Article de Claude Jeancolas sur ses publications réactualisées et enquête sur un gros incident Rimbaud par Jacques Bienvenu
samedi 29 septembre 2012
mercredi 26 septembre 2012
Un gros incident Rimbaud (suite), par Jacques Bienvenu
collection Yves Jacq |
Quelques précisions : la lettre de l'article précédent a été écrite par Fernand Vanderem écrivain français d'origine belge. Cette lettre a été envoyée à Francis Chevassu qui était responsable de la rédaction du supplément littéraire du Figaro à cette époque.
Je remercie vivement Yves Jacq de m'avoir permis de publier cette nouvelle lettre.
mardi 18 septembre 2012
vendredi 14 septembre 2012
Réponse à Yves Reboul : sur deux « Illuminations », intertextes de « Beams », par David Ducoffre
Vapeur à aubes Comtesse de Flandre construit en 1870. Source : Belgian-Navy.be
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BEAMS
Elle voulut
aller sur les flots de la mer,
Et comme un
vent bénin soufflait une embellie,
Nous nous
prêtâmes tous à sa belle folie,
Et nous
voilà marchant par le chemin amer.
Le soleil
luisait haut dans le ciel calme et lisse,
Et dans ses
cheveux blonds c'étaient des rayons d'or,
Si bien que
nous suivions son pas plus calme encor
Que le
déroulement des vagues, ô délice!
Des oiseaux
blancs volaient alentour mollement
Et des
voiles au loin s'inclinaient toutes blanches.
Parfois de
grands varechs filaient en longues branches,
Nos pieds
glissaient d'un pur et large mouvement.
Elle se
retourna, doucement inquiète
De ne nous
croire pas pleinement rassurés,
Mais nous
voyant joyeux d'être ses préférés,
Elle reprit
sa route et portait haut la tête.
Douvres-Ostende,
à bord de la "Comtesse-de-Flandre"
à bord de la "Comtesse-de-Flandre"
4 avril 1873
Yves Reboul vient de publier un article de 16 pages intitulé « Une question toujours actuelle ? » (Rimbaud «littéralement et dans tous les sens ». Hommage à Gérard Martin et Alain Tourneux, Classiques Garnier, 2012) qui se présente comme une fin de non-recevoir à mon article mis en ligne le 15 août 2011 sur le blog Rimbaud ivre de Jacques Bienvenu : « Deux Illuminations composéesavant avril 1873 ! » Mes rapprochements ne l’ont pas convaincu et il me reproche de traiter un sujet : deux sources rimbaldiennes au poème Beams, en fonction d’une thèse générale sur l’antériorité des Illuminations par rapport à Une saison en enfer. Il insiste encore sur le fait que le consensus actuel n’est pas celui de la postériorité des Illuminations, mais celui de poèmes composés tantôt avant, tantôt après Une saison en enfer. Je n’ai pas à répondre sur le plan de la datation dans l’immédiat. La datation des Illuminations ne peut se faire qu’au cas pas cas. Elle ne peut pas être prouvée pour tous les poèmes, mais elle peut être rendue plausible à partir d’éléments de réflexion qui viendront en leur temps. En revanche, une réponse s’impose quant à la pertinence de cet objet d’études, car l’interrogation du titre de l’article d’Yves Reboul m’étonne : « Une question toujours actuelle ? » Ensuite, il s’agit de revenir sur ce qui est au cœur du débat. Jamais personne n’a songé à déterminer l’antériorité de poèmes des Illuminations à partir de textes contemporains de Verlaine, poèmes ou correspondance. Puisque mes rapprochements avec Beams ne semblent pas évidents à tout le monde, je vais donc m’appliquer à fournir des explications plus précises.
Prétendre
que les Illuminations peuvent avoir
été composées avant, pendant ou après Une
saison en enfer est moins un consensus qu’une dérobade. L’interrogation du
titre d’Yves Reboul a des airs de refus. Pourtant, ce problème de datation est
lié à l’énigme du renoncement à la poésie et n’a donc pas une simple actualité
opportune, puisque le silence du poète est un thème majeur du mythe Rimbaud.
Qui plus est, ce consensus n’empêche pas nombre de rimbaldiens d’employer le
futur simple dans leurs rapprochements entre Une saison en enfer et les Illuminations,
de prétendre encore que Rimbaud a dépassé dans le livre de 1873 tel conflit,
notamment religieux, qui, par conséquent, n’aurait pas à être invoqué à la
lecture des poèmes en prose, et ainsi de suite. La question de la datation
influence donc bien notre perception du texte et nous retrouvons cette
éternelle audace d’une majorité qui met entre parenthèses le problème, mais qui
ne se prive pas d’affirmer une compréhension de l’œuvre en fonction de son
préjugé. Peut-être que quelques poèmes sont antérieurs à Une saison en enfer, consent-elle à écrire, mais que cela n’empêche
pas de penser en termes de postériorité l’ensemble des Illuminations. Dans son livre Rimbaud
dans son temps et dans l’article même où il me critique, Yves Reboul traite
lui aussi de cette question, en insistant sur l’idée que la possiblité de
poèmes en prose composés avant Une saison
en enfer a été sous-évaluée, et il développe une thèse à laquelle j’adhère
en grande partie, sauf qu’elle n’offre pas pour moi une raison
suffisante : par une datation artificielle des textes, Verlaine s’est créé
une excuse pour n’avoir ni à expliquer les significations les plus
embarrassantes d’une partie de l’œuvre de Rimbaud, ni à préciser ses intentions
lorsqu’il publie ainsi les témoignages d’un passé réprouvé. Les Illuminations n’atteignent pas la
soixantaine de textes, en y incluant pourtant six poèmes sans titre d’environ
deux ou trois lignes et plusieurs autres poèmes particulièrement brefs. Si Yves
Reboul pense que la composition des poèmes en prose qui nous sont parvenus a pu
commencer en juillet 1872, voire plus tôt encore, il admet une fenêtre de près
d’un an, environ 300 jours, en faveur de l’antériorité (juillet 1872-avril
1873), ce qui n’est pas mince (une prose tous les cinq ou six jours). Or, il
souligne cette hypothèse en reprenant, puis amplifiant, des arguments que j’ai
publiés en juin 2007 dans un article pour la revue Rimbaud vivant : « L’Enigme des ‘corbeaux
délicieux’ » :
Tous les
articles de Verlaine sur Rimbaud présentent des raccourcis élégants. Mais, si
nous considérons que Rimbaud n’a pu composer des Illuminations dans la belgissime Belgique du 25 au 27 mai, [ni] du
9 juillet au [20 juillet] (drame de Bruxelles et projet à conclure de la
« saison »), ni vers le 24 octobre 1873, et si nous considérons que
la préface des Illuminations de 1886
conjoint « prose exquise et vers délicieusement faux exprès », force
est d’admettre que Rimbaud n’a pas écrit les Illuminations « parmi des voyages tant en Belgique qu’en
Angleterre et dans toute l’Allemagne », « de 1873 à 1875 », mais
que Rimbaud n’a pu composer des Illuminations
qu’en juillet-août 1872, qu’il a pu composer des Illuminations anglaises ou françaises jusqu’à juin 1874, et
entre-temps Une saison en enfer,
Verlaine n’étant pas un témoin privilégié pour tout ce qui a suivi son
incarcération. Enfin, si Verlaine demande à Edmond Lepelletier de récupérer des
poèmes en prose de Rimbaud dans la famille Mauté et si Forain possédait un
manuscrit des Déserts de l’Amour avec
des poèmes de mai 72, force est d’admettre que […] dès ce mois-là [mai 72],
Rimbaud composait concurremment des poèmes en prose, peut-être même de
premières Illuminations, au vu de la
citation d’Aube et Veillées I avant d’en venir à juillet
1872, dans la relation biographique Arthur
Rimbaud « 1884 » des Hommes
d’aujourd’hui. (p. 127-128)
Dans
un article soulignant les contradictions du témoignage verlainien sur la
datation des Illuminations, voici ce
qu’a écrit Yves Reboul, deux ans après, dans un chapitre intitulé
« Verlaine ou la fausse ignorance », en Appendice de son livre Rimbaud
dans son temps :
Cohérence du
témoignage verlainien, alors ? Ce n’est pas si simple. Quelques lignes
plus haut en effet, le texte a cité Aube
et Veillées avant d’ajouter
aussitôt : « Juillet 1872, voyage et station en Belgique
[…] » ; et le lecteur pensera cette fois que ces Illuminations au moins datent de cette époque. Deux chronologies
implicites mais contradictoires, donc, […] (p. 382)
Tout cela laisse
perplexe, mais la préface de 1886 elle-même n’est pas sans offrir quelques
motifs d’inquiétude, en dépit de son affirmation massive. Par exemple :
après avoir écrit que « le livre que nous offrons au public fut écrit de
1873 à 1875 », Verlaine y ajoute qu’il le fut « parmi des voyages
tant en Belgique, qu’en Angleterre et dans toute l’Allemagne ». Or Rimbaud
ne séjourna en Belgique de façon quelque peu durable qu’en 1873, au moment du
procès de Verlaine (mais, outre les démêlés judiciaires, c’est l’impression d’Une saison en enfer qui doit à ce moment
requérir toute son attention) ou alors dans l’été de 1872. Si c’est à cette dernière
époque que Verlaine pense, l’ordre suivi dans la phrase en question serait
alors chronologique et renverrait à une période allant de 1872 à 1875 ;
mais dans ce cas, que devient l’affirmation précédente, selon laquelle c’est en
1873 seulement que Rimbaud commença d’écrire les Illuminations ? (p. 384)
[…] force est
d’admettre […] (p. 392)
Bien
que je sois pris à parti dans un article « Une question toujours
actuelle ? » entièrement consacré à l’un de mes travaux, ni mon
apparente antériorité, ni le fait que j’ai pu formuler ces arguments n’ont été
pris en considération par Yves Reboul qui se permet alors de me les opposer
d’une manière quelque peu paradoxale :
Or Rimbaud ne
séjourna en Belgique de façon quelque peu durable que dans l’été de 1873 […] ou
dans l’été de 1872, où son séjour dure environ deux mois. Mais […] que devient
l’affirmation péremptoire qui veut que ce soit en 1873 seulement que Rimbaud
ait commencé d’écrire les Illuminations ?
[…] Quelques
lignes plus haut en effet, le texte des Hommes
d’aujourd’hui cite Aube et Veillées pour ajouter aussitôt :
« Juillet 1872, voyage et station en Belgique […] », ce qui tendrait
à faire croire que ces deux Illuminations
au moins datent de cette époque. (p. 253)
Soutenir
que les Illuminations sont toutes ou
presques toutes antérieures à Une saison
en enfer, c’est une façon radicale d’indiquer que la possibilité de
composition de poèmes en prose entre juillet 1872 et avril 1873 a été
sous-évaluée, que Verlaine a menti et qu’il y a eu des raisons à ses mensonges
(j’ai bien écrit : « raccourcis élégants », « pas un témoin
privilégié pour tout ce qui a suivi son incarcération »). La thèse d’Yves
Reboul en 2009 restreint, mais surtout adapte et développe ma thèse de 2007.
Auparavant, quand Yves Reboul plaidait l’antériorité, par exemple dans son
article sur « le témoignage d’Isabelle » (Revue des Lettres Modernes, Arthur
Rimbaud 1 et 3, Minard, 1972-1976), sauf erreur de ma part, il se
contentait d’indiquer que l’année 1873 commençait en janvier, pas en avril
(fenêtre de près de 100 jours seulement). C’est ce consensus précis
(commencement des Illuminations
en janvier 1873 et peu d’antériorités de proses sur Une saison en enfer) qu’il mentionne au début de son article :
[…] l’idée que,
dans leur majorité, les Illuminations
n’étaient pas antérieures à 1873 et qu’en affirmant qu’elles avaient été
écrites de 1873 à 1875, Verlaine avait dit vrai au fond, même si l’on pouvait,
à la marge, nuancer son propos. (p. 245)
Yves
Reboul déclare que mon étude ne déplace pas une ligne du problème, sauf qu’il
réaménage le consensus d’un demi-siècle, en reprenant plusieurs de mes
arguments et en en anticipant quelques autres, puisque j’ai insisté sur les
contradictions et mensonges de Verlaine, et sur son impossibilité de témoigner
sur la vie de Rimbaud une fois en prison. La thèse d’Yves Reboul se fonde
entièrement sur ce problème d’incarcération en 1873, en apportant des éléments
de réflexion intéressants, comme les manipulations de dates quelque peu dans le
même sens pour plusieurs poèmes de Verlaine lui-même. Mensonges de Verlaine sur
les dates, importance du séjour en Belgique en juillet-août 1872, antériorité
sous-évaluée : Yves Reboul m’oppose curieusement les idées de ma thèse et
non celles qui ont fait consensus jusqu’à présent. Finalement, seule la
radicalité de mes affirmations lui déplaît et le rôle charnière que je prête à
l’année 1873, mais parce que j’ai l’intuition que le drame de Bruxelles a tué
le Rimbaud poète et parce que j’ai encore de nombreux éléments de datation
à publier ultérieurement. Yves Reboul reconnaît à mes raisonnements un autre
point fort : peu de poèmes nous sont parvenus datés de juin-juillet-août
1872, aucun pour la période septembre 1872-mars 1873, comme si Rimbaud n’avait
rien écrit de longtemps. Rappelons que Verlaine n’a jamais signalé une œuvre
manquante pour cette période cruciale où les deux poètes vivaient ensemble,
quelque peu à l’écart de la société, en exceptant la fréquentation relative des
réfugiés communards en Angleterre, et arrêtons-là sur les arguments en faveur
de l’antériorité générale des Illuminations.
Cela fera l’objet de prochains articles.
Au
sujet d’une objection d’Yves Reboul sur le caractère ordonné et voulu de la
pagination manuscrite d’une partie des Illuminations,
le critique employant même le singulier « manuscrit », nous ne
pouvons que renvoyer à l’article décisif de Jacques Bienvenu : La pagination des «Illuminations» mis en ligne sur le blog Rimbaud ivre les 12 février et 06 mars 2012. Il se fonde notamment
sur une argumentation graphologique précise qui avait été éludée jusque là.
Parler de recueil des Illuminations
est aujourd’hui un redoutable problème. Cela n’empêche pas Yves Reboul
d’affirmer que Barbare, poème du
« pôle » (magnétique ?) dressé contre toute métropole, conclut
un ensemble de 24 pages de poèmes en prose : « une sorte de congé, où Rimbaud se retourne vers son
passé. » Je reviendrai prochainement sur la lecture de Barbare où, littéralement et de manière
indiscutable, le congé est donné aux latitudes sous lesquelles vivent des
sociétés humaines gangrenées de maladies politiques (« vieilles fanfares
d’héroïsme », etc.), et non pas à la poésie personnelle de Rimbaud. Il
suffit de lire le premier verset. Que devient dès lors la critique d’Yves
Reboul qui veut que « cette perspective d’un ordre délibéré [de 24 pages
de poèmes en prose] laisse la porte ouverte à l’éventualité d’une reprise (et
pas simplement d’une copie) de proses déjà anciennes » ? Sur le bureau
de La Vogue, les copies de poèmes en
vers « seconde manière » étaient postérieures à leur période de
composition et les vers de six manuscrits commençaient par des minuscules dont
on a fantasmé la signification métrique, sans aucun remords de plume.
Venons-en
maintenant au cœur du problème, les intertextes et la signification du poème Beams de Verlaine.
Sans
son livre récent Rimbaud dans son temps,
où les nouvelles lectures proposées ne me semblent guère convaincantes (Voyelles, Dévotion, Being Beauteous,
Barbare, etc.), Yves Reboul
s’imposerait comme l’un des critiques les plus fiables et les plus lucides de
l’œuvre de Rimbaud. Nous lui devons l’identification de Victor Hugo dans L’Homme juste, l’idée que les brouillons
de réécritures subversives de l’Evangile sont aussi quelque peu des réponses au
livre Vie de Jésus de Renan, une
pertinente et première lecture communarde du quatrain « L’Etoile a pleuré
rose… » et une bonne étude sur les tercets du sonnet Paris dans l’Album zutique.
Il a même démontré que l’identification communarde des « barbares »
dans Paris se repeuple était juste.
Mais Yves Reboul a également publié un article « L’Enjeu de Beams » (Les Premiers recueils de Verlaine, PUPS, 2007), où, rebondissant
sur l’idée de Steve Murphy selon laquelle l’identification de l’allégorie
blonde de Beams à Rimbaud avait
quelque chose de sympathique (Paul Verlaine, Romances sans paroles, Champion, 2003), il a essayé de démontrer
que la thèse était juste. Or, ce que ne dit pas Yves Reboul dans sa tentative
de réfutation de mon étude sur Beams,
c’est que son hypothèse a affronté le scepticisme des rimbaldiens et
verlainiens. Deux difficultés lui ont été soumises. Premièrement, le poème Beams évoque un retour en France du seul
Verlaine : Rimbaud n’était pas sur le bateau le 4 avril 1873 selon la
plupart des biographes. Deuxièmement, un « nous » collectif est
attiré par cette allégorie blonde, ce qui montre assez qu’il n’est pas question
de la relation de couple entre les deux poètes. Yves Reboul a voulu parer à ces
difficultés par la publication d’un second article (revue Littératures en 2007) où il a essayé de mieux tenir compte du
« nous » collectif (« Nous… tous »). Pour défendre son
hypothèse, il prétend qu’il ne parle pas du « Rimbaud platement
biographique », mais de sa figuration idéalisée en « Antichrist », ce qui pourtant ne
change rien au problème. Rimbaud pourrait être représenté en
« blonde » qui marche sur l’eau parce que Verlaine le verrait comme
un « Antichrist » et il
pourrait être présent sur le bateau, parce que sa figure n’est pas
biographique. Je ne comprends pas le raisonnement. Je constate également
qu’Yves Reboul parle de sa lecture de Beams
comme d’une chose démontrée et admise, ce qui n’est pas le cas, et cela pour soutenir
que ma lecture n’est pas possible parce qu’il en a déjà proposé une.
Malgré
cela, je ne rejoins pas tout à fait les rangs des sceptiques, car
l’article d’Yves Reboul a fait le choix d’un mauvais titre et la thèse majeure
de cette étude est bien autre. Tous, en lisant les poèmes des Romances sans paroles, nous avons pensé
que les poèmes d’amour renvoyaient à Rimbaud, parfois à Mathilde, mais Yves
Reboul a développé le premier cette considération biographique au plan du
recueil tout entier. Les sceptiques n’ont pas su apprécier une contribution
essentielle qui montre clairement que ce recueil est le récit continu d’un ménage à trois dont les
clefs biographiques sont Rimbaud, Verlaine et son épouse Mathilde. La voix du
recueil donne son renvoi à Mathilde et déclare une amitié fidèle au poète du Bateau ivre, dissimulant quelques
confidences homosexuelles. Je ne fais aucune difficulté à admettre cette thèse
frappée au coin du bon sens. Beaucoup de lecteurs veulent en demeurer à la
neutralité du sens littéral des poèmes. Green,
Spleen et A poor young shepherd ne seraient que des broderies éternelles et
vaines sur un amour pour une femme de papier. Le recueil Romances sans paroles est composé de quatre parties : Ariettes oubliées, Paysages belges, Birds in the
night et Aquarelles. Il dessine
clairement un parcours chronologique en phase avec nos connaissances
biographiques. Les dates des trois premières parties sont intégrées au
recueil : mai-juin 1872, juillet-août 1872, septembre-octobre 1872, et
personne ne conteste les allusions à Mathilde dans « Le piano que baise
une main frêle… », « Ô triste, triste était mon âme… », Birds in the night, Child wife, voire Streets I.
A Bruxelles, en août 1872, c’est uniquement à Rimbaud que Verlaine peut songer,
si nous attribuons une portée biographique aux vers : « Oh que notre
amour / N’est-il là niché ? » L’identification vaut également pour la
Saint-Valentin avec « Kate » dans le poème A poor young shepherd. Il faut être logique ! Ne pas admettre
l’idée de confidences voilées dans ces poèmes poétiquement datés, cela revient
à ne pas accepter la relation homosexuelle de Rimbaud et Verlaine au plan
biographique.
Dans
le détail, la thèse d’Yves Reboul se fonde sur des idées qui circulaient
auparavant, mais il est le premier à avoir pensé à unifier une lecture
biographique sous le signe d’un rêve de ménage à trois, ce qui était réellement
le vœu de Verlaine, puisqu’il proposait à Mathilde de vivre entre lui et
Rimbaud. Néanmoins, l’interprétation du recueil est inévitablement perfectible
et, en particulier, Yves Reboul n’est pas parvenu à justifier la présence du
poème Beams au plan biographique, ce
qu’il avait pourtant défini comme le point de mire de son étude. C’est ici que
je propose le correctif suivant : l’allégorie de Beams est l’image en miroir d’allégories rimbaldiennes, la simple
relation biographique étant relayée par un plan poétique. Car la fin de
non-recevoir de l’article « Une question toujours actuelle ? »
ne concerne pas que la datation des Illuminations,
mais, sans que ce ne soit dit, il s’agit aussi d’imposer l’idée qu’une
correction de la thèse de l’article capital « L’Enjeu de Beams » sur la signification du
recueil Romances sans paroles ne
s’impose pas :
[…] alors même
qu’il n’a cessé de souligner dans son article que les Romances sans paroles étaient presque entièrement centrées sur le
personnage de Rimbaud, [D. Ducoffre] refuse paradoxalement d’admettre que Beams, poème qui est pourtant comme la
clausule du recueil, renvoie lui aussi, comme pour résumer le sens du
livre, à la figure de Rimbaud. On comprend bien ses raisons : comme il n’y
a pas la moindre vraisemblance à ce qu’on doive deviner l’auteur du Bateau ivre à travers les allégories
féminines d’A une Raison ou de Being Beauteous, il faut bien, pour les
besoins de son argumentaire, qu’il soit tout aussi absent de Beams, faute de quoi son idée de
réécriture s’effondrerait. Seulement, le malheur veut que le poème de Verlaine
ne s’éclaire précisément qu’à condition d’admettre qu’il évoque Rimbaud, non
bien sûr en un sens platement biographique, mais sous les traits du Christ
nouveau qu’il avait un temps prétendu être. Il suffit pour s’en assurer de
s’interroger sur le miracle d’Elle
marchant sur les flots – miracle dont la prétendue réécriture est bien en peine
de rendre compte. Si ce miracle s’accomplit en effet, ce n’est pas en une
problématique transposition du « pas » d’A une Raison, mais parce que Jésus avait déjà marché sur les eaux
dans un épisode évangélique fameux auquel, comme par hasard, Rimbaud se réfère
dans le passage de Nuit de l’Enfer où
il se peint lui-même en Christ des temps nouveaux. Rien, au fond, de moins
mystérieux : Rimbaud est un Antichrist,
le miracle qu’Elle accomplit dans Beams sera donc la contrefaçon d’un des
miracles les plus connus qu’ait accompli le Christ. La conclusion, dès lors,
s’impose d’elle-même : cette signification, précise et historiquement
motivée, de la figure qui domine Beams
rend insoutenable l’hypothèse de réécriture développée par D. Ducoffre, ne
serait-ce que parce qu’il est radicalement invraisemblable qu’un poème centré
sur la figure de Rimbaud récrive deux allégories purement abstraites.
Le
verbe « admettre » revient souvent dans les citations d’articles,
mais il doit s’employer quand une argumentation est contraignante. Yves Reboul
ne procède que par affirmations péremptoires : il est nécessaire que la
« clausule » de Romances sans
paroles soit centrée sur la figure de Rimbaud, Beams ne peut se comprendre qu’à cette condition, il serait trop
facile à une allégorie de contrefaire le miracle du Christ marchant sur l’eau,
la figure de Rimbaud et l’allégorie ne sont pas conciliables. Les allégories d’A une Raison et de Being Beauteous sont qualifiées de « purement
abstraites », ce qui ne veut rien dire, puisque la présence de Rimbaud sur
le bateau le 4 avril 1873 ne peut passer elle-même pour concrète, étant donné
nos connaissances biographiques. Verlaine a raconté son retour dans une lettre
à Lepelletier du 15 avril 1873 et plus succinctement à Félix Régamey dans une
lettre sans date où il précise : « Rimbaud qui s’embêtait tout seul
vient de rentrer dans son pays où il paysanne aussi, en attendant mieux. »
La conclusion imparable, c’est que Rimbaud est reparti après Verlaine et que
celui-ci n’a pas pu idéaliser sa présence sur le bateau le 4 avril 1873. Quant
au passage de Nuit de l’enfer où
Rimbaud s’identifie à un Christ nouveau : « Tous, venez, – même les
petits enfants – que je vous console, qu’on répande pour vous son cœur
[…] », deux éléments sont à considérer. Premièrement, il s’agit d’un texte
de dérision, ce qui n’est pas le cas de Beams,
A une Raison ou Being Beauteous. Deuxièmement, Verlaine ne connaissait pas le futur
texte d’Une saison en enfer, quand,
séparé de Rimbaud, il a composé Beams
entre le 4 et le 15 avril 1873. Le « Mardi 15 avril 1873 », Verlaine
a envoyé à Edmond Lepelletier un établissement manuscrit des Romances sans paroles : « Tu
dois comprendre que j’attache beaucoup d’importance à la publication de mon
volume avant ce procès. […] Donc, pourrais-je […] faire imprimer vite,
très-modestement, et avec quelque délai, ou sans, s’il le faut, 468 vers purement littéraires ?
Serais-tu homme assez de loisir, je ne mets pas en doute ta bonne volonté, pour
t’occuper un peu de cel[a] et m’envoyer les épreuves ? » Une lettre à
Blémont du 22 avril 1873 confirme qu’il y a bien eu envoi des manuscrits à
Lepelletier : « J’ai écrit tout récemment à Lepelletier une très
longue lettre avec des vers en masse et un tas de commissions. » Que
Michael Pakenham pense à la suite d’Antoine Fongaro que ces vers peuvent être L’Impénitence finale (Paul Verlaine, Correspondance générale, tome I, p. 309,
note 3) est amusant quand on songe qu’il est question de « volume »,
de renvoi des « épreuves », d’un amalgame possible avec un procès en
séparation et d’un nombre de 468 vers, nombre peut-être mal déchiffré qui
s’avère très proche des 465 vers et cinq refrains « Dansons la gigue ! »
du recueil tel que nous le connaissons, d’autres documents témoignant d’erreurs
de Verlaine dans ses décomptes. La lecture d’Yves Reboul ne tient qu’à deux
choses : son manque de souplesse qui veut que, pour qu’il y ait allusion à
Rimbaud, il faut nécessairement que sa figure soit identifiée à travers Elle, puis l’idée tout aussi rigide
qu’il est indispensable que l’allusion au miracle du Christ marchant sur les
eaux soit humaine et non purement allégorique.
Passons
maintenant à la justification de mes rapprochements. Dans Vagabonds, le poète nous apprend qu’il voulait rendre son
« pauvre frère » à « son état primitif de fils du soleil »,
ce que nous pouvons aisément transposer au plan biographique. Les rimbaldiens
ont le tort de présenter Credo in unam
ou Soleil et chair comme un centon
mythologique d’après d’autres poètes romantiques et parnassiens. Il s’agit
d’une profession de foi érudite qui témoigne de l’influence de la pensée
philosophique antique et de l’influence de la pensée de courants littéraires
français romantiques ou parallèles. Le poème est également contre-évangélique,
et pas par simple imitation de la manière d’un Leconte de Lisle. Les allégories
des Illuminations présentent
également des récits contre-évangéliques. La « levée des nouveaux
hommes » dans A une Raison
répond à l’idée de « L’Homme Nouveau » de saint Paul et Being Beauteous approche encore plus
près de la formule célèbre tirée de l’épître aux Ephésiens « revêtir
l’Homme Nouveau » : « Oh ! nos os sont revêtus d’un nouveau
corps amoureux. » A une Raison
parle de « nouvel amour » et Barbare
de « cœur terrestre éternellement carbonisé pour nous », ce sont des
détournements parodiques patents de la liturgie chrétienne. Croyant me réfuter,
Yves Reboul précise que l’orgueil est figuré par la mention finale :
« et portait haut la tête ». Mais c’est justement l’intérêt de mon
rapprochement avec cette Being
Beauteous qui « recule » et « se dresse ». Dans Génie, autre allégorie
contre-évangélique, il est écrit : « l’orgueil plus bienveillant que
les charités perdues. » Pour les chrétiens, l’orgueil est un péché capital
qui présuppose le rejet de la charité divine, la charité étant la plus
importante des vertus selon saint Paul. Rimbaud inverse la logique chrétienne
selon laquelle c’est l’orgueil qui perd les hommes et la charité qui est
bienveillante. Et Rimbaud ne se met pas en scène comme un nouveau Christ, mais
ce sont ses allégories poétiques qui procèdent à une inversion ou un
détournement des idées et motifs religieux. A partir de là, je ne vois pas au
nom de quoi Yves Reboul peut exclure que l’allusion à Rimbaud dans Beams passe par une imitation
allégorique, ni pourquoi une allégorie ne pourrait servir de modèle
antichristique, puisque c’est manifestement le cas dans les poèmes de Rimbaud.
Yves Reboul peut bien donner son avis : marcher sur l’eau serait moins
miraculeux pour une allégorie purement abstraite que pour un Rimbaud fantasmé
qui resterait un humain, mais cela ne m’imposera pas des contraintes de lecture
que le poème de Verlaine n’implique pas. J’ai suffisamment montré que les
impossibilités prêtées à mon double rapprochement allégorique par Yves Reboul
n’en sont pas. Au contraire, c’est la thèse d’une figuration d’un antichrist de
chair qui devrait imposer à l’avenir un ensemble de justifications laborieuses,
quand la lecture allégorique s’impose le plus naturellement du monde. Yves
Reboul concède même qu’il ne pense pas nettement que mon raisonnement soit
faux, puisqu’il écrit :
Ce n’est pas que
les similitudes qu’il met en évidence entre ces trois textes soient entièrement
à rejeter : Elle a bien quelque
chose dans Beams d’une figure
allégorique et cette figure partage largement sens et représentations
symboliques avec les allégories féminines d’A
une Raison ou de Being Beauteous
– […]
Maintenant
qu’il me semble avoir ruiné et la possibilité d’une figuration humaine de Rimbaud
dans Beams, et les objections de
principe opposées à mes rapprochements, cette concession m’interpelle, car, la
pertinence d’un rapprochement entre les trois textes étant admise, les
réticences d’Yves Reboul n’ont plus aucun lieu d’être.
Il
n’est plus question que d’un seul point à débattre, celui de la réécriture. Le
poème de Verlaine a une indiscutable autonomie poétique, mais il est conçu dans
un esprit rimbaldien, ce qui s’accorde avec la visée de sens du recueil. A une Raison, Being Beauteous et Beams
ont en commun de présenter une figure allégorique féminine et
contre-évangélique qui attire un « nous » collectif dans un
« nouvel amour », dans une vie qui sort pour le moins de tout
« sillage » ordinaire. Yves Reboul rapproche avec raison le
« navire » de Birds in the
night du Bateau ivre, mais
l’aventure marine de Beams peut être
rapprochée également du Bateau ivre
ou comparée à Mouvement. Sa dimension
solaire est à rapprocher de Credo in unam,
de Vagabonds. D’autres rapprochements
sont possibles, mais le sujet de Beams
est le même que celui d’A une Raison
et de Being Beauteous, une allégorie
s’opposant au monde chrétien et attirant à soi « la levée des nouveaux
hommes ». L’opposition au monde peut être nuancée dans Beams, puisqu’il y est plus sereinement
question du groupe des « préférés », mais cette nuance ne change rien
à l’identité de conception, ce qui fait qu’Yves Reboul a précisé ne pas être en
mesure de rejeter mon argumentaire.
Terminons
par l’intertexte que présente A une
Raison, puisque l’intertextualité de Being
Beauteous est moins appuyée et qu’elle est tributaire de cette mise au
point capitale. Le second alinéa du poème A
une Raison se compose de trois étapes : un mouvement en avant de
l’allégorie, un enthousiasme d’hommes qui se laissent entraîner par son
invitation et une marche à sa suite. Ces trois étapes successives se retrouvent
dans le premier quatrain du poème Beams.
Peu importe que le premier vers n’exprime pas tant un mouvement qu’une volonté.
La logique n’en est pas moins la même. « Un pas de toi » et
« Elle voulut aller sur les flots de la mer, » c’est la même première
idée d’une manifestation volontaire de la divinité et d’une direction à suivre.
Dans les deux cas, une collectivité humaine répond avec enthousiasme à cet appel :
« C’est la levée des nouveaux hommes » et « Nous nous prêtâmes
tous à sa belle folie, » et enfin, symétriquement, les poètes parlent de
la marche du cortège : « et leur en-marche », « Et nous
voilà marchant par le chemin amer. » Seule la marche des humains est
ciblée par le texte : « et leur en-marche » et « Nous voilà
marchant… », les mots « leur » et « Nous »
n’impliquant pas directement l’allégorie. Dans les deux cas, l’idée de marche
n’est pas ordinaire, l’une est militaire, l’autre a une résonance biblique
« marchant par le chemin amer ». Une symétrie plus appuyée, cela
relèverait du plagiat. J’ajoute que la mention du « pas » associé à
l’en avant de la figure allégorique (« Un pas de toi ») se retrouve
dans Génie, mais aussi dans le second
quatrain du poème Beams, avec
toujours cette même idée d’un cortège entraîné à sa suite : « nous
suivions son pas ».
Cette
première réécriture n’étant plus à discuter, à moins de naïvement supposer que
ce soit Rimbaud qui ait réécrit le poème rimbaldien de Verlaine, passons à
l’autre réécriture qui concerne le dernier quatrain de Beams et le troisième alinéa d’A
une Raison. Le quatrain final de Beams
montre une allégorie meneuse d’un groupe d’hommes qui effectue un double
mouvement du corps. S’arrêtant un instant, elle se retourne pour rassurer ceux
qui la suivent, puis reprend sa marche avec un port de tête beaucoup plus fier
qui montre qu’un amour mutuel lui profite autant qu’à son cortège. Elle a
regardé derrière elle, elle regarde à nouveau en avant. C’est la même idée qui
est exprimée dans le troisième alinéa d’A
une Raison :
Ta tête se
détourne : le nouvel amour ! Ta tête se retourne, – le nouvel
amour !
Yves
Reboul prétend que ce verset n’a aucun intérêt symbolique, il s’agit simplement
d’un alinéa agréable qui décrit la danse de la « Raison »,
l’essentiel serait ailleurs :
Or la figure
centrale d’A une Raison – figure
allégorique, reconnaissons-le – est à l’évidence évoquée sous les traits d’une
sorte de Ménade dont le tambour (« Un coup de ton doigt sur le tambour
[…] ») guide la danse : c’est au rythme de cette danse que sa tête se
détourne, puis se retourne et non pas du tout, comme le croit D. Ducoffre,
parce qu’elle se retournerait avec « attention » vers les
« enfants » du quatrième verset, comme le fait Elle dans Beams.
La
danse n’exclut pas plusieurs ordres de considérations. Ce troisième alinéa fait
suite à la mention « en-marche », bien connue des lecteurs de Victor
Hugo, puisque c’est le titre du cinquième livre des Contemplations. Rimbaud ironise sur le dévoiement de cette formule
à la fin de Démocratie :
« C’est la vraie marche. En avant, route ! » et dans Une saison en enfer :
« Rien
n’est vanité ; à la science, et en avant ! » crie l’Ecclésiaste
moderne, c’est-à-dire Tout le monde.
Dans
Génie où figure encore une allégorie
contre-évangélique, il est question de suivre « Son pas », de
« suivre ses vues, ses souffles, son corps, son jour. » Face à une
telle constance de la part de Rimbaud, difficile de lire la danse du poème A une Raison autrement que comme un
mouvement en avant de « nouveaux hommes » qui suivent le pas de la
divinité. Une représentation d’hommes qui imitent les pas de danse d’une femme
divine leur faisant face me semble une image grotesque dans le cas du poème engagé
de Rimbaud. Ensuite, le fait de retourner et détourner la tête impose à chaque
fois un sentiment de « nouvel amour ». Difficile alors de ne pas
envisager la signification plus profonde de ces deux verbes. Elle se retourne
implicitement vers les « nouveaux hommes » et cette communion avec
eux est « le nouvel amour ». Elle se détourne implicitement d’un
monde dont les fléaux sont à cribler, et étant donné l’en-marche, les hommes la
suivent et le monde est repoussé « loin derrière [eux] » comme il est
dit dans Being Beauteous, mouvement
de recul comparable à celui descendant du « ciel » face à
l’Angleterre dans Métropolitain. La
divinité devant se propager partout, qu’Yves Reboul refuse cet alignement d’une
marche et préfère imaginer que la tête se tourne d’un côté, puis de l’autre,
pourquoi pas ? Mais cela ne changera rien au fait que les verbes « se
retourne » et « se détourne » ont un sens politique en fonction
des « nouveaux hommes » et du « monde » (Being Beauteous) dont les
« fléaux » et le « temps » sont à cribler. La réciprocité
entre la Vénus et les « nouveaux hommes » est une constante
rimbaldienne : réponse du « rayon violet » de la divinité
créatrice dans Voyelles,
« Dieux » qui « écoutent » en retour « l’Homme et le
Monde infini » dans Soleil et Chair,
« Non que je croie la lumière altérée, la forme exténuée, le mouvement
égaré… » dans Une saison en enfer.
Les poèmes A une Raison, Being Beauteous, Barbare, Aube, Génie, Guerre et Beams sont des
variantes d’un idéal rimbaldien de refus du christianisme, du monde politique
tel qu’il est, pour une libération de l’Homme qui n’est pas dogmatique, mais en
harmonie immédiate avec la Nature. Ces textes s’opposent à la satire de la
société qui conquiert le monde, le détériore et rabaisse les idéaux à une valeur
marchande aliénante dans Solde, Soir historique, Mouvement, etc. Yves Reboul considère que « la nature »
de l’idéal poétique du « Voyant » que je prête à Rimbaud et au poème Beams « n’est d’ailleurs pas bien
claire » (p. 259). En fait, Rimbaud n’est pas un baudelairien, mais un
hugolien : il veut une poésie qui soit à la fois belle, esthétique, et qui
ait un sens à porter au monde. Foncièrement politique, sa poésie ne cesse de
parler d’une libération de l’Homme contre la religion et contre l’ordre du monde
qui lui est contemporain, mais il le fait à partir d’une érudition
profonde qui vient de ses lectures, soit antiques, soit françaises, les
rimbaldiens actuels ayant le tort de privilégier la philosophie allemande ou la
pensée du vingtième siècle. C’est ici qu’entre en jeu un aspect important utile
à la compréhension de la poésie rimbaldienne. Le poète a enrichi sans cesse des
modes métaphoriques de représentation du réel qui lui permettaient d’exalter
l’Homme à partir d’une conviction d’Harmonie universelle et à partir d’une
valorisation des forces de sublimation. Cette idée d’harmonie universelle n’est
pas facilement compatible avec les courants de pensée du vingtième siècle et
les études rimbaldiennes ont beaucoup trop mis en avant l’idée d’un Rimbaud
purement ironique et incapable d’admettre les procédés d’illusionniste en
poésie. C’est peut-être la raison pour laquelle mon approche surprend encore à
l’heure actuelle.
En
tout cas, les parallèles nombreux entre nos textes, le dégagement de constantes
rimbaldiennes, la liaison étroite de ces éléments entre eux, tout cela est de
l’ordre du fait. Quant à l’idée que ce soit Rimbaud qui se soit inspiré de Beams, il s’agit au mieux d’une
hypothèse faible, tant la pertinence du raisonnement inverse est appuyée par
l’idée que les Romances sans paroles
sont un hommage à la poésie de Rimbaud, ainsi que par la nature très
rimbaldienne d’une mise en scène d’une allégorie contre-évangélique et solaire
à la fois, dont nous trouvons de premiers exemples en vers avec Credo in unam et Voyelles.
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