mercredi 18 septembre 2024

Rimbaud,franc-maçonnerie et surréalisme par Franck Delaunoy

 


Rimbaud surpris par la nuit

Jean Arthur Rimbaud, franc-maçonnerie et surréalisme


                                                         La grande lumière Lui

Nuira-t-elle tout à fait ?



Un crane et deux os en sautoir

Frères Discrets à l’Orient de Charleville

BnF, Archives et manuscrits, FM2 (209) II


L’an 5762 de la Vraie Lumière était installée à l’Orient de Charleville, la ville natale de l’enfant terrible, une loge de Saint Jean, installée sous le titre distinctif des Frères Discrets. Sur le tableau de la loge de 1775 figurait Rouget de Lisle, l’auteur du Chant de guerre pour l’armée du Rhin ; c’était essentiellement pour cette inscription que certains pouvaient avoir entendu parler de cette loge. Son réveil à Charleville quelques années avant que Rimbaud n’y voit le jour était passé inaperçu.

Les tableaux de la loge des Frères Discrets dans les années 1850 font figurer notamment:

  • un parent de Louis Létrange, le professeur de musique de Rimbaud, qui se mariera avec Ernest Millot, l’ami de collège de Rimbaud ; ce parent était le vénérable de la loge, qu’il avait réveillée en 1849 après 19 ans de sommeil, Prosper Létrange ;
  • Eugène Jolly, le libraire de la Place ducale où Rimbaud s’approvisionnait en livres (source Ernest Delahaye) ;
  • Jean Hubert, le célèbre assis du poème de Rimbaud ;
  • Auguste Pouillard, le propriétaire, imprimeur, journaliste du Courrier des Ardennes.

Pour éviter tout malentendu : si l’Eglise a toujours été anti-maçonnique, la franc-maçonnerie n’a pas toujours été anticléricale, loin s’en faut, et à Charleville sans doute moins qu’ailleurs. Ainsi Jean Hubert, l’assis, Frère Discret de la loge, était furieusement catholique, et furieusement pour la peine de mort, on pourrait même aujourd’hui le qualifier d’intégriste. Rimbaud l’avait bien identifié. Nous ne résistons pas à reproduire ici le mot très particulier que Hubert avait eu dans sa Réponse aux partisans de l’abolition de la peine de mort, suivie de réflexions sur l’abus anti-social que l’on fait des circonstances atténuantes en matière criminelle ; nous sommes en 1842, douze ans avant la naissance de Rimbaud, et sans doute à l’adresse du poète encore à naître, l’Assis écrit page 73 cet argument massue en faveur de la peine de mort :

« … est-ce que dans un cas d’urgence on ne coupe pas la jambe à un homme pour sauver tout le corps ? ».

Et maintenant ceci :

Sur le manuscrit de Jeunesse II Sonnet, nous lisons que le mot « raison » surcharge le mot « loge » :


Manuscrit de Jeunesse II, autographe de Rimbaud, Fondation Martin Bodmer, Cologny, Suis

Le syntagme de Jeunesse II se lit donc :

« …une raison – en l’humanité fraternelle et discrète… »

« … une loge – en l’humanité fraternelle et discrète… »

Jeunesse II Sonnet in Illuminations


1

2

3

humanité

fraternelle

discrète

loge

frères

discrets


Le Grand Orient de France n’a jamais compté, en France, qu’une seule loge sous le titre distinctif des Frères Discrets ; elle était installée dans la ville natale d’Arthur Rimbaud. Son temple disposait d’une adresse anagrammatique :

« Mr Descrits, 97 rue du Petit bois »


Bien entendu, personne ne s’était jamais appelé Descrits à Charleville au temps de Rimbaud, comme personne ne s’y était jamais appelé, ni Léon Deverrières, ni Charles Bretagne. Une dernière chose : la rue du Petit bois à Charleville n’a jamais compté 97 numéros... Pourtant, le courrier adressé à la loge et transporté par la postier profane parvenaient bien à la loge…


Silences traversés des mondes et des anges…

La prochaine livraison de la revue de la Société d’Histoire des Ardennes (fin 2024) contiendra un petit article sur la loge des Frères Discrets qui, s’étant endormie au milieu des années 1850 pour ne plus être réveillée jusqu’à aujourd’hui, est beaucoup moins connue que la loge La Fraternité. Celle-ci, fondée par Corneau au tournant des années 1880, est toujours bien éveillée aujourd’hui à Charleville-Mézières. Mais en 1880, Rimbaud part définitivement de Charleville pour l’Ethiopie. C’est Agathon Delahaut, le commissaire-priseur de Charleville, qui fera le lien entre les deux loges : dernier vénérable des Frères Discrets, il sera le vénérable d’honneur de la toute nouvelle loge à son installation en 1881. Quant à Rimbaud, dont la proximité avec la franc-maçonnerie est évidente à la lecture d’Illuminations, il est probable que ce soit Léandre Deverrière qui ait éclairé son génie. Deverrière avait été FM à Chambéry – orient martiniste ! -, il était venu à Charleville se refaire un CV de professeur dans le privé dans l’institution Rossat -, car exclu de l’instruction publique suite à une étrange affaire qui lui était arrivée au lycée de Chambéry… Bref, Léandre a été, à Charleville, sans doute le meilleur ami, et sur la plus longue période, d’Arthur Rimbaud – hors ses condisciples de collège de son âge. Izambard à Charleville, c’est six mois, Deverrières, c’est plus de cinq ans, jusqu’au changement de direction du journal le Nord-Est. Il est connu dans les biographies de Rimbaud, notamment :

  • Pour avoir accompagné Rimbaud sur le quai de la gare de Charleville lorsque celui-ci partait rejoindre Verlaine pour la première fois sur recommandation de Bretagne ; il lui avait alors donné un louis d’or, le don au frère nécessiteux (source Delahaye) ;


  • pour avoir donné à lire à Rimbaud, De l’esprit d’Helvétius ; on le sait aussi par Delahaye. Helvétius, la loge des Neuf Sœurs, le tablier, Voltaire… Et Delahaye qui écrira une lettre à… Pierquin je crois, commençant par cette adresse : M.T.C.F. (Mon Très Cher Frère).

Léandre avait aussi été professeur – maître répétiteur plus exactement - au lycée Henri IV – alors Lycée Napoléon, à Paris, sur la montagne Sainte-Geneviève -, ce qui est totalement ignoré encore aujourd’hui, avant de venir à Charleville et croiser le chemin de l’enfant terrible ; cela nous rapproche du Panthéon de Villes, L’acropole officielle… in Illuminations, mais passons.

                                                                                       



Pour aller plus loin…

Si l’on s’intéresse à Rimbaud, on ne peut pas se désintéresser, ni du surréalisme, ni de la franc-maçonnerie. A l’occasion des journées du patrimoine le week-end prochain, le siège parisien de l’obédience au 16 rue Cadet propose une exposition sur le surréalisme et une pièce de théâtre d’André Breton qui parle très sérieusement de la franc-maçonnerie, ici :

https://godf.org/evenements/nos-evenements/journees-europeennes-du-patrimoine/


Franck Delaunoy