dimanche 2 mars 2025

Une rime rarissime du "Dormeur du val" inspirée par Banville

J’ai lu récemment  dans le Dictionnaire de poétique de Michèle Aquien à la page 241 :

Il faudra attendre Rimbaud et Le Dormeur du val  pour voir un mot outil à la rime :


Les pieds dans les glaïeuls, il dort. Souriant comme

Sourirait un enfant malade, il fait un somme.


Or Michèle Aquien se trompe. Avant Rimbaud, Banville avait mis le mot « comme » à la rime dans  Monsieur Coquardeau  un poème des Odes funambulesques :


 ton café, tu te dis brave comme

Un Perceval, et toi-même écharpas

Le rude Arpin; ta chiquenaude assomme. ( p 260 de l’édition de 1859 des Odes funambulesques)


C’est un fait que le mot « comme » à la rime est très rare et j’observe qu’il  est unique dans les Odes funambulesques. Cette erreur de Michèle Aquien est significative : quand on consulte la bibliographie  de son dictionnaire, on observe  que Banville est largement ignoré.

Mais il y a plus. Non seulement Banville a précédé Rimbaud, mais j’ai tout lieu de croire que c’est lui qui est à l’origine de cette rime du Dormeur du val.

En effet, Le Dormeur du val a été confié à Demeny en octobre 1870 tout comme Ma Bohème où Rimbaud a plagié les rimes de Banville. Il les a prises dans trois poèmes des Odes funambulesques :

« La voyageuse » , L’Académie royale » et  le « Saut du tremplin ». Ce sont les rimes ourses/ courses, frous-frous/ trous, fantastiques/élastiques, respectivement pp 67, 103, 287 de l’édition de 1859 des Odes funambulesques.


C’est le début d’un extraordinaire dialogue entre Rimbaud et Banville qui porte sur la rime. Le commencement de ce dialogue débute le 24 mai 1870 dans une lettre à Banville. Rimbaud sollicitait la gloire d’être imprimé au second parnasse contemporain. Il lui envoyait trois poèmes : Par les beaux soirs d’été [...] ; Ophélie ; et Crédo in unam un long poème mythologique en alexandrin. Rimbaud commençait sa lettre par « cher Maître » et c’est le seul poète qui aura droit à ce titre. 

Le dialogue se poursuit avec le poème Ma Bohème confié  par Rimbaud à Paul Demeny en octobre 1870. Nous savons qu’à cette date Banville a répondu à Rimbaud en lui parlant de l’importance de la rime et en lui signalant la parution de son petit traité qui devait paraître à la fin de l’année. Ma Bohême est un jalon important du dialogue entre Rimbaud et Banville. Observons pour commencer que le poète se décrit comme « rimant au milieu des ombres fantastiques ». Il y a dans le sonnet une véritable mise en abyme de la rime, puisque Rimbaud explique qu’il égrène des rimes, le mot « rimes » étant mis en évidence par un rejet spectaculaire maintes fois remarqué. Mieux, Rimbaud nous laisse entendre que ces rimes sont comme les cailloux du Petit Poucet, c'est-à-dire qu’il nous incite à les suivre à la trace : Ne suggère- t-il pas que le secret du poème est là ? 


En résumé le mot « comme » rarissime à la rime dans Le Dormeur du val est le fruit d’un dialogue entre Rimbaud et Banville que j’ai développé dans plusieurs communications. On pourra consulter notamment :


Jacques Bienvenu,  « Ce qu’on dit aux poètes à propos de Rimes », Parade sauvage, colloque n°5, actes du colloque de Charleville-Mézières du 16-19 septembre 2004, p.247 et suivantes.


Et plus récemment :


Jacques Bienvenu, « Le dialogue de Théodore de Banville et d’Arthur Rimbaud », actes du colloque Théodore de Banville du 24-25 novembre 2023, à paraître aux éditions Champion.

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