Depuis longtemps, on a remarqué la présence d’oxymores dans l’oeuvre de Rimbaud, notamment dans le poème Solde qui nous occupe en ce moment. On chercherait en vain chez d’autres écrivains ces alliances de mots qui sont typiquement rimbaldiennes, par exemple : « délices insensibles » ou « probité infernale ». Cependant il existe une exception, et de taille, que je vais révéler : « splendeurs invisibles » existe textuellement dans une oeuvre illustre : Les Misérables de Victor Hugo.
La voici :
« Il était […] ému dans les ténèbres par les splendeurs visibles des constellations et les splendeurs invisibles de Dieu. »
Les chercheuses et les chercheurs de poux ne pourront pas objecter que Rimbaud ne l’a pas lue car, j’ai une attestation en béton : la lettre du Voyant à Paul Demeny dans laquelle Rimbaud écrit :
« Hugo, trop cabochard, a bien du vu dans les derniers volumes. Les Misérables sont un vrai poème ».
Sans Hugo, on aurait pu croire que les splendeurs invisibles représentaient ce que le poète voyant avait ramené de sa quête de l’invisible. Or le doute n’est plus possible : L 'Élan insensé et infini aux splendeurs invisibles est un élan mystique comme ceux que Rimbaud avait associés aux bizarreries de style à la fin des brouillons d'Une saison en enfer : « Je hais maintenant les élans mystiques et les bizarreries de style » .
Mais il y a plus :
Celui qui dans Les Misérables observe les splendeurs invisibles de Dieu s’appelle Monseigneur Bienvenu. On comprend alors que dans le temps imaginaire dont Lucien Chovet nous a parlé, Victor Hugo a bien prévu que j’allais écrire cet article et c’est lui bien évidemment qui m’a soufflé mon texte. il n’y a aucun hasard dans cette affaire.
Observons au passage qu’Isabelle Rimbaud qui croyait que son frère était toujours resté catholique ne se trompait pas sur le sens des splendeurs invisibles puisque précisément elle relève cette exclamation de Solde comme significative de sa foi chrétienne. (Reliques, Rimbaud catholique).Toutefois, il semblerait plus crédible aujourd’hui que Rimbaud parlât seulement de la foi datant de l’époque qui précédait sa première communion.
Oui, mais… nous sommes devant un nouveau problème. Si Rimbaud solde son expérience de voyant, pourquoi figurerait dans cet inventaire la foi de son enfance ? Certains critiques observent que des poèmes de 1872 invoquent le Seigneur et prétendent que Rimbaud aurait eu à cette époque un retour vers la foi.. Où est la vérité ? À moins que cette question soit indécidable, idée que j’emprunte à nouveau à Lucien Chovet…
L’illustration en tête de l’article représente Monseigneur Bienvenu par Brion.
Mise à jour du 8 août
Pour information : les auteurs des trois articles sur Solde qui font l'objet de notre étude, Steve Murphy, Lucien Chovet et Jacques Bienvenu sont réunis dans l’article en ligne : « Le premier manuscrit du Clair de lune », La Giroflée 7 – Bulletin Bertrand – Automne-Hiver 2014, p.19. Voir les notes 6 et 8.
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