mardi 12 janvier 2021

Les mystères du poème "Honte" de Rimbaud (suite)

On a vu que le dix-neuvième vers du poème Honte était un vers « faux exprès » : 

Qu’à sa mort pourtant, ô mon Dieu !


Tous les autres vers du poème sont des heptasyllabes. À l’aide du manuscrit, examinons en détail cette question. Il se trouve que les vers 19-20 ont été raturés par Rimbaud comme on peut l’ observer ci-dessous :



Claude Jeancolas a donné une excellente explication graphologique de ces ratures du poème dans le volume où il a reproduit tous les manuscrits de Rimbaud. Il écrit  : 

« Dans la première écriture on lisait :

 Pour sa mort pourtant, o mon Dieu/ Que s’élève une prière. Le Pour suivi de pourtant déplait . Rimbaud modifie : au lieu de Pour il choisit Qu’à, ce qui oblige à supprimer le Que du second vers devenu inutile et à mettre une majuscule au  S de s’élève. Pour conserver le même nombre de pieds au second vers, il modifie une prière en quelque prière. Magnifique illustration d’amélioration stylistique continue de Rimbaud »

On obtient donc pour les vers 19-20 :


19 Qu’à sa mort pourtant, ô mon Dieu ! 

20 S’élève quelque prière !


Cependant,  il est dommage que Jeancolas n’ait pas indiqué  que le vers 19 a huit syllabes. Dans la Pléiade André Guyaux qui a aussi examiné le manuscrit précise que le vers 19 comporte un écart syllabique qui est la seule entorse métrique dans ce poème en quatrain heptasyllabique à rimes croisées. Il ajoute que cet écart intervient au moment du vœu final, chrétien de salut. Comme nous allons le voir l’emplacement de cet écart syllabique est d’importance.


André Guyaux et Claude Jeancolas à Charleville 
en 2012. Photo JB.

L’examen du manuscrit montre que Rimbaud a bien modifié exprès le vers 19 comme l’indiquent les modifications précises qu’il a effectuées aux vers 19-20. Mais quel est le sens de cette singularité ?


Si on veut comprendre, il faut pour cela se ramener à l’époque de Rimbaud où un amateur de poésie qui lisait le poème aurait sursauté en réalisant que le vers 19 avait une syllabe de plus que tous les vers précédents. La huitième syllabe étant le mot Dieu, on comprend que c’est un moyen pour Rimbaud de le mettre en valeur  mais d’une façon différente que de le placer en rejet. Ici le sens de la singularité est de dire de Dieu « qu’il est en trop ». Un tel procédé ne nous étonne pas car Rimbaud a montré dans de nombreux poèmes qu’il était friand de tels subtilités. Un exemple parmi d’autres : En décrivant sa Vénus Anadyomène, il indique qu’elle comporte des « singularités qu’il faut voir à la loupe » et suggère au lecteur d’y regarder de plus près. Je crois que tous les vers « faux exprès » de Rimbaud ainsi que les « mauvaises rimes » ont toutes un sens qu’il faut trouver. 


Contrairement à ce que certains critiques ont pu dire des vers de 1872, Rimbaud n’est pas revenu à la foi. Dans le poème Honte il se montre ironique. Il y a encore bien des énigmes  dans ce poème et nous tenterons dans un article suivant de les élucider


2 commentaires:

  1. « On remarque surtout
    Des singularités qu'il faut voir à la loupe...»
    Voir et non examiner.

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    1. Bien vu et bien examiné ! Merci. Ce qui est curieux est que je l'avais vérifié et corrigé mais cela n'a visiblement pas marché.
      Jacques Bienvenu

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