dimanche 22 mai 2016

Rimbaud et Turner, par Jacques Bienvenu



Il faut aller voir à Aix-en-Provence une très belle exposition Turner et la couleur dans l’admirable Hôtel de Caumont récemment rénové. Pour les amateurs de Rimbaud, c’est l’occasion de souligner des liens que la critique a parfois remarqués entre le peintre anglais et l’auteur des Illuminations. On peut trouver ici ou là sur le web de bons dossiers à ce sujet. Par exemple : celui-ci (texte 3) auquel nous renvoyons qui met en regard un tableau de Turner View of Lyons et le poème Les Ponts des Illuminations.


Commençons par des éléments biographiques remarquables. Dans les années 1872-1874, Turner est exposé à la National Gallery. C’était déjà un peintre très connu dont les toiles se vendaient très cher à cette époque. Rimbaud est allé voir les peintures de Turner à Londres au moins deux fois : en 1872 et en 1874. Nous le savons par une lettre de Verlaine écrite en octobre 1872 : « mais zut pour ce farceur  de Turner : un mauvais Monticelli ! ». Cette lettre est connue, mais on a moins souligné une seconde adressée par Germain Nouveau à Richepin, le 26 mars 1874, peu après son arrivée à Londres avec Rimbaud. Ils n’ont pas encore eu le temps d’effectuer beaucoup de visites, mais assurément ils sont allés à la National Gallery voir les Turner. En effet, un jugement de Nouveau sur le célèbre peintre anglais nous l’apprend : « Pas fort Turner, un peintre anglais à qui Molin eût refusé des leçons de clairs de lune. Les Anglais pourtant l’encadrent sous verre ». On voit bien que cette vision des peintures de Turner l’a marqué, car il y revient de façon très dépréciative, à la fin de sa lettre, en exhortant Richepin à contacter Forain pour lui dire : « Si Forain a encore du temps à dépenser avant son casernement, qu’il tâche de venir (…) Turner est un vide ; qu’il vendrait de tableaux, Dieu ! ». Si on peut regretter les mauvais jugements de Verlaine et Nouveau à l’égard d’un artiste de génie, rien n’autorise à croire que ce fut aussi l’opinion de Rimbaud. Osons même penser que c’est lui qui a pris l’initiative d’amener son nouveau compagnon admirer les peintures du Maître anglais qu’il avait déjà vues deux ans auparavant. On remarque avec intérêt, pour la seconde visite, que 1874 est précisément la date où Nouveau recopie le poème Villes de Rimbaud dans lequel on peut lire : « J’assiste à des expositions de peinture dans des locaux vingt fois plus vastes qu’Hampton court. Quelle peinture ! » 

Turner avait réalisé de nombreux tableaux représentant Hampton Court.

Hampton Court from the Thames.DR Tate.

L’exposition Turner et la couleur confirme les ponts que l’on peut jeter entre le poète et le peintre. Une excellente étude sur la théorie de la couleur à l’époque de Turner passionné par cette question est donnée dans le catalogue, ce qui n’est pas sans rapport avec l’auteur de Voyelles. 




2 commentaires:

  1. Merci pour ce bel article ! Qui est ce Molin dont parle Germain Nouveau ?

    RépondreSupprimer
  2. Il s'agit d'Auguste de Molin qui avait participé à la célèbre exposition des impressionnistes chez Nadar, le 15 avril 1874, peu après le départ de Rimbaud et Nouveau en Angleterre.

    RépondreSupprimer