samedi 1 octobre 2011

Rimbaud et le chant du cygne, par Jacques Bienvenu

Planche tirée de l'Histoire naturelle de Buffon

       Le Comte Georges-Louis Leclerc de Buffon est surtout connu pour son Histoire naturelle publiée de 1749 à 1789. Cette publication eut un très grand succès et se diffusa pendant tout le 19ième siècle par de multiples rééditions et même des  vulgarisations pour enfants. C’est ce que justifie l’expression de Rimbaud « Buffon des familles » dans une lettre à Paul Demeny  le 28 août 1871.

      Parmi   les  volumes  qui concernent  les oiseaux dans  l’œuvre de Buffon, on trouve à la rubrique consacrée au cygne ceci :

[…] c’est ce qui donne à leur voix ce retentissement bruyant et rauque, ces sons de trompètes ou de clairons qu’ils font entendre du haut des airs ou dans les eaux. Néanmoins la voix habituelle du cygne privé, est plutôt sourde qu’éclatante ; c’est une sorte de strideur.[…]

      Le mot « strideur » est mis en italique dans l’édition de 1863 consultée. C’est un mot rare et il est encore plus rare de le trouver à proximité du mot « clairon » comme dans ce vers de Rimbaud bien connu extrait du sonnet des Voyelles :
                
                                    O, suprême Clairon plein des strideurs étranges,

     Buffon ne manque pas de rappeler que les anciens racontaient que le cygne chantait une sublime et dernière mélodie avant de mourir. La signification symbolique du « chant du cygne » était  largement exploitée par les poètes dès l’antiquité. Buffon  cite notamment Eschyle, Théocrite, Euripide, Lucrèce et Ovide.

     Ce qui laisse entendre que Rimbaud a voulu exprimer ce dernier chant est le mot « suprême ». Ce sens n’est pas contredit par le vers suivant :

                                    Silences traversés des Mondes et des Anges :

qui donne une impression de fin du monde et d’Apocalypse, comme on l’a souvent remarqué. Cette possible présence du cygne dans le poème suggère que les « rois blancs » de Voyelles pourraient désigner les cygnes,  symboles de blancheur et de noblesse.

Œuvres complètes de Buffon, ed. 1863

Œuvres complètes de Buffon, ed.1863

     Pour l'anecdote, cette édition de 1863 se trouve dans notre ancienne maison familiale. C'était bien le "Buffon des familles".

Sur Voyelles on peut consulter :

BIENVENU, Jacques," Intertextualités rimbaldiennes : Banville, Mallarmé, Charles Cros ", Parade sauvage n°21, 2006.

BIENVENU, Jacques, "Ce qu'on dit au poète à propos de Rimbaud et Banville", La Revue des Ressources, 2 novembre 2009.


6 commentaires:

  1. Cette explication est extrêmement intéressante ! Merci.

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  2. Cher M. Bienvenu,
    Vous oubliez peut-être L'Orgie parisienne.... "Amasse les strideurs au cœur du clairon lourd/sourd" et la note de la Pléiade Guyaux qui renvoie à "la strideur des clairons" dans Feu et Flamme de O'Neddy (1833). Pas de cygne à l'horizon là-dedans! Un signe, plutôt?
    Bien à vous,
    GP

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  3. Votre remarque est pertinente. Le vers de O’Neddy :
    La strideur des clairons, l’arôme du carnage ! —
    Est connu depuis longtemps comme source possible du poème « Voyelles ». Mais voyez le vers suivant du poème de O’Neddy :

    Quelle sublime fête à mon dernier soupir ! !

    Cette fête à son dernier soupir a toutes les apparences d’un chant du Cygne… Je pense qu’il existe un lien fort entre le vers de O’Neddy et le chant du Cygne de Buffon. De même ce lien existe avec « Voyelles » et tout cela ne peut pas être une coïncidence ! Pour « L’Orgie parisienne » c’est la même atmosphère de mort et c’est le chant du cygne des communards. Vous signalez la variante Lourd/sourd. J’observe que dans le texte de Buffon on lit que la voix du Cygne est plutôt sourde qu’éclatante. « Sourde » et « éclatante » sont deux mots utilisés par Rimbaud dans « L’Orgie parisienne » et Voyelles. Ceci m’incite à penser que Rimbaud a pu lire Buffon. Il a d’ailleurs pu lire O’Neddy aussi. Dans tous les cas il me semble que la source Buffon permet de préciser le sens du vers de Rimbaud

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  4. Mes excuses à Alfonso qui avait envoyé le message suivant :
    La strideur des clairons, l’arôme du carnage ! —
    Philothée O’Neddy
    Feu et Flamme 1833
    Cher Monsieur Bienvenu, Rimbaud a t-il pu lire Philothée O’Neddy ?
    Ce message ayant été supprimé par erreur. J'ai d'ailleurs répondu à cette question intéressante juste avant.

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  5. Cher M. Bienvenu,
    Je verse au dossier ces vers immortels de Louis Delahaye (un nom prédestiné!) tirés de son non moins immortel "Crimée" (1856, p. 99 et rappelons en passant que le Capitaine Rimbaud en était):

    Une épouvantable décharge
    Fauche des rangs entiers ralliés par trois fois;
    Mais le clairon strident a resonné la charge,
    Et l'on entend vibrer la voix,

    La voix électrique et tonnante
    Des vaillants généraux....

    Vous voyez que la strideur des clairons n'est pas inconnue au bataillon des musiques militaires...
    Bien à vous,
    GP

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  6. Je vous remercie de l'intérêt que vous portez à mon petit article, mais votre extrait ne comporte pas le couple rarissime
    strideur-clairon

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