mercredi 4 mars 2020

Les variantes des "Éffarés", un cas d'école

Dans mon article sur la dernière chronique de Verlaine j’ai montré que le poème Les Effarés était son poème préféré. J’aimerais revenir à présent sur ce poème qui présente certaines singularités. C’est le seul poème de Rimbaud dont on possède autant de versions différentes : le poème donné à Demeny en 1870, le poème envoyé à Jean Aicard en 1871, diverses versions de Verlaine, une autre publiée en 1878 en Angleterre, une autre publiée en 1887 par Armand Sylvestre, rarement signalée, qui nous dit pourtant qu’il a un manuscrit sous les yeux ( lequel ?).
Or, en examinant les études critiques sur Les Effarés, je me suis rendu compte qu’il y avait une certaine confusion dans le choix des différentes versions. Pour illustrer cette question je choisis l’étude d’Alain Bardel, facilement accessible, et destinée à des lycéens : 

Capture d'écran du 4/03/2020/16h30


Je montre la version choisie par Alain Bardel qu’il présente comme étant celle que Verlaine a recopiée et qui figure dans le dossier Verlaine. « Il s'agit d'une copie de la main de Verlaine, présentant de nombreuses et séduisantes variantes, dont il ne faut pas douter qu'elles aient été dictées par Rimbaud lui-même. C'est d'ailleurs cette version que nous avons choisie d’étudier… ». Le manuscrit est aussi facilement accessible, il est dans Les Manuscrits des maîtres édité en 1919 :




Observons donc la version donnée par Alain Bardel et comparons avec le manuscrit. On constate d’abord des erreurs de ponctuations. Pour dix vers ( 3, 8, 16, 17, 20, 23, 26, 27, 31, 34) Alain Bardel a rajouté une virgule. Par exemple au vers 8 il rajoute une virgule après grise. Au vers 3, il met une virgule entre crochets qui semble indiquer que Rimbaud aurait dû en mettre une, ce que le professeur corrige ! Même chose au vers 6 avec un point entre crochets. Passons à d’autres erreurs. Il fallait mettre une majuscule à Boulanger aux vers 5 et 11. Au vers 12, il ne faut pas écrire « chante  un vieil air » mais « grogne un vieil air ». Au vers 22 ce n’est pas « Quand ce trou… » mais « Que ce trou… ». Au vers 29 ce n’est pas « grillage » mais « treillage » qu’il faut lire. Au vers 35 ce n’est pas « tremblote » mais « tremblotte ». On voit qu’Alain Bardel a mélangé diverses versions pour obtenir celle-ci, unique en son genre. Il reproduit une autre fois la version copiée par Verlaine dans un dossier Verlaine avec les mêmes erreurs ! C’est vraiment un cas d’école ! Je conseille aux lycéens de consulter les bonnes versions dans la Pléiade d’André Guyaux.
Mais il y a d’autres imprécisions dans l’article d’Alain Bardel. Par exemple, il semble bien que la forme des tercets hétérométriques soit une création de Rimbaud. Ainsi, Émilie Noulet précise que cette particularité lui appartient en propre. Elle ajoute que c’est sous la forme de sizains qu’elle en trouve des exemples chez Victor Hugo ou Banville. Le professeur Bardel nous dit que Rimbaud n’était pas le premier à composer des tercets hétérométriques, mais il ne dit pas qui sont les poètes qui l’auraient fait avant lui, alors que cette information serait évidemment très importante. Je reviendrai sur cette question dans un prochain article.

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