samedi 27 septembre 2014

Soirées musicales et littéraires en 1874, par Jacques Bienvenu



On ne sait rien de ce que Rimbaud a fait à Paris en 1874 avant de partir à Londres avec Germain Nouveau. On nous dit souvent que, revenu à Paris après le drame de Bruxelles, Rimbaud aurait été  traité comme un indésirable.  En réalité, il avait encore quelques amis sûrs. Forain, d’abord, chez qui il logeait probablement rue Saint-Jacques ; Mercier et le musicien Cabaner qui le revirent en 1875 ; Richepin qui publia des souvenirs tardifs sur le poète en 1927 ; Raoul Ponchon qui avait reçu un exemplaire d’Une saison en enfer ; Germain Nouveau qui n’hésita pas à partir avec lui vers le 20 mars. Que s’est-il passé avant cette date à Paris ? Nul ne le sait. Tentons cependant de formuler des hypothèses.

En feuilletant la presse de cette période de mars 74, on peut être attiré par l’annonce de soirées musicales et littéraires organisées par un certain Charles Boissière.  Celui-ci avait écrit un petit opuscule intitulé « Éloge de l’ennui » dédié ironiquement à l’Académie Française. Le journal  L’Orchestre, qui avait pour directeur Ludovic Hans (pseudonyme d’Armand Silvestre), donnait le programme de la soirée du 15 mars :


On voit que le premier morceau musical s’intitule Romance sans paroles de Mendelssohn. Par une sorte de coïncidence c’est à cette date que l’ouvrage que Verlaine voulait dédier à Rimbaud venait d’être imprimé à Sens. Le recueil des Romances sans paroles passera  totalement inaperçu. Cependant, si  Rimbaud a vu ce titre, il a dû sursauter. Le morceau Romance sans paroles était interprété, notamment, par une certaine « Madame  Poitelon ». Autre coïncidence, ce nom très rare figure sur un tableau de Forain dont il faut rappeler l’histoire.

Dans Le Figaro littéraire du 21 juin 1952 on reproduisait pour la première fois un portrait exécuté par  Forain portant la mention « mai 1874, à mon ami Poitelan ». Cette peinture était révélée comme un portrait présumé d’Artur Rimbaud. Peu de temps après, cette peinture fut présentée à l’exposition Forain de la BNF pour le centenaire de la naissance du peintre né en 1852.On y donnait le nom de « Poitelan » suivi d'un point d'interrogation.

En fait, il ne faut pas lire « Poitelan » mais « Poitelon » comme l’a justement indiqué, pour la première fois, Jean-Jacques Lefrère (Face à Rimbaud, p. 174).


Détail du portait reproduit dans le catalogue du musée d'Orsay,1991

Donc, en mai 1874 Forain dédie un portrait à un certain Poitelon jamais identifié.  Le fait de trouver ce nom imprimé en 1874 est un petit indice car ce patronyme n’était pas courant. Madame Poitelon était pianiste et on apprend, par ailleurs, qu’elle était jeune. Elle pouvait faire partie du milieu artiste que fréquentait Forain à l’époque et être apparentée à un ami du peintre. Elle participe à ces soirées musicales et littéraires en janvier, février et mars 1874. Observons que le 39 Bd des Capucines se situait à côté de l’atelier de Nadar au numéro 35 du Bd des Capucines, endroit célèbre car les futurs peintres impressionnistes avaient loué cette maison pour leur fameuse exposition du 15 avril 1874. On sait que Forain connaissait tous ces peintres et notamment Degas qui fut l’un des organisateurs. Voici une photographie célèbre de l’atelier de Nadar, on distingue à droite le N°37. C’est à côté que les conférences avaient lieu.


La salle du 39 Bd des Capucines  était connue des poètes et des artistes. Ainsi, Charles Cros y donnera deux conférences en juillet 1873 respectivement le 9 et le 11 juillet. L’auteur du Coffret de santal ignorait qu’entre ces deux conférences Rimbaud recevrait le 10 juillet un coup de révolver à Bruxelles.



Charles Cros récidivera en donnant une conférence dans cette même salle, le 12 décembre 1874, annoncée un jour trop tard dans Le Tintamarre  dont le directeur et rédacteur en chef était mon arrière grand - oncle. Si Rimbaud est passé à Paris à cette date, il a dû éviter la conférence de Cros. C’était trop dangereux pour lui.

Pour conclure, il n’est pas impossible que Rimbaud soit allé aux soirées musicales et littéraires du Bd des capucines en 1874, peut-être en compagnie de Forain et de l’ami Poitelon qui allait voir jouer sa parente.

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