vendredi 12 novembre 2010

Un Communard à l'Hôtel de L'Univers, par Jacques Bienvenu

Un certain Jules Renard, qui n’est pas - il faut le dire tout de suite - l’auteur de Poil de carotte, s’engagea le 15 août 1870 dans le régiment du17e chasseurs à Douai. Cela commence donc par une coïncidence rimbaldienne. En effet, à cette date, Izambard, le professeur de Rimbaud était à Douai où il reçut peu après le poète de Charleville sorti de la prison de Mazas début septembre. Izambard s’était engagé lui-même à Douai dans l’infanterie. Jules Renard avait 22 ans et, autre petite coïncidence personnelle, était professeur de mathématiques et aimait la littérature et la poésie. C’était un ardent républicain et après la défaite il devint officier fédéré pendant la Commune de Paris. Après l’échec des Communards, il partit à Londres, mais revint à Paris où il décida de se constituer prisonnier bien qu’il n’eut commis aucun crime. Il avait sollicité Victor Hugo qu’il admirait et le poète avait écrit une lettre en sa faveur. Il sera déporté en Nouvelle Calédonie - condamnation à perpétuité - mais il bénéficiera de la première amnistie partielle de 1879 qui précéda d’un an l’amnistie générale. Il revint en France cette année là sur un bateau Le Calvados où il eut la bonne idée de noter ses souvenirs dans un journal de voyage qu’il publia. Il fit escale à Aden le 16 septembre 1879, soit 13 mois avant l’arrivée d’un autre sympathisant de la Commune : l’illustre poète dont il est question sur ce blog. Comme le souligne la préface de l’ouvrage de ses souvenirs, il n’y a aucune haine et amertume dans ses propos. Le livre est bien écrit, Renard a une philosophie sereine. Ce qui le sauva pendant sa détention, c’est qu’il avait pu lire des ouvrages. Il s’était en particulier enthousiasmé pour François Villon. Il séjourna à l’Hôtel de l’Univers, ce qui n’avait rien d’extraordinaire pour un Français. Il était cloué par la chaleur et resta à l’Hôtel où il rédigea sa correspondance. Il ne s’aventurera pas au-delà de Steamer Point, dont il nous a donné dans son livre un témoignage précieux :

Dans les hôtels ou magasins où nous sommes entrés [En particulier l'Hôtel de l'Univers] , les habitants nous ont paru de mauvaise humeur. Voici ce qui semble écrit sur leur physionomie : « Ce pays est pour nous un purgatoire. Nous n’y sommes qu’à notre corps défendant et avec la pensée fixe de le quitter au plus vite. Or pour le quitter, il faut avoir fait ou refait fortune. C’est vous dire que nous ne connaissons que l’argent. N’attendez donc de nous ni hospitalité dans le sens large du mot ni sympathie. »

Le seul endroit où Renard a trouvé de l’humanité est l’hôtel d’Orient « tenu par un italien, M. Camérini, qui seul nous a fait un accueil cordial ». Ceci confirme bien les récentes et passionnantes informations sur le patron de l’Hôtel de l’Univers. Suel était prêt à accepter les pauvres hères pourvu qu’ils aient de quoi payer. J’ai bien peur que l’idée d’un Suel généreux et hospitalier ne soit encore qu’un mythe naissant faisant partie intégrante du nouveau mythe de l’Hôtel de l’Univers. Je doute que Suel aurait offert gratuitement à Rimbaud la chambre et le couvert s'il était passé à l'Hôtel de l'Univers, ce qui n'est de plus pas attesté, il faut le redire. On doit savoir accepter la réalité et ne pas créer une légende. Les souvenirs de voyage de Jules Renard s’intitulent : Notes et impressions d’un passager du Calvados, par Jules Renard,1879. Je ne les ai pas trouvés à la suite d’une longue recherche mais en quelques minutes, en me servant de l’admirable site Gallica de la BN. Il suffit, de lancer une recherche au mot : « Hôtel de l’Univers » pour les trouver. Les habitués de Gallica savent bien, d’ailleurs, les avantages que procure cette remarquable bibliothèque numérique. On trouvera ce document : ICI

1 commentaire:

  1. Finalement, musardant sur Internet, je ne peux que me réjouir de constater qu'Arthur Rimbaud, à travers tous les blogs, sites et liens divers sur la toile, est vivant. Vivant dans la pensée et par la plume des uns et des autres qui, avec respect et courtoisie - le plus souvent - et avec humour parfois, se penchent, cherchent et trouvent, font partager, soumettent à l'œil acerbe d'autres Rimbauphiles des trouvailles toutes plus extraordinaires les unes que les autres tout en se livrant au délicieux exercice de polémiquer à propos de telle ou telle découverte d'un concurrent et néanmoins ami ! J'aimerais pouvoir en faire autant. Pour l'heure, empêché par les hasards de la vie de participer davantage, je me contente d'apprécier le travail des autres dont fait partie ce blog récent, plaisamment appelé Rimbaud Ivre.

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