lundi 3 janvier 2011

Novembre à Aden (partie 2), par Jacques Bienvenu

                                            Dutrieux, Société de géographie Droits réservés


L’identification de Lucereau sur la photographie d’Aden a permis de dater celle-ci d’octobre 1879 - date d’arrivée de Lucereau à Aden - à août 1880 - date de son départ définitif de cette ville. Les conséquences de cette identification sont capitales. Loin de prouver la présence de Rimbaud sur la photographie comme on a tenté de le faire, elle la rend d’abord problématique comme l’ont montré nos articles précédents. Mais il y a plus. La présence de Lucereau peut exclure celle de Rimbaud. En effet, il suffirait d’identifier un personnage sur la photographie dont la présence est attestée à Aden avec Lucereau, avant l’arrivée de Rimbaud en août 1880. Plusieurs personnages avaient rencontré Lucereau avant l’arrivée de Rimbaud. Alfred  Bardey notamment dont M. Lefrère avait soupçonné la présence, puis d’autres voyageurs comme Charles Courret qui avait croisé Lucereau deux fois. Mais le candidat le plus sérieux, à mon sens, était le docteur Belge Dutrieux qui avait passé quinze jours à Aden avec Lucereau en novembre 1879. Les deux hommes de plus avaient sympathisé. J’étais donc à la recherche d’un portrait de Dutrieux et j’en trouvai un assez rapidement, un dessin, dans un ouvrage intitulé « De Zanzibar au lac Tanganyika »,  mais peu convaincant pour figurer sur la photographie d’Aden. Je m’apprêtais cependant à chercher  d’autres portraits lorsque je fus contacté il y a quelques temps par un chercheur indépendant qui avait suivi  le même raisonnement que moi et qui avait l’avantage d’avoir consulté à la Bibliothèque Nationale le portrait de Dutrieux, fort différent de celui que j’avais vu. En réalité, je me rendis compte à ce moment là qu’il y avait eu une erreur pour le dessin censé représenter Dutrieux qui n’est autre que celui du docteur Maes que l’on peut voir quelques pages avant dans le même ouvrage ici. Faut-il le préciser ? C’est la photographie qui est authentique, offerte à la Société de géographie par un collègue du docteur Dutrieux. Par ailleurs, j’avais trouvé très étonnant qu’en pleine canicule du mois d’août le barbu de gauche portât  une veste. Pendant un mois moins chaud à Aden comme celui de novembre, par exemple, c’était plus vraisemblable.



  Le visage de Pierre Joseph Dutrieux est à la Bibliothèque Nationale. Il présente les mêmes tempes très dégarnies que le barbu de gauche.Cette calvitie très particulière est un élément d'identification capital. Les sourcils et le front bombé sont aussi semblables ainsi que l'implantation de l'oreille et la forme du nez.
Cette photographie avait été déposée auprès de la Société de géographie de Paris en 1883 par Federico Bolona, italien vivant en Egypte et secrétaire général de la Société khédiviale de géographie du Caire. Dutrieux était membre honoraire de cette même Société.

Dutrieux (1848-1889) était un médecin belge qui s’était installé en Egypte dès 1874. Il existait alors une Ecole de médecine au Caire où il fut professeur. Il fut aussi le médecin de la première expédition belge d’exploration en direction du Tanganyika. Cette expédition était organisée par l’Association internationale africaine, créée par le roi Léopold II en 1876.
Elle rencontra de nombreuses difficultés[1]. C’est d’abord la mort du chef de l’expédition Crespel et du médecin, le docteur Maes, quelques semaines après leur arrivée à Zanzibar en janvier 1878. Crespel sera alors remplacé par le capitaine Cambier à qui l’on adjoindra Wautier tandis que l’on fait appel au docteur Dutrieux pour remplacer Maes, probablement en raison de sa connaissance des maladies en Afrique. La nouvelle équipe partira en exploration vers l’intérieur des terres en juin 1878.

Après de multiples péripéties et la mort de Wautier, Cambier et Dutrieux arrivent à Tabora en mars 1879. Puis Cambier continuera vers le lac Tanganyika tandis qu’une partie des bagages de l’expédition restera stockée à Tabora sous la garde de Dutrieux. Il séjournera plusieurs mois à Tabora avant de quitter l’expédition et de retourner vers la côte.
A son arrivée, il tombe malade et est accueilli par des missionnaires français. Il embarque ensuite pour Zanzibar où il passera encore huit jours à l’infirmerie de la Mission française avant de partir pour Aden. Il restera quinze jours à Aden où il rencontre Lucereau : « J’ai passé 15 jours à Aden avec Monsieur Lucereau, en novembre 1879… »[2]. Il rejoindra ensuite Le Caire. « Parti du Caire en Avril 78, j’y étais de retour en novembre 79, après avoir séjourné plus d’un an dans l’Afrique orientale. Il me fallut plusieurs mois de repos, de soins et de changement d’air en Europe pour me rétablir des rudes atteintes du paludisme qui avait fini par me terrasser en me frappant d’une sciatique rebelle. »[3]
On retrouve Dutrieux en Belgique en décembre 1879, puis à Lyon où il donne une conférence  lors d’une séance de la Société de géographie de Lyon en février 1880[4] et à Bruxelles en mars 1880. Il rentre plus tard en Egypte d’où il enverra un courrier depuis Alexandrie en février 1881 pour informer la Société de géographie commerciale de Paris de la mort de Lucereau.
Ainsi, Dutrieux était à Aden avec Lucereau en novembre 1879. A cette époque, Rimbaud n’y était pas puisqu’il n’est arrivé qu’en août 1880.

Ma conviction est que le barbu de gauche est Dutrieux. J’en conclus que dans ce cas Rimbaud ne figure pas sur la photo d’Aden.
                                                                                                         




[1] Le Bulletin de la Société belge de géographie donnait régulièrement des informations sur la progression de l’expédition. Il peut être consulté en ligne sur Gallica.
[2] Bulletin de la Société de géographie commerciale de Paris, 1880-81, p. 193. Voir Gallica.
[3] Souvenirs d'une exploration médicale dans l'Afrique intertropicale, par P. Dutrieux, G. Carré, 1884.
[4] Bulletin de la Société de géographie de Lyon, 1879[-1880], p. 217. Voir Gallica.

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