Au début de l’année 2007, on apprit dans la presse qu’un portrait de Rimbaud par Forain, inconnu des rimbaldiens, avait été exhumé par Jean-Jacques Lefrère. Ainsi, le journal Le Monde du 2 février 2007 rendait compte de cette sensationnelle découverte sous le titre suivant : Jean-Jacques Lefrère a redécouvert un lavis de Forain représentant l’écrivain, « Rimbaud en jeune poète désinvolte ». (Aller à la page 11 de ce lien pour lire l'article)
Le portrait y était dévoilé : un lavis brun portant en bas à droite le monogramme de Forain. Personne ne mit en doute cette fois l’authenticité du portrait. La double attestation de Forain peintre et dessinateur qui fut l’intime de Rimbaud et l’évidente ressemblance du portrait avec celui du poète représenté dans le « Coin de table » de Fantin-Latour emportaient la conviction. Tout le monde et même l’auteur de ces lignes a applaudi sans réfléchir en son temps à la belle découverte. Telle est la force des images.
Cependant,…il convient de retracer dans le détail l’historique de ce portrait. M. Lefrère en a donné quelques indications dans le supplément de sa revue Histoires littéraires N° 28, octobre-novembre-décembre 2006. J’utiliserai donc ce document en y apportant quelques précisions. Ce lavis faisait partie de la collection du frère aîné de Françoise Dolto, le docteur Philippe Marette. L’origine antérieure de ce portrait est inconnue. M. Lefrère ajoute en note : « Précisons qu’il n’est pas titré et que l’identification est conjecturale. Ce fut en tout cas sur la base de cette identification qu’il entra dans la collection où il est conservé aujourd’hui ». Le tableau fut proposé avec d’autres œuvres de Forain par M. Marette à une exposition du musée Marmottant en 1978. Mais, le portrait y fut refusé et il ne figure pas sur le catalogue de l’exposition. Il est utile d’ajouter au texte de M. Lefrère que l’exposition a été organisée par Mme Chagnaud-Forain descendante et spécialiste incontestée du célèbre caricaturiste. M. Lefrère nous indique que M. Marette, sollicité de laisser ses tableaux pour la prolongation de l’exposition, avait désiré qu’un addendum au catalogue soit rajouté pour mentionner son « portrait de Rimbaud », tout en menaçant de retirer ses autres tableaux s’il ne l’était pas. Il lui fut répondu que c’était impossible, car le catalogue était déjà imprimé, mais pour l’apaiser on accepta de montrer le portrait lors de la prolongation de l’exposition. On comprend M. Marette qui aurait bien aimé que cette exposition authentifiât en quelque sorte le lavis, mais ce ne fut pas le cas et on est en droit de penser que Mme Chagnaud-Forain avait de bonnes raisons pour cela. Néanmoins, le portrait fut exposé une seconde fois en 1982, au musée Toulouse-Lautrec d’Albi, avec mention « portrait de Rimbaud » dans le catalogue, j’y reviendrai.
Il faut à présent souligner une question essentielle : celle du monogramme de Forain. Toujours dans le tiré à part que M. Lefrère a consacré au tableau, il est mentionné cette phrase surprenante concernant ce portrait : « […] il peut avoir été brossé bien plus tard : le monogramme qui apparaît en bas à droite fut surtout utilisé par le Forain des décennies suivantes ». Soyons plus précis. Je tiens de Mme Valdès-Forain, qui est responsable de l’exposition consacrée à Jean-Louis Forain qui aura lieu en 2011 au Petit Palais, l’information suivante : le monogramme de Forain n’apparaît jamais sur ses tableaux avant les années 1900. Par conséquent, si Forain a exécuté ce lavis, il l’a fait nécessairement au moins une trentaine d’années après avoir connu Rimbaud, et il convient alors de mettre M. Lefrère en face de ses contradictions. Celui-ci insiste beaucoup sur le fait que Forain éludait toute discussion concernant Rimbaud. Je cite M. Lefrère : « Devenu un peintre et un caricaturiste célèbre et reçu dans le monde, le vieux Forain n’aimait pas qu’on lui rappelle sa grande intimité d’autrefois avec Rimbaud. Il détestait même que l’on prononce devant lui le nom de celui dont il avait jadis partagé quelque temps la chambre de la rue Campagne-Première, au temps où lui-même était surnommé Gavroche ». S’agissant d’un autre portrait présumé de Rimbaud par Forain que celui-ci avait gardé dans son atelier très longtemps, M. Lefrère écrit : « il est peu probable que le vieux Forain qui n’aimait pas qu’on lui rappelle sa grande intimité d’autrefois avec le poète, ait laissé ce portrait, si c’était celui de Rimbaud, à la vue de ses visiteurs. » On comprend mal dans ces conditions que Forain trente ans après avoir connu Rimbaud fasse son portrait. Lorsque ce tableau fut exposé au musée d’Albi avec la date 1874, M. Lefrère mentionne cette incohérence en indiquant que cette année-là le poète et l’artiste ne pouvaient se rencontrer (il donne le même argument pour l’autre portrait présumé de Rimbaud daté de 1874). En somme, que Forain fasse un portrait de mémoire deux ans après inquiète M. Lefrère, mais trente ans après, cela ne l’inquiète plus du tout. A cela s’ajoute le fait qu’en 1887, Verlaine avait lourdement insisté auprès de Forain pour qu’il réalise un portrait de Rimbaud pour la deuxième version des Poètes maudits, et on sait par la correspondance de Verlaine que Forain refusa. Dès lors, il semble invraisemblable que Forain se soit amusé à peindre un Rimbaud bien plus tard. On ne voit vraiment pas ce qui l’aurait poussé à le faire, sans compter que sa mémoire devait être défaillante trente ans après. En 1901, Charles Houin, dans son essai d’iconographie de Rimbaud, avait seulement signalé des croquis pris d’après nature par Forain et aucun portrait peint. C’est d’ailleurs des croquis que l’on retrouva par la suite. L’un deux est en tête de cet article.
Il est plaisant d’observer que M. Lefrère sacrifie ici à ce qu’il appelle ailleurs avec dédain « l’imagerie traditionnelle ». L’expert qui avait identifié le Garnier de 1872 comme authentique grâce à « la marque de famille » aurait du mal à le faire pour le lavis qui masque précisément le bas du visage où est censée se trouver cette fameuse marque. Il se contentera du haut cette fois car dit-il : « il ne fait pas de doute qu’il représente le Rimbaud de 1872 - l’époque de Coin de table de Fantin-Latour, portrait de groupe sur lequel Rimbaud apparaît avec la même chevelure ébouriffée - ».
Les éléments qui précèdent indiquent clairement que le lavis de Forain est un portrait de Rimbaud dont l’authenticité laisse sérieusement à désirer. On peut naturellement envisager l’hypothèse que ce portrait soit l’œuvre d’un faussaire. Il est certain qu’un peintre habile s’inspirant de l’iconographie existante ait pu réaliser une image de Rimbaud convaincante. Ainsi, je m’étonne qu’on n’ait pas aussi souligné la ressemblance frappante, notamment pour la chevelure ébouriffée, avec le dessin de Forain qui fut révélé en 1919 par Berrichon (voir en tête de cet article). C’est pourtant la première idée qui devrait venir à l’esprit de penser à ce dessin dont M. Lefrère dit dans son livre Face à Rimbaud qu’il date probablement de 1872 est qu’il est en quelque sorte « l’image de Coin de table mais vue de face ». Si le tableau était daté de 1872 cela confirmerait l’authenticité, mais on a du mal à croire que Forain ait retrouvé les traits de son croquis (qu’il ne possédait plus) trente ans après. Il conviendrait donc d’étudier sérieusement l’origine de ce portrait avant d’affirmer qu’on se trouve réellement en présence d’un portrait de Rimbaud par Forain. Ce portrait figure sur la couverture du livre Athur Rimbaud, « Correspondance », 2007, commentée par Jean-Jacques Lefrère.
Présumé Rimbaud ou pas, ce lavis est très beau. C'est peut-être tout simplement un gavroche de Montmartre, celui auquel aurait voulu ressembler Forain...
RépondreSupprimerTrès beau ou pas, ce dessin est un faux, si on en croit la brillante démonstration de Jacques Bienvenu, et qui ne mérite que de figurer au musée des contrefaçons.
RépondreSupprimer