mardi 29 novembre 2022

Un nouveau portrait de Rimbaud

 

Collection Gérard Dôle. DR.

Gérard Dôle vient de publier un livre intitulé : Rimbaud la photographie oubliée aux éditions Terre de brume.


Comme le titre l’indique il s’agit d’une photographie de Rimbaud inédite que l’on peut voir en tête de notre blog. L’auteur explique longuement comment il a été en possession de cette photo. On apprend qu’il vit depuis 50 ans au 10 rue de Buci à Paris qui est l’endroit où le poète Théodore de Banville avait habité. Gérard Dôle nous raconte qu’il a connu à cet endroit un individu nommé l’Astronome et qui lui  a dit que ses grands-parents ont connu Rimbaud qu’ils avaient hébergé pendant La Commune à cette même adresse. De plus l’Astronome avait offert à Gérard Dôle une photographie de Rimbaud que celui-ci aurait envoyé à ses grands-parents pour les remercier de leur accueil. Cette épreuve réalisée par le photographe Pierre Petit est un portrait carte dont le verso indique la date d’août 73 qui correspond à la date indiquée par Rimbaud pour la fin de la rédaction d’Une Saison en enfer. L’hypothèse de Gérard Dôle est que Rimbaud aura voulu se faire tirer son portrait pour lancer son livre. 


Collection Gérard Dôle. DR.

Le premier problème est que Gérard Dôle écrit que Rimbaud avait trouvé porte de bois chez Banville parce que le parnassien se serait réfugié en province pendant la Commune. Or c’est inexact. En effet on connaît une lettre de Banville du 4 juin 1871 dans laquelle il écrit :  « heureusement j’avais ma mère chez moi et j’étais allé la chercher à temps le jour où l’armée est entrée à Paris ; car si la bataille a été sanglante dans la rue de Buci que j’habite, elle l’a été bien plus encore rue Saint-André-des-Arts.(…) Enfin l’ordre est rétabli , mais que nous avons vu de sang et de morts, et ensuite quel spectacle de voir tous les monuments de Paris brûlés et ruinés ! »

Donc Banville était chez lui quand Rimbaud aurait sonné à sa porte vers le 29 mai 1871. Rimbaud l’aurait donc nécessairement vu. Mais Rimbaud dans sa lettre à Banville du 15 août 1871 ne mentionne pas cette rencontre et il remercie simplement son maître de lui avoir répondu contrairement à ce que dit Gérard Dôle qui écrit que le parnassien n’avait pas daigné répondre à cette lettre. 


Le second problème est la date d’août 73 indiquée sur la photographie. Gérard Dôle suppose qu’après l’incident de Bruxelles Rimbaud est passé par Paris la première semaine d’août 1873.  On a du mal à croire que Rimbaud ait voulu se faire tirer son portrait à Paris alors qu’il était encore blessé et que la rédaction de son livre n’était pas finie. S’il voulait un portrait pour lancer son livre la date d’octobre 1873, au moment où il va chercher ses épreuves à Bruxelles, aurait été plus crédible. 


Cela dit, on peut trouver la photographie ressemblante et l’on pourrait disserter à perte de vue sur les cheveux, le dessin de la bouche, les yeux, la barbe, etc. Le désir de voir Rimbaud sur cette photo peut créer une conviction chez certains admirateurs du poète.


La seule preuve que nous ayons est le témoignage de Gérard Dôle concernant un ami disparu depuis. La photographie a été expertisée par un spécialiste des photographie du 19e siècle qui affirme que le support est d’époque.


On peut douter qu’une preuve puisse être apportée sur l’authenticité de cette photographie. Elle appartient à la galerie des portraits de Rimbaud comme ceux de Garnier et de Rosman.


Le livre de Gérard Dôle mérite cependant d’être lu par les rimbaldiens. Il remet au goût du jour la participation de Rimbaud à la Commune auquel il apporte beaucoup de documents iconographiques. Surtout, il révèle une lettre inédite de François Coppée qui prouve que ce poète avait été hébergé par Banville pendant la semaine sanglante. Habitent à ce moment-là rue de Bucci : Banville, sa mère, sa femme, son fils adoptif, François Coppée, et s’il faut en croire Gérard Dôle les deux grands-parents de l’Astronome et Rimbaud. Cela fait beaucoup de monde ! 


D’une certaine façon ce livre témoigne de la fascination pour le portrait de Rimbaud. Il met en lumière aussi un photographe dont on parle moins que Carjat : Pierre Petit. Ce dernier fut pourtant célèbre de son temps et Carjat fut son élève.




dimanche 20 novembre 2022

Actualité rimbaldienne, conférence et colloque

 


Thierry Dardart pendant sa conférence


J’ai assisté hier samedi à la conférence donnée par Thierry Dardart à la Société des Poètes français intitulée L’honneur du capitaine Rimbaud. Cette conférence est organisée par l'Association des Amis de Rimbaud  et est une une reprise de celle qui avait été donnée à Charleville le mois dernier par la même association. Elle fait référence à un livre du même titre publié par l’auteur. Cette conférence renouvelle ce que nous savions du capitaine Rimbaud notamment par un regard croisé entre le capitaine et son fils. Les renseignements recueillis sont pour la plupart très précieux, que ce soit ceux relatifs à la carrière de Frédéric Rimbaud dans l’armée française ou ceux sur sa personnalité beaucoup plus complexe qu’on serait tenté de le croire. Le capitaine Rimbaud échappe à l’image du militaire de carrière de son époque. C’est un homme qui s’intéresse à de nombreux sujets comme le montrent ses divers écrits. On apprend que le capitaine n’a pas laissé de testament, « ultime refus de filiation ». Cette conférence a été suivie par de nombreuses questions posées par l’assistance venue nombreuse. Alain Tourneux peut être satisfait de cette conférence qu’il a organisée dans le cadre des activités de l’association des amis de Rimbaud. 


Colloque du Vendredi 18 novembre.

J’ai pu assister vendredi au colloque intitulé « portraits de maudits (XIXe -XXIe siècle) » organisé à l’école normale supérieure de Cachan.


De Gauche à droite Julien Schuh et Jean-Didier Wagneur

C’était un beau sujet et les communications ont toutes été passionnantes. Je n’ai pas vu le temps passer pendant les quatre heures du colloque. La première intervention a été celle de Jean-Didier Wagneur intitulé « Quand. Le poète peint l’enfer , il peint sa vie » quelques approximations. »

L’érudition de Monsieur Wagner est stupéfiante. Il a notamment présenté sa conférence à travers la presse de l'époque. Il faut dire qu’il a été le maître d’oeuvre de la numérisation de Gallica qui est le paradis des chercheurs.


A suivi  l’intervention de Julien Schuh « Maudit par les poètes : Fancisque Sarcey. » Il s’agit ici de montrer la détestation des écrivains poètes pour un homme qui a été critique pendant 30 ans au journal Le Temps. On voit beaucoup de caricatures du personnage.Ce n’est plus les poètes qui sont maudits, mais le critique qui ne les comprend pas. Ces critiques permettent d’une certaine façon de mieux cerner ce que représentent les poètes maudits.


Puis vint l’intervention de Benoît Houzet « Maudit par anticipation : enjeux de la malédiction dans l’iconographie de Tristant Corbière »

Benoît Houzet est connu pour avoir découvert un document manuscrit exceptionnel sur Tristan Corbière : « le livre noir ». Il utilise ce document pour montrer que Tristan Corbière ne s’estimait pas avant la publication de son livre «  les amours jaunes ». Ce livre noir montre que Corbière faisait des dessins et peintures dans lequel il se caricaturait lui-même. Il se trouvait laid : « maudit par anticipation » et maudit par lui-même. Monsieur Houzet est un jeune chercheur brillant et sympathique. Pour information il prépare une thèse sur Corbière sous la direction de Steve Murphy.


à l'extrême gauche Benoît Houzé, Henri Scepi, Eric Dayre.

L’intervention suivante « Photographier le maudit : les portraits de Baudelaire par Nadar » est celle de Eric Dayre qui enseigne à ENS de Lyon. Intervention tout simplement géniale qui présente l’importance de la photographie de Baudelaire de 1855 par Nadar qu’il met en parallèle avec celle de l’atelier de Courbet où Baudelaire est représenté. Son analyse très fine montre que l’auteur des Fleurs du mal n’y est pas représenté suivant les habituels portraits en pied de Nadar. Selon lui l’explication réside entre la rivalité des deux frères Nadar dont le plus jeune serait meilleur photographe et de loin. Intervention fascinante qui ouvre des perspectives pour les chercheurs.


La dernière intervention est celle de l’Américaine  Raisa Rexer « les poètes maudits de Carjat : Rimbaud, Verlaine, Mallarmé »

Intervention d’une spécialiste de littérature et de photographie. Sa présentation des portraits de Mallarmé donne de précieuses remarques notamment sur le fait que Mallarmé ait préféré se montrer d’après le portrait de Manet plutôt que sur une photographie où il semble beaucoup plus jeune. Concernant les portraits de Rimbaud par Carjat je me suis permis d’intervenir en précisant que j’avais résolu complètement le problème des deux photographies de Carjat. J’ai eu le regret de constater qu’Andréa Schellino défendait l’idée maintes fois exprimée que les deux photographies de Carjat avaient été prises le même jour avec des arguments qui n’ont plus lieu d’être. On revient à Berrichon qui disait que les deux photographies avaient été prises à quelques heures d’intervalle. Erreur déjà signalée en 1949 par Pierre Petitfils. Je réalise qu’il est important que je publie une explication détaillée de cet intéressant problème.


Henri Scepi et Raisa Rexer.
 En projection les deux photos de Rimbaud

Je regrette de n’avoir pu assister aux interventions du samedi particulièrement à celle d’Henri Scepi « Fraternité maudite : Vangogh, Artaud et le "monde n’a qu’à la boucler" ». La finesse des analyses d’Henry Scepi est bien connue.


En résumé c’est un colloque passionnant et il faut féliciter Adrien Cavallaro et Andréa Schellino de l’avoir organisé.




dimanche 6 novembre 2022

Eugène Nyon, l’homme qui a répondu à Rimbaud

 

Eugène Nyon

Cet article est la suite du précédent.

On ne s’est pas beaucoup intéressé à l’homme qui avait répondu à Rimbaud dans La revue pour tous. Il s’appelait Eugène Nyon. C’était un homme de lettres qui écrivait notamment des vaudevilles et des textes destinés aux enfants. Son ouvrage le plus connu est Le colon de Mettray destiné à la jeunesse.


Rimbaud a certainement voulu le lire. Or le sujet du livre n’est pas sans rapport avec Les Étrennes des Orphelins. Il raconte l’histoire de deux enfants Joseph 12 ans et Donatien 8 ans. Ces deux enfants sont sans parents. Donatien est orphelin et Joseph a perdu sa mère et est élevé par une belle-mère qui le bat. Il s’enfuit de la maison.


On observe que dans Les Étrennes des Orphelins ce sont aussi  deux enfants.


Dans le livre de Nyon,  Il est question d’une maison de correction Clairvaux abominable et d’une autre qui améliorait le sort des enfants et qui au temps de Rimbaud, était une réussite.


Mettray

Il raconte une suite d’évènements tragiques, mais à la fin on se rend compte que ce n’était qu’un mauvais rêve et tout finit bien.


Rimbaud a repris l’idée du rêve : « un rêve joyeux » , « Ils rêvent que, penchés sur leur petit bras rond rond, / Doux geste du réveil, ils avancent le front,/ Et leur vague regard tout autour d’eux se pose…/ Ils se croient endormis dans un paradis rose…


Mais au réveil c’est une terrible déception car ils ne trouvent comme étrennes q’une couronne mortuaire qui leur rappelle que leur mère est morte.



À cela il faut ajouter que Nyon est mort le 29 janvier 1870. Le Gaulois du premier février 1870 précise qu’il était atteint d’un cancer et qu’il s’était alité trois semaines avant. Donc Nyon a répondu à Rimbaud une semaine avant de s’aliter. La revue pour tous n’a pas survécu à la mort de son directeur et ceci explique que Rimbaud n’a pas cherché à écrire à nouveau dans cette revue parisienne qui avait beaucoup de lecteurs.


Gaulois. Premier février 1870

En conclusion Rimbaud avait avant tout une stratégie pour être publié et il avait certainement cherché à se documenter sur le directeur de La revue pour tous.