samedi 7 mai 2016

Rimbaud et les lys, par Jacques Bienvenu.



Henri d’Artois, duc de Bordeaux, comte de Chambord


Dans Ce qu’on dit au poète à propos de fleurs, poème adressé à Banville, le 15 août 1871, la date d’envoi à son importance. Trois mois avant, Rimbaud avait envoyé un psaume d’actualité à Paul Demeny : Chant de guerre parisien. Ce poème se présentait comme une parodie des Odes funambulesques de Banville, en quatrains d’octosyllabes exactement comme celui qu’il lui envoyait à présent. Rimbaud, grand lecteur de journaux, avait toujours suivi avec passion l’actualité et les nouvelles parvenaient correctement à Charleville depuis la chute de la Commune en mai 1871. 

Quelle était exactement la situation politique en France à cette date ?

Un petit retour en arrière est nécessaire. La défaite de 1870 avait marqué la fin du Second Empire et l’avènement de la république, le 4 septembre 1870. Les élections législatives organisées en février 1871 après l’armistice donnèrent une  nouvelle assemblée qui comptait 240 députés républicains contre 400 monarchistes qui se divisaient entre orléanistes et légitimistes. Le Comte de Chambord, Henri d’Artois, descendant des Bourbons, était le prétendant à la couronne des légitimistes. On le désignait sous le nom d’Henri V. Il avait vécu en exil depuis 1830, mais la chambre vota le 8 juin 1871 l’abrogation de la loi d’exil après l’écrasement de la Commune en mai 1871 par le gouvernement de Thiers. Henri V revint en France en juillet. Les orléanistes proposèrent alors aux légitimistes une fusion acceptée par le Comte de Chambord et la restauration semblait alors acquise. Mais un curieux manifeste du Comte de Chambord prononcé le 5 juillet 1871 et largement diffusé par la presse jeta le trouble. Le prétendant Henri V acceptait de prendre le trône à la condition que le drapeau français bleu, blanc, rouge soit changé et redevienne l’ancien drapeau blanc des rois. Il terminait son manifeste en écrivant : "Henri V ne peut abandonner le drapeau blanc d’Henri IV".

Mais le drapeau républicain était devenu un symbole glorieux et ce retour en arrière n’était pas le bienvenu pour tout le monde. Des discussions passionnées s’engagèrent alors à ce propos. Toute la presse s’en faisait l’écho. 


Drapeau blanc des rois avec fleurs de lys


C’est sous ce climat politique que Rimbaud écrivit son poème qui commence par une attaque violente contre les lys, fleur la plus citée et la plus dénigrée de ce curieux  bouquet poétique :

Ainsi, toujours, vers l'azur noir
Où tremble la mer des topazes,
Fonctionneront dans ton soir
Les Lys, ces clystères d'extases !

À notre époque de sagous,
Quand les Plantes sont travailleuses,
Le Lys boira les bleus dégoûts
Dans tes Proses religieuses !

— Le lys de monsieur de Kerdrel,
Le Sonnet de mil huit cent trente,
Le Lys qu'on donne au Ménestrel Avec l'œillet et l'amarante !

Des lys ! Des lys ! On n'en voit pas !
Et dans ton Vers, tel que les manches
Des Pécheresses aux doux pas,
Toujours frissonnent ces fleurs blanches ! 

On a toujours cru que Rimbaud voulait se moquer de Banville et de son goût pour les lys. C’est une erreur. Certes, il y a beaucoup de lys dans les poèmes de Banville, mais la vraie raison est ailleurs. En réalité, on peut penser que Rimbaud attaque le lys blanc symbole de la royauté. On le voit d’autant plus qu’il associe cette fleur au légitimiste Kerdel (le lys de monsieur de Kerdel) grand partisan du Comte de Chambord.  

 Il y a plus. Il n’a pas échappé aux critiques que le poème commence par une parodie du premier vers du fameux Lac de Lamartine : 

Ainsi, toujours poussés vers de nouveaux rivages,

Que vient faire Lamartine dans cette histoire de lys ?

On peut remarquer que dans son célèbre recueil des Méditations où figure Le Lac, Lamartine avait écrit une ode en l’honneur de la naissance d’Henri V (qui était aussi duc de Bordeaux), naissance qu’il présentait comme un miracle. Lamartine avait écrit cette ode à une époque où il était royaliste et il s’en explique dans ses commentaires. 


Par ailleurs, en parlant des lys qu’on donne au Ménestrel avec l’oeillet et l’amarante Rimbaud faisait référence aux jeux floraux de Toulouse. Il était bien connu que Victor Hugo y avait obtenu en 1819 ( il avait dix-sept ans comme Rimbaud en 1871) un lys d’or à ces jeux pour un poème intitulé : Ode sur le rétablissement de la statue d’henri IV


Cette statue avait été détruite sous la révolution. Elle fut reconstruite en 1818. Le sujet était encore d’actualité en 1871 car les communards avaient arraché de son support l’effigie de Henri IV à cheval située à l’Hôtel de ville.

Statue de Henri IV au pont Neuf .


On est en droit de penser que ce poème a un contenu politique, d’autant plus que Rimbaud a daté son poème symboliquement du 14 juillet ! Ajoutons, s’il fallait le préciser, que Rimbaud n’aimait pas trop Henri V qui est nommément cité dans Vers pour les lieux :

Car le con de Badingue et le con d’Henri V
Sont bien dignes de cet état de siège

Rappelons que Badingue  ou Badindinguet désignait, en argot, Napoléon III associé ici à Henri V par  ce grand impoli de Rimbaud.

En 1871, les options politiques de Rimbaud sont bien connues. Communard, Il s’était violemment révolté contre les conservateurs et la religion catholique de son enfance. Le retour d’une royauté naturellement catholique avait de quoi l’épouvanter. 

Ce poème très riche est aussi, notamment, comme je l'ai montré, une raillerie sur le traité de poésie de Banville. C’est le Rimbaud caricatural, ironique et sarcastique qui s’exprime ici. D’ailleurs l’auteur du Bateau ivre reviendra aux fleurs et même au lys dans un poème d’une toute autre tonalité : Mémoire, écrit plus tard en 1872. Mais c’est une autre histoire.

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