Rimbaud et la métaphysique
Tout récemment une sonde a été envoyée dans l’espace pour étudier le mystère de l’origine de l’univers.
De tout temps les hommes ont observé le ciel, la lune le soleil et les étoiles. À la fin du 19e siècle on commençait à connaître la situation de la planète terre dans l’espace. À cette époque l’astronome Camille Flammarion avait publié de nombreux ouvrages sur ce sujet. Rimbaud fut sensible assez tôt au mystère de l’univers comme le montrent les vers de Credo in Unam envoyés à Banville le 14 mai 1870, mais écrits le 29 avril 1870 :
Pourquoi l'azur muet et l'espace insondable ?
Pourquoi les astres d'or fourmillant comme un sable ?
Si l'on montait toujours, que verrait-on là-haut ?
Un Pasteur mène-t-il cet immense troupeau
De mondes cheminant dans l'horreur de l'espace ?
Et tous ces mondes-là, que l'éther vaste embrasse,
Vibrent-ils aux accents d'une éternelle voix ?
— Et l'Homme, peut-il voir ? peut-il dire : Je crois ?
La voix de la pensée est-elle plus qu'un rêve ?
Si l'homme naît si tôt, si la vie est si brève,
D'où vient-il ? Sombre-t-il dans l'Océan profond
Des Germes, des Fœtus, des Embryons, au fond
De l'immense Creuset d'où la Mère-Nature
Le ressuscitera, vivante créature,
Pour aimer dans la rose, et croître dans les blés ?...
Nous ne pouvons savoir ! — Nous sommes accablés
D'un manteau d'ignorance et d'étroites chimères !
Singes d'hommes tombés de la vulve des mères,
Notre pâle raison nous cache l'infini !
Ces idées n’étaient peut-être pas complètement originales, mais n’oublions pas que Rimbaud n’a que 15 ans quand il écrit ce poème.
Cependant un an plus tard quand le génie du poète explose une idée profondément originale surgit. Ce n’est plus le mystère de l’univers mais le mystère de l’âme que Rimbaud décide d’explorer : « La première étude de l'homme qui veut être poète est sa propre connaissance, entière ; il cherche son âme, il l'inspecte, il la tente, l'apprend. Dès qu'il la sait, il doit la cultiver ; Cela semble simple : en tout cerveau s'accomplit un développement naturel ; tant d'égoïstes se proclament auteurs ; il en est bien d'autres qui s'attribuent leur progrès intellectuel ! — Mais il s'agit de faire l'âme monstrueuse : à l'instar des comprachicos, quoi ! Imaginez un homme s'implantant et se cultivant des verrues sur le visage. »
Il ne s’agit plus ici d’explorer l’univers, mais d’explorer l’âme humaine et de tenter de la sonder. L’idée profonde et nouvelle tient dans cette remarquable formule : « Je est un autre ». Pour Rimbaud il faut avoir du « moi » de l’individu une autre vision. Il estime que nous ne sommes pas les auteurs de notre pensée et ceci mérite une explication. Pour Rimbaud notre pensée est le résultat de toutes les autres, de ce que l’on a lu ; et ce que nous pensons est le fruit d’idées collectives qui sont dans l’air du temps. Un homme quelconque n’a pas d’idées originales. Mais le poète arrive à l’inconnu par un travail sur lui-même. Il cultive une âme « déjà riche plus qu’aucun ».
Pour le dire autrement, l’âme est le miroir inversé du monde extérieur. Elle est insondable elle aussi. On peut concevoir le mystère de la vie en observant le monde extérieur, l’univers infini ; mais le monde intérieur est aussi mystérieux. Chaque être humain observe le monde à travers ces deux mondes. Le profond mystère de l’être est là. Il appartient aux scientifiques de l’étudier, mais des poètes comme Rimbaud ont aussi leur mot à dire. Rimbaud a cru un moment être un Dieu. Il a pensé qu’il allait découvrir un grand secret. Mais cela n’a pas duré. Il s’est opéré vivant de la poésie comme l’a dit Mallarmé. Il avait cru acquérir des pouvoirs surnaturels. Il se rendra au sol avec une réalité rugueuse à étreindre.