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La lettre de Verlaine à Rimbaud du 18 mai 1873 comporte des dessins qui ont été très peu commentés et qui posent des énigmes que nous soumettons aux lecteurs du Blog.
Précisons d’abord le contexte de cette lettre. Rimbaud est à Roche où il commence à écrire Une saison en enfer. Verlaine est à Jehonville en Belgique. Les deux poètes avaient pris l’habitude de se rencontrer avec Delahaye à Bouillon à l’hôtel des Ardennes. Le 18 mai Verlaine ne trouve personne à Bouillon car les deux autres n’avaient pu venir. En les attendant, il écrit à Rimbaud cette lettre que l’on retrouvera dans le portefeuille de Rimbaud à Bruxelles après le fameux drame. ( Et non dans le portefeuille de Verlaine comme l’écrit Lefrère dans sa biographie de Rimbaud )
Sur la lettre Verlaine s’est représenté écrivant à Rimbaud. C’est peut-être lui aussi dans l’attitude du monarque sous lequel il faudrait expliquer le texte :
Vive notre grand Monarquô
Faculard et fils premier !
Sur son front il a la marque
Qui predestine au limier ! ( ter)
Très mystérieux aussi le DUPONT à l’envers sur le personnage (Verlaine ?) à côté du monarque.
Les dessins sont représentés dans l’édition de la correspondance de Verlaine par Pakenham. Mais aucune explication n’est donnée sur les mystères que nous signalons.
Mise à jour du 18 juillet : La première partie du manuscrit de la lettre :
Mise à jour du 19 juillet : voici les documents du dossier du fameux Dupont. L'acte de naissance et le livret militaire qui montre que Dupont était séminariste. Il me reste à retrouver le palmarès du collège de Charleville où le nom de Dupont apparaît avec celui de Rimbaud.
la mention séminariste est en première ligne à droite de Dupont |
Vive notre grand Monarquô
Féculard et fils premierô
Sur son front il a la marquô
Qui prédestine au cimiérô ! ( ter)
Bonjour,
RépondreSupprimerCalomel, chlorure de mercure ("calomelô" incrit sur la poitrine droite du monarque) : purgatif.
Si le Manneken-Pis est une fontaine à pisse, le monarque de Verlaine est une fontaine à merde.
Rimbaud en parle dans Nocturne vulgaire, in Illuminations : c'est la source de soi[e].
Bon appétit ! Dessin à ne pas inclure dans le dossier de panthéonisation de Verlaine.
Bien à vous,
Humphrey B.
Bien vu pour calomel.
RépondreSupprimerPour l'enquête, Dupont peut être un imprimeur ou journaliste de Charleville (refus de publier les Romances sans paroles, voir dessins de la lettre précédente à Delahaye), moins probablement le potache du collège de Charleville avec lequel Verlaine a dîné à Bouillon. Cela fait déjà deux pistes à explorer.
RépondreSupprimerLe quatrain est en vers de sept syllabes et les "ô" miment un tour oral anormal, et peut-être aussi un style chansonnier. Il faut ajouter un "ô" à chaque fin de vers.
Au même moment, Verlaine cite "Le Petit Faust" d'Hervé dans une lettre à Lepelletier, le passage où il y a "fameux viveur". Le mot "limier" peut être lié au Petit Faust éventuellement.
Pour rappel, Mercier parle de jouer l'air du "Joyeux viveur" dans le sonnet liminaire de l'Album zutique, et dans les dessins de la lettre à Delahaye on a des signatures à la manière zutique : "P. V. faciebat".
L'écriture est trop petite, mais je déchiffre émétiquô" à côté de "calomelô".
On progresse.
SupprimerUne piste à mon avis gratuite et une autre plus sérieuse.
RépondreSupprimerQuatrain de Voltaire en vers de 8 syllabes, et non 7.
Savez-vous pourquoi Jérémie
Se lamenta toute sa vie ?
C'est que sans doute il se doutait
Que Baculard le traduirait.
(NB : la répétition : "doute", "doutait", n'est pas très heureuse. Mais Baculard n'est pas Faculard)
En revanche, en 1869 environ, Verlaine a composé "Vaucochard et fils Ier !" où on a d'ailleurs vers le début du poème la rime "monarque"::"remarque" (vers de huit syllabes). Toutefois, quand Vaucochard émet son avis au peuple, on passe aux vers de sept syllabes.
Le titre Vaucochard et fils Ier est clairement réécrit au vers 2 du quatrain contenu dans cette lettre : "Faculard et fils premiérô", tandis qu'on a la rime "monarquô"::"marquô", le "^"o étant à ne pas compter pour la mesure du vers comme si c'était un "e" féminin. Le mot "limier" est à sourcer...
Oui émétique = vomitif, comme calomel = purgatif. On rame en plein dans la... merdô. On peut penser au monarque espagnol qui abdique plus tôt dans l'année 1873, mais c'est bien Verlaine qui se représente selon moi.
RépondreSupprimerHumphrey B. - Pas vous ?
Oui, je pense que c'est Verlaine. Mais on est loin encore d'avoir tout compris.
SupprimerOui, c'est la figure habituelle de Verlaine quand il se représente. L'émétique et le mercure (calomel), médicaments dangereux conjugués parfois pour des gastro-entérites, etc., représentent l'idée du vomissement sur le dessin. Verlaine vomit un gros jet et les quatre tasses dessinés sur son habit accueillent sans doute le vomissement. Quant au sceptre, il fait un doigt d'honneur. Le roi Verlaine vomit abondamment sur des gens et leur fait un doigt d'honneur. Le mot Dupont est retourné et peut représenter quelqu'un qui s'enfuit.
SupprimerQuant aux quatre vers, il faut rappeler que ce que nous possédons de "Vaucochard et fils Ier" est un texte incomplet dont une suite était annoncée. Et il va de soi que comme ce sont des vers de sept syllabes et qu'il y a une saillie un peu tarabiscotée "Vaucochard et fils Ier" au lieu de "Vaucochard Ier", plus la quasi même rime monarque-(re)marque, Verlaine reprend son ancien texte pré-zutique de 69.
Or, dans la Correspondance de Verlaine, la lettre à Delayahe à peine antérieure contient des dessins similaires et le fait de chier sur Charleville, ses imprimeurs et ses journalistes", avec un Verlaine en statue. Il est parlé aussi de "galerie des refusés". Il y a fort à parier que les deux blagues vont ensemble, d'où mon idée que Dupont pourrait être de Charleville. (Voir illustrations p. 311 Correspondance de Verlaine par Pakenham.)
Le "ô" fait hispanisant bien évidemment.
Il reste à déchiffrer les manches. Manche gauche de Verlaine (à droite sur le dessin) : "médecine" puis je ne sais pas (héroïqo sans u, broyô ??). De l'autre côté, je n'y arrive pas.
Pour l'autre dessin, Verlaine à sa table illustre la fin de la lettre (plume sans bec, pipe barrée), mais on a un cadre avec un joueur de billard et visiblement un jeu de mots sur la queue de billard, il remet de la craie au bout. Je n'arrive pas à déchiffrer les deux lignes : seconde ligne "béliard" ? proche de "billard" ?, première ligne je crois déchiffrer "phameux" pour "fameux", le début je ne sais pas du tout.
Personne n'a jamais déchiffré ces extraits ?
À ma connaissance personne n'a jamais déchiffré ces extraits. Lefrère et Pakenham l'auraient signalé.
RépondreSupprimerBonjour,
RépondreSupprimerDans cette lettre, "Badingue", Napoléon III, est "traîné dans le caca" lors du dîner - dans ce pays de "charognards", car Napoléon III était décédé en début d'année 1873. Comme Verlaine est un peu saoul, il s'imagine lui-même, après le dîner, en monarque-fontaine à merde - ce sont bien des tasses destinées à recueillir le précieux élixir, comme des pèlerins se pressant près d'une fontaine miraculeuse. Sinon, il y a sans doute un jeu de miroir, car la personne qui joue au billard tout à gauche est montrée dans un encadrement qui est sans doute un miroir (voir les rayures sur le dessin). Le nom de Dupont à l'envers pourrait également être un jeu de miroir, en clin d'oeil au dessin de gauche. Dupont est peut-être effectivement Charles Joseph Dupont, le brillant séminariste/ étudiant ecclésiastique de Charleville, qui avait 2 ans de plus que Rimbaud, les 2 se partageant les premiers prix du collège - avec qui Verlaine venait de dîner. Il faudrait M. Bienvenu publier sur votre blog la lettre manuscrite dans son entier, car elle est très riche, et textes et dessins se répondent. Bon dimanche à toutes et à tous.
Votre commentaire est très intéressant. Voyez le message de David Ducoffre à 17H 57 qui est d'accord avec vous. Je vais essayer de publier la lettre manuscrite dans son entier.
SupprimerLa manche gauche, c'est bien "médecine" comme l'indique David. Le syntagme complet est : "médecine Leroyô", du nom de la méthode purgative de Leroy-Pelgas, sans doute bien connue des mères pour leurs enfants au temps de Rimbô. Mais la manche droite, c'est une autre paire de manches à elle toute seule...
RépondreSupprimerHumphrey Biensucé-Descrits
97 rue du Petit-bois
Charleville-Mézières
Dans la lettre qui contient les dessins, outre le débat sur la traduction en anglais de vers inédits, Verlaine décrit son arrivée à Bouillon le 18 mai et dit : "Ai dîné avec Français de Sedan et un grand potache du collège de Charleville. Sombre feste ! Pourtant Badingue traîne dans le caca [...]".
RépondreSupprimerIl faudrait chercher du côté des écrits de Lepelletier sur Verlaine, vu que Lepelletier reçoit des lettres de Verlaine les 6, 16, 19 et 23 mai 73 (lettre de Londres le 29 mai), mais si rien n'est dans les lettres...
En revanche, si Delahaye arrête son récit quasi au début 1872 dans ses Souvenirs familiers, et ne dit rien dans les Entretiens signés M. X, en octobre 1928, "La Grive" a publié un texte de Delahaye : Rimbaud et Verlaine à Bouillon (pp.11-15). Je n'ai pas une transcription complète du texte, mais on apprend ceci :
"[un jour indéterminé dans le récit] Verlaine vient de Jehonville, Delahaye s'est levé trop tard et ne trouve pas Rimbaud pour aller au rendez-vous de Bouillon. Chemin de fer pris de Charleville à Sedan, puis omnibus à 40 sous pour aller en Belgique. Delahaye se rend quai de la Madeleine en retard, ne trouve pas Rimbaud, prend un train de retard si on peut dire, et "A Sedan, présomptueux espoir de trouver mon homme. Or, il était d'autant moins obligé de m'attendre que lui-même attendu, par un monsieur qui nous avait invités à déjeuner tous les deux, en l'hôtel précisément où naguère vint loger Napoléon III, prisonnier [...]."
Ce jour-là, Delahaye a trouvé ces deux amis à table à Bouillon. Verlaine parla "sans accent dramatique, oh ! tout au contraire" des revirements subis et d'une ancienne velléité de "conversion" (c'est Delahaye qui témoigne).
Bouillon et les incursions "prudentes" de Verlaine à Sedan étaient des points de rendez-vous liés à la peur panique qu'avait Verlaine d'être arrêté comme communard.
Du 18 au 24 mai, cela s'est précipité entre Rimbaud et Verlaine qui repartaient pour Londres.
Voilà, j'ai trouvé pour l'autre manche, il est écrit "ipécacuanhaô". La fin est assez facile à lire "...cuanhaô". Le début se déhiffre laborieusement à la verticale avec un "i" initial quasi invisible et une absence d'accent sur le "e". Pour la médecine Leroy, Verlaine écrit le nom en un seul mot, mais je trouve un vomitif Le Roy en deux mots. Le "h" demeure toutefois dans le nom scientifique : "Carapichea ipecacuanha" (2002). La racine, de saveur âcre et nauséabonde, contient de l'émétine, et on retrouve donc... un vomitif. Quelque part, il y a quatre inscriptions et quatre récipients sur le dessin de Verlaine. On peut raccourcir en ipéca, ou faire la périphrase sirop d'ipéca.
RépondreSupprimerOui, il y a un jeu de miroir pour le billard, mais la prochaine étape est de déchiffrer le mot en-dessous du dessin.
Oui, Dupont est écrit à l'envers ce qui a l'air de faire songer à un jeu de miroir, mais ce n'est pas clair. Pourquoi son nom serait-il écrit dans ce lieu ? Je pense qu'il y a de bonnes chances que le jeu de miroir explique le mot "Dupont", mais si c'est ça Verlaine est vraiment ésotérique.
Il y a une page Wikipédia sur cette plante dont l'orthographe admise a perdu un "h", mot passé par le portugais et provenant du tupi. Ipécacuana
Je pense que Chantal a raison : Dupont s'en va, Verlaine le voit s'en aller dans le miroir, et indique à Rimbaud le nom du partant comme dans une bulle de BD (par un trait qui relie le personnage et le nom). Le nom est écrit à l'envers par ironie et avec une grande finesse d'esprit, car Verlaine le voit dans le miroir. Oui je trouve cela assez fin, cela me plaît, et il n'y a aucun ésotérisme là-dedans.
RépondreSupprimerOui, j'ai compris l'explication de Chantal, j'ai même dit que c'était sans doute la solution, mais il n'en reste pas moins que ce n'est pas complètement clair. Il n'y a pas de miroir dessiné sur ce second dessin. Le lien comme dans une BD, une BD au sens du dix-neuvième, mais ici il s'agit de désigner un personnage par son nom.
SupprimerMais, ce qui me pose vraiment problème, c'est que Verlaine ne nomme pas le potache du collège de Charleville dans la lettre. Evidemment, l'astuce peut être de l'identifier à la fin par le dessin.
Mais, Verlaine arrivait de Jehonville pour rencontrer Rimbaud et Delahaye qui arrivaient eux seuls de Charleville. Et dans le témoignage de Delahaye antérieur, ils ne sont qu'eux trois.
Verlaine aurait rencontré par hasard Dupont un collégien de Charleville et l'aurait reconnu. Verlaine connaît Bretagne, Deverrière, Delahaye et Rimbaud. Quel est son degré de connaissance des collégiens de Charleville ? Il n'y vit pas. En plus, Chantal parle de quelqu'un qui partage les premiers prix avec Rimbaud, et Verlaine d'un potache. Si Verlaine a connu Dupont dans un bar à Charleville, par exemple en janvier 1872 avec Delahaye, ce sera un potache à premiers prix. Verlaine semble se réjouir de l'avoir fait fuir, du coup. Il faut dire que d'après la lettre il est arrivé à midi, a mangé avec deux personnes, et là il est deux heures, il a pu faire fuir le potache de Charleville par ses excès, c'est une possibilité en effet.
Compris. En fait, quand on connaît Charleville encore aujourd'hui, Bouillon est LA destination du week-end, notamment avec les enfants, quel que soit l'appartenance sociale, c'est un lieu charmant. Noter que Dupont n'est alors plus collégien, c'est un séminariste de 21 ans (exempté du service militaire, nous avons retrouvé son dossier). On comprend que dans l'endroit où dîne Verlaine, plusieurs personnes pouvaient partager la même table, non sans affinités bien entendu, mais rien ne dit par exemple qu'il connaissait l'homme de Sedan. Verlaine était très liant, très social, c'est ce qui manquait à Rimbaud. Quand il s'est retrouvé tout seul à déjeuner, il a cherché de la compagnie. A Charleville, il connaissait beaucoup de monde grâce à Bretagne notamment. Ainsi dans un autre dessin, Verlaine nomme Charo qui était le restaurateur de l'hôtel du Nord, il nomme également le couple Citerne - la veuve en fait, remariée Balay - (vous vous souvenez : "Citerne pas Biterne !").
SupprimerLe trait qui relie le personnage et le nom s'appelle une fusée.
Il apparaît que vos informations sur Dupont sont partagées avec Chantal.D'ailleurs vos noms me semblent un peu pipés...Cela dit c'est intéressant de savoir que Dupont est un séminariste si toutefois ce que vous dites est vrai. Vous pouvez naturellement nous envoyer les documents qui l'atteste.
SupprimerMerci pour la mise en ligne de la lettre M. Bienvenu, je ne l'ai pas avec moi en vacances. Lefrère a raison contre Packenham : Badingue est "trainé" et non "traine" sans accent aigu... "dans le caca" pardonnez-moi. On comprend que durant le dîner, Napoléon III est copieusement critiqué, ce qui ne doit pas surprendre même en présence d'un séminariste, car les catholiques traditionnalistes comme il s'en trouvait à Charleville (ne pas oublier que Charleville était un bastion du catholicisme contre Sedan la réformée) n'appréciaient guère les fastes de l'Empire.
RépondreSupprimerDe même, il s'agirait bien de Féculard et non Faculard, en référence aux féculents, dont les plus connus peuvent causer des embarras intestinaux... Bonne soirée,
Je confirme "traîné", "vive" et "Féculard", Pakenham s'est trompé à trois reprises au moins ("traîne", "vivre" et "Faculard"). Pourtant, sur le fac-similé de Pakenham, il est plus facile encore de lire "Féculard" à cause du violent contraste noir/blanc de sa photographie.
SupprimerIl faut bien sûr lire "traîné", car Badingue n'est pas là qu'on voit, mais Badingue est le sujet de la conversation. Verlaine dit en substance : "C'était une sombre fête, bien que nous ayons traîné Badingue dans le caca.
J'ajoute que "caca" peut s'entendre quasi phonétiquement dans "ipécachuana".
Vous avez raison : c'est bien " Badingue traîné dans le caca. Vous avez raison aussi sur Féculard. Bravo !
RépondreSupprimerQui prédestine au cimierô et non limierô. Le cimier sert à grandir son porteur pour mieux impressionner l'adversaire. Le monarque a tout enfant sur le front la marque de la couronne (car on se demande pourquoi Verlaine parle d'une marque sur le front, alors qu'il n'y a aucune marque frontale sur son dessin... mais il y a une couronne). Mais il faut être fils premier : le roi est toujours le premier fils en suivant l'ordre de succession de primogéniture mâle.
RépondreSupprimerEgalement évocation de la dimension guerrière et funeste de Napoléon III.
RépondreSupprimerAu demeurant le fils premier serait plutôt le prince impérial, fils de Napoléon III, ridiculisé avec de grandes oreilles dans l'album zutique. Car Napoléon III n'était pas fils premier mais fils troisième je crois.
RépondreSupprimerPour "cimier", je ne sais pas trop.
RépondreSupprimerAu plan manuscrit, le "c" et le "l" minuscules sont en effet deux lettres qu'on tend à confondre. Sur l'ensemble de cette seule photo fac-similaire, j'observe toutefois que les "c" minuscules de Verlaine ne sont jamais bouclés. En revanche, le "C" majuscule du nom propre "Claye" a une boucle et on pourrait à ce moment-là faire une comparaison avec la consonne antérieure à "imierô" rapportée à un "c". Il faut dire que Verlaine a attaché les deux mots "aulimier" ou "aucimier". Il aurait forcé en majuscule le début de "cimier". Je ne sais pas. La boucle est assez nette, j'ai du mal à me détacher de l'idée que c'est un "l".
Au plan de la saillie, j'ai aussi du mal à trouver "cimier" plus prometteur que "limier".
Toutefois, il y a d'autres erreurs d'établissement du texte dans l'ouvrage de Pakenham. Féculard/Faculard, j'avais moi-même un doute dès le départ même si je ne l'avais pas encore dit, il y a une rature du mot ainsi que sur "au[l/c]imier" d'ailleurs. Or, dans ce seul quatrain, Pakenham a aussi transcrit "vivre" et non "vive", "grand" et non une forme "gran" ou "gram" sans "d". J'observe qu'il y a bien un accent aigu sur "prédestine" et que c'est sur "premierô" qu'il n'y a pas d'accent sur le "e".
Dans la lettre, il y avait "traîné" pour "traîne" (message de Chantal), mais Pakenham a cru lire "Envoie esplanade", alors qu'en note il fait part du bon déchiffrement, sauf qu'il l'a mis en doute : "explanade", c'est bien un "x" qui est écrit.
Je trouve sidérant que Pakenham n'ait pas dans son scrupuleux ouvrage donner une transcription de tous les textes du dessin. Il y a des erreurs dans la transcription du quatrain et de la lettre, mais il n'a donné aucun extrait des manches, ni "calomelô" et "émétiquô" les plus faciles, ni "médecine Leroyô" difficulté moyenne, ni "ipecacuhanaô" résolvable avec un peu de méthode.
Or, il n'a pas déchiffré non plus le mot sous le miroir sur lequel j'avoue coincé complètement. Je penche pour trois mots sur une ligne et un mot sur l'autre. Le début, on peut hésiter classiquement entre un "c" et un "l", mais je penche nettement pour un "L" majuscule : "Lacuthphameux / béliard". Je lis bien "béliard" avec "b" minuscule et non "billard" ou "Béliard". J'hasite pour "phameux" entre "phaineux", "pharneux", mais pas "phamieux", etc., sans jamais débloquer la situation.
Conclusion : pour "cimier" ou "limier", il est trop tôt pour trancher selon moi. Et le gros problème, c'est le texte en-dessous du miroir.
Le c est tres net sur le manuscrit. Cimier a tout son sens dans le texte car il renvoie au front dont il est question au vers precedent, et a la couronne qui est dessinee sur la tete du monarque ; limier quant a lui n'a strictement aucun sens dans le contexte de la lettre.
RépondreSupprimerMerci pour votre pertinente intervention. Le « c » ou le « l » c’est discutable en effet. On nous dit que cimier est un ornement qui forme la partie supérieure de certains casques. Est-ce que cela renvoie au front ? Il est vrai que limier n’ est pas convaincant.
SupprimerVoici une vidéo passionnante par le directeur de la Bibliothèque Doucet
RépondreSupprimerArthur RIMBAUD – À travers les dessins de VERLAINE, NOUVEAU & DELAHAYE (DOCUMENTAIRE 2006)
https://www.youtube.com/watch?v=_dcVogZBqqA
Si le cimier renvoie au front ? Cela me parait assez evident, non ?
RépondreSupprimerSi j'ai bien compris le cimier n'est pas le casque mais l'ornement au dessus du casque. Cela dit il ne faut pas oublier que Verlaine dit dans la lettre qu'il est un peu saoul... En tant que fils de militaire Verlaine devait bien connaître le mot cimier. Cela semble plus pertinent que limier.
RépondreSupprimerJe pense que suite à l'intervention de Franck Delaunoy on peut adopter cimier au lieu de limier. Je corrige à nouveau le texte situé sous le monarque Verlaine
RépondreSupprimerOui, le cimier est l'ornement puisqu'on peut dire "cimier du casque". Et il est naturel de rapprocher "cimier" et "front". Mais il ne faut pas se presser, il y a un risque d'imposer une lecture plus facile, parce que "limier" part dans une autre direction. Je préfère prendre mon temps.
RépondreSupprimerEn faveur du "l", je maintiens que la boucle est prononcée et j'ajoute que Pakenham reporte une transcription habituelle du quatrain, puisque, à part, la corruption "Vivre" pour "Vive", la transcription est identique, y compris pour les accents sur les "e" de "premiérô" et "limiérô", alors que le manuscrit n'a pas d'accent pour ces deux mots : "premierô" et "limierô". On a aussi les leçons "Faculard" et "grand" erronés. Le M majuscule de "monarquô" est à vérifier de plus près également, ce n'est pas du 100% sûr.
Loin d'être buté, je passe à la probabilité du "c". Ce n'est que quand le "C" est majuscule que Verlaine le boucle vers le haut, mais ici Verlaine a du mal à écrire comme il le dit, et on voit que l'initiale "c" ou "l" est un peu en-dessous de sa ligne "au" est plus haut. On peut comparer la ressemblance de forme entre "alamarquô" vers précédent et "au[?]imier vers suivant, on peut imaginer que Rimbaud a voulu écrire un "c", mais que son mouvement de la main est contaminé par les mouvements effectués précédemment pour des "l". On peut penser aussi que la consonne initiale a une forme plus arrondie, plus ramassée sur elle-même, alors que les "l" sont plus droits. Je n'exclus pas "cimier", mais je ne suis pas d'accord pour dire que le "c" est nettement caractérisé à l'exclusion du "l".
Il y a un autre argument en faveur de "cimier", c'est le poème pré-zutique "Retour de Naples" (été 1871). Verlaine y joue déjà sur l'idée de fronts qui pourraient être marqués s'ils n'étaient protégés par des cimiers :
Sa lame que son poing étreint d'un rude étau
A coutume, terreur des plus âpres bastilles,
D'être aux cimiers revêche et courtoise aux mantilles,
Et sur sa dague on lit en rouge : "Yo mato".
Donc, le mot "cimier" peut venir spontanément à l'esprit de Verlaine quand il parle de marque au front.
Pour précision, je l'ai dit plus haut, "Vaucochard et fils Ier" est une source au présent quatrain de Verlaine qui en reprend des éléments, et il faut citer aussi le poème "Au pas de charge II" et son dernier quatrain avec les mentions "fronts" et "marques" à quoi s'ajoute le dessin du sabre ! Sans oublier l'allure de fierté espagnole déjà présente dans "Retour de Naples" (marquô, cimierô dans notre quatrain).
[...]
Qu'à nos fronts brillent les roses,
Cachant les marques moroses
Que le sabre y dessina.
Dossier du "recyclage" verlainien pour composer le quatrain de vers de 7 syllabes (références oeuvres poétiques complètes chez Robert Laffont) :
RépondreSupprimer1) "Vaucouchard et fils Ier" (p. 619) livret d'opéra-bouffe inachevé ("sera continué...") de Verlaine et Lucien Viotti vers 1869. 42 vers dont 24 vers de 7 syllabes. Reprise de l'idée du titre de 7 syllabes : "Féculard et fils Ier" de la rime "monarque"::"remarque", du cri "Vive Vaucochard". Idée de folie et de cercle creux : meuble bobêche, roi bobêchard.
2) "Au pas de charge" II (p. 625), dernier quatrain : "fronts" où des roses "cach[e]nt les marques... / Que le sabre y dessina."
3) "Retour de Naples" (p. 630), référence espagnole ("Don Luis..."), second quatrain : "cimiers" affrontant une "lame". Emploi du mot "cimiers" qui favorise cette lecture.
Il y a aussi le vers : "Cimier d’or chanteur et tunique de flammes" du poème "Adieu" de Verlaine.
RépondreSupprimerIl ne va plus rester grand'chose du texte établi par Pakenham comme le fait remarquer cruellement David. De même, je trouve que "old cunt" est mieux rendu en français par "veille chatte" plutôt que "vieux con" comme le commente Pakenham. S'agissant de Rimbaud, le vieux con, c'est Hugo, la vieille chatte, c'est Verlaine. Vous pouvez confirmer avec le traduteur en ligne bien connu des attachés parlementaires européens deepl.com : old cunt, c'est bien vieille chatte ! F.D.
RépondreSupprimerLe texte n'a sans doute pas été établi par Pakenham. Celui-ci était déjà très âgé et un seul volume est sorti, hélas, de sa correspondance dont j'adore le principe d'élaboration. Le quatrain a été transcrit ainsi dans la collection "Bouquins" chez Robert Laffont, et Pakenham s'est contenté de le reprendre. Je pense que pour "cimier" vous avez finalement raison, le "c" a un arrondi, mais j'étais quand même impressionné par la netteté de la boucle et je lisais "limier" comme beaucoup d'autres. Je pense que Verlaine luttait avec sa plume et que le fait d'avoir commencé à écrire le mot "cimier" un peu trop bas et le fait d'avoir fait juste avant quelques "l" a dû l'entraîner à écrire un c comme un "l". J'espérais une feinte subtile sur "limier", mais là j'y renonce.
SupprimerNoter M. Bienvenu que dans Cimier d'or chanteur..., cimier compte pour 3 : ci/mi/er, alors qu'il ne compte que pour 2 dans ...cimier[ô], ci/mie/[ro]... Je pense que le décompte des pieds est différent car dans la lettre de Verlaine, les vers sont destinés à être chantés (il est indiqué "(ter)" après cimierô, comme un refrain qui doit être chanté trois fois). F.D.
RépondreSupprimerAttention, le vers cité par Bienvenu fait partie d'un poème "Adieu" en vers de onze syllabes, avec la césure la plus traditionnelle à ce vers, césure après la cinquième syllabe. "Cimier" compte bien pour deux syllabes.
SupprimerLes règles : en général, la diérèse consiste à prononcer en deux syllabes une suite de deux voyelles qu'on prononce désormais en une syllabe. Souvent, on fait la comparaison avec le latin, si le mot latin avait déjà deux voyelles, on fera une diérèse. Un mot dont on se rend assez peu compte qu'il implique une diérèse, c'est le mot "ruine" à bien prononcer "ru-ine" dans tel vers de La Légende des siècles. Le poète ne choisissait pas de faire la diérèse, elle était imposée, mais il y avait du flottement d'où le débat sur "li-ard" et "liard" de Banville dans son traité face à Hugo. Les diérèses étaient obligatoires.
En revanche, le principe de la synérèse est un principe de renoncement à la diérèse. Autrement dit, il n'y a pas une alternative diérèse ou synérèse, la diérèse était de règle pour certains mots, et la synérèse est une licence prosodique qui évidemment va exploser au dix-neuvième siècle et en particulier avec Rimbaud et Verlaine. Le mot "ancien" est sans doute parmi les premiers exemples du coup de flottement dans le décompte des syllabes.
Mais, pour "cimier", Verlaine créant une diérèse, ce serait contraire au mouvement historique. Les poètes ont au contraire fait tomber les diérèses.
Quant au quatrain, même s'il fait mine d'être destiné à être chanté (sans doute même y a-t-il un air de référence auquel songe Verlaine), il est en vers de sept syllabes tout à fait bien construits au plan littéraire. Mais son originalité, c'est les "ô" à l'espagnol. Ils sont surnuméraires et ne comptent pas pour la mesure du vers. En revanche, ils déforment la prononciation de "premier" et "cimier", il ne faut pas mettre d'accent, mais c'est vrai qu'on va lire "premièrô" et "cimièrô" comme on passe de "premier" à "premières". Seul le "e" est une voyelle graphique instable qui peut devenir surnuméraire à la fin d'un vers français (c'est différent en anglais, par exemple un "you" en fin de vers peut être considéré comme surnuméraire, l'équivalent d'un "e" muet pour dire vite).
Ici, le "ô" est une sorte d'ajout ridicule en fin de vers, il est l'équivalent d'un "e".
A noter que dans "Qui veut des merveilles ?", Coppée et sans doute plutôt Verlaine le coauteur ont créé de faux "e" de rimes féminines pour moquer la prononciation anglaise d'adjectifs pourtant au masculin :
Je n'aimais pas du tout ce bizarre façonne
D'exprimer vous ; parlez un langage plus bonne,
[...]
C'est un peu dans le même esprit que les "ô" qui scandent nos quatre vers.
Pour le texte sous le dessin de la scène de billard, Verlaine pourrait se moquer de la prononciation en français du "th" anglais : "s" en terminaison de mot (ici comme dans mouth), ou "z" en début de mot (comme dans the), comme il s'essaie à l'anglais ailleurs dans la lettre. Cacuth serait ainsi le phameux Cacus de Virgile, l'ogre qui vivait dans une grotte comme les cyclopes. Le joueur de billard, dans l'encadrement du miroir face à Verlaine, pourrait lui faire penser à une espèce d'ogre dans son antre. Cacus avait pour soeur la déesse Caca, nous y revoilà... Béliard serait un joueur de billard connu du lieu, que Rimbaud aurait pu croiser/connaître lors d'une précédente escapade à Bouillon, puisque Verlaine s'adresse à Rimbaud. Un peu phéblard peut-être... Amusant également le fait que Verlaine semble lutter avec une queue de billard (sa "plume sans bec" d'une taille démesurée sur le dessin), quand le joueur de billard semble tailler un simple crayon, en mettant de la craie sur l'embout de sa queue. La plume de Verlaine est représentée plus grande sur le dessin que la queue de billard, comme si Verlaine et un hypothétique Béliard avaient échangé leur instrument. F.D.
RépondreSupprimerIl faudrait identifier Béliard. Il est temps de faire un bilan de ce qui a été trouvé. Je vais le faire dans un nouvel article où je vais publier la lettre de Verlaine à Delahaye du 15 mai 1873 avec des dessins de meilleur qualité que ceux qui sont dans le livre de Pakenham. Cela donnera peut-être des indications utiles pour progresser sur ce dossier
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