samedi 6 novembre 2010

Le Mythe de l'Hôtel de l'Univers PAR JACQUES BIENVENU

Nous assistons sans aucun doute à un nouveau mythe qui se superpose à celui de Rimbaud : le mythe de l’Hôtel de l’Univers. Voici qu’une découverte récente vient de nous faire pénétrer à l’intérieur de l’hôtel dont nous ne connaissions que les arcades extérieures. Nous sommes de l’autre côté du miroir, avec en prime, dans le hall d’entrée, le portrait enfin trouvé de Jules Suel qui pourrait-être celui du personnage central de la photographie d’Aden. C’est tout simplement prodigieux ! Cela redonne du souffle à notre feuilleton. Cette photo assez floue, d’un personnage un peu éloigné, peut en effet laisser à penser que l’homme au pantalon à carreaux pourrait être le patron de l’hôtel. Cela n’aurait rien de surprenant finalement puisque la photo du « Coin de table à Aden » vient, nous dit-on, des archives de Suel. Certes, on est loin et même très loin de l’identification admise par tous de Lucereau et il faut être très prudent en ces matières. On se demande d’ailleurs pourquoi il est si difficile de trouver une photographie d’un personnage qui fréquentait tant de voyageurs et qui était un homme bien connu et établi à Aden depuis de longues années. Certainement d’autres photographies apparaîtront et elles confirmeront (ou non) sa présence, à mon avis assez crédible, sur la photo. Puisqu’un mythe est né, il faut l’entretenir et je voudrais y apporter ma modeste contribution. Je trouve ceci sous la plume d’un écrivain grand voyageur: « 11 juillet 1883 arrivée à Aden » Puis : « j’avais retenu, en allant porter mes sacs, une table dans la salle à manger de l’Hôtel de l’Univers ». - Notons au passage que nous en connaissons à présent la somptueuse entrée et que bientôt nous aurons une vue directe de la chambre que Rimbaud occupa en arrivant à l’hôtel - Le récit continue: « Tous les passagers descendus à terre étaient partis en excursion. Nous nous trouvions seuls sous la véranda de l’hôtel, assaillis par une nuée d’arabes, d’indiens et de juifs, marchands de café, de plumes d’autruches et d’autres produits du cru. Heureusement la maîtresse du logis, intrépide champenoise, aux bras robustes, faisait bonne garde, moins dans notre intérêt que celui de ses cuillers et de ses fourchettes. Il fallait la voir, quand la meute devenait trop familière, décrocher un certain fouet de poste spécialement consacré à son usage et en cingler les mollets nus des indiscrets »

Il semble que « la maîtresse du logis » pourrait bien être la gérante de l’hôtel dont M. Paul Gautier nous a révélé l’existence : Mme Porte : « Les parents d'Augustine Émilie sont, en effet, les gérants du "Grand hôtel de l'univers" fréquenté par tous les ressortissants français. Ils s'y installent après la guerre de 1870, venant de Metz… ».(Voir sur ce blog l'article du 2 juillet) Notons que Mme Porte vient de la ville de Metz qui n’est pas loin de la Champagne. Que Suel ait des gérants, c’est bien évident : un homme qui passe son temps assis sur un fauteuil, le cigare à la main, ne peut s’occuper tout seul de son hôtel. Dès lors, l’information donnée par M. Gautier, et bien négligée jusqu’à ce jour, semble capitale. Et je me demande si sur la photo ce ne serait pas plutôt la mère Porte que la fille. Cela semble d’abord plus crédible : vers les années 1879-1880 (rappelons que la vraie date de la photo est : octobre 1879 - août 1880) , la fille aurait 18 - 19 ans et la mère au moins une quarantaine d'années. (Cette dernière information est à vérifier, car plusieurs dates, données sur le forum Rimbaud à ce propos, ne conviennent pas par rapport à l'article de M. Gautier).Une personne d’une quarantaine d’années est bien plus crédible qu’une fille de 18 ou 19 ans sur la photographie. Si nous avons un portrait de la fille, il n’y aurait rien d’extraordinaire que celle-ci ressemblât à sa mère. Ce sont des choses qui arrivent. Et puis, la présence de la gérante de l’hôtel n’aurait rien d’incongru auprès du patron de l’hôtel. Décidément, cette photo a une sorte de caractère solennel et on se demande ce que viendrait y faire ce pauvre Rimbaud, vagabond et souffrant. D’ailleurs, il n’est pas attesté que Rimbaud ait logé à l’Hôtel de l’Univers en 1880. Il travaillait à quelques kilomètres et logeait probablement à Aden-Camp même, sur son lieu de travail ou à proximité, comme invite à le penser sa correspondance avec sa mère. Notons au passage que selon les dernières informations données : « Suel recevait tout le monde, ayant de quoi payer, avec la même insouciance et la même déférence ; mais, en homme correct, il savait, par le montant des notes, élever chaque convive à son rang; de sorte qu'en partant, tous étaient enchantés, ravis : les uns d'avoir payé en grand seigneur, les autres de n'avoir pas été pris pour de trop pauvres hères. ». On voit donc que Rimbaud aurait dû payer sa place. Cela coûtait en 1886, 5 roupies, soit environ 11 francs (information de la Revue française de l’étranger et des colonies). Le 17 août Rimbaud avait 7 francs en poche, dont une partie ou la totalité lui venait de son nouveau salaire journalier. Il y a peu de chances qu’en arrivant il se soit installé à l’Hôtel de l’Univers.

Naturellement, les dossiers en cours ne sont pas oubliés, loin de là, mais il faut parfois céder à l’actualité !

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