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Après avoir été reçu par Verlaine aux environs du 15 septembre 1871, Rimbaud fut reçu par Charles Cros le mois suivant au 13 de la rue Séguier. En témoigne une lettre restée longtemps inédite de Charles Cros à Gustave Pradelle datée du 16 novembre. Cette lettre qui faisait partie de la collection Bérès fut révélée il y a dix ans par Jean-Jacques Lefrère. On y apprend que Charles Cros s’occupait d’une souscription pour fournir au jeune poète une petite rente.Voici cette lettre :
Paris le 6 Nov. 1871.
Mon cher ami,
Vous avez dû recevoir ma dernière lettre que je vous écrivais deux jours avant d’avoir reçu celle que vous m’avez fait tenir par Camille. La mienne était bien cependant la réponse à la vôtre.
Rien n’est beaucoup changé ici depuis lors ; sauf que je suis établi charbonnier agglomérateur rue Séguier 13. J’ai loué là, à la faveur de Chousy un appartement où j’ai mis quelques bibelots.
Pendant presque tout la moitié du mois dernier j’ai logé Arthur Rimbaud, je le nourrissais à mes frais, ce qui m’a mis fort en retard pour l’instant. Aussi j’ai imaginé de faire à quelques-uns du groupe, une petite rente à ce nourrisson des muses. Banville a apporté chez moi pour ledit Rimbaud des lits, matelas, couverture, draps, toilette cuvette etc etc. puis Camille, Verlaine, Blémont et moi nous donnons chacun quinze francs par mois et je vous demande si vous pouvez en être avec nous. La souscription a commencé à partir du 1er novembre. Je regrette de n’avoir pas de ses vers à vous envoyer mais je suis sûr que vous les trouverez beaux. Les vers de Mallarmé vous en donneront une vague idée.
Mes affaires particulières vont à peu près dans le même état, sauf qu’ayant retrouvé Chousy je ne tire plus la queue du diable.
Vous pouvez m’écrire directement 13, rue Séguier, il n’y a plus aucun danger pour moi.
Je n’ai encore rien fait pour la publicité de mon dernier travail. Je suis comme tout le monde, ici dans une grande apathie, et vous ne vous doutez pas de l’effort immense de volonté qu’il me faut faire pour écrire.
Excusez-moi donc, mon cher Pradelle, de m’arrêter court, n’ayant plus rien à dire
Votre ami dévoué Charles Cros
Parmi ceux qui participent à la rente il y a bien sûr Verlaine, Camille Pelletan qui était poète avant d’être un homme politique connu, et Emile Blémont qui était le directeur de la Renaissance littéraire et artistique qui possédait le manuscrit du sonnet des Voyelles.
Cette lettre montre bien que les relations entre Rimbaud et Charles Cros étaient très bonnes à cette date du 16 novembre 1871. De plus c’est à cette époque que Rimbaud participa à l’Album zutique qui était à l’initiative de Cros. Cependant, selon divers témoignages les relations se sont détériorées entre les deux poètes par la suite quand Charles Cros s’était rendu compte que Rimbaud avait déchiré des pages des livraisons de la revue L’Artiste où figuraient des poèmes que Cros destinait à la publication de son livre : Le Coffret de santal.
Cet ouvrage fut publié le premier avril 1873. Verlaine et Rimbaud qui étaient à Londres à cette date en furent informés par la Renaissance littéraire et artistique qui avait donné le seul compte rendu connu de ce livre le 22 juin 1873. Verlaine, 3 jours après, demandait à Blémont de contacter Cros et Lemerre ( dépositaire et coéditeur du livre) de faire le nécessaire pour lui envoyer le Coffret. Observons qu’Une saison en enfer fut écrite juste après la publication du Coffret puisque Rimbaud précise qu’elle fut écrite d’avril à août 1873. Cros qui était sans le sou à ce moment avait tout de même trouvé un éditeur à Nice qui imprima le livre et avait donné 350 exemplaires à Lemerre en dépôt et l’avait financé pour qu’il soit coéditeur. On se demande si ce n’est pas cet exemple qui a donné à Rimbaud l’idée de faire imprimer son livre en Belgique, dans l’espoir qu’il pourrait trouver une librairie qui accepterait de garder en dépôt les 500 exemplaires de la Saison. Sans ce dépôt le livre ne pouvait recevoir aucun commentaire dans la presse. On regrette que Rimbaud n’ait pas réussi à faire connaître son livre alors que les exemplaires étaient imprimés.
Il est certain que Verlaine et Rimbaud se sont intéressés au Coffret de santal, mais il faut replacer cette publication dans son contexte. Un peu plus d’un mois après la publication du Coffret, Verlaine se disputait avec Rimbaud et laissait en plan son ami. On était le 4 juillet. On sait que le coup de révolver eut lieu à Bruxelles le 10 juillet. Détail amusant Cros donnait deux conférences à Paris le 9 et 11 juillet. Verlaine fut arrêté par la police belge et amené à la prison de Mons.
Quand on examine les poèmes du Coffret de santal, le poème intitulé : Chant éthiopien pose un problème très intéressant. Louis Forestier signale dans la Pléiade de Charles Cros à propos de ce poème : « le vers de neuf pieds avec césure au quatrième est celui du fameux Art poétique de Verlaine composé à Mons en 1874. Il n’est pas exclu que Verlaine ait emprunté à Cros le schéma de ces vers nonipèdes. »
En effet, le vers de neuf pieds avec césure au quatrième n’existait pas avant ce poème de Charles Cros. Verlaine, l’utilise semble-t-il après Charles Cros dans son Art poétique. Cependant Verlaine en avait déjà donné un exemple en 1872 dans son poème Chevaux de bois. Il est incontestable que l’existence de cette césure provient de la publication du traité de Banville qui était connu depuis novembre 1871 comme je l’ai montré. Il en résulte que Charles Cros a été lui aussi influencé par le traité de Banville qu’il connaissait d’ailleurs très bien.On ne sait pas si c’est Charles Cros qui a influencé Verlaine, mais on observe que le groupe Charles Cros, Verlaine, Rimbaud devait communiquer sur les problèmes de métrique soulevés par Banville.
Sur ce sujet on peut voir mon article sur l’Art poétique de Verlaine, ainsi qu’un article important de David Ducoffre publié sur mon blog qui parle notamment du poème : Chant éthiopien.
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