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Le Caire.DR.
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Rimbaud a passé 7 semaines environ au Caire à partir du 20 août 1887. Ce qu’il fit exactement dans cette ville reste aujourd’hui encore mal connu. Le but de cet article est de rappeler les évènements sûrs et de faire des hypothèses sur ce que nous ignorons. C’est après le retour épuisant de Rimbaud qui suit sa vente d’armes à Menelik qu’il décida, pour prendre du repos, d’aller au Caire et d’y reprendre des forces. Selon la lettre du 23 août 1887 à sa famille il donne les raisons de son voyage au Caire : « Je suis venu ici parce que les chaleurs étaient épouvantables cette année dans la mer Rouge, tout le temps 50° à 60°, et me trouvant très affaibli après 7 années de fatigues qu’on ne peut s’imaginer et des privations les plus abominables, j’ai pensé que 2 ou 3 mois ici me remettraient, mais c’est encore des frais, car je ne trouve rien à faire ici, et la vie est à l’européenne et assez chère » Puis il ajoute « figurez-vous que je porte continuellement dans ma ceinture seize mille et quelques cents francs d’or, ça pèse une huitaine de kilos, et ça me flanque la dysenterie »
En réalité l’une des raisons importantes de ce voyage au Caire était de déposer les 16 mille francs d’or, à une agence du crédit lyonnais comme il l’écrit le lendemain à sa mère. Par la même occasion il lui demande de lui envoyer 500 francs, car il ne peut retirer l’argent placé à la banque qui doit y rester au moins six mois. C’est un peu curieux, car il aurait pu penser à garder 500 francs pour lui avant de les placer à la banque. Sa mère lui enverra la somme qu’il retirera au Consulat de France. Dans cette lettre il précise aussi qu’il est forcé d’attendre jusqu’au 15 septembre ( pourquoi ?)
Nous connaissons le registre de l’agence du crédit lyonnais dans laquelle il indique qu’il réside à l’hôtel d’Europe, que sa profession est « employé ».
Retenons dès à présent que Rimbaud est allé le 23 août au crédit lyonnais sans le dire à sa mère, puis que le 24 il lui dit qu’il a placé l’argent (peut-être le matin). Nous savons que son adresse donnée au crédit lyonnais à cette date est l’hôtel d’Europe. Le 26 août il écrit à Alfred Bardey en donnant comme adresse : « Poste restante, Caire. Jusqu’à fin septembre. » Pas question de l’hôtel d’Europe. Puis nous sommes informés que le 23 septembre il a retiré son passeport au consulat de France. Le 8 octobre il est à Aden. Que s’est-il passé pendant l’intervalle d’un mois environ ?
C’est ici qu’une autre information capitale nous est donnée. Nous savons que le 25 août 1887 paraît le fameux article de Rimbaud du Bosphore Égyptien retrouvé et publié par Jean-Marie Carré en 1927 qui donne une relation de l’histoire de la récente guerre menée par Ménélik et de sa propre équipée d’Entoto à Harar. On peut penser qu’il est allé voir Octave Borelli propriétaire du journal aussitôt arrivé au Caire, d’autant plus que dans son numéro du 22 août le Bosphore Égyptien signalait la présence du voyageur : « Nous croyons savoir que M. Raimbaud (sic) ne prolongera pas son séjour ici et qu’il prend ses dispositions pour aller au Soudan. » Nous connaissons donc assez bien ce qu’il fit du 20 août au 26 août, mais nous n’avons plus aucune lettre de lui jusqu’au 8 octobre où il écrit à sa mère pour lui dire qu’il a bien reçu les 500 francs au Consulat de France.
Le Caire représentait pour Rimbaud un retour à la civilisation. Il avait passé sept ans entre Aden et Harrar loin des grandes villes européennes, or voici qu’il se trouve dans une ville de 400 000 habitants avec des théâtres, des cafés, des hôtels, des magasins de toutes sortes, le confort de l’eau courante qu’il ne connaissait pas à Harrar. Certes, Le Caire restait une ville marquée par l’orient, mais la présence française depuis l’expédition d’Égypte par Napoléon en avait donné aussi un caractère européen par bien des aspects. Rimbaud d’ailleurs le dit à sa mère : « la vie est à l’européenne ».
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Paul Bourde.DR. |
C’est au Caire que Rimbaud va se souvenir de Paul Bourde dont il avait eu des nouvelles quatre ans auparavant. Bourde avait rencontré Bardey sur un bateau des Messageries Maritimes à la noël de 1883. Il avait appris en discutant avec Bardey que Rimbaud était son ancien condisciple et il savait que Rimbaud commençait à être connu dans un petit cénacle de poètes. On a cru que Rimbaud avait été fâché de faire connaître à Bardey son passé littéraire. Mais pour que Rimbaud pense à écrire à Bourde quatre ans après, il fallait bien que cette nouvelle de la rencontre avec Bardey l’ai marqué. C’est précisément au Caire que Rimbaud écrit à Bourde en lui envoyant ses articles du Bosphore Égyptien pour lui demander de devenir un correspondant international pour le journal Le Temps. Rimbaud a certainement acheté plusieurs exemplaires du Bosphore après sa parution. Voilà donc un fait peu souligné. Il est probable qu’avant d’écrire à Bourde il soit allé consulter les archives du journal Le Temps, probablement à la grande bibliothèque de la ville. Il a pu constater que Paul Bourde était en Corse en 1887, et qu’il publiait des articles à ce propos, qu’il réunira par la suite pour en faire un livre. Certainement ce courrier à Bourde prouve que Rimbaud n’avait pas oublié son passé où il rêvait d’être journaliste. Bourde témoignera dans une lettre à Berrichon qu’il parlait de son passé de poète « avec détachement » dans une lettre qu’il n’a pas conservée. Bourde représentait pour Rimbaud le lien entre son passé de poète et sa nouvelle vie en Afrique.
Son article du Bosphore montre bien qu’il n’avait point perdu le goût de la langue de l’Europe. La poésie n’était plus son sujet, mais son style est très vivant et précis.
Néanmoins, il n’était pas dans l’esprit de Rimbaud de rester confiné. On voit que depuis le 20 août il n’a pas cessé d’agir : déposer son argent au Crédit lyonnais, aller voir Octave Borelli, écrire très rapidement son article pour le Bosphore, écrire plusieurs lettres, à sa famille pour obtenir de l’argent, écrire à Paul Bourde, aller consulter les archives du Temps. Écrire à Bardey pour renouer avec lui ; le 26 août il écrivait à la Société de Géographie pour demander un financement pour une exploration en Afrique. Il se déplaçait avec son domestique pour demander un passeport au Consulat de France (on peut se demander pourquoi Rimbaud avait besoin de son domestique pour son voyage au Caire. )
Rimbaud espérait à ce moment-là une autre vie que celle de commerçant. On voit que ce retour au Caire marque un moment de basculement dans la vie de Rimbaud qui le rapproche de son passé et qui certainement le trouble. Il faut signaler un projet dont on a parlé pour son passage au Caire.
On a pu penser que Rimbaud serait allé à Louxor, car on a retrouvé gravé le patronyme Rimbaud sur un temple. Cela semble peu crédible d’autant plus que Louxor est à 800 km du Caire. On imagine mal un Rimbaud épuisé faire ce long voyage pour admirer les temples de Louxor. À vrai dire on peut plutôt penser qu’il est allé visiter les souks (ou Bazars) très importants au Caire. N’oublions pas qu’il avait été commerçant et qu’il devait être curieux de voir les productions des marchands de cette ville.
Où Rimbaud a-t-il logé entre la fin août et le 23 septembre ? Il a pu être invité à résider chez Octave Borelli qui était connu pour accueillir ses compatriotes de passage. Le fronton d’une de ses maisons portait l’inscription : parva domus, magnas quies ( humble maison, grand repos) ce qui pouvait convenir à Rimbaud qui se disait fatigué. Octave Borelli était un avocat brillant et un notable au Caire. Il fréquentait la belle société, il était mondain. Rimbaud a-t-il rencontré au Caire des compatriotes grâce à Borelli ? Nous n’avons aucun témoignage à ce sujet.
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Place Ezbekieh. Dessin. DR. Gallica. |
Concernant les endroits où Rimbaud est allé au Caire, on peut affirmer qu’il est allé à la plus grande place de la ville : la place Ezbekieh qui était centrale. Le Bosphore Égyptien marque comme adresse pour ses bureaux : siège de la société : sur L’Ezbekieh, rue El husseiny, Maison Alti, À côté de l’hôtel d’Angleterre. Il existait plusieurs hôtels aux environs comme cet hôtel d’Angleterre, mais aucun hôtel d’Europe n’est mentionné dans les ouvrages qui décrivent Le Caire à cette époque. Il serait intéressant de trouver l’emplacement de cet hôtel. Le Consulat de France se trouvait à la place Ezbekieh (mis à jour le 25 novembre).
En conclusion, le passage de Rimbaud au Caire n’a pas été simplement un moment de repos. Il n’avait jamais été dans sa nature de ne rien faire. Il multipliait les projets et activités. Ce retour à la civilisation marque un basculement. Il aurait aimé vivre de sa plume. C’était un retour à l’écriture. Il ne reprendra pas son métier de commerçant avant plusieurs mois.