samedi 28 octobre 2023

Du nouveau sur la rime daines /soudaines de "L'Homme juste" que Rimbaud a "empruntée"

 

DR. BNF.

On peut lire depuis peu un article de Marc Dominicy intitulé  Les deux premières strophes de « L’homme juste » publié dans l’hommage à Yann Fremy : Rimbaud ,Verlaine et Cie, un devoir à chercher. Cette publication a déclenché l’ire de David Ducoffre dans un article que l'on peut lire ici.


J’avais publié sur mon blog un texte de Ducoffre en octobre 2010 intitulé : L’Homme juste, deux vers enfin déchiffrés. J’avais à l’époque qualifié la démonstration de Ducoffre de définitive et brillante, appréciation que je maintiens aujourd’hui.


Marc Dominicy est connu comme « un des plus brillants commentateurs de Rimbaud » par Steve Murphy. Néanmoins il souligne l’erreur du critique qui avait supposé que le poème prétendument envoyé par Izambard à Rimbaud « La muse des méphitiques » avait  suscité la métrique de Tête de faune. Sa publication dans le Parade sauvage 15 de novembre 1998 : Tête de Faune ou les règles d’une exception comportait 79 pages (!). Cet article trop long en devenait illisible.Voir notre publication à ce sujet.


Revenons à la démonstration de Ducoffre. Il précise que la rime daines /soudaines se retrouvait dans un poème d’Ernest d’Ervilly dont un extrait est cité  par Théodore de Banville dans un article- Les livres- publié dans la revue L’Artiste en mars 1872 ( retenons bien cette date).





Selon Ducoffre cet article de Banville donne une garantie de la viabilité de la rime. C’est moi qui avait signalé cet article à Ducoffre, mais je n’avais pas saisi à l’époque toutes les implications. Je crois aujourd’hui qu’il faut prendre le problème à l’envers. C’est l’article de Banville selon moi qui a suscité la rime ( daines/ soudaines) de L’Homme juste.


Je m’explique : la plupart des spécialistes de Rimbaud pensent que les deux derniers quintils ont  été rajoutés à une date qu’il faut placer en 1872. Steve Murphy en tête, suivi par Alain Bardel qui écrit « il est certain que ces deux derniers quintils ( vers 66-75) ont été rajoutés après coup, car ils ne figuraient pas sur la copie de Verlaine. »


En avril 1872 Rimbaud est à Paris, il voit discrètement Verlaine. À cette date on est au cœur des relations entre Banville et Rimbaud. Il a été hébergé par le maître du Parnasse en novembre 1871 et j’ai prouvé dans plusieurs articles que Verlaine et Rimbaud ont longuement discuté du traité de Banville qui avait été publié en novembre 1871. On comprend dans ces conditions que Verlaine et Rimbaud ont eu connaissance à coup sûr de l’article de Banville.


Rimbaud a emprunté la rime daines/soudaines du poème de d’Hervilly. Ce n’est pas la première fois qu’il emprunte des rimes à un poète et notamment à Banville. Ceci  renforce notablement la démonstration de Ducoffre. Nous pouvons préciser que la date du rajout des quintils est postérieure à mars 1872.


Signalons que la rime daines/soudaines est admise par la Pléiade. À présent, on comprend mieux que Rimbaud ait utilisé cette rime ultra rare précisément au moment de la publication de l’article de Banville. Dans cet article Banville présente d’Hervilly de cette façon : « parmi les jeunes poètes dont la réputation depuis quelques années, je n’en connais pas un qui soit plus original et plus nouveau qu’Ernest d’Hervilly, qui vient de publier sont petit livre des Baisers ». Or Banville connaissait bien Rimbaud ! C’était assurément lui le poète original et nouveau qui avait écrit Le Bateau ivre ! Banville ajoutait que tous les élèves apprendraient par cœur plus tard le poème Les Baisers, mais qui connaît le poète d’Hervilly aujourd’hui ? Il est permis de penser que Rimbaud a été blessé par cet article et qu’il a peut-être éprouvé un sentiment de jalousie à l’égard d’Hervilly. Faut-il voir là la raison des mauvaises relations qu’il a eues avec ce poète ?


En conclusion on peut  réfuter  la proposition de rime : naines/soudaines par Marc Dominicy.

mercredi 11 octobre 2023

Isabelle Rimbaud et Berrichon meilleurs graphologues que Bouillane de Lacoste

 



 

Dans l’édition des oeuvres complètes de Rimbaud dont le texte avait été établi et annoté par Rolland de Renéville et Jules Mouquet en 1946, on peut lire dans les brouillons de La Saison la phrase : 

« j’avais été damné par l’arc-en-ciel et les magies religieuses. »

Les éditeurs nous précisent qu’ils ont reproduit le texte de l’édition critique d’Une Saison en enfer par Bouillane de Lacoste.

Dans son édition critique, Bouillane de Lacoste écrit bien cette phrase.

L’édition d’Antoine Adam de 1972 reproduit aussi la leçon de Bouillane. 


La nouvelle édition des oeuvres de Rimbaud établie par Suzanne Bernard et André Guyaux en 2000 précise par une note d’André Guyaux : « le texte de ces brouillons a été revu sur les manuscrits, que M. Jacques Guerrin m’a permis de consulter et qui ont, depuis lors, été acquis par la Bibliothèque nationale (vente du 17 novembre 1998) . »


Cependant cette édition reproduit la phrase : « J’avais été damné par l’arc-en-ciel et les magies religieuses », en précisant que le mot magies surcharge un autre mot.


Il a fallu attendre 2009 pour avoir la bonne lecture. Dans sa remarquable communication « L’atelier d’Une saison en enfer. Étude des brouillons. » (publiée dans : Études réunies par André Guyaux , Rimbaud, des Poésies à la Saison, Paris, éditions Classiques Garnier, 2009) Aurélia Cervoni a pu rétablir la phrase « J’avais été damné par l’arc-en-ciel et les féeries religieuses » le mot magies ayant été barré par Rimbaud.


Dans la version imprimée, Rimbaud n’a conservé que la phrase : « J’avais été damné par l’arc-en-ciel. » ce qui permet à Aurélia Cervoni d’expliquer finement la raison de cette suppression.


Mais ce n’est pas tout !


 Aurélia Cervoni nous réserve une surprise en indiquant que le terme féeries avait été déchiffré correctement par Isabelle Rimbaud « Rimbaud mystique. Les Illuminations et la Chasse spirituelle, Le Mercure de France, 16 juin 1914, p.708 et Paterne Berrichon, « Ébauches d’Une saison en enfer d’Arthur Rimbaud », La Nouvelle Revue française, 1er août 1914, p.244, n.3 



Il aura donc fallu 95 ans pour savoir qu’Isabelle Rimbaud et Paterne Berrichon avaient fait une meilleure lecture du manuscrit des brouillons de La Saison que Bouillane de Lacoste. Pourtant, il avait bien lu l’article de Berrichon qu’il avait corrigé minutieusement, mais il n'avait pas conservé la bonne lecture de féeries !