Alain Vaillant vient de publier un petit livre de 175 pages aux excellentes éditions Champion intitulé : Une Saison en enfer de Rimbaud, ou le livre à « la prose de diamant ».
Alain Vaillant est connu pour avoir été l’un des directeurs du dictionnaire Rimbaud édité chez Garnier.
Son livre se propose de donner une interprétation nouvelle d’Une Saison enfer. Il précise dans son Avant-propos qu’il s’est imposé une règle de conduite qui consiste à s’en tenir à la lettre même du texte. Il précise que ce livre est le résultat d’un compagnonnage ininterrompu d’un demi-siècle avec Rimbaud.
Alain Vaillant veut expliquer toutes les phrases mystérieuses de Rimbaud qu’il présente comme des énigmes qu’il cherche à résoudre comme un détective. Il parle de « l’herméneutique littéraire comme d’une enquête policière ».
Il examine plusieurs possibilités. Il revient dans ses explications à des intertextes, des digressions sur des auteurs du 19e siècle. Flaubert a sa prédilection. Il a recours à des explications historiques, plaçant Rimbaud dans son époque. Il évoque aussi des rimbaldiens connus pour appuyer ses thèses.
Sur les problèmes classiques de La Saison voici quelques exemples :
L’auteur s’étend longuement sur l’identification l’époux infernal/ Rimbaud et de la vierge folle/Verlaine. Il juge l’attribution vraisemblable.
Plus généralement Il écrit « La Saison n’est pas une autobiographie. Mais elle contient beaucoup d’autobiographique. » Il ajoute : « Rimbaud ne doit pas être confondu avec le personnage de La Saison. »
Sur l’homosexualité Alain Vaillant écrit que l’oeuvre de Rimbaud n’est pas concevable sans l’homosexualité et la difficulté à en parler à cette époque. « arriver à l’inconnu par le dérèglement de tous les sens » est le moyen poétique pour y arriver.
Dans l’étude de Mauvais sang l’auteur voit dans l’évocation de la luxure et de la castration que Rimbaud fait d’obscures et fugitives allusions sur son homosexualité. Il ne pense pas que « le vice qui a poussé ses racines de souffrances à mon côté, dès l’âge de raison » soit justement l’homosexualité mais « l’idolâtrie religieuse, le mauvais christianisme de la race inférieure »
Dans « Le prologue » il montre que le « festin ancien » n’est rien d’autre que le bonheur de la foi religieuse, mais il ajoute que Rimbaud a trop de lucidité pour retomber dans l’ornière de la foi. C’est une impasse : il n’y aura pas plus de retour vers l’enfer que vers le paradis de la religion.
Concernant les brouillons il estime « qu’il est utile de confronter ces ébauches avec la version finale, mais elles n’ont aucune préséance sur elle, précisément puisqu’elles ont été abandonnées. »
Il explique que La Saison fait de brusques embardées ou volte-face qui rendent ce texte si difficile à suivre.
Il évoque la phrase : « Un soir, j’ai assis la Beauté sur mes genoux -Et je l’ai trouvée amère-Et je l’ai injuriée. Et explique : « cette répudiation de la beauté contient en germe le renoncement au vers mesuré ». Sa poésie est un instrument de connaissance de soi ( Je est un autre). Le poète ne doit pas se contenter d’écrire mais tout risquer pour libérer l’inconnu en soi.
Il explique la fin d’ Adieu « il me sera loisible de posséder la vérité dans une âme et dans un corps » par un happy end sentimental « le « je » amoureux, grâce à son séjour dans l’enfer a acquis le droit de connaître l’amour - le vrai, à l’inverse des « vielles amours mensongères et des couples menteurs » il ajoute que la critique refuse de voir ce qu’il y a dans le texte ».
Je me permets à présent de faire quelques critiques. Alain Vaillant observe que dans Alchimie du verbe, Rimbaud a supprimé une strophe du Château romantique par rapport à une autre version. Il écrit :
« la suppression d’une strophe est particulièrement significative : « Ah! Mille veuvages /De la si pauvre âme /Qui n'a que l'image /De la Notre-Dame! Est-ce que l'on prie/ La Vierge Marie ? L’allusion à Verlaine (« Je suis veuve », disait la Vierge folle) y était transparente.
Mais ce n’est pas de Verlaine qu’il s’agit ici. D’abord au moment où le poème est écrit Verlaine n’est pas du tout veuf. Au contraire, il a éloigné Rimbaud pour se rapprocher de sa femme. Pour sa bigoterie elle était aussi à venir. Tout le monde sait que Verlaine cultivera sa foi retrouvée en prison et qu’il écrira Sagesse. En réalité Rimbaud s’en prend ici à Hugo. Il suffit de lire un extrait du commentaire que fait Léon Valade de L’Année terrible dans La Renaissance littéraire et artistique, pour le comprendre. Rimbaud l’a lu à coup sûr puisqu’il figure dans le premier numéro de la revue qui paraît en avril 1872 :
« Telle est la grandeur épique en ce volume, où d’ailleurs l’infini variété des tons s’égaie au vertigineux entassement des catastrophes. Un deuil de famille s’ajoute pour le poète au deuil public : un père est frappé cruellement, et voici que nous retrouvons dans ces pages un écho de la plainte déchirante, inoubliable, que nous avions entendu déjà dans le livre des contemplations. »
Faut-il rappeler en effet que Hugo avait exprimé dans les contemplations les douleurs de son âme après la mort de sa fille. Parmi les veuvages il faut donc comprendre ces deuils et la souffrance de l’Exil. Mais les deux vers suivant sont encore plus explicites : Qui n'a que l'image /De la Notre-Dame! Est-ce que l'on prie/ La Vierge Marie ? Faut-il le dire ? Cette image renvoie inévitablement au poète auteur universellement connu de Notre Dame de Paris et à sa piété dont Rimbaud s’était déjà moqué dans l’Homme juste.
À la page 69, l’auteur évoque la dernière section de Mauvais sang dans laquelle Rimbaud écrit :
Où va-t-on ? Au combat? Je suis faible ! Les autres avancent. Les autels, les armes…le temps.
Alain Vaillant écrit une note que je reproduis intégralement :
David Ducoffre lit sur le brouillon de « Mauvais sang » « autels » au lieu de « outils »(Voir David Ducoffre, « les ébauches du livre Une saison en enfer , dans Lectures des poésies et d’Une saison en enfer de Rimbaud, dir.S.Murphy, PUR, 2009, P.197). Mais le tracé manuscrit n’est pas si évident qu’il doive invalider la version imprimée, d’autant que, que dans l’idée de marche en avant qui est évoquée par le texte, la présence d’ « autels » reste problématique.
Si Alain Vaillant n’est pas d’accord il faut dire aussi qu’il ne l’est pas avec La Pléiade qui écrit : Le texte imprimé donne outils, rectifié d’après le brouillon ( p.928)
Ici Alain Vaillant prend un risque. Si sa lecture de « autels » est fausse alors il doit remettre en cause toute son analyse. En effet selon lui « un seul indice incompatible avec le scénario échafaudé par les enquêteurs oblige à tout reprendre à zéro. » Pour la thèse de Ducoffre on peut voir aussi son article « Le sabre et le goupillon » sur notre blog.
Enfin cette étude aurait gagné en lisibilité si elle reproduisait en marge de chaque critique le texte imprimé.
Néanmoins, pour conclure je dirai que cette étude est stimulante. La lecture pas-à-pas du texte de Rimbaud me semble novatrice. Je pense que cet ouvrage est digne d’être une référence pour les rimbaldiens.
Je transmets un commentaire de. Franck Delaunoy qui a eu un problème technique pour le publier lui-même.
RépondreSupprimerAlain Vaillant affirme : "La Saison n'est pas une autobiographie. Mais elle contient beaucoup d'autobiographique." Dire que la Saison n'est pas une autobiographie, c'est affirmer que Rimbaud n'a pas eu la volonté d'écrire sa biographie : il n'y aurait pas, de la part de Rimbaud, intentionnalité pleine et entière à raconter sa vie. (Vaillant reconnait pourtant curieusement que ce ne serait pas étonnant : " voyez Flaubert"...) C'est à la vérité exactement le contraire : comme Illuminations, la Saison est un recueil furieusement autobiographique. Dans le premier Chapitre, Mauvais sang, Rimbaud explore son hérédité. C'est le premier chapitre, Rimbaud commence par son hérédité, c'est logique. La figure du forçat convoquée par Rimbaud - dans la 8e partie je crois - est, selon Vaillant, un "rêve" : en 1870, rappelle Vaillant, Rimbaud serait allé chercher la figure du forçat dans Les Misérables en la personne de Jean Valjean, et aurait fantasmé, en rêve donc, sur la figure du forçat... Mais en 1870, Rimbaud a 15/16 ans, et quand il écrit la Saison (1873), il en a 18 : alors pourquoi donc Rimbaud commence-t-il sa phrase par "Encore tout enfant..." ? Est-on encore "tout enfant" quand on a 15 ans ? Ou bien Rimbaud aurait imaginé Jean Valjean tout enfant avant d'avoir lu Hugot - comme l'écrivait Madame Rimbaud - en 1870 ? Rimbaud ne serait alors plus simplement génial, mais positivement divin ! ce qui ne serait pas pour me déplaire, croyez-le bien, mais enfin ! Il faudrait juger la profondeur du "biographique" chez Rimbaud comme Rimbaud jugeait la profondeur des villes dans Villes (L'acropole officielle...) : par une observation scrupuleuse. Pour pouvoir juger du caractère autobiographique de l'oeuvre, il faudrait être sûr de ce que l'on croit connaître de la biographie de Rimbaud, précisément. Pensez-vous être suffisamment sachant de la biographie de Rimbaud, M. Vaillant, pour affirmer que son oeuvre n'est pas une autobiographie ? N'y-a-t-il pas plutôt, dans la famille Rimbaud-Cuif, un parent qui aurait été forçat, condamné à mort pour "excitation de ses camarades à la révolte" et auquel le très jeune Rimbaud, tout enfant, aurait pu s'identifier ? Réponse ici : https://archives.cd08.fr/article.php?larub=201&titre=conferences.
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