Le but de cet article est de montrer que la nouvelle lettre de Rimbaud du 16 avril 1874 permet de donner des informations nouvelles sur les « Illuminations » qui comportent encore aujourd’hui d’importantes zones d’ombres.
Pour le comprendre, il nous faut donner un rappel historique :
En 1949 dans une thèse fameuse, Bouillanne de Lacoste avait bouleversé les études rimbaldiennes. Il pensait avoir prouvé que la « Saison en enfer » n’était pas la dernière oeuvre de Rimbaud et que les « Illuminations » avaient été écrites après la date indiquée par Rimbaud à la fin de son chef-d’oeuvre : août 1873. Il s’était appuyé notamment sur un critère graphologique et sur l’intervention du poète Germain Nouveau qui seront au centre de notre étude.
Par une lettre de Germain Nouveau à Jean Richepin datée de Londres le 26 mars 1874 nous savons que Rimbaud et Nouveau sont à Londres à ce moment-là. On pense que c’est à cette date que Rimbaud a écrit ou plutôt mis au net les « Illuminations ». En effet, Bouillanne de Lacoste avait reconnu l’écriture de Germain Nouveau dans deux poèmes des « Illuminations ». De plus, Bouillane de Lacoste avait trouvé un élément graphologique décisif qui permet de distinguer toutes les « Illuminations » de tous les manuscrits connus de 1870-1873. Il avait constaté qu’à partir de 1875 l’écriture de Rimbaud avait changé : les f minuscules étaient bouclés par le bas ce qui ne l’était pas avant cette date. Mais il lui manquait des manuscrits de Rimbaud datés de 1874. Un seul, l’inscription de Rimbaud à Londres au British Muséum, le 4 avril 1874, lui donnait un f non bouclé. Indice un peu léger.
Cependant depuis que le descendant de Jules Andrieu a mis en ligne la nouvelle lettre de Rimbaud du 16 avril 1874 on observe, dans la dernière version du fac-similé ( mise en ligne le 24 février 2019) plus nette que la précédente, que tous les f minuscules ne sont pas bouclés vers le bas. On en déduit que l’écriture de Rimbaud n’avait pas encore changée et que la mise au net des « Illuminations » a eu lieu après le 16 avril puisque répétons-le : tous les f des manuscrits des « Illuminations » sont bouclés par le bas. En particulier le poème « Métropolitain » qui présente la singularité suivante : les 12 premières lignes sont de la main de Rimbaud et les 19 suivantes sont de Germain Nouveau ce qui permet de dater l’intervention de Germain Nouveau après le 16 avril 1874 .
Le problème est que Germain Nouveau part de Londres pour Paris en juin 1874 (Cf chronologie de la Pléiade Nouveau). Il n’est pas possible qu’en l’espace maximum d’un mois et demi l’écriture de Rimbaud ait radicalement changé. L’intervention de Germain Nouveau a donc dû nécessairement avoir lieu plus tard, mais quand ?
Il se trouve qu’il y a une solution à cet épineux problème. Dans une seconde lettre de Germain Nouveau à Richepin, daté du 17 avril 1875, Nouveau raconte ce qu’il a fait après son aventure avec Rimbaud. Après son séjour à Paris, il est allé dans les Ardennes, puis en Belgique :
« J’ai passé trois mois dans de perpétueux voyages ; j’ai vu, sans curiosité oisive pourtant, des nords de France d’une saveur inattendue, des paysans rouges, violets, des champs de guerre et de seigle, de gracieuses nuageries, des Ardennes singeant admirablement les cantons de Vaud des Suisses à deux cents lieues de leur Toepffer. La Belgique ne devait faire de moi qu’une bouchée […] »
On comprend que si Germain Nouveau est allé dans les Ardennes c’est pour rejoindre Rimbaud qui était à Charleville. Le départ de Nouveau des Ardennes, d’après l’indication donnée à Richepin, date de trois mois. Il faut donc situer son départ de Charleville vers le 17 janvier. (Sur la présence de Nouveau à Charleville en janvier, voir à ce sujet la note 3, p.742, de la biographie de Jean-Jacques Lefrère).Ceci donne la possibilité à Rimbaud d’avoir mis au net au moins les deux « Illuminations » auxquelles Germain Nouveau avait participé.
Rimbaud ne savait pas que Verlaine sortirait de prison avec une réduction de peine le 16 janvier 1875. Il ne communiquait plus avec lui depuis de longs mois. Delahaye lui demanda s’il pouvait communiquer son adresse à Verlaine à Stuttgart et Rimbaud accepta. Fin février, Verlaine arrive à Stuttgart et nous savons que Rimbaud lui demanda de faire parvenir à Germain Nouveau à Bruxelles des poèmes en prose pour qu’il les fasse imprimer. Verlaine précisait que l’envoi lui avait coûté 2f.75 de port ce qui correspond largement comme je l’ai montré au poids de tous les feuillets connus des « Illuminations » (Voir l’article « Les poids des Illuminations » Magazine littéraire N°489 septembre 2009). On sait de plus que Germain Nouveau était à Bruxelles le 12 mars où il avait trouvé un poste d’enseignant à l’institut Rachet de Bruxelles (Maïté Dabadie, L’écharde dans la chair, 1986, page 60, note 100). Donc Rimbaud avait bien le manuscrit de ces poèmes à Stuttgart et il n’est pas impossible qu’il eût dans l’idée d’y travailler encore en Allemagne, comme le disait Verlaine dans la notice de La Vogue en 1886 en préface des « Illuminations » : « le livre que nous offrons au public fut écrit de 1873 à 1875, parmi des voyages tant en Belgique qu’en Angleterre et dans toute L’Allemagne. » Deux ans plus tard en 1888 Verlaine laissait entendre que Rimbaud lui avait confié le manuscrit des « Illuminations » (à quelqu’un qui en prit soin, comme il l’écrivait dans son article des « Hommes d’aujourd’hui » consacré à Rimbaud).
En conclusion Rimbaud n’a pas mis au net les « Illuminations » avec Germain Nouveau au printemps de 1874 comme on le croyait, mais juste avant de partir à Stuttgart en janvier-février 1875. On peut penser qu’il avait l’intention d’y travailler en Allemagne, mais il ne le fit probablement pas, car il communiqua la liasse de poèmes à Verlaine à Stuttgart fin février 1875 pour qu’il les envoie à Germain Nouveau.
JB
Dans un article qu’il vient de mettre en ligne : « Petite note d'une mystique de l'avenir chez Rimbaud », David Ducoffre écrit à propos de mon article : « Nouveau et Rimbaud auraient été ensemble en février-mars 1875 en Allemagne et c'est là que les poèmes auraient été recopiés, si j'ai bien lu l’article. » Il semble que j’ai manqué de clarté dans mon article. Ce que j’ai voulu expliquer est que c’est en janvier-février 1875 que Nouveau et Rimbaud ont pu recopier les poèmes à Charleville et non à Stuttgart où la présence de Nouveau n’est pas attestée par sa lettre à Richepin.
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