mardi 14 décembre 2021

Rimbaud et Mesmer

 

DR. BNF.




Les Chercheuses de poux


Quand le front de l'enfant, plein de rouges tourmentes,

Implore l'essaim blanc des rêves indistincts,

Il vient près de son lit deux grandes sœurs charmantes

Avec de frêles doigts aux ongles argentins.


Elles assoient l'enfant auprès d'une croisée

Grande ouverte où l'air bleu baigne un fouillis de fleurs,

Et dans ses lourds cheveux où tombe la rosée

Promènent leurs doigts fins, terribles et charmeurs.


Il écoute chanter leurs haleines craintives

Qui fleurent de longs miels végétaux et rosés

Et qu'interrompt parfois un sifflement, salives

Reprises sur la lèvre ou désirs de baisers.


Il entend leurs cils noirs battant sous les silences

Parfumés ; et leurs doigts électriques et doux

Font crépiter parmi ses grises indolences

Sous leurs ongles royaux la mort des petits poux.


Voilà que monte en lui le vin de la Paresse,

Soupirs d'harmonica qui pourrait délirer ;

L'enfant se sent, selon la lenteur des caresses,

Sourdre et mourir sans cesse un désir de pleurer.



Dans le poème  Les Chercheuses de poux  on trouve à la fin un vers étrange : 


Soupir d'harmonica qui pourrait délirer ;


En recherchant les occurrences qui associent harmonica et délire, 


On trouve la description d’une séance de magnétisme chez le célèbre Mesmer que Rimbaud a pu lire.



Mesmer justifié.1784. DR.


Mais que viendrait faire Mesmer dans cette histoire de chercheuses de poux ? On a cru longtemps que le poème Les Chercheuses de poux avait une origine biographique à cause de plusieurs témoignages. Izambard, d’abord prétendait que c’étaient les sœurs Gindre qui avaient épouillé Rimbaud. Mathilde Verlaine  raconte qu’elle avait retrouvé des poux dans le lit du poète et Verlaine expliquait qu’il s’amusait à jeter des poux en passant à côté des prêtres. Mais ces anecdotes ne prouvent rien. Il semble bien que le poème ait une toute autre portée. On est en droit de penser que Les Chercheuses de poux dont on a aucun manuscrit a été composé à Paris en 1871, donc après l’arrivée de Rimbaud en septembre. La grande majorité des poèmes de 1871 ont une signification politique en rapport souvent avec la Commune. Les Chercheuses de poux semblent être une exception. Cependant en y regardant d’un peu plus près « les rouges tourmentes » du premier vers nous ramènent à un sens révolutionnaire


L’allusion à Mesmer pourrait avoir un sens politique. À l’époque de Rimbaud Mesmer était connu pour être un charlatan qui avait fait fortune en exploitant la crédulité des riches de la société qu’il électrisait dans des baquets. C’était souvent des aristocrates auxquels font peut-être allusion les « ongles royaux ». La lecture d’un texte de Mesmer a peut-être inspiré à Rimbaud d’autres poèmes. Le thème du charlatan existe dans Une Saison en enfer. Et que dire alors de « la comédie magnétique » de Parade et de ses charlatans ? 

1 commentaire:

  1. S'agissant de Rimbaud et du magnétisme, on pourrait sans doute avec profit se plonger dans les écrits du Général Noizet. François Joseph Noizet était une personnalité de Charleville au temps de Rimbaud ; c'est lui qui avait remis les prix de collège à Rimbaud l'avant-dernière année (sauf erreur). On a de lui une publication l'année de naissance de Rimbaud, sur le somnambulisme et le magnétisme animal, tout un programme ; de façon beaucoup moins sérieuse, il a aussi écrit sur Vauban en réajustant sa casquette de général ; il était passionné d'occultisme, grand lecteur de Mesmer. De façon amusante, c'est bien à lui que Delahaye fait référence pour expliquer la "maison du général" et "la route rouge" d'Enfance II. Cette maison du général existerait toujours : elle serait devenue la maison du principal (ou administrative) au centre du complexe immobilier du Lycée polyvalent François Bazin à Charleville (route de Flandres, route nationale, av du général de Gaulle aujourd'hui). Mais nous pensons que Delahaye se trompe, et que la "rouge rouge" (la route du couchant, celle des soleils des grèves de Veillées III ou Veillée) est un autre axe de Charleville ; toujours est-il que Delahaye connaissait la demeure, sans toutefois l'avoir fréquentée quand on le lit. F.D.

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