On peut être mystifié par un manuscrit de
différentes façons. Éliminons le cas classique des écrits exécutés par des
faussaires et intéressons-nous aux fac-similés de Rimbaud que nous connaissons.
Car les manuscrits sont comme des miroirs qui reflètent une image différente
selon le moment ou la manière dont nous les observons. Prenons un exemple. En
1919, Berrichon publiait des manuscrits de Rimbaud sans avoir remarqué qu’un
certain nombre étaient écrits par Verlaine. De même le manuscrit du Bateau ivre qu’on croyait autographe ne
l’était pas. On apprit des experts Bonnet et Chalvet lors de la vente Barthou
de 1935 qu’il avait été recopié par Verlaine. Cela modifie légèrement notre
vision des poèmes car on est en droit de penser que des variantes peuvent
exister sur les manuscrits originaux. À l’inverse un cas assez fascinant est
celui de « L’Enfant qui ramassa les
balles… » dont on croyait d’après le témoignage de Régamey qu’il était
de Verlaine. Mais lors d’une vente, en 1932, où se trouvait le manuscrit
original de ce poème, les experts reconnurent l’écriture de Rimbaud. Dès lors, à
l’exception notable de Bouillane de Lacoste, le poème a figuré comme étant de
Rimbaud dans les éditions des œuvres du poète. Or, voici que tout récemment
dans la dernière Pléiade, André Guyaux écrit : « David Ducoffre en se
fondant sur le monogramme P.V. qui figure au bas du feuillet, a relancé
l’hypothèse d’une attribution des deux dizains à Verlaine. » Si ce critique a raison, le poème pourrait redevenir
un texte de Verlaine.
Un autre cas, peut-être le plus saisissant,
a été le moment où Bouillane de Lacoste a identifié l’écriture de Germain
Nouveau dans deux poèmes des Illuminations.
Ceci a considérablement modifié notre regard sur ces fameux poèmes en prose.
Quand le critique interprète des signes extérieurs
aux poèmes qui figurent sur le manuscrit, il peut être aussi mystifié. Ainsi,
dans le problème de la pagination des
manuscrits des Illuminations, Je pense avoir montré que Steve Murphy s’est trompé en l’attribuant à Rimbaud,
notamment en négligeant des arguments essentiels d’ordre graphologique. L’enjeu
est d’importance car la vision des Illuminations
en tant que recueil constitué par Rimbaud est modifiée.
Une autre mystification était celle
concernant la lettre de Gênes dont on avait « perdu » trois pages. On
nous affirmait avec certitude qu’elles ne se trouvaient pas au musée Rimbaud.
C’est pourtant là que je les ai trouvées grâce à la complicité d’Alain
Tourneux. D’autres formes de mystifications sont dues à Rimbaud lui-même. David
Ducoffre a montré qu’il n’était pas évident de lire sur une lettre de Rimbaud datée de février 1875 un
signe très bizarre qui a été interprété comme étant le chiffre 5 et qui
montrerait que Rimbaud s’est trompé en écrivant février au lieu de mars, ce que ne pense pas Ducoffre, à mon sens avec raison. Mais la meilleure mystification
de Rimbaud est peut-être celle où cette fois il se trompe d’année et écrit : 1881 au
lieu de 1882. Ce qui avait amené de nombreux éditeurs à penser que Rimbaud
s’était trompé en écrivant « Aden » au lieu de « Harar ». J’ai pu retrouver le manuscrit et surtout
l’enveloppe de la lettre avec « le cachet de la lettre faisant foi »
comme l’a dit Jean-François Laurent dans un compte rendu aimable de mon article
qu’il a donné le 22 septembre dernier au Procope.
Certes, on pourrait
trouver d’autres exemples où nous sommes parfois mystifiés par les manuscrits
de Rimbaud. Mais on me pardonnera, je pense, de faire particulièrement allusion au travail effectué sur ce blog.
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