lundi 20 novembre 2017

Deux évènements rimbaldiens le samedi 18 novembre à Paris.



Photo Jacques Bienvenu.


Samedi 18 novembre, à partir de 14h, s’est déroulée à la Sorbonne la soutenance de la thèse d'Adrien Cavallaro en présence d’un jury composé d’éminents universitaires. Le candidat a exposé son argument de thèse, puis des questions lui ont été posées par les membres du jury. Adrien Cavallaro a été brillant et c’est tout naturellement que sa thèse a obtenu la meilleure appréciation : mention très honorable avec félicitations du jury. 

Sur notre photographie, au moment solennel où le président du jury, Michel Murat,  annonce le résultat de la délibération à notre brillant rimbaldien situé en face de lui, on peut voir de droite à gauche : Olivier Bivort, Michel Jarrety, Nathalie Piégay, Michel Murat, Henri Scepi, et André Guyaux. Il ne fait aucun doute qu’il faudra compter à présent parmi les nouveaux rimbaldiens importants Adrien Cavallaro qui a tout un programme de recherche en préparation.

Photo Jacques Bienvenu.


Dans un autre registre, le même jour à 16 heures se déroulait tout près de la Sorbonne à la Société des poètes français  une importante conférence de Pierre Brunel venu à l’invitation de l’Association des Amis de Rimbaud et de son président Alain Tourneux. Le sujet de la conférence qui devait s’intituler « Rimbaud en marche » a été modifié pour des raisons que l’on devine par : « Rimbaud l’enfant marcheur ». L’assistance nombreuse a été captivée par un conférencier brillant qui possède une merveilleuse vivacité intellectuelle.

Sur notre photographie on peut voir derrière Pierre Brunel : Alain Tourneux, Sylvain Delbès et Jacqueline Teissier-Rimbaud.

À titre personnel je me réjouis d’avoir pris date en janvier pour réaliser un entretien avec Pierre Brunel qui sera retransmis sur ce blog.


JB

mercredi 1 novembre 2017

Actualité : un article présumé de Rimbaud ; une soutenance de thèse.

Adrien Cavallaro. DR.


On trouvera dans la revue Rimbaud vivant un article présumé de Rimbaud sur Ménélik. Ce texte, paru dans un journal belge en 1888, est à mon avis de l’auteur du Bateau ivre. Je donne toutes les indications qui permettent de le croire. Le prochain numéro de Rimbaud vivant sera réalisé sous la direction d’Alain Tourneux. Elle ambitionne d’être une revue de référence qui s’adresse à la fois aux spécialistes de Rimbaud et aux amateurs du poète. Les communications peuvent être soumises à cette adresse.


Adrien Cavallaro soutiendra une thèse consacrée à la réception rimbaldienne et intitulée "Rimbaud et le rimbaldisme. XIXe siècle-XXe siècle", le samedi 18 novembre 2017, à 14h, en Sorbonne (amphithéâtre Chasles). Les membres de la communauté rimbaldienne qui souhaiteraient assister à la soutenance et se joindre au pot qui la suivra sont cordialement invités. Il leur suffit de signaler leur présence à l'adresse : adrien.cavallaro@gmail.com

Spécialiste de Rimbaud et des questions de réception, Adrien Cavallaro, agrégé de lettres, est rattaché à l'Université Paris-Sorbonne. Sa thèse, dirigée par Michel Jarrety, sera soutenue devant un jury composé d'Olivier Bivort, d'André Guyaux, de Michel Murat, de Nathalie Piégay et d'Henri Scepi. On peut trouver la liste de ses travaux à cette adresse 




Position de thèse

Rimbaud et le rimbaldisme. xixsiècle-xxsiècle

Adrien Cavallaro


Les études de réception rimbaldiennes sont structurées par ce qu’Étiemble appelle, dans une thèse imposante soutenue au début des années 1950, le « mythe de Rimbaud » (1). La notion, négative, porte en germe la dénonciation d’une erreur d’interprétation collective sur l’œuvre et sur la destinée de Rimbaud : tour à tour médecin, procureur et ardent défenseur de la raison, Étiemble met à l’honneur les études de réception dans le seul dessein de préparer au renouveau de la critique interne. Intimidante, cette approche a ravalé les études de réception rimbaldiennes à un rôle de second plan, en aboutissant à un regrettable morcellement. Si, à l’occasion d’innombrables articles,  la bibliothèque rimbaldienne de certains des meilleurs poètes du xxe siècle, Aragon, Claudel, Segalen entre autres, a été partiellement explorée, aucune perspective d’ensemble n’a été donnée depuis Étiemble sur un corpus foisonnant, dont la volumineuse bibliographie alimente le premier tome du Mythe de Rimbaud. C’est cette approche réductrice que nos travaux renversent, en absorbant le mythe dans un champ notionnel plus vaste, positif, que nous appelons le rimbaldisme : celui-ci, en tant qu’expression formelle d’un ensemble de lectures de l’œuvre et de la trajectoire rimbaldiennes – consistant en un un large corpus de productions critiques, fictionnelles, poétiques d’écrivains ou d’universitaires consacrées, par quelque biais que ce soit, à Rimbaud –, voudrait réconcilier l’œuvre et ses meilleurs lecteurs.

En dépit de la désertion du champ qu’avait inauguré Étiemble, cette réception rimbaldienne est bien connue, et l’on peut considérer que son corpus, pléthorique, composite, est constitué. Elle a ses phares, inlassablement repris : le compte rendu des Illuminations par Félix Fénéon dans Le Symboliste du 7-14 octobre 1886 (2), « Le double Rimbaud » de Segalen, donné au Mercure de France en 1906 (3), la grande préface claudélienne du « mystique à l’état sauvage » (4), placée en tête des Œuvres – vers et proses – procurée par Paterne Berrichon au Mercure de France en 1912, l’étude que Jacques Rivière donne à La NRF durant l’été 1914 (5), ou encore le premier chapitre d’Anicet ou le panorama, roman, d’Aragon (1921). Elle est traversée, aussi, par ce qu’Yves Reboul appelle, dans deux articles importants, des « problèmes rimbaldiens traditionnels » (6), c’est-à-dire des problèmes d’interprétation de l’œuvre posés par les circonstances particulières de la réception du poète, et en particulier par l’édifice hagiographique que la sœur de Rimbaud, Isabelle, secondée par son époux, Paterne Berrichon, s’est employée à élever à la mémoire de son frère après sa mort. Ces « problèmes traditionnels » gravitent autour d’une question de premier ordre, qui est la lecture d’une trajectoire existentielle. Ce syntagme désigne la courbe existentielle globale présentée par la succession, chez Rimbaud, d’une vie d’écrivain et d’une vie d’explorateur : sous le regard de générations de critiques, d’écrivains, de chercheurs, la trajectoire rimbaldienne représente cette ligne existentielle brisée, coïncidant tour à tour avec des aspirations d’écrivain, puis avec des aspirations extra-littéraires, et dont le cours est partiellement ressaisi, fantasmatiquement annoncé aussi dans une œuvre qui a longtemps fait office de point de jonction entre les « deux vies », Une saison en enfer. La trajectoire est donc la notion par laquelle une expérience globale se place en excédent de la littérature et l’englobe, tout en étant orchestrée, au moins en partie, dans l’œuvre même du poète. Elle est structurée par deux notions capitales, parfaitement solidaires : le silence littéraire, qui est le thème structurant de toute l’histoire de la réception rimbaldienne, et l’effet de ce silence, que nous appelons la césure entre les deux vies. L’interprétation de la trajectoire est le point de mire de la réception, ce par quoi la considération de l’œuvre est toujours surdéterminée par un cadre interprétatif extra-littéraire. 

Notre réflexion étend le spectre de ces « problèmes traditionnels », à la lumière d’une interrogation du rapport qui se noue entre l’œuvre et sa réception, à laquelle l’approche mythographique prétend systématiquement répondre par une entreprise de dissociation démystificatrice. Les deux principaux problèmes sont corrélés : la question du silence et de sa conséquence pour la réception – la lecture d’une la trajectoire existentielle – présente un premier problème traditionnel d’ordre herméneutique, dont le corollaire est un problème éditorial, que soulève la construction éditoriale de l’œuvre. Un troisième problème, d’ordre poétique, est posé par les multiples réinvestissements de la production rimbaldienne dans les discours critiques, fictionnels, poétiques de la réception, habituellement tenus pour des entreprises plus ou moins concertées de détournements d’un sens interne autosuffisant. Le cinquième problème est biographique : les incertitudes éditoriales, qui concernent la vie littéraire, ont leur corollaire dans les pratiques d’écriture de la vie de Rimbaud, conséquence d’une instabilité des témoignages qui a pu laisser place aux suppositions les plus saugrenues. La perspective démystificatrice se contente de les dénoncer, sans interroger leur statut fictionnel, ni la portée éventuelle de l’herméneutique originale que, bien souvent, les textes biographiques ou pseudo-biographiques mettent en œuvre. Le dernier problème traditionnel regarde le statut des Illuminations aux yeux de la réception, que l’on peut étendre à l’interrogation d’une postérité poétique du recueil. Plutôt que de renvoyer dos à dos l’œuvre et sa réception, plutôt que de conforter l’approche interne de l’œuvre dans la certitude que la réception nous égare sur ces questions, nous postulons que, pour chacune d’entre elles, le rimbaldisme est à même d’apporter solidairement un éclairage original sur l’œuvre, donc de satisfaire aux exigences de la critique interne, et de proposer sur le corpus de réception des aperçus d’ensemble qui mettent en lumière sa capacité à continuer l’œuvre par d’autres moyens.

Nous nous proposons donc de réexaminer ces problèmes en adoptant ce postulat fondamental qu’entre l’œuvre et sa réception s’est immédiatement tissé un lien dont la fécondité poétique, au sens large – le potentiel d’innovation formelle, dans le sillage de l’œuvre –, n’a pas encore été perçu. Le rimbaldisme est avant tout une langue commune, structurée par une grammaire, qui s’installe progressivement dans un inconscient collectif du xxe siècle. On peut retenir une compréhension large de cette langue, qui intègre l’ensemble des modalités selon lesquelles le rimbaldisme est l’expression d’une réponse originale que donne la réception à un poète qui, après avoir voulu « trouver une langue », s’est tu : à ce titre, elle recouvre autant la reconstitution, l’agencement et la promotion éditoriale de l’œuvre, que les cadres interprétatifs, les réappropriations poétiques, les constructions fictionnelles, le brandissement de sésames critiques, tout ce qui concourt à donner à Rimbaud une portée symbolique dans un imaginaire collectif par le biais de réinvestissements de toute nature de l’œuvre. Si le rimbaldisme tient dans l’élaboration d’un ensemble de moyens poétiques, dans les cadres formels et génériques les plus divers – critiques, fictionnels, poétiques pour l’essentiel – qui entreprennent de donner une voix au poète qui a voulu trouver une langue, il désigne donc, de façon générale, l’ensemble des réponses originales que la réception s’est employée à donner au silence du poète. L’étude des avatars de cette langue et de cette grammaire, des conditions de son déploiement, de ses corollaires, de ses ressources thématiques et poétiques concentrera toute notre attention. Dans ces conditions, l’investigation de la réception rimbaldienne revient à mettre au jour l’ensemble des modalités selon lesquelles les écrivains que nous retenons de façon privilégiée écrivent moins sur Rimbaud dans leurs productions textuelles qu’ils n’élaborent avec son œuvre cette langue originale. 

Tout le sel de la réception rimbaldienne, son véritable intérêt, se trouve ainsi dans la compréhension et dans l’approfondissement d’un lien poétique dont les enjeux sont absolument majeurs, à la fois rimbaldiens et extra-rimbaldiens. L’étude de ce lien offre la possibilité de projeter un éclairage neuf sur ce qui est habituellement le privilège de la critique interne, c’est-à-dire l’investigation de l’œuvre, en particulier d’Une saison en enfer et des Illuminations. En retour, un ensemble de textes dont on a jusqu’ici proposé, pour l’essentiel, des présentations descriptives, qui tissent la trame de l’histoire de la réception, seront mis en relation pour pénétrer les modalités selon lesquelles ils concourent à l’élaboration du rimbaldisme. À partir de l’entre-deux-guerres, celui-ci n’est plus seulement une affaire rimbaldienne puisqu’il coïncide progressivement avec les destinées de la poésie moderne, et plus précisément avec la théorisation de cette poésie, autant qu’avec son historiographie.

Nous privilégions une approche fine de l’invention de cette langue commune, sur une période qui coïncide exactement, ou peu s’en faut, avec la période retenue par Étiemble, c’est-à-dire que notre xxe siècle prendra fin dans les années 1950, pour plusieurs raisons. Étrangère à toute ambition d’érudition documentaire, notre approche a pour ambition principale de forger des outils interprétatifs dont les vertus pourront être éprouvées sur des textes qui se situent au-delà de la période retenue. Or l’élaboration de ces instruments est tributaire d’une interrogation serrée de textes particulièrement riches, dont il nous semble peu souhaitable de sacrifier l’examen à ce qui relèverait d’une passion du bibelot rimbaldien. Des textes aussi différents que le premier chapitre d’Anicet ou que la préface du « mystique à l’état sauvage » appellent aujourd’hui des études de fond, au besoin soutenues par des micro-analyses qui permettent de démêler la démultiplication des types de rapports herméneutiques et poétiques entretenus avec l’œuvre rimbaldienne, voire, dans le cas d’Aragon, entretenus avec l’histoire même de la réception. 

Le début des années 1950 constitue par ailleurs un véritable tournant dans l’histoire de la réception rimbaldienne. En 1949, l’affaire de La Chasse spirituelle donne à Breton l’occasion d’écrire avec Flagrant délit l’un des textes majeurs du rimbaldisme, qui propose également un bilan de soixante-dix ans de réception, et qui rend sensible un passage de témoin entre la critique d’écrivains, jusqu’alors largement dominante, et une critique universitaire dont les analyses que propose Suzanne Bernard dans son histoire du poème en prose, en 1959, signent un premier aboutissement (7). Breton croise également le fer avec Bouillane de Lacoste, qui dans sa thèse remet au même moment la chronologie relative d’Une saison en enfer et des Illuminations en question (8), confirmant le sentiment qu’une page se tourne alors. Celui-ci s’accompagne aussi d’un repli de la lecture de l’œuvre à l’époque structuraliste, dans les années 1960 et 1970, avant un renouveau de la critique interne, dans les années 1980 et 1990, dont nous mettons les instruments à profit dans notre réflexion. 

Le défi présenté par notre champ d’investigation n’est pas documentaire, mais engage, au contraire, à promouvoir un corpus resserré de textes qui n’ont pas reçu jusqu’ici le traitement que réclame leur profondeur : il s’agit de se concentrer essentiellement sur ce corpus choisi, qui permet de penser véritablement le rimbaldisme dans toutes ses implications formelles, historiques, esthétiques, ou encore herméneutiques. À ce titre, on peut désigner, par ordre chronologique, un éventail restreint d’auteurs qui sont les piliers de la réception rimbaldienne, et sur lesquels se fonde en priorité notre analyse : Verlaine, Félix Fénéon, Gustave Kahn, au cœur du rimbaldisme symboliste ; Segalen, qui définit les contours de ce que nous appelons l’herméneutique du double ; Claudel et Rivière, piliers du rimbaldisme catholique ; Aragon, qui est le plus grand rimbaldien du xxe siècle, et Breton, essentiel lui aussi, principal théoricien du rimbaldisme surréaliste. D’autres auteurs, qui sont sporadiquement sollicités, apportent une contribution importante à la compréhension du rimbaldisme : il s’agit de Valéry, de Thibaudet, de Jouve, de Char, de Gracq surtout. Enfin, des acteurs importants, qui ne sont pas des écrivains ou des critiques de premier plan, mais dont les ouvrages ou les témoignages jouent un rôle capital dans l’histoire de la réception, doivent être mentionnés, et font partie intégrante de l’histoire du rimbaldisme : Paterne Berrichon, Isabelle Rimbaud et Ernest Delahaye. 

Chez ces auteurs, nous n’avons pas seulement pris en considération les écrits se référant explicitement à l’œuvre ou à la trajectoire rimbaldienne, mais tout ce qui relevait du régime de l’allusion, directe ou indirecte, particulièrement développé chez les surréalistes et bien souvent ignoré des éditeurs. Ce que nous appelons réception rimbaldienne désigne ainsi pour l’essentiel les productions textuelles de ce cercle privilégié, qui prennent pour objet explicite Rimbaud, ou qui se fondent d’une manière ou d’une autre sur son œuvre pour soutenir des réflexions de tous ordres. Cependant, la part littéraire du corpus étiemblien pourra à l’occasion soutenir notre réflexion : l’approche des productions de cette communauté doit avant tout servir à forger un ensemble d’outils dont la validité peut être éprouvée sur l’ensemble du corpus étiemblien, du moins sur la part, vaste, qui ne relève pas essentiellement du mythe. Autour d’un corpus privilégié, nous sollicitons donc de la façon la plus souple un ensemble de textes, pour l’essentiel critiques, mais aussi théoriques, poétiques ou encore romanesques qui contribuent à nourrir notre approche du rimbaldisme. 

L’appréhension mythographique de la réception rimbaldienne inféode l’ensemble des « problèmes rimbaldiens traditionnels » à des interrogations de type herméneutique. Notre compréhension et notre extension des problèmes traditionnels voudraient contester cette exclusivisme herméneutique, en lui substituant un principe d’examen poétique : nos trois parties approfondissent ainsi l’observation du lien entre l’œuvre et sa réception, qui se situe au cœur du rimbaldisme. Six « problèmes traditionnels », dont l’approche étiemblienne pensait pouvoir faire justice, constituent le fil rouge d’une réflexion qui, dans chaque chapitre, entend éclairer réciproquement un pan de l’œuvre rimbaldienne et un aspect d’une réception qui sera toujours envisagée chronologiquement, sauf dans le premier chapitre, qui est théorique. Ce choix chronologique est motivé par le souci d’appréhender au plus près non seulement la constitution de cette langue qu’est le rimbaldisme, mais aussi de suivre sa sédimentation critique, fictionnelle, poétique dans un imaginaire collectif, et de cerner la nature puissamment réflexive de notre objet : mouvement de réappropriation de l’œuvre, le rimbaldisme embrasse progressivement un mouvement de réappropriation littéraire de l’histoire même de la réception dont une appréhension fine rend compte dans chacun de nos six chapitres.

La première partie, « Trouver une voix. Le rimbaldisme, antidote du silence », est essentiellement métacritique. Dans son premier chapitre, elle revient en détail sur la substitution de la notion de rimbaldisme, englobante, à la notion de mythe ; elle se place donc en surplomb des études de réception, qu’elle entend refonder. Dans son deuxième chapitre, consacré à « la légende éditoriale de l’œuvre rimbaldienne », le problème traditionnel de la genèse éditoriale de l’œuvre et de son agencement est repensé à l’aune des pratiques autochtones de reconfiguration d’un parcours poétique, notamment dans Une saison en enfer, sous la bannière de la notion fondamentale de saison, encore peu questionnée. Dans cette première partie, la langue, métaphorique, rend compte d’un processus de circulation entre le poète et sa réception : elle est envisagée comme un apprentissage de l’œuvre et comme témoignage d’une parole rendue au poète qui s’est tu, sur le fondement même de cette œuvre.

La deuxième partie, « Rimbaud, langue critique de la modernité », étudie la part strictement poétique du rimbaldisme. Dans un troisième chapitre consacré aux « régimes d’historicité de la trajectoire rimbaldienne », elle étudie la définition des grands schémas herméneutiques qui ont rendu la trajectoire dépositaire de régimes d’historicité à vocation universelle, principalement au xxe siècle. L’étude de ces schémas est complétée au chapitre IV – « une poétique de la réception rimbaldienne » – par une analyse chronologique de l’avatar le plus spectaculaire de cette langue en partage, qui est la poétique de la formule rimbaldienne. Le problème traditionnel qui est alors repensé est directement corrélé au cœur du mythe étiemblien, qui postule un détournement généralisé de la lettre de l’œuvre. Cette fois, l’acception de la langue est resserrée : le rimbaldisme y prend progressivement les atours d’une grammaire de la pensée de la poésie moderne, nourrie par la lettre de l’œuvre, qui investit un ensemble de discours critiques sur lesquels se concentre plus spécifiquement cette partie.

La troisième partie – « Rimbaud, de toutes façons, partout » – réinvestit enfin les postulats métacritiques, herméneutiques et poétiques des deux précédentes. Elle s’intéresse au traitement fictionnel que certains textes de réception réservent à leur approche de l’œuvre et du parcours, en y puisant un matériau qui constitue ce que nous appellerons un légendaire du poète, dans un cinquième chapitre consacré à l’approche du biographique rimbaldien. Le chapitre VI, « les mirages d’une introuvable postérité poétique », interroge la fiction critique d’une postérité poétique, en particulier, du poème en prose rimbaldien. La compréhension de la langue, dans cette dernière partie, est extensive : elle assimile au chapitre V un ensemble d’images, de scénarios fictionnels, d’épisodes de l’histoire de la réception qui sont l’aliment d’une écriture originale de la légende rimbaldienne – que l’on oppose à la stérilité du mythe ; elle prend enfin la forme d’un sésame critique au chapitre VI, qui reconnaît aux Illuminations une capacité de caractérisation critique générale qui entre en tension, sinon en contradiction, avec une aire d’attraction poétique restreinte, dont la délimitation est problématique.

Notes :


samedi 21 octobre 2017

Des nouvelles de l'Association des Amis de Rimbaud, par Alain Tourneux


Alain Tourneux et Gérard Martin. 21/10/2017. Photo JB

Depuis un an l'Association des Amis de Rimbaud connait une profonde réorganisation qui permet aujourd’hui de dire qu’une étape a été franchie, tout d’abord le retard de la publication de la revue « Rimbaud vivant » vient d’être comblé avec la parution du n° 54 / 55, ce numéro double de plus de 300 pages correspond aux années 2015 et 2016 où la revue n’avait pu paraître. 
On y retrouvera, parmi d’autres, les signatures de Jean-Luc Steinmetz, Jean-Marie Gauthier,  Philippe Oberlé, Alain De Vos, Jacques Bienvenu ou d’Hisashi Mizuno, des hommages à Jean-Jacques Lefrère et Claude Jeancolas y figurent également.

La vie de l’association y est évoquée avec des comptes rendus des conférences les plus marquantes, sont ainsi rappelées les interventions de Pierre Brunel, de Stéphane Barsacq, de Chantal Moret, d’Anne Camus et de Jean-François Laurent président de l’association jusqu’à la mi-octobre 2016.
La revue « Rimbaud vivant » sera certainement amenée à évoluer dans sa forme et dans son contenu, la mise en place d’un nouveau comité de rédaction correspond à cette volonté, la réflexion qui est menée autour d’une nouvelle maquette en témoigne également.

Parallèlement le projet de nouveau site internet vient de voir le jour à l’adresse lesamisderimbaud.org, ce site est désormais ouvert tout en étant annoncé comme étant en construction, sa page d’accueil donne accès à différentes rubriques concernant la vie de l’association, elles donnent aussi la possibilité de consulter rapidement des éléments de biographie et de bibliographie.

Dans l’immédiat ce site permet d’accéder à un simple aperçu de l’ensemble, progressivement et jusqu’ au printemps prochain il continuera à se construire et à s’enrichir au fil de l’actualité rimbaldienne.  C’est grâce à Ernest Pignon-Ernest que la page d’accueil s’ouvre sur une très belle image, de son côté Pierre Brunel a autorisé que des extraits de l’ouvrage édité dans la collection Figures et Plumes participent à l’enrichissement, il en est de même pour les éditions Textuel qui ont autorisé que l’ouvrage « Passion- Rimbaud » de Claude Jeancolas  puisse également y contribuer.

L’association dont le siège social est désormais établi à la Société des Poètes Français, 16 rue Monsieur Le Prince 75006 Paris tient ses réunions mensuelles à cette adresse, sauf exceptions  elles se tiennent le troisième samedi de chaque mois à 16h, les conférences qui y sont organisées s’attachent bien sûr à mieux explorer et à mieux faire connaître l’œuvre du poète.

Une autre richesse de l’association des Amis de Rimbaud / Association Internationale consiste en la présence de correspondants à l’étranger, c’est par exemple le cas de la Belgique, de la Suisse, de l’Italie, de la Pologne et de la Grande Bretagne, mais aussi des Etats-Unis, d’Israël et du Japon et plus récemment de la Chine, le continent africain fera bientôt son entrée.

Pour tout contact le nouveau site internet est à votre disposition, l’unique adresse postale est la suivante : Les Amis de Rimbaud – BP 60202      O8102   Charleville-Mézières Cedex


Note : la photographie qui se trouve en tête de l'article a été réalisée lors de la conférence donnée ce samedi 21 octobre par Gérard Martin conservateur honoraire de la Bibliothèque de Charleville.



jeudi 28 septembre 2017

La grammaire de Rimbaud,un étrange dialogue père-fils


Grammaire que Rimbaud a utilisée. Collection Jacques Bienvenu. DR.
Collection Jacques Bienvenu. DR.

La date d’édition de la grammaire de Rimbaud -1854 - a une importance considérable. Il s’agissait de la sixième édition. Les premières éditions remontaient à 1834. Rimbaud est né en 1854 et le père de Rimbaud a quitté sa famille en 1860. La grammaire a été achetée dans cet intervalle de six années. Ce n’était donc pas une ancienne grammaire du capitaine Rimbaud. Elle était sans doute destinée aux deux garçons Frédéric et Arthur et il y a tout lieu de croire qu’elle était le livre du devoir des Poètes de sept ans comme l’a suggéré dès 1986 le grand rimbaldien Cecil Arthur Hackett. Il écrivait  dans sa belle édition des Œuvres poétiques de Rimbaud, au commentaire de ce poème : « Le livre du devoir, La Bible, ou plus probablement, le livre du travail scolaire ».

Cette grammaire comporte 43 annotations, dont certaines sont en latin, écrites à des dates différentes. 

Elle représente le seul dialogue qui ait existé entre le père et le fils. Mes réflexions actuelles m’amènent a penser que certaines étrangetés grammaticales des poèmes en prose de Rimbaud peuvent trouver là une explication. Je m’appuie sur  l’admirable étude d’Alain de Mijolla : L’ombre du capitaine Rimbaud  qui est l’un des textes plus importants jamais écrits sur Rimbaud. Elle se trouve dans son livre : Les visiteurs du moi, « Les Belles Lettres », 1981.

Photo Jacques Bienvenu.DR.

lundi 18 septembre 2017

la renaissance de l'Association des amis de Rimbaud a été inaugurée par une conférence ce samedi seize septembre



André Guyaux à gauche présenté par Alain Tourneux. PhotoJB.

Le samedi 16 septembre est une date qui sera à retenir pour les rimbaldiens. Elle marque la renaissance de l’Association des amis de Rimbaud due au travail remarquable d’Alain Tourneux, nouveau président de l’association, qui a fait part ce jour-là de la parution du volume 54/55 de la revue Rimbaud vivant numéro double de plus de 300 pages qui correspond aux années 2015 et 2016 pendant lesquelles la revue n’avait pas été publiée. Était  également annoncée la mise en place du site de l’association dont nous pouvons déjà donner ici l’adresse internet

On ne pouvait trouver mieux pour marquer ce renouveau de notre association que la brillante conférence d’André Guyaux intitulée : "La Chasse spirituelle", l'oeuvre perdue de Rimbaud et le pastiche de 1949.

André Guyaux a captivé son auditoire en découpant son exposé en deux parties. D’une part, en racontant l’origine du mythe de ce manuscrit perdu : l’annonce de son existence dans une liste de documents réclamés par Verlaine à la famille de sa femme Mathilde en novembre 1872. Cette liste fut seulement publiée en 1907 par Edmond Lepelletier dans sa biographie de Verlaine. Une autre mention de la Chasse spirituelle était donnée dans une lettre de Verlaine à Philippe Burty du 15 novembre 1872  dont la publication avait été faite en 2001 dans le n° 8 de la revue Histoire littéraire

André Guyaux pendant la conférence. Photo JB.


La seconde partie de l’exposé était consacrée à l’incroyable histoire du pastiche de 1949 qui avait donné lieu à la publication au Mercure de France de ce faux rimbaldien dans une belle édition dont André Guyaux nous a montré qu’elle était calquée sur l’ouvrage de la Saison en enfer publié par Rimbaud en 1873. Ceci fut montré grâce au support d’images projetées qui illustraient admirablement la conférence. Certaines de ces images nous ont plongés dans le Paris des années d’après-guerre où l’on voyait la librairie d’ Adrienne Monnier « La Maison des Amis des Livres » et la fameuse Brasserie Lipp qui étaient des hauts lieus de la vie littéraire parisienne et le théâtre des évènements qui ont marqué l’histoire de ce ce célèbre pastiche.Tout cela se passait non loin de la rue Monsieur le Prince où nous étions réunis.

Le débat qui a suivi la conférence m’a permis de rappeler la thèse que j’avais développée en un article intitulé Les vrais faussaires de la Chasse spirituelle d’Arthur Rimbaud dans laquelle j’expliquais que, selon moi, ce manuscrit n’avait jamais existé. Cet article  avait déclenché l’ire de Jean-Jacques Lefrère accusant mon hypothèse de « thèse imbécile » en un article très polémique de La Quinzaine littéraire dirigée contre la Pléiade Rimbaud d’André Guyaux. J’avais obtenu un droit de réponse dans La Quinzaine toujours dirigée par Maurice Nadeau qui avait été au centre de l’affaire de 1949. Jean-Jacques Lefrère m’a répondu en 2012, dans son livre intitulé : Arthur Rimbaud , La Chasse spirituelle en m’accusant de mauvaise foi et de plagiat, car Pascal Pia lui-même avait écrit dans la préface de la fausse Chasse du Mercure de France  : « c’est évidemment dans le dessein de créer une confusion entre ce manuscrit et les lettres de son compagnon de fugue que Verlaine, contre toute vraisemblance explique à Burty qu’il ne s’agit pas là de véritables lettres, mais de pages éparses du manuscrit de Rimbaud ». André Guyaux a pu lire ce passage peu connu dans l’édition originale de la fausse Chasse spirituelle opportunément amenée par Carole Galtier secrétaire de l’association. Suite à l’intéressant article de Lucien Chovet sur ce blog, je ne peux m’empêcher de parler de « plagiat par anticipation » cher aux membres de l’Olipo. 


Manuscrit en quatrième de couverture.DR.

En ce qui concerne le livre de Jean-Jacques Lefrère, André Guyaux a expliqué que le manuscrit reproduit en quatrième de couverture était un faux réalisé par un procédé infographique à partir du manuscrit des lettres du Voyant. Le maître d’oeuvre de la Pléiade a signalé que ce choix n’était pas très pertinent, car l’écriture de Rimbaud avait changé en 1872 par rapport à celle des lettres du voyant qui date de 1871. Toute cette polémique fait un peu sourire aujourd’hui et le public qui s’est bien amusé à cette évocation ne s’y est pas trompé .

Pierre Brunel à gauche à côté d'André Guyaux. Photo JB.

Signalons pour finir la présence du grand rimbaldien Pierre Brunel membre d’honneur de l’association et qui m’a promis un entretien que je voudrais publier sur mon blog. Jacqueline Tessier Rimbaud notre vice-présidente historique était là aussi.

Cette conférence était vraiment une réussite. 

vendredi 8 septembre 2017

La grammaire de Rimbaud et Walter Scott, par Jacques Bienvenu


Collection Jacques Bienvenu.DR.

On se souvient que dans la grammaire qu'il a annotée, Rimbaud a écrit une maxime au-dessus de celle de son père : 

Pensez tout ce que vous voudrez 
Mais songez bien à ce que vous direz !

Rimbaud n'a pas inventé cette maxime : elle se trouve textuellement dans un roman de Walter Scott intitulé La jolie fille de Perth.




La question que je me suis posée est : dans quelle édition Rimbaud a-t-il lu cet ouvrage ? Ce qui est sûr c'est qu'il la lue dans une traduction de Defauconpret. En effet, dans l'édition de 1855 traduite par La Bédollière on trouve une autre maxime : A ta langue au besoin sache mettre une entrave,/Car la pensée est libre et la parole esclave.

En recherchant d'autres éditions de Walter Scott avec comme traducteur Defauconpret j'ai trouvé celle-ci :


Il me semble que cette édition de 1868 est un bon candidat pour la lecture de Rimbaud. Elle comporte deux récits Le châteu périlleux et De la Démonologie qui pourraient avoir nourri le poète. De la Démonologie surtout est un récit historique qui me semble le plus intéressant, car plusieurs thèmes de Rimbaud y sont abordés. Du moins, on pourra rajouter Walter Scott aux lectures de Rimbaud et Eddy Breuil pourra le rajouter à la liste qu'il a donnée dans une nouvelle édition  du Dictionnaire Rimbaud.

En découvrant ce petit intertexte de Rimbaud, je ne peux m'empêcher de penser à un récit peu connu de Georges Perec : Le Voyage d’hiver. J’en  rappelle le sujet : un jeune professeur de lettres qui prépare une thèse sur l'évolution de la poésie française des Parnassiens aux Symbolistes découvre dans une bibliothèque un livre d’un mystérieux écrivain qui comporte mot pour mot des fragments des auteurs qu'il étudie, en particulier de Rimbaud. Il s'aperçoit avec stupeur que l'édition du livre est antérieure aux publications de ces auteurs. Il se dégage l'amusante notion de plagiaire par anticipation. Les membres de l'Oulipo dont Perec faisait partie sont à l'origine du plagiat par anticipation. Certains membres étaient des mathématiciens comme Raymond Queneau, Jacques Roubaud, François Le Lyonnais. À noter que Jacques Roubaud est l'auteur d'une étude révolutionnaire sur la métrique de Rimbaud : La vieillesse d'Alexandre toujours mal comprise. Ne pas confondre Jacques Roubaud avec son avatar Cor-nul-ier. Lucien Chovet qui a publié sur ce blog avait mentionné dans le titre de son article d'Histoires littéraires : « Marceline Desbordes-Valmore, plagiaire par anticipation de Rimbaud ». 

Pour en revenir à l'intertexte que j'ai découvert, il est trop tôt pour juger de son importance. Il faut d’ailleurs être prudent avec les intertextes que l’on trouve dans l’oeuvre de Rimbaud.Toutefois J’ai la faiblesse de penser que celui que  j'ai proposé pour « splendeurs invisibles » me semble pertinent.

Je n'ai pas tout dit sur la grammaire de Rimbaud et ce sera l'objet de mon prochain article. Je reviendrai ensuite sur le dossier Solde. Le lecteur qui suit  mon blog avec bienveillance comprendra que mon travail de recherche depuis le onze juillet présente une certaine discontinuité au fil de mes découvertes. 

dimanche 3 septembre 2017

La grammaire de Rimbaud et le revolver de Verlaine, par Jacques Bienvenu (mis à jour le 21 septembre)



Un supplément dactylographié à l’exposition Rimbaud de la Bibliothèque nationale en 1954 réserve une surprise. Après la mention de la grammaire de Rimbaud on y voit que le revolver de Verlaine y était exposé !

Cet objet mythique appartenait à Lise Deharme (la bien nommée en l’occurrence). Elle avait été avec Valentine Hugo l’une des muses du mouvement surréaliste. Elle habitait le premier étage d’un immeuble situé en face des Invalides. Son appartement était rempli de meubles curieux et d’objets rares et elle y exposait fièrement le revolver avec lequel Verlaine avait tiré sur Rimbaud comme en témoigne notamment Marcel Schneider dans son livre « Il faut laisser maisons et jardins » édité chez Grasset en 2009.

Il se trouve que tout récemment, le documentaire de la chaîne Arte Au fil des enchères  du dimanche 27 Août dernier était consacré à la vente du revolver de Verlaine réalisée chez Christie’s  le 30 novembre 2016. Ce documentaire a été à nouveau diffusé le lundi 4 septembre.On peut en voir deux extraits.

On reste perplexe après la vision de l’histoire de cette vente. On y découvre la personnalité du vendeur qui évoque la façon dont il a découvert le poète Verlaine après la diffusion du film Total Eclipse, film qu’il aurait vu, selon ses dires en 2012, alors même qu’il avait déjà prêté le fameux revolver en 2004 à l’exposition « Arthur Rimbaud, Une saison en enfer » du palais des Beaux-Arts de Bruxelles. Bernard Bousmanne, le conservateur de la Bibliothèque royale de Belgique, que l’on voit longuement et qui a assisté à la vente ne nous convainc pas quand il explique que l’autorité judiciaire a rendu le revolver à l’armurier en lui disant de bien le conserver, car c’était une pièce à  conviction. On évoque à un moment le problème du numéro de série de l’arme qui nous dit-on ne figure nulle part dans le dossier judiciaire.


Mais cette question essentielle est escamotée, alors qu’il y a quelques années le fameux registre, aujourd’hui introuvable, était avancé comme une preuve à rechercher. On se contente de donner la preuve de l’authenticité du revolver qui se fonde sur une expertise balistique montrant que ce revolver n’avait tiré que deux balles et que l’une des balles n’aurait pas été en mesure de transpercer le poignet de Rimbaud.

Dix ans avant la vente du revolver, Bernard Bousmanne avait déjà exposé toute l’affaire et notamment les expertises balistiques dans son beau livre : Reviens, reviens, cher ami, Calmann-Levy, 2006. Mais il y écrivait (p. 153) qu’il manquait « la preuve indiscutable » : l’étiquette avec le numéro d’inscription et le registre de vente à l’armurier qui n’ont jamais été retrouvés. Bernard Bousmanne concluait : « il faudra chercher encore ». Le problème est que dix ans après on n’avait toujours rien trouvé mais on a jugé bon de se passer de ces preuves indiscutables.

Nous voilà donc  avec deux revolvers. Quel est le bon ? 

La grammaire de Rimbaud nous semble, à vrai dire, un document bien plus précieux et important que le revolver de Verlaine. Feu Jean-Jacques Lefrère écrivait dans sa biographie de Rimbaud (p. 16) que l’exemplaire se trouvait au musée Rimbaud de Charleville ce qui n’est pas exact et c’est dommage, car les chercheurs auraient pu le consulter. Nous allons cependant continuer à parler de ce livre exceptionnel dans la suite de notre dossier Solde.

Je remercie Olivier Bivort de m’avoir communiqué le supplément dactylographié de l’exposition Rimbaud de 1954. Lors des recherches que j’effectuais à propos de la grammaire, je ne m’attendais certes pas à y voir ressurgir le revolver de Verlaine !


Mise à jour le 7 septembre 
Exposition Baudelaire-Bruxelles : Voir cette vidéo

Mise à jour le 21 septembre. Au fil des enchères sur le révolver de Verlaine repasse ce jour sur Arte et sera probablement visible plusieurs jours après.

samedi 19 août 2017

Premier bilan du dossier "Solde" (Mis à jour le 27 août)




Depuis que j’ai écrit un article sur Solde le 11 juillet, il convient de faire un bilan des informations qui ont été publiées.

Mon étude sur ce poème, dont j’ignorais qu’elle allait devenir un dossier a pris appui sur un article récent de Steve Murphy. Je ne crois pas que le sujet principal qu’il développe - la première phrase de Solde - soit pertinent. Pierre Brunel a dit brièvement et exactement ce qu’il fallait dire à ce sujet. Néanmoins l’article de Murphy, comme je l’ai dit, est utile et il a engendré sur ce blog une suite inattendue. 

J’ai, dans un premier temps, montré par une affiche publicitaire du temps de Rimbaud qu’il était inutile de consulter un dictionnaire pour comprendre que le mot Solde était bien attesté dans son sens actuel de vente au rabais. j’ai aussi montré qu’il existait une troisième acception de ce mot dans l’argot des gens de lettres : « chose de médiocre valeur ». Puis j'ai découvert que le mot inquestionnable avec deux n se trouvait dans un dictionnaire consulté sur Gallica.

Suite à cette étude j’ai eu la bonne surprise de recevoir un article de Lucien Chovet qui s’était fait connaître du monde des rimbaldiens par un article publié en 2001 dans Histoires littéraires et qui expliquait l’origine de la phrase : « Prends-y garde, ô ma vie absente ! » qui n’était pas de Rimbaud, mais de Marceline Desbordes-Valmore. Cette découverte a été publiée la même année par Olivier Bivort qui l’avait faite auparavant de manière totalement indépendante.

L’article « Inquestionnable. Louis XVI précurseur de la poésie moderne » de Lucien Chovet mériterait d’être commenté. À première vue, il participe d’un débat ancien sur l’illisibilité des Illuminations en déclarant que certains poèmes de Rimbaud sont volontairement ambigus et que leur sens est indécidable. Cette thèse a été réfutée, mais Lucien Chovet repose le problème en des termes séduisants. Murphy serait d’ailleurs bien placé pour en faire la critique lui qui écrivait naguère : « Nous croyons toutefois avec Riffaterre, que les Illuminations ne peuvent être tenues pour des textes indécidables ». Le texte de Lucien Chovet nous révèle aussi une fascinante traduction de Louis XVI et la qualité littéraire de son article, qui a le mérite d’être bref et dense à la fois, sera à mon avis une référence. Je le remercie d’avoir choisi mon blog pour alimenter un débat qu’il contribue à rendre, je crois, passionnant.

Par ailleurs, je pense avoir élucidé le sens de l’expression « Élans insensés et infini aux splendeurs invisibles » qui ne doit pas être pris dans le sens « explorer l’invisible » de la lettre du Voyant mais dans le sens de « splendeurs invisibles de Dieu » comme le montre un intertexte trouvé chez Victor Hugo. Il faut comprendre que les élans insensés sont des élans mystiques.

Ensuite, en étudiant le manuscrit de Solde, ce qui d’ailleurs avait déjà été fait depuis longtemps, je suis arrivé à la conviction que Rimbaud n’avait pas fait de faute d’orthographe en écrivant « ignore » au lieu de « ignorent ». J’en ai trouvé une belle justification dans la grammaire du père de Rimbaud que le poète avait annotée. Cette découverte toute récente et que j’ai donnée presque à l’état brut appelle des commentaires que j’ai l’intention de publier, car nous sommes à présent au coeur d’un problème profond : le style et la langue poétique de Rimbaud. Voilà la grande affaire ! Naturellement, ces questions essentielles ont déjà été abordées par de très grands rimbaldiens comme : Atle Kittang, Albert Henry, André Guyaux, Cecil Hackett, Pierre Brunel. Plus récemment, c’est encore à Olivier Bivort que revient le mérite de revenir sur ce sujet. J’indique en plus de son article sur la grammaire de Rimbaud déjà cité, les deux articles suivants qui sont en ligne : Rimbaud plus linguiste qu’alchimiste ; Rimbaud et la langue : modélisations et perspectives.

Observons que dans son livre L’art de Rimbaud au chapitre Grammaire de la poésie, Michel Murat écrit : « Il ne s’agit pas de la grammaire de Rimbaud ; celle-ci reste à écrire ». Ceci nous encourage à commencer ici modestement cette étude. Je donnerai prochainement un document inédit sur la grammaire du père de Rimbaud qui fera le bruit d’un coup de revolver et JE PÈSE MES MOTS…

Affaire à suivre donc. J’invite nos amis rimbaldiens, spécialistes ou amateurs passionnés, qui commencent à rentrer de vacances à bien vouloir me donner un coup de main, car le sujet où je m’aventure est ardu.

Mise à jour du 22 août

Il semble qu'un problème similaire à celui du manuscrit de Solde se trouve dans le poème Génie.
Le manuscrit montre une correction qui ne serait pas de Rimbaud  : relevé / relevées



Tous les éditeurs récents ont transcrit : "tous les agenouillages anciens et les peines relevés à sa suite".

Commentaire en préparation.

La discussion se poursuit sur notre précédent article.

Mise à jour du 27 août.

La date d'édition de la grammaire de Rimbaud est 1854. C'est aussi la date de naissance du poète. Vous me suivez ?

jeudi 10 août 2017

Le livre du père (Dossier «Solde»), par Jacques Bienvenu



Collection Jacques Bienvenu. DR.

Rimbaud a écrit dans le poème Solde : « ce qu’ignore l’amour maudit et la probité infernale des masses ». Depuis la seconde pléiade sur Rimbaud la majorité des éditeurs corrige une supposée faute d’orthographe du poète et rectifie en : « ignorent ». On voit bien en agrandissant le manuscrit que la correction au crayon n’est pas de Rimbaud.



Intuitivement j’étais persuadé que « le prodigieux linguiste » avait volontairement écrit « ignore ». Je pense avoir trouvé une raison merveilleuse à cette orthographe de Rimbaud.
Il faut d’abord savoir qu’il existe, ce qui est peu connu, une grammaire ayant appartenu au père de Rimbaud sur laquelle le capitaine avait écrit :

 « La grammaire est la base, le fondement de toutes les connaissances humaines ». 

Rimbaud a écrit au-dessus de la maxime de son père : 

«  Pensez tout ce que vous voudrez 
 Mais songez bien à ce que vous direz ! ». 

Un excellent article d'Olivier Bivort nous avait alertés sur l’importance de ce document en 2004. Une quarantaine d’annotations autographes de Rimbaud y figure.

Dans cette grammaire, que visiblement Rimbaud a méditée, on trouve l’explication de l’accord du verbe que Rimbaud a effectué dans le chapitre qui traite de cette quetion : 



                                     Cliquer sur l'image pour l'agrandir

« Il doit suffire pour faire comprendre que l’emploi du pluriel ou du singulier, dans les verbes, dépend entièrement des vues de l’esprit, et que vouloir contraindre les écrivains à n’employer jamais que le premier, c’est mettre des entraves au génie, c’est priver la langue de ses ressources, de son infinie variété; en un mot, c’est vouloir que les pensées se jettent dans le même moule. Comme le dit avec beaucoup de sens un écrivain, il y a deux classes d’hommes, ceux qui ont du génie et ceux qui en sont privés ».

Suivent deux exemples où les deux sujets sont situés après le verbe comme dans Solde :

À Paris règne la Liberté et l’égalité … (Montesquieu)

Mais pourquoi, dira-t-on, cet exemple odieux
Que peut servir ici l’Égypte et ses faux Dieux ? (Boileau)

La raison du verbe au singulier  dans la phrase de Solde est donnée ici : 

« Lorsque l’on considère SÉPARÉMENT chaque partie d’un sujet multiple, on met le verbe au singulier ». C’est ce que Rimbaud a fait en considérant séparément l’amour maudit et la probité infernale des masses .

Remarquons dans le texte de la grammaire l’importance du mot génie répété deux fois.