mercredi 15 avril 2015

Compte rendu du livre "Rimbaud entre vers et prose" de Hisashi Mizuno.


DR. BnF

Alors que l'on s'occupe beaucoup, en ce moment, du Rimbaud africain, il est bon de se replonger dans la poésie de Rimbaud. C'est le sujet d'un livre récent de Hisashi Mizuno qui s'intitule : Rimbaud entre vers et prose. La première qualité de cet ouvrage est qu'il est bien écrit. On ne trouve pas dans cette étude le jargon de certains critiques qui rend si pénible la lecture.


Hisashi Mizuno expose son programme dans sa préface. Après avoir noté la rapidité de la révolution poétique rimbaldienne qui « se consume avec une rapidité inouïe en laissant une trainée incandescente » (p.8), il veut poser les jalons de ce qu'il appelle son parcours magique qui était annoncé par Verlaine : « Le poète disparaissait. […] Un prosateur étonnant s'ensuivit » . Pour cela il distingue les étapes suivantes : les lettres du voyant qui mélangent prose et vers, « Ce qu'on dit au poète à propos de fleurs », les Proses évangéliques, puis « Alchimie du verbe » qui mélange aussi vers et prose.

On se trouve en présence d'un critique qui touche à des questions essentielles, celles de la nature de la poésie rimbaldienne. De plus, Hisashi Mizuno est un spécialiste de Gérard de Nerval et cela lui permet de jeter des ponts inattendus entre Rimbaud et le grand poète d'Aurélia.

Il commence son étude par les lettres du voyant, qu'il commente longuement. Pour le critique, les poèmes insérés dans la prose n'illustrent pas la poésie de l'avenir. Celle-ci aboutira dans les poèmes en vers de 1872 : « la théorie du poète voyant a toujours prévalu sur les quatre poèmes, et ce seront les vers de 1872 qui seront adoptés pour Une saison en enfer dans « Alchimie du verbe ».(p.47-48)

Dans le chapitre suivant, qui illustre toujours le passage des vers à la prose, une surprise nous attend : l'importance accordée au poème « Ce qu'on dit au poète à propos de fleurs ». Le critique japonais est parfaitement au courant de l'importance du Traité de Banville que j'ai révélée à propos de la conception de ce poème plein de mystères. Selon l'auteur, les vers de Rimbaud, qui se présentent comme un traité de poésie, marquent un jalon essentiel dans ce qu'il nomme une poésie de l'informe : ce poème « ouvre une voie dans la poésie du nouveau conçue par le poète précoce qui ose lancer un défi à ses maîtres du Parnasse ».

Le passage le plus brillant du livre me paraît celui qui concerne les Proses évangéliques. C'est, dit le critique, le moment où Rimbaud exprime le sommet de son génie en faisant surgir une écriture poétique en prose qui transforme la biographie de l'Évangile selon saint Jean. Hysashy Mizuno montre que « cette prose riche en couleurs et en sonorités se détache soudainement du récit continu racontant les épisodes de la vie de Jésus sur la base des versets évangéliques ».(p.76) Il ajoute que Rimbaud réalise une tentative « pour créer un monde qui ne serait plus le reflet du monde existant ».(p.82) L'auteur conclut en écrivant que les Proses évangéliques sont le « moment de la création d'une nouvelle langue qui s'imposera dans la poétique en prose de Rimbaud ». (p.82)

Enfin, Husashi Mizuno nous fait rentrer dans « Alchimie du verbe », cette « salle d'expérimentation » où les vers ne sont pas là pour prouver la vérité de la prose. Il note pertinemment qu'un vers de Voyelles se transforme dans le texte de Rimbaud en une phrase de prose (p.90), et il conclut son chapitre en écrivant que « Alchimie du verbe » est «  un creuset de la création de ce nouveau réel avec les mots qui sont présents dans le texte. C'est la poésie nouvelle produite par Arthur Rimbaud dans un mélange délicieux de vers et de la prose ».

S'il fallait formuler une seule critique on pourrait observer que Hisaschi Mizuno élude la question de la datation des Illuminations et le problème de savoir si ces proses sont l'aboutissement de la poétique de Rimbaud. Mais cette question est probablement évidente pour le critique japonais, qui cite au début de son livre, la phrase de Verlaine qu'il a mise en tête de son volume : « Le poète disparaissait. […] Un prosateur étonnant s'ensuivit ». Tout, dans son étude, montre que l'auteur sous-entend que les Illuminations réalisent l'aboutissement de la poésie de Rimbaud.

L'ouvrage de Hisashi Mizuno est brillant. Ce n'est pas un livre qu'il faut seulement lire mais relire et longuement méditer. La qualité d'un livre critique est d'inspirer le lecteur. C'est le cas de cet ouvrage, qui stimule la réflexion et qui suscitera probablement des prolongements. Signalons aussi un appareil critique important : l'ouvrage fourmille de notes originales.
                                                                                                                         

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