dans un contexte
livrant une datation plausible. Inexplicablement, les rimbaldiens à l’époque ne
lui ont pas demandé d’où provenait sa transcription. Le témoignage nous semble
fiable, d’autant que Delahaye confond ce huitain avec un sizain. Le poème n’est
pas mauvais. Qui l’aurait composé, si ce n’est Rimbaud ? D’après les
diverses éditions de Souvenirs familiers
de Delahaye, le poème a été composé en juin 1871, à un moment où Rimbaud refuse
de retourner à l’école comme l’a fait son ami.)
Juillet 1871 : L’Homme juste
(Poème daté de
juillet 1871, mais remanié à Paris comme le montrent les différences entre deux
versions d’un même quintil qui nous sont parvenues. Yves Reboul a le premier
montré qu’il s’agissait d’une charge contre Victor Hugo, lequel se proposait
d’accueillir les proscrits et dénonçait une sorte d’assaut pratiquement donné à
la porte de sa maison à cette époque, faits célèbres relayés par l’organe de
presse hugolien Le Rappel, entre
autres. Quant aux deux derniers quintils, d’une écriture différente sur le
manuscrit, ce sont des ajouts nettement postérieurs, comme tend à l’attester la
rime rare « daines » :: « soudaines » qui fait
allusion à cette rime au singulier dans un poème d’Ernest d’Hervilly, l’extrait
étant cité dans un compte rendu de Banville intitulé Les Livres dans la revue L’Artiste
en mars 1872. La copie de Verlaine n’est connue que par le quintil conclusif
qui précède justement ces deux strophes sur la copie autographe.)
Juillet 1871 : « J’ai mon
fémur !... »
(Extrait d’un
poème de Rimbaud selon Delahaye qui nous l’a transmis dans ses Souvenirs familiers. Nous choisissons de
lui donner pour titre le début du trimètre qui sert souvent à le signaler à
l’attention. Ce trimètre n’apparaît que dans la deuxième version de 1925 qui
apporte des vers supplémentaires à la version de 1908. Delahaye a proposé
d’autres vers inédits dans ses témoignages sur Rimbaud. Une Plainte des Epiciers dont Delahaye cite
trois vers daterait de la même époque. Ces deux poèmes dont seuls des fragments
nous sont parvenus auraient été prévus pour la naissante revue Nord-Est lancée en juillet 1871. La
forme de quintil ABABA et les expressions et images du poème « J’ai mon
fémur !... » sont à rapprocher de L’Homme
juste et du poème Accroupissements.
L’extrait a tout l’air d’être authentique et il est difficile de concevoir un
faussaire expert à ce point. En revanche, un mystère plane sur la publication
de ces inédits par Delahaye. Quelle était leur provenance ? Personne n’a
interrogé Delahaye, malheureusement. Ils furent publiés à la même époque et
dans les mêmes conditions (presse ardennaise) que les copies de Maurevert de
poèmes du dossier Forain-Millanvoye. Revue
littéraire de Paris et de Champagne en 1906 pour les copies de Maurevert, Revue d’Ardenne et d’Argonne en 1908
pour les Souvenirs familiers de
Delahaye incluant des fragments inédits.)
Juillet 1871 : Les Premières communions
(Poème ainsi
daté sur les transcriptions. Il ne semble plus avoir été véritablement modifié,
variantes peu nombreuses.)
Août 1871 : Ce qu’on dit au Poète à propos de fleurs
(Poème envoyé
par lettre à Banville le 15 août 1871 et antidaté symboliquement du « 14
juillet ». Etonnamment, il ne fait pas partie du dossier paginé constitué
par Verlaine. Cette seconde lettre à Banville a un rôle non négligeable dans
les thèses, justes à notre sens, de Jacques Bienvenu quant à l’influence de
Banville et de son Traité de poésie
française sur Rimbaud.)
Janvier-août 1871 (septembre 1871 – mars 1872) : Les Veilleurs, Les Réveilleurs de la nuit, La
France, Les Anciens partis
(Quatre énigmes :
quatre poèmes inconnus, seuls les titres nous sont parvenus, uniquement grâce à
des listes de Verlaine pour trois d’entre eux. Le poème Les Veilleurs est cité souvent par Verlaine et présenté comme le
plus beau poème en vers de Rimbaud dans Les
Poètes maudits. Il s’agit d’un poème de 52 vers, probablement 13 quatrains
d’alexandrins. Octave Mirbeau a cité un vers inédit de Rimbaud et tout invite à
penser qu’il s’agit d’un vers des Veilleurs.
L’intention de Mirbeau était toutefois de se moquer des Poètes maudits de Verlaine qui disait ne pas se souvenir d’un seul
vers des Veilleurs et qui parlait
d’une « tristesse, douleur sacrée », ce qui transparaît dans
l’article du Gaulois se moquant d’un
Arthur pour femme entretenue. En 1883, lors de la première publication des Poètes maudits, Mirbeau n’a cité qu’un
seul vers des Sœurs de charité, autre
poème alors inédit plein de tristesse et « douleur sacrée ». Le 23
février 1885, dans son article du Gaulois
« Les Enfants pauvres » sur les orphelinats de jeunes filles qu’il
oppose aux orphelinats des enfants véritablement abandonnés, Mirbeau cite un
vers inédit de Rimbaud : « L’éternel craquement des sabots dans les
cours. » et insiste trois lignes plus loin sur l’idée qu’une « grande
tristesse vous envahit ». Le terme « craquement » peut venir
d’une mauvaise lecture du manuscrit pour « claquement ». En revanche,
il n’existe aucune raison sérieuse pour assimiler le poème Les Réveilleurs de la nuit à L’Homme
juste.)
[Nota Bene : Montée à Paris vers le
15 septembre 1871]
(15 septembre ou) Mi-octobre à mi-novembre 1871
(Contributions à
l’Album zutique. A la différence des
transcriptions de Germain Nouveau et Raoul Ponchon, et à l’exception d’une
nécessaire interversion de l’ordre des colonnes sur les premières pages, les
copies de Rimbaud semblent bien suivre l’ordre des feuillets, lesquels
comportent plusieurs mentions de dates. A moins de compositions toutes fraîches,
ces mentions de dates ne permettent que de cerner le rythme des reports sur le
livre du cercle. Dans un article de la revue Rimbaud vivant, paru en juin 2010, nous avons souligné que le
cercle zutique et les contributions de Rimbaud eurent lieu de la mi-octobre
1871 à la mi-novembre 1871. Parmi nos arguments, intervenait la libération de
Charles de Sivry du camp de Satory le 18 octobre, ce qui coïncidait avec sa
transcription fêtant l’événement peu avant un feuillet daté du 22 octobre. Il
était question également de l’essoufflement du cercle autour de novembre selon
le témoignage même des contributeurs et les débuts du cercle étaient
nécessairement postérieurs à la première rencontre des zutistes Rimbaud et
Antoine Cros, laquelle se fit début-octobre dans le salon du docteur Cros,
selon le témoignage d’un autre zutiste Mercier recueilli par Darzens. Dans son livre
Rimbaud et le foutoir zutique,
Bernard Teyssèdre a voulu approfondir notre effort de datation, mais, malgré
certaines remarques intéressantes, des problèmes de méthode faussent son
approche ambitieuse de datation des poèmes jour par jour. Il ignore le problème
du vis-à-vis des colonnes sur les feuillets 2 et 3, celles de gauche étant
postérieures à celles de droite, ou il pose en termes trop contraignants l’idée
d’une allusion à la pièce Fais ce que
dois de Coppée à partir de sa première représentation et en ignorant les
« marques du doigt » de Pelletan sur des feuillets antérieurs à la
chronologie de transcription qu’il propose, ou il envisage sans raison une
allusion de Rimbaud à son propre anniversaire dans le cas de Vieux de la vieille. En fonction des
dates, voici l’ordre de transcription probable des contributions rimbaldiennes.
Avant le 22 octobre, Sonnet du Trou du
Cul, Lys, « J’occupais un
wagon… », « Je préfère… », monostiche attribué à Ricard, Jeune goinfre, Paris, Cocher ivre, Vieux de la vieille, Etat de siège, Le Balai et probablement Vu à
Rome et Fête galante reportés en
nouvelle colonne de gauche dans la marge du feuillet 3. Entre le 22 octobre et
le 1er novembre 1871, aucune contribution de Rimbaud d’après le
livre. Entre le 1er novembre et le 6 novembre, Exil, L’Angelot maudit,
deux poèmes déchirés, « Aux livres de chevet… ». Du 6 novembre au 11
novembre (mention erronée d’un samedi 9 relevée par Pakenham), centon des Hypotyposes saturniennes ex Belmontet.
Peu après le 11 novembre, Les
Remembrances du vieillard idiot et Ressouvenir.)
(Juillet-septembre) Fin-octobre – novembre
1871 :
Le Bateau ivre
(La description
de la vie des prisonniers sur les pontons était d’actualité dans la presse en
septembre-novembre 1871 et une section Epaves
de la Commune relataient les arrestations et aventures de communards en
fuite dans Le Moniteur universel, ce
qui est à rapprocher de la mention finale des « pontons » et de la
volonté d’une quille qui éclate. Le poème est probablement postérieur à la première
représentation de la pièce Fais ce que
dois de Coppée qui prend à partie les communards en rappelant la devise de
la ville de Paris Nec fluctuat mergitur,
mais postérieur aussi au procès en octobre du très jeune communard Maroteau que
la défense présentait comme quelqu’un s’étant lancé dans la Commune en poète.
Un extrait du Figaro du sept octobre
raille cette défense, nous l’avons citée dans un autre article du blog Rimbaud ivre : « Du nouveau
sur l’Album zutique : en
feuilletant Le Moniteur universel ».
Ces éléments de datation nous paraissent fort plausibles dans la mesure où ils
éclairent certains motifs du poème de véritables intentions du poète, et cela
par la prise en compte d’une actualité qui continuait de traiter de la Commune
des mois après la Semaine sanglante. En tout cas, l’idée que Rimbaud ait lu Le Bateau ivre lors du dîner des Vilains
Bonshommes du 30 septembre n’est fondée sur rien. Le témoignage suspect de
Delahaye se contentait d’avancer que Rimbaud emportait cette composition à
Paris pour épater les Parnassiens.)
15 septembre – mars 1872 : Les Douaniers, Oraison du soir, Les
Chercheuses de poux, Les « Immondes » (Stupra), remaniement de Paris
se repeuple, Voyelles,
« L’Etoile a pleuré rose… », Tête
de faune.
(Il nous manque
sans doute une preuve pour Les Douaniers,
mais c’est, pour partie, en raison d’intertextes de recueils peu faciles à
trouver ou relevant de l’entourage zutiste que nous considérons que ces poèmes
ont été nécessairement composés à Paris : le couplage de mots
« strideur(s) » et « clairon(s) » dans Voyelles et dans les versions connues de Paris se repeuple provient d’une lecture du poème Spleen du recueil Feu et flamme d’O’ Neddy, l’arrangement des tercets sur deux rimes
pour les sonnets « Immondes » et Oraison
du soir (ABA BAB) témoigne d’une reprise du modèle pétrarquiste dans Philoméla, recueil de Catulle Mendès qui
a fourni également un intertexte sensible des Chercheuses de poux avec le poème Le Jugement de Chérubin. Selon Murphy, un vers des Chercheuses de poux s’inspirerait d’un
vers d’un poème inédit de Verlaine César
Borgia qu’il ne faut pas confondre avec son homonyme des Poëmes saturniens. Le titre Tête de faune semble la reprise du titre
A une tête de faune d’un sonnet du
recueil (paru anonymement) Avril, mai,
juin d’Albert Mérat et Léon Valade, alors que le huitième vers est la
réécriture d’un vers du poème Sous Bois
d’un recueil d’Albert Glatigny, lui-même anonyme puisque publié sous le
manteau : Joyeusetés galantes et
autres du Vidame Bonaventure de la Braguette. Le schéma rarissime des rimes
de Poison perdu, poème, probablement
de 1874, dont l’attribution à Rimbaud reste débattue, provient justement,
plutôt que d’un poème isolé de Musset, de son emploi à plusieurs reprises dans
le recueil très capricieux en fait de rimes qu’est Avril, mai, juin. Pour composer tous ces poèmes, il a bien fallu
que Rimbaud ait accès à tous ces recueils pourvoyeurs d’intertextes et qu’il
ait su lever l’anonymat de ceux qui furent publiés anonymement. Valade et Mérat
étaient deux poètes zutistes, tandis que Philoméla
était un recueil affectionné par Verlaine. Des rapprochements parfois
thématiques et aussi formels avec les contributions à l’Album zutique confortent nettement l’idée de compositions
parisiennes. Faut-il rappeler que les « Immondes » forment en réalité
un tout de trois sonnets comprenant Le
Sonnet du Trou du Cul ? On a pu comparer le couplage manuscrit de Voyelles et « L’Etoile a pleuré
rose… » avec le couplage sonnet et quatrain de l’Album zutique : Sonnet
du Trou du Cul et Lys. La nouveauté
métrique de Tête de faune invite à le
considérer comme un poème de 1872, il correspond déjà à la versification
« seconde manière ». Sa césure après la quatrième syllabe de chaque
vers est méconnaissable au point que les métriciens ont cru à une variation de
mesures adoptées au fur et à mesure des strophes, voire des vers du poème, ce
qui n’est pas le cas. Sur douze décasyllabes aux hémistiches de quatre et six
syllabes, seuls trois sont véritablement déviants, à cause d’enjambements de
mots à la césure. Deux de ces enjambements de mots se fondent sur un rejet de
terminaison (« Un faune effar+é… », « Brunie et
sangl+ante… ») sur le modèle initié par Verlaine en septembre 1871 dans un
alexandrin de sa pièce banvillienne Les
Uns et les autres : « Parlez-moi. / De quoi voul+ez-vous donc que je
cause ? ». Les maladresses de la transcription de Voyelles sur la copie Verlaine par
comparaison avec le manuscrit remis à Blémont invitent également à penser que Voyelles est une composition tardive de
1872. Enfin, l’emploi commode du nom de genre « madrigal » sur une
liste de Verlaine n’a pas à être assimilé sans prudence à un titre éventuel
pour le poème.)
Janvier-mars 1872 : Vers pour les lieux.
(Il s’agit d’un
titre réunissant deux poèmes, deux quatrains. Aucun manuscrit ne nous est
parvenu, mais ils sont accompagnés des précisions « Paris, 1872 » sur
une reconstitution proposée par Verlaine, l’un étant accompagné de la fausse
signature « Albert Mérat ».)
Février
1872 : Les Mains de Jeanne-Marie.
(La copie
hybride en grande partie autographe avec des ajouts de la main de Verlaine est
accompagnée d’une mention de date par Verlaine « Fév. 72 ». Nous
n’avons pas de raisons particulières de la mettre au doute, d’autant que le
poème s’impose comme un hommage aux pétroleuses et aux femmes de la Commune,
notamment Louise Michel, la plupart récemment condamnées à cette date.)
Janvier-mars (avril) 1872 : Les Corbeaux.
(Ce poème a été
publié dans le numéro du 14 septembre 1872 de la revue La Renaissance littéraire et artistique dirigée par Emile Blémont
et Verlaine a précisé qu’il l’avait été à l’insu de Rimbaud dans Les Poètes maudits. Blémont possédait
également un manuscrit autographe de Voyelles
identique à la version publiée dans Les
Poètes maudits et Léon Valade un manuscrit d’Oraison du soir, lui aussi identique à la version publiée dans Les Poètes maudits. L’expression
« chers corbeaux délicieux » revient dans le poème daté de mai 1872 La Rivière de Cassis, tandis qu’il est
question d’une actualité hivernale. Une rime se présente comme la reprise d’une
autre du Bateau ivre :
« crépuscule embaumé » :: « papillon de mai » revenant
en « soir charmé » et « fauvettes de mai » avec le
« Mât perdu » du Bateau ivre
en prime. La versification est correcte, mais la forme des sizains est quelque
peu excentrique dans la continuité de Musset (et Sainte-Beuve) : ABBACC au lieu de AABCCB, sans que la grammaire ne
permette de clairement trancher entre inversion et combinaison de quatrain ABBA
et distique CC, bien que la première solution s’impose naturellement à l’esprit
au plan de la présentation sur le papier. Tout indique une composition
parisienne du début de l’année 1872. Contre toute vraisemblance, certains
rimbaldiens pensent que le poème a été composé au plus près de sa date de
publication. Rimbaud avait fui Paris et l’équipe dirigeante de la revue La Renaissance littéraire et artistique
le 7 juillet 1872. Il est arrivé en Angleterre le 7 septembre, ce qui rend
l’idée d’une composition anglaise improbable étant donné la préparation en
cours du numéro. Verlaine qui parle d’obtenir les numéros de la revue n’évoque
à aucun moment ce poème dans sa correspondance avec Blémont. L’idée d’une
composition en Belgique en août n’est pas plausible et invite sans raison à
considérer que Verlaine a menti quand il a déclaré que le poème avait été
publié à l’insu de Rimbaud. Visiblement dans la continuité du Bateau ivre, le poème Les Corbeaux réécrit quelques vers du
poème de Coppée contre la Commune Plus de
sang. Sa composition au début de l’année 1872 ne saurait que s’imposer
naturellement à l’esprit.)
Mars-Mai 1872 : deux quintils
ont été ajoutés à la version autographe connue de L’Homme juste.
(Par la présence
de la rime « daines » :: « soudaines » qui fait
allusion à une citation par Banville, dans la revue L’Artiste de mars 1872, d’un extrait d’un poème d’Ernest
d’Hervilly, ces deux quintils semblent bel et bien postérieurs à l’incident
Carjat qui daterait d’un dîner des Vilains Bonshommes du 2 mars selon Michael
Pakenham. Certaines relations de l’événement font état d’une altercation ayant
impliqué, entre autres, Ernest d’Hervilly, face à Rimbaud. Cette copie
autographe avec un ajout final a remplacé une copie de la main de Verlaine, ce
qui semble indiquer une constitution du dossier en l’absence de Rimbaud, et un
remplacement manuscrit opéré à son retour au début de mai.)
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