samedi 6 octobre 2012

Enquête sur un gros incident Rimbaud (première partie), par Jacques Bienvenu




Mathilde, quarante ans après. Ancienne collection Matarasso


   
         François Porché dans sa biographie « Verlaine tel qu’il fut » publiée en 1933,  expliquait dans son avant-propos qu’il avait eu le privilège de découvrir un document inédit d’un exceptionnel intérêt : les Mémoires de Mme Delporte, ex-Mme Verlaine. Il avait appris l’existence de ces mémoires dans un article de Fernand Vandérem intitulé Quarante ans après, paru au Figaro, le 31 mai 1912. Il précisait que Vandérem avait été le premier  à révéler l’existence de ce document. Celui-ci avait eu l’occasion de rencontrer à un déjeuner chez le poète Franc-Nohain l’ex-épouse de Verlaine. François Porché, au moment où il travaillait à sa biographie, demanda à Fernand Vandérem  s’il savait où se trouvait le précieux manuscrit. Celui-ci lui conseilla de s’adresser à Franc-Nohain qui permit à Porché de consulter les feuillets dactylographiés de Mathilde qu’il possédait. Voilà donc le lien qui existait entre Fernand Vandérem et l’histoire verlainienne et rimbaldienne. (Fernand Vandérem, né à Paris le 24 juin 1864, mort en 1939, s'appelait en réalité Fernand-Henri Vanderheym et avait une ascendance belge.)
            L’article de F. Vandérem est très intéressant car il nous met en présence de l’ex-femme de Verlaine. Il l’interroge sur ses souvenirs et il apprend au lecteur du Figaro l’existence d’un manuscrit de ses Mémoires qu’elle a bien l’intention de publier. C’était la première fois que l’on donnait publiquement cette nouvelle sensationnelle pour ceux qui s’intéressaient à Verlaine, notamment lorsqu’il était en présence de Rimbaud. Vandérem révélait d’ailleurs dans son récit des anecdotes inconnues à l’époque. On peut lire son article en ligne sur Gallica.



.           On trouve dans « Sur Rimbaud, correspondance posthume » de M. Lefrère une lettre de Mathilde Delporte adressée le 12 octobre 1910 à Fernand Vandérem. La date est un peu surprenante puisque les relations entre Mathilde Delporte et Vandérem ne sont formellement attestées qu’en 1912. M. Pakenham est le premier à l’avoir transcrite dans son édition commentée des Mémoires de Mathilde publiée en 1992. Elle était alors inédite et fut transmise au chercheur britannique par le conservateur honoraire de la bibliothèque de Charleville, Gérard Martin, car cette lettre - qui est en fait une carte postale - se trouvait à la bibliothèque de Charleville. Je choisis la transcription de M. Pakenham, celle de M. Lefrère étant légèrement différente [1].

Monte-Carlo 12 octobre.

Cher monsieur,

Je suis très heureuse que mon livre vous ai plu.
J’accepte votre proposition que je trouve juste et loyale nous sommes d’accord.
En ce qui concerne les retouches je me fie entièrement à vous et à celui qui veut bien les faire, je suis à sa disposition s’il a besoin de détails ou explications.
J’ai appris avec plaisir que vous aviez pris de bonnes vacances
et j’espère que votre santé est tout à fait bonne maintenant.
Quand le livre sera paru je désirerai avoir une 30e d’exemplaires pour mes parents et amis.Je quitte le délicieux Monte-Carlo et vous envoie la vue qu’on
a de mon balcon je pars contente car Nice me plaît beaucoup
je vais habiter 1 Place Massena Nice. Je vous demande
d’avoir bien soin de mes photos.

Croyez cher monsieur à mes meilleurs sentiments

Mathilde Delporte

            Comme on ne possède pas l’enveloppe, le destinataire n’est pas identifié. C’est ce que précise prudemment M. Pakenham en se contentant de dire qu’elle est adressée à un homme de lettres. En fait, la seule chose dont on soit sûr est que le destinataire n’est pas F. Vanderem. L’article qu’il écrit dans le Figaro  montre qu’il a fait la connaissance de Mathilde Delporte à un déjeuner chez Franc-Nohain et on lit que  cette rencontre vient d’avoir lieu, donc en 1912. Néanmoins, c’est la preuve que Mathilde envisageait déjà de publier ses Mémoires en 1910. Il est avéré que c’est la parution de la biographie d’Edmond Lepelletier en 1907, très critique concernant l’ex-épouse de Verlaine, qui a déclenché la volonté chez cette dernière de rétablir une vérité. La publication de 1910 n’ayant pu être réalisée, j’observe que c’est un autre évènement qui va relancer pour Mathilde l’idée de publier son livre. En avril 1912 Berrichon venait de publier sa biographie de Rimbaud dans laquelle il critiquait aussi Mathilde. C’est bien dans ce sens qu’il faut comprendre la visite de Fernand Vandérem en mai 1912, après la publication du livre de Berrichon. Nous avons vu que la lettre de Vandérem du 8 février 1914 au journaliste du  Figaro, concerne précisément le beau-frère posthume de Rimbaud. Le problème des  Mémoires de Mathilde  est-il lié au « gros incident Rimbaud » ?

Nous le verrons dans une deuxième partie.



[1 ] Par exemple, M. Lefrère écrit « bateau » et M. Pakenham « balcon » ; à la fin de la carte M. Lefrère écrit « ma photo » et M.  Pakenham « mes photos ». Le fonds Rimbaud étant inaccessible en ce moment je n’ai pu lire l’original. La référence que donne M. Lefrère doit être rectifiée en « AR 282/63 ». Communication de Madame Catherine Borot Alcantara, Conservatrice de la Médiathèque Voyelles, que je remercie.

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