Le 8 août 1892, Isabelle Rimbaud terminait une lettre à Louis Pierquin par cette phrase :
« À propos de vers, voici un petit détail qui vous intéressera peut-être : les premiers qu’il a composés ont été publiés fin 1869 ou commencement 1870 dans un journal hebdomadaire qui s’appelait La revue pour tous. Ces vers étaient intitulés Les Étrennes des Orphelins »
Elle donnait deux informations capitales : l’existence d’une poésie de Rimbaud inconnue à l’époque et par inférence le fait que Madame Rimbaud était abonnée à cette revue bien pensante.
Louis Pierquin était pressenti par l'éditeur Vanier pour écrire une préface aux œuvres de Rimbaud. Il informa immédiatement l'éditeur de l’existence du poème. Vanier le recopia à la Bibliothèque Nationale. Les Étrennes des Orphelins furent publié dans l’édition de 1895 des œuvres complètes de Rimbaud avec une préface de Verlaine.
Après avoir informé Pierquin, Isabelle affirma que son frère n’avait pas voulu être imprimé et que c’étaient ses camarades de classe qui avaient envoyé le poème à la revue. C’était inexact car le 26 décembre 1869 on trouvait dans la correspondance avec les lecteurs cet entrefilet :
« M.Rim. à Charleville.- La pièce de vers que vous nous adressez n’est pas sans mérite et nous nous déciderions sans doute à l’imprimer si, par d’habiles coupures, elle était réduite d’un tiers »
On ne connait aucun manuscrit du poème et nous ne savons pas quelles coupures Rimbaud a réalisées.
En général les commentateurs ne sont pas enthousiastes pour ce poème comme Jean-Jacques Lefrère qui parle d’une « pièce médiocre et pleurnicharde ». Même Verlaine était réticent à le mettre au début des oeuvres complètes de Rimbaud.
Voici comment il présentait le poème dans la préface de 1895 :
« On a cru devoir, évidemment dans un but de réhabilitation qui n'a rien avoir ni avec la vie très honorable ni avec l'œuvre très intéressante, faire s'ouvrir le volume par une pièce intitulée Étrennes des Orphelins, laquelle assez longue pièce, dans le goût un peu Guiraud avec déjà des beautés tout autres. Ceci qui vaut du Débordes-Valmore :
Les tout petits enfants ont le cœur si sensible !
Cela :
La bise sous le seuil a fini par se taire,
Qui est d’un net et d’un vrai, quant à ce qui concerne un beau jour de premier janvier ! Surtout une facture solide, même un peu trop, qui dit l’extrême jeunesse de l'auteur quand il s'en servit d'après la formule parnassienne exagérée »
La plupart des commentateurs soulignent que Rimbaud a emprunté des vers surtout à François Coppé.
La revue publiait des poèmes d’auteur connus comme Victor Hugo et même, à la demande de plusieurs correspondants, Baudelaire dont l’œuvre était qualifiée d’étrange et sinistre ! Ainsi le 15 janvier on pouvait lire le poème Spleen de Baudelaire.
On peut voir aussi à cette date du 15 janvier qu’il était question de la première à l’Odéon de la pièce de François Coppée Le passant. On se souvient que Rimbaud s’était présenté à Verlaine comme « moins génant qu’un Zanneto ». En poursuivant la lecture de la revue on trouve aussi une recension de « l’Homme qui rit » de Victor Hugo avec des extraits évoquant les Comprachicos que Rimbaud a nommés dans sa grande lettre du Voyant.
Il est possible qu’en épluchant la revue on puisse trouver des passages qui ont pu retenir Rimbaud.
Le directeur de la revue qui avait répondu à un courrier de Rimbaud était un certain Thomas Grimm. Il s’entourait de bons collaborateurs comme Jules Andrieu que Rimbaud connaîtra plus tard. Andrieu écrivait régulièrement dans la revue une chronique qui s’intitulait à travers les livres où il parlait de littérature espagnole, anglaise notamment avec une érudition impressionnante.
Thomas Grimm était écrivain et avait publié de nombreux ouvrages. Il ne souhaitait pas imprimer n’importe quel poème et était particulièrement féroce dans sa correspondance pour ceux qui lui fournissaient de mauvais vers. Son idéal était les poètes parnassiens.
Nous verrons qu’il donnera à Rimbaud une source crédible aux Etrennes des Orphelins.
À suivre…
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