mercredi 12 février 2025

Rimbaud et l'intelligence artificielle

On peut s'amuser à poser à ChatGPT des questions sur Rimbaud. À titre d'exemple je publie ci-dessous la réponse à la question posée qui nous occupe en ce moment : Que disent les critiques de la pagination des illuminations d'Arthur Rimbaud ?

Réponse de ChatGPT :

 La question de la pagination des Illuminations d’Arthur Rimbaud est un sujet de débat parmi les critiques littéraires, car le recueil n’a pas été organisé par Rimbaud lui-même. Voici un aperçu des principales approches critiques sur ce sujet :


1. L’absence d’un ordre original


Les critiques s’accordent sur le fait qu’il n’existe pas de manuscrit présentant un ordre définitif des poèmes. Les feuillets retrouvés sont indépendants les uns des autres, et leur organisation repose sur des choix éditoriaux posthumes.

André Guyaux souligne que la pagination des Illuminations est une reconstruction éditoriale et que le recueil doit être lu comme un ensemble fragmentaire et non linéaire.

Antoine Fongaro insiste également sur l’autonomie des textes et remet en question toute tentative d’organisation rigide.


2. L’édition de 1886 et son influence

La première édition publiée par La Vogue en 1886 (sous la supervision de Verlaine) a fixé un ordre des poèmes, mais sans preuve qu’il corresponde aux intentions de Rimbaud.

Cette édition a influencé de nombreuses publications ultérieures, mais des éditeurs comme Paulette Bouchet et Steve Murphy ont tenté de reconstruire un ordre plus cohérent.


3. Les tentatives de reconstitution d’un ordre logique


Différentes approches ont été proposées pour donner une structure aux Illuminations :

L’ordre thématique : Certains critiques, comme Pierre Brunel, ont tenté d’organiser les poèmes selon des motifs récurrents (la ville, l’initiation, le voyage, etc.).

L’ordre stylistique : D’autres ont essayé de classer les poèmes en fonction de leur style (descriptions, récits oniriques, visions mystiques…).

L’ordre chronologique : Certains chercheurs, comme Murphy, ont cherché à identifier un ordre basé sur la datation des manuscrits, bien que cela reste incertain.


4. Une œuvre ouverte et éclatée


De nombreux critiques, notamment ceux influencés par la lecture moderne et structuraliste (ex. Jean-Luc Steinmetz), insistent sur le fait que Illuminations est un recueil éclaté, marqué par la discontinuité et l’expérimentation formelle.

La pagination n’aurait donc pas d’importance essentielle, et chaque lecture peut produire son propre ordre.

Cette vision rejoint l’idée que Illuminations est une œuvre moderne, ouverte, où le lecteur joue un rôle actif dans l’organisation du sens.


Conclusion


Les critiques s’accordent sur le fait que la pagination des Illuminations est une construction éditoriale et qu’il est impossible d’établir un ordre définitif des poèmes. La plupart des chercheurs insistent sur la liberté de lecture du recueil, qui reflète la discontinuité et l’expérimentation propre à Rimbaud.


Le lecteur jugera de la pertinence de la réponse obtenue en quelques secondes. Cependant l'intelligence artificielle n'est pas capable de réaliser une critique comme celle récente d'Yves Reboul publiée dans le Parade sauvage 35 intitulée : Le chant de guerre parisien. Un psaume d'actualité. Excellente critique qui permet notamment de mieux dater le poème Chant de guerre parisien.

dimanche 19 janvier 2025

Retour sur la pagination des Illuminations

 Alain Bardel est revenu récemment sur la pagination des Illuminations dans un texte écrit sur son blog. Il me cite longuement à propos d’un article que j’avais publié dans la revue Rimbaud vivant n°58. 

Alain Bardel est convaincu que la pagination des manuscrits des Illuminations doit être attribuée à Rimbaud et il suit en cela Steve Murphy qui avait écrit dans la revue Histoire littéraires N°1 un texte intitulé Les Illuminations manuscrites. Rappelons que les textes des manuscrits ont été publiés pour la première fois dans la revue la Vogue en 1886.  Selon Murphy les pages 1 à 24 des manuscrits correspondants  aux numéros 5et 6 de la Vogue ont été numérotées par Rimbaud.


J’ai déjà réfuté, selon moi, sur mon blog la thèse de Murphy mais je pense pouvoir donner un argument décisif aujourd’hui qui réfute l’hypothèse de Murphy et de Bardel.


Je considère ici les poèmes en prose publiés par la Vogue en 1886. Il s’agit des 24 feuillets qui sont dans les numéros 5 et 6 et qui vont de Après le déluge à Barbare, mais aussi ceux qui ont été publiés dans le numéro 8 le 13 juin à savoir notamment Promontoire et Scènes qui sont paginés, ce que l'on oublie.


Il se trouve que le manuscrit de Promontoire est le seul des  poèmes publié par la Vogue dont le manuscrit n’est pas paginé.


DR musée Rimbaud


Les éditeurs  de la Vogue ont fait une copie allographe du manuscrit car ils avaient probablement jugé que le manuscrit était trop raturé. C’est le texte de cette copie qui a été publié le 13 juin avec Scènes et Soir historique.

La pagination des manuscrits de la copie de Promontoire précède celle de Scènes comme on peut le voir sur nos images. La copie est numérotée 1 et 2 et le manuscrit de Scènes est numéroté 3.


DR musée Rimbaud


DR Musée Rimbaud

DR


Le fait que le manuscrit de Promontoire ne soit pas paginé a une conséquence. Il est impossible que la pagination de Scènes soit de Rimbaud. En effet si c’était le cas on ne comprendrait pas qu’il n’ait pas aussi paginé Promontoire. Comme le manuscrit de Promontoire répétons le est le seul à ne pas être paginé, il a valeur de contre exemple pour l’ensemble du recueil publié par la Vogue et il suffit à résoudre le problème de la pagination.
Je reviendrai par la suite à la critique d’Alain Bardel concernant mon article de  la revue Rimbaud Vivant N° 58

lundi 30 décembre 2024

Rimbaud et Théophile de Viau

 

Théophile de Viau. DR.

Théophile de Viau est un poète français né en 1590 et mort en 1626.


Illustre  en son temps, il connut une longue éclipse et fut redécouvert au 19e siècle par Théophile Gautier à la faveur d’un ouvrage intitulé Les grotesques qui eut plusieurs éditions, la première en 1844 et la dernière en 1859 du vivant de l’auteur.

Rimbaud, qui avait classé Théophile Gautier parmi les poètes très voyants dans sa lettre à Demeny, avait certainement pu lire Les grotesques.


À la page 94 de la seconde édition, Gautier cite un poème de Théophile de Viau où l’on trouve ce vers :


Mon âme incague les destins 


Gautier ajoute en parlant d’un jésuite le père Garasse : 


Il trouve dans cette expression « incague les destins » une preuve irrécusable d’athéisme et vomit un torrent d’injures qui ont failli provoquer la mort du poète



Remarquons d’abord que le vers : « Mon âme incague les destins » est typiquement rimbaldien et on ne serait pas surpris que l’auteur du Bateau ivre  l’ait écrit.

Cependant on observe que le verbe incaguer très rare est un hapax dans son oeuvre. Il se trouve dans le poème Ce qu’on dit au poète à propos de fleurs où le poète écrit :


«  Incague la mer de Sorrente,

Où vont les cygnes par milliers »


Sorrente renvoie à Lamartine.


Je fais l’hypothèse que Rimbaud a employé le verbe incaguer après avoir lu le livre de Gautier.


Dans la suite de son ouvrage, Gautier explique que Théophile de Viau fut condamné à mort après la publication d’un livre : Le Parnasse satyrique, mais il en édulcore la vraie raison.




Le Parnasse Satyrique du Sieur Théophile publié en 1620 comportait un premier sonnet signé Théophile dans lequel le dernier vers était :


Je fais voeu désormais de ne foutre qu’en cul.


On comprend que l’ennemi mortel de Viau le père Garasse ait pu obtenir son arrestation pour accusation du crime de sodomie en 1623.

Théophile de Viau est considéré par les spécialistes du poète comme bisexuel.

Il fut emprisonné de longues années mais fut gracié et évita le bûcher. Mais son séjour en prison l’avait épuisé et il mourut  peu après sa libération.


Peut-être pourrait-on étudier la possible lecture de Rimbaud des oeuvres de Théophile de Viau. Dans ce sens la « vieillerie poétique » d’Alchimie du verbe pourrait être évoquée.

  


samedi 16 novembre 2024

Retour sur la pagination du "manuscrit des Illuminations"

 David Ducoffre qui produit depuis quelque temps beaucoup d'articles revient sur la pagination du "manuscrit des illuminations". On trouve son article ici.

Il renvoie à des articles que j'ai écrits il y a 12 ans en donnant des précisions nouvelles. Son texte est très long et il faut s'accrocher pour suivre la démonstration. Cela dit, l'ensemble me paraît  digne d'intérêt.

Nouvel article de David Ducoffre du 19 novembre à consulter ici

Je prépare en ce moment un article sur Pascal Pia et Rimbaud. 

À suivre prochainement.

mercredi 18 septembre 2024

Rimbaud,franc-maçonnerie et surréalisme par Franck Delaunoy

 


Rimbaud surpris par la nuit

Jean Arthur Rimbaud, franc-maçonnerie et surréalisme


                                                         La grande lumière Lui

Nuira-t-elle tout à fait ?



Un crane et deux os en sautoir

Frères Discrets à l’Orient de Charleville

BnF, Archives et manuscrits, FM2 (209) II


L’an 5762 de la Vraie Lumière était installée à l’Orient de Charleville, la ville natale de l’enfant terrible, une loge de Saint Jean, installée sous le titre distinctif des Frères Discrets. Sur le tableau de la loge de 1775 figurait Rouget de Lisle, l’auteur du Chant de guerre pour l’armée du Rhin ; c’était essentiellement pour cette inscription que certains pouvaient avoir entendu parler de cette loge. Son réveil à Charleville quelques années avant que Rimbaud n’y voit le jour était passé inaperçu.

Les tableaux de la loge des Frères Discrets dans les années 1850 font figurer notamment:

  • un parent de Louis Létrange, le professeur de musique de Rimbaud, qui se mariera avec Ernest Millot, l’ami de collège de Rimbaud ; ce parent était le vénérable de la loge, qu’il avait réveillée en 1849 après 19 ans de sommeil, Prosper Létrange ;
  • Eugène Jolly, le libraire de la Place ducale où Rimbaud s’approvisionnait en livres (source Ernest Delahaye) ;
  • Jean Hubert, le célèbre assis du poème de Rimbaud ;
  • Auguste Pouillard, le propriétaire, imprimeur, journaliste du Courrier des Ardennes.

Pour éviter tout malentendu : si l’Eglise a toujours été anti-maçonnique, la franc-maçonnerie n’a pas toujours été anticléricale, loin s’en faut, et à Charleville sans doute moins qu’ailleurs. Ainsi Jean Hubert, l’assis, Frère Discret de la loge, était furieusement catholique, et furieusement pour la peine de mort, on pourrait même aujourd’hui le qualifier d’intégriste. Rimbaud l’avait bien identifié. Nous ne résistons pas à reproduire ici le mot très particulier que Hubert avait eu dans sa Réponse aux partisans de l’abolition de la peine de mort, suivie de réflexions sur l’abus anti-social que l’on fait des circonstances atténuantes en matière criminelle ; nous sommes en 1842, douze ans avant la naissance de Rimbaud, et sans doute à l’adresse du poète encore à naître, l’Assis écrit page 73 cet argument massue en faveur de la peine de mort :

« … est-ce que dans un cas d’urgence on ne coupe pas la jambe à un homme pour sauver tout le corps ? ».

Et maintenant ceci :

Sur le manuscrit de Jeunesse II Sonnet, nous lisons que le mot « raison » surcharge le mot « loge » :


Manuscrit de Jeunesse II, autographe de Rimbaud, Fondation Martin Bodmer, Cologny, Suis

Le syntagme de Jeunesse II se lit donc :

« …une raison – en l’humanité fraternelle et discrète… »

« … une loge – en l’humanité fraternelle et discrète… »

Jeunesse II Sonnet in Illuminations


1

2

3

humanité

fraternelle

discrète

loge

frères

discrets


Le Grand Orient de France n’a jamais compté, en France, qu’une seule loge sous le titre distinctif des Frères Discrets ; elle était installée dans la ville natale d’Arthur Rimbaud. Son temple disposait d’une adresse anagrammatique :

« Mr Descrits, 97 rue du Petit bois »


Bien entendu, personne ne s’était jamais appelé Descrits à Charleville au temps de Rimbaud, comme personne ne s’y était jamais appelé, ni Léon Deverrières, ni Charles Bretagne. Une dernière chose : la rue du Petit bois à Charleville n’a jamais compté 97 numéros... Pourtant, le courrier adressé à la loge et transporté par la postier profane parvenaient bien à la loge…


Silences traversés des mondes et des anges…

La prochaine livraison de la revue de la Société d’Histoire des Ardennes (fin 2024) contiendra un petit article sur la loge des Frères Discrets qui, s’étant endormie au milieu des années 1850 pour ne plus être réveillée jusqu’à aujourd’hui, est beaucoup moins connue que la loge La Fraternité. Celle-ci, fondée par Corneau au tournant des années 1880, est toujours bien éveillée aujourd’hui à Charleville-Mézières. Mais en 1880, Rimbaud part définitivement de Charleville pour l’Ethiopie. C’est Agathon Delahaut, le commissaire-priseur de Charleville, qui fera le lien entre les deux loges : dernier vénérable des Frères Discrets, il sera le vénérable d’honneur de la toute nouvelle loge à son installation en 1881. Quant à Rimbaud, dont la proximité avec la franc-maçonnerie est évidente à la lecture d’Illuminations, il est probable que ce soit Léandre Deverrière qui ait éclairé son génie. Deverrière avait été FM à Chambéry – orient martiniste ! -, il était venu à Charleville se refaire un CV de professeur dans le privé dans l’institution Rossat -, car exclu de l’instruction publique suite à une étrange affaire qui lui était arrivée au lycée de Chambéry… Bref, Léandre a été, à Charleville, sans doute le meilleur ami, et sur la plus longue période, d’Arthur Rimbaud – hors ses condisciples de collège de son âge. Izambard à Charleville, c’est six mois, Deverrières, c’est plus de cinq ans, jusqu’au changement de direction du journal le Nord-Est. Il est connu dans les biographies de Rimbaud, notamment :

  • Pour avoir accompagné Rimbaud sur le quai de la gare de Charleville lorsque celui-ci partait rejoindre Verlaine pour la première fois sur recommandation de Bretagne ; il lui avait alors donné un louis d’or, le don au frère nécessiteux (source Delahaye) ;


  • pour avoir donné à lire à Rimbaud, De l’esprit d’Helvétius ; on le sait aussi par Delahaye. Helvétius, la loge des Neuf Sœurs, le tablier, Voltaire… Et Delahaye qui écrira une lettre à… Pierquin je crois, commençant par cette adresse : M.T.C.F. (Mon Très Cher Frère).

Léandre avait aussi été professeur – maître répétiteur plus exactement - au lycée Henri IV – alors Lycée Napoléon, à Paris, sur la montagne Sainte-Geneviève -, ce qui est totalement ignoré encore aujourd’hui, avant de venir à Charleville et croiser le chemin de l’enfant terrible ; cela nous rapproche du Panthéon de Villes, L’acropole officielle… in Illuminations, mais passons.

                                                                                       



Pour aller plus loin…

Si l’on s’intéresse à Rimbaud, on ne peut pas se désintéresser, ni du surréalisme, ni de la franc-maçonnerie. A l’occasion des journées du patrimoine le week-end prochain, le siège parisien de l’obédience au 16 rue Cadet propose une exposition sur le surréalisme et une pièce de théâtre d’André Breton qui parle très sérieusement de la franc-maçonnerie, ici :

https://godf.org/evenements/nos-evenements/journees-europeennes-du-patrimoine/


Franck Delaunoy