Les Poètes de sept ans est un long poème de Rimbaud de 64 alexandrins. En voici le texte :
Et la Mère, fermant le livre du devoir,
S'en allait satisfaite et très fière, sans voir,
Dans les yeux bleus et sous le front plein d'éminences,
L'âme de son enfant livrée aux répugnances.
Tout le jour il suait d'obéissance ; très
Intelligent ; pourtant des tics noirs, quelques traits
Semblaient prouver en lui d'âcres hypocrisies.
Dans l'ombre des couloirs aux tentures moisies,
En passant il tirait la langue, les deux poings
À l'aine, et dans ses yeux fermés voyait des points.
Une porte s'ouvrait sur le soir : à la lampe
On le voyait, là-haut, qui râlait sur la rampe,
Sous un golfe de jour pendant du toit. L'été
Surtout, vaincu, stupide, il était entêté
A se renfermer dans la fraîcheur des latrines :
Il pensait là, tranquille et livrant ses narines.
Quand, lavé des odeurs du jour, le jardinet
Derrière la maison, en hiver, s'illunait,
Gisant au pied d'un mur, enterré dans la marne
Et pour des visions écrasant son œil darne,
Il écoutait grouiller les galeux espaliers.
Pitié ! Ces enfants seuls étaient ses familiers
Qui, chétifs, fronts nus, œil déteignant sur la joue,
Cachant de maigres doigts jaunes et noirs de boue
Sous des habits puant la foire et tout vieillots,
Conversaient avec la douceur des idiots !
Et si, l'ayant surpris à des pitiés immondes,
Sa mère s'effrayait ; les tendresses, profondes,
De l'enfant se jetaient sur cet étonnement.
C'était bon. Elle avait le bleu regard, - qui ment !
A sept ans, il faisait des romans, sur la vie
Du grand désert, où luit la Liberté ravie,
Forêts, soleils, rives, savanes ! - Il s'aidait
De journaux illustrés où, rouge, il regardait
Des Espagnoles rire et des Italiennes.
Quand venait, l'œil brun, folle, en robes d'indiennes,
- Huit ans - la fille des ouvriers d'à côté,
La petite brutale, et qu'elle avait sauté,
Dans un coin, sur son dos en secouant ses tresses,
Et qu'il était sous elle, il lui mordait les fesses,
Car elle ne portait jamais de pantalons ;
- Et, par elle meurtri des poings et des talons,
Remportait les saveurs de sa peau dans sa chambre.
Il craignait les blafards dimanches de décembre,
Où, pommadé, sur un guéridon d'acajou,
Il lisait une Bible à la tranche vert-chou ;
Des rêves l'oppressaient chaque nuit dans l'alcôve.
Il n'aimait pas Dieu ; mais les hommes, qu'au soir fauve,
Noirs, en blouse, il voyait rentrer dans le faubourg
Où les crieurs, en trois roulements de tambour,
Font autour des édits rire et gronder les foules.
- Il rêvait la prairie amoureuse, où des houles
Lumineuses, parfums sains, pubescences d'or,
Font leur remuement calme et prennent leur essor !
Et comme il savourait surtout les sombres choses,
Quand, dans la chambre nue aux persiennes closes,
Haute et bleue, âcrement prise d'humidité,
Il lisait son roman sans cesse médité,
Plein de lourds ciels ocreux et de forêts noyées,
De fleurs de chair aux bois sidérals déployées,
Vertige, écroulements, déroutes et pitié !
- Tandis que se faisait la rumeur du quartier,
En bas, - seul, et couché sur des pièces de toile
Écrue, et pressentant violemment la voile !
Les Poètes de sept ans ne comporte qu’une note assez brève dans la dernière Pléiade que nous reproduisons ici :
« Rimbaud contribue à son propre mythe en jetant un regard autobiographique, avec 10 ans d’écart, sur l’éveil précoce à la poésie. Il partage avec son enfant poète le rapport à la mère(V.1-4,28) l’agressivité dans la relation amoureuse, la perception panthéiste de la nature ( V.52-54), le sens de l’ennui dominical(v.44)de la solitude et de la différence. »
Si tous les commentateurs admettent la nature biographique du poème, on est en droit de se demander pour quelle raison Rimbaud qui a 16 ans choisit de se présenter à l’âge de sept ans. Si le poème est vraiment biographique il faut savoir que c’est à cet âge que Rimbaud rentre en 9ième à l’intistution Rossat et que sa mère aménage rue Bourbon dans un quartier pauvre où logeaient des ouvriers. Sept ans, c’est aussi l’âge de raison que Rimbaud a nommé dans sa Saison en enfer :
« Reprenons les chemins d’ici, chargé de mon vice, le vice qui a poussé ses racines de souffrance à mon côté, dès l’âge de raison-qui monte au ciel, me bat, me renverse me traîne. »
Ce vice comme on l’a déjà dit pourrait être l’homosexualité considérée précisément comme un vice à l’époque de Rimbaud. Cependant l’homosexualité n’apparaît pas dans le poème. Au contraire l’enfant marque une attirance pour les filles. Celle de huit ans et les espagnoles et italiennes des revues illustrés.
Dans le poème on a voulu voir la masturbation dans l’expression « les deux points à l’aine », ainsi que l’expression « âcres hypocrisie ». Ce n’est pas certain malgré l’assurance de certains commentateurs.
Dans un autre ordre d’idée, j’ai déjà indiqué que « le livre du devoir » pouvait être la grammaire du père de Rimbaud ce qui fait que ce père absent serait tout de même présent par l’intermédiaire de ce livre. C’est en effet au moment où Rimbaud va avoir sept ans que son père se sépare définitivement de sa mère.
Cela dit, il faut être prudent et ne pas tout ramener à une glose biographique. Ainsi Alain de Mijolla pense que la fille des ouvriers auxquels le jeune poète mord les fesses est un jeu érotique inventé par Rimbaud: « quand on sait l’isolement auquel furent longtemps condamnées les enfants Rimbaud, la fréquentation d’une voisine, fille d’ouvriers de surcroit, apparait hautement improbable. Cf : L’ombre du capitaine Rimbaud, Les visiteurs du moi, « Les belles lettres », Paris 1981. Indépassable étude psychanalytique. Lorsque Rimbaud écrit qu’à sept ans il n’aimait pas Dieu on sait que ce n’est pas vrai car à cet âge il était catholique fanatique. Comme dans la Saison en enfer on est en présence d’une biographie fictionnelle.
Mais il y a un autre élément qui a une très grande importance pour ce poème : Il est inséré dans une lettre à Paul Demeny du 10 juin 1871 qui suit d’environ un mois la fameuse lettre du Voyant qu’il lui avait adressée. Le poème est daté dans la lettre du 26 mai 1871. Les Poètes de sept ans intervient donc après la révolution poétique que réclame Rimbaud. Dans cette période qui précède l’arrivée de Rimbaud à Paris le poète cherche à être publié. On sait que Rimbaud espérait que Demeny le publie à la Librairie artistique. C’est pour cette raison qu’il lui avait communiqué une liste de poèmes à Douai en 1870. Demeny n’avait pas donné suite pour cette publication. Cette fois Rimbaud tente à nouveau d’intéresser Demeny. Il lui demande de détruire son ancienne production pour bien montrer que seuls ses nouveaux poèmes ont de la valeur. Comme dans la lettre à Banville de Mai 1870, où il espérait être publié au Parnasse contemporain, il donne trois poèmes dont le premier-Les Poètes de sept ans- porte en en tête : À Monsieur Paul Demeny Les deux autres poèmes sont Les Pauvres à l’église et Le Cœur du pitre. À la fin de la lettre pour flatter son destinataire il demande un exemplaire des Glaneuses recueil poétique que Demeny avait publié à la Librairie artistique. Il ne faudrait pas comme on a l’habitude de le faire sous estimer la Librairie artistique. La preuve en est, comme je l’ai signalé dans une récente communication que Demeny avait publié en 1870 un ouvrage de Philippe Burty qui était un critique d’art très connu à l’époque.
Je ne crois pas que Les Poètes de sept ans soit destiné précisément à Demeny. Peu de temps après Rimbaud enverra à Banville le fameux poème Ce qu’on dit au poète à propos de fleurs, mais celui-ci est personnel. Les Poètes de sept ans a vocation à être publié.
Le poème adressé à Banville était daté symboliquement du 14 juillet. On peut se demander si la date du 26 mai que Rimbaud a mis à la fin du poème n’a pas aussi une valeur symbolique. Le 26 mai se situe deux jours avant la fin de la semaine sanglante.
Les Poètes de sept ans est un chef-d’œuvre des vers de 1871. Il semble à première vue d’une lecture facile mais il cache encore bien des mystères.
Bonjour, vous rapportez les propos suivants : "...la fréquentation d’une voisine, fille d’ouvriers de surcroit, apparaît hautement improbable." Je crois qu'il ne faut pas exagérer le caractère a-social de Mme/la famille Rimbaud, spécifiquement durant cette année 1860 durant laquelle la famille emménage rue Bourbon : lorsque naît la dernière fille, Isabelle, rue Bourbon en 1860 précisément, Mme Rimbaud choisit pour marraine une repasseuse fille d'un menuisier qui habite un peu plus bas dans cette même rue Bourbon (le parrain, on le sait déjà, est le tout jeune frère aîné, Frédéric, qui a tout juste l'âge pour devenir parrain). Arrêtons de décrire Mme Rimbaud comme une bourgeoise pimbêche, ce qu'elle n'était pas du tout. La marraine d'Isabelle s'appelait Eléonore Bailly, son père et ses frères étaient menuisiers rue Bourbon, elle était elle-même repasseuse, et sans doute Mme Rimbaud utilisait-elle ses services pour la tenue de son foyer, sans père. Chose curieuse, la seule année où le père est recensé à Charleville est cette année 1860, l'année de la séparation selon les experts. Le délitement du lien conjugal aurait pu s'étendre sur plusieurs années à partir de 1860.
RépondreSupprimerMerci pour votre message.Les informations très intéressantes que vous donnez sur la marraine d'Isabelle Rimbaud me semblent, sauf erreur, inédites. Vous seriez très aimable de nous donner vos sources.
RépondreSupprimerEtat civil pour la naissance d'Isabelle (Archives Dép. des Ardennes & en ligne aujourd'hui), registre de catholicité pour son baptême (Diocèse de Reims, Archives départementales de la Marne), état de recensement de Charleville pour l'année 1860, quartier Notre-Dame (ADA, Charleville). Il s'agit d'une des nombreuses informations encore aujourd'hui inédites, non publiées, qui ont été rassemblées dans le dossier de préparation de la panthéonisation de Rimbaud. Décision avait été prise il y a 2 ans d'entamer ces recherches quand il avait été constaté qu'on se savait pas même qui était la marraine d'Arthur Rimbaud. Car JJ Lefrère s'interroge gravement dans sa biographie de Rimbaud (page 30) : "... mais qui était cette Rosalie Cuif, la marraine ?" A croire que JJ Lefrère n'a pas lu son propre bouquin, puisqu'une Rosalie Cuif figure sur l'arbre généalogique à la fin du même livre, et il s'agit bien effectivement d'une grande tante d'Arthur, l'une des soeurs du grand-père maternel Cuif (nous en avons l'assurance en comparant les signatures de Rosalie Cuif sur plusieurs actes d'état-civil, notamment son mariage). Vous vous êtes vous-même, M. Bienvenu, étonné plusieurs fois sur votre blog de certaines incohérences dans l'ouvrage de Lefrère, à propos de qui Bernard Pivot disait "après lui la biographie ne repousse pas". Eh bien si, à la vérité elle a déjà repoussé pour Rimbaud. L'intérêt de la biographie de Lefrère est indéniable, bien entendu, et ses mérites sont grands, mais il réside surtout dans le travail de compilation des données. Car sur de nombreux points, l'analyse est défaillante : tout se passe comme si l'ouvrage avait été remis un peu rapidement à l'éditeur, sans relecture intégrale pour assure la cohérence de l'ensemble en tout point. Même constat quand on met en regard la biographie et les ouvrages sur la correspondance de Rimbaud, du même auteur.
RépondreSupprimerMerci de nous avoir donné vos sources. Les archives de l’état civil pour les Ardennes sont en effet en ligne. On constate qu’un certain Bailly ancien menuisier a signé l’acte de naissance d’Isabelle. Je pense que vous avez pu consulter « le registre de catholicité » pour son baptême aux archives départementales de la Marne. Le problème est qu’on ne peut l’avoir aussi facilement que l’acte de naissance. Pourriez-vous nous communiquer ce document qui donne vos informations ? Ce document est important puisqu’il vous a permis à la faveur de mon article de montrer que Madame Rimbaud avait pris pour marraine une repasseuse fille d’un menuisier ce qui semble mettre en doute la remarque d’Alain de Mijola. Grâce à vous on avance dans la question de savoir quelle est la teneur biographique du poème de Rimbaud.
RépondreSupprimerPar ailleurs, le parrain d’Arthur est en effet comme vous le dites Frédéric Rimbaud. Cette précision été donnée par David le Bailly (L’autre Rimbaud, page 72) qui a donné plusieurs renseignements inédits mais sans donner ses sources, ce qui est dommage. On apprend avec intérêt qu’il existe de nombreuses informations inédites dans le dossier de préparation de la panthéonisation de Rimbaud. Si vous voulez les communiquer à nos amis rimbaldiens sur ce blog, c’est bien sûr possible. Ces informations seront dûment attribuées à celui ou ceux qui en ont fait la recherche.
Oui, le Bailly qui déclare la naissance d'Isabelle est le père d'Eléonore, Gérard David, menuisier rue de Bourbon. L'homme est âgé et sa signature tremblante. Je vous envoie l'acte de baptême pour publication sur votre site. En le consultant de nouveau, la signature appliquée de Frédéric en tant que parrain est touchante, c'est encore un gamin ! Vous pourrez préciser que cet acte a été communiqué au Collectif par une historienne de Panthéon-Sorbonne, Claude Grimmer, qui vient de publier un ouvrage décisif sur Charles de Gonzague, le fondateur de la ville natale d'Arthur Rimbaud : Le Duc de Nevers, Prince européen sous Louis XIII, aux éditions Fayard (même éditeur que JJ Lefrère, comme quoi on trouve aussi des bouquins relus chez Fayard... nous plaisantons bien entendu). Nous vous envoyons également un scan du recensement de la rue de Bourbon en 1860 pour trouver la composition du foyer Bailly, au 55 de cette rue (rue de Bourbon, et non rue Bourbon disait-on à l'époque semble-t-il). Pour publication sur votre blog également. Pour obtenir le dossier de panthéonisation, il faudrait le demander à un autre Frédéric, Frédéric Martel, mais nous craignons que celui-là ne vous demande de faire 3 fois le tour du Panthéon à cloche-pied en chantant la Marseillaise avant de vous le communiquer. Le dossier bio a été remis à Roselyne Bachelot en nom propre, c'est à dire qu'elle le gardera avec elle sans copie au ministère quand elle quittera ses fonctions. Jack Lang l'a eu entre les mains auparavant. En fait M. Bienvenu, vous auriez besoin d'un très bon avocat ; beaucoup moins que beaucoup d'autres remarquez, car votre blog est resté mesuré durant la polémique, mais avouez tout de même... Nous pouvons intercéder en votre faveur pour n'obtenir qu'1 seul tour du Panthéon, cela vous conviendrait-il ? Nous vous assurons que cela en vaut vraiment la peine. On comprend notamment pourquoi le grand-père Cuif vient s'installer à Charleville quelques années avant la naissance de Rimbaud, et alors tout s'éclaire, y compris l'oeuvre de Rimbaud, la Saison surtout. Ce secret de famille, que Mme Teissier-Rimbaud qui s'oppose à la panthéonisation ignore sans doute, est dévoilé par Rimbaud dans Mauvais sang, chapitre de la Saison où Rimbaud parle de son hérédité. Ce qui gène dans la communication de ce dossier, ce sont les éléments familiaux très personnels, quand une branche de la famille se déclare encore héritière morale. Bien à vous, et longue vie à votre blog, longue vie à Rimbaud. Paul II de Tarse
RépondreSupprimerJ’attends avec intérêt vos documents.Je pense qu’ils intéresseront les rimbaldiens. En revanche, je ne désire plus parler de la panthéonisation. Cette polémique a cessé depuis que le Président Macron a écrit à la famille Rimbaud le 14 janvier, il y a près de cinq mois. Vous pouvez envoyer les fichiers à l’adresse du blog qui est mentionné à : « Pour contacter le site, cliquez ici »
RépondreSupprimerLes documents inédits seront publiés sur notre blog dans un prochain article.
RépondreSupprimerDans ma seconde réponse j'ai écrit "parrain d'Arthur" Il faut lire : "parrain d'Isabelle"
RépondreSupprimerNous attendons les autorisations pour publier les documents inédits.
RépondreSupprimerLes documents inédits ont été publiés. Votre notre article :" La famille Rimbaud rue de Bourbon en 1860" mis à jour le premier juillet.
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