vendredi 25 février 2011

Les retouches de Berrichon, par Jacques bienvenu.


Autoportrait de Rimbaud en Afrique.Tirage original/Musée Rimbaud, Charleville  



 
                       
                               Autoportrait de Rimbaud en Afrique retouché par Paterne Berrichon




La question de la photographie d’Aden étant réglée, il est temps de revenir aux véritables problèmes que pose l’iconographie rimbaldienne. Celle-ci n’a jamais fait l’objet d’une étude sérieuse, de plus elle a été complètement transformée par le dernier biographe et il conviendra le moment venu d’en faire le bilan.
Dans une « web-publication » à laquelle il a collaboré et donc qu’il approuve, M. Lefrère nie les retouches de Berrichon, tout simplement parce que cette question capitale lui a échappé. Cependant c’est nier l’évidence. Ainsi M. Ruchon a révélé en 1946 un autoportrait original de Rimbaud dont on ne connaissait que la photographie publiée par Berrichon en 1922. Que ce portrait ait été retouché par le mari d’Isabelle Rimbaud est certain. Berrichon lui-même le dit dans sa correspondance avec Isabelle :

« De la photographie d’Arthur au Harrar, voici quel parti je me propose d’en tirer, avec votre assentiment : dès demain, j’irai au laboratoire de M. Lippmann, de l’Académie des Sciences et inventeur de la photographie des couleurs, et lui demanderai s’il n’est pas possible d’en ramener, sur un nouveau cliché, l’intensité. Si oui, nous verrons à faire opérer cette reproduction. Alors, comme cette photographie s’arrange assez bien, une gravure pourrait en être faite. » Ebauches, p. 146

Gabriel Lippmann, physicien français n’était pas n’importe qui et il obtint le prix Nobel de physique en 1908 pour son procédé de reproduction des couleurs, qui serait encore aujourd’hui d’une qualité indépassable.

Dénoncées globalement par François Ruchon en 1946, les retouches de Berrichon sont indéniables. Malheureusement M. Ruchon a fait un grand nombre d’erreurs, publiant lui-même une photographie de Carjat, très mauvaise et retouchée. Cette question est très difficile et je compte expliquer tout cela dans une étude importante, notamment sur les portraits de  Rimbaud par  Carjat, qui réservera bien des surprises. Je pense être en mesure de révéler la vraie image de Rimbaud.


mardi 22 février 2011

L'excellent détective Reinhard Pabst, par Jacques Bienvenu (première partie)

Faisons un peu connaissance avec M. Reinhard Pabst. Celui-ci  est passé récemment sur une radio allemande et il semble que cette intervention soit passée inaperçue en France. Elle date du 9 février et elle a  été faite le même jour que celui de la publication de l'article du Frankfurter. Elle est intéressante, car il précise sa pensée. Sauf erreur, il ne parle plus de sa découverte de la lettre de Dutrieux datée du 16 août. Je suggère à nos lecteurs de se rendre SUR CE SITE
De plus, on peut entendre sa voix EN CLIQUANT ICI

J'en profite pour signaler que l'on a traduit l'expression "Hobby - Rimbaldist"  que M. Pabst a utilisée pour moi  dans son article du Frankfurter par  "Rimbaldien du dimanche". Je crois pouvoir dire que M. Pabst n'a jamais eu l'intention d'utiliser une expression - comment dire ? - un peu dépréciative.
   
M. Pabst a simplement voulu dire que mon métier principal a pour objet les  mathématiques et que Rimbaud est pour moi une activité qui relève d'une passion littéraire. On pourrait d'ailleurs dire cela de M. Lefrère dont le métier principal est  aussi ailleurs, si j'ai bien compris. Mais je ne voudrais surtout pas faire croire que ceux qui ont écrit "rimbaldien du dimanche" ont eu à mon égard une intention malveillante et personne sérieusement ne pourrait croire que dans ce débat d'idées on s'en prendrait aux personnes qui les véhiculent. Je crois tout simplement qu'il s'agit d'une connaissance imparfaite de la langue allemande, ce que je comprends parfaitement car je ne suis hélas pas bien bon en ce domaine. Je poursuivrai bientôt cette causerie sur M Pabst qui mérite le plus grand intérêt.

samedi 19 février 2011

Rectificatif article du "Monde"

Un rectificatif  sera apporté à la dernière phrase de l'article intitulé "Est-ce Arthur Rimbaud ou un autre ?" paru le 19 février.

jeudi 17 février 2011

La réponse de M. André Gunthert

C'est très aimable de prendre la peine de vous attarder sur mes interrogations. Je n'espère plus amener les rimbaldiens à la raison sur ma prétendue "erreur de datation", alors que je ne faisais que prendre, comme je l'ai expliqué déjà maintes fois, le point de repère chronologique de la vulgarisation effective du procédé, dont je vous confirme qu'il diffère des indications publiées, pour des raisons que j'ai expliqué au long dans ma thèse.

Heureusement, tout ceci n'a plus guère d'importance, puisque votre complément d'enquête met effectivement un terme à la question de l'identification de Dutrieux. Certes, le bas-relief semble bien avoir été exécuté d'après la photographie connue, dont il ne serait donc qu'une variante, mais le monument funéraire est évidemment une preuve ...en béton! Je vous tire mon chapeau et vous adresse mes félicitations pour avoir éclairci le mystère de la photo d'Aden. Pourquoi en douter? Est-ce en fonction de votre conception un peu particulière du dialogue intellectuel que vous m'avez rangé à jamais dans la case de vos adversaires irréductibles? Détrompez-vous. Dans ce débat, je ne me suis jamais prononcé qu'en fonction des arguments qui me paraissaient les plus fiables. Votre Dutrieux est désormais une preuve des plus solides. Tous les intervenants de ce débat vous doivent des remerciements. La véritable analyse de l'icône Rimbaud peut maintenant commencer

Monsieur Gunthert et le docteur Dutrieux, par Jacques Bienvenu

M. Gunthert vient de s’exprimer récemment sur la photographie d’Aden et je profite de cette petite actualité rimbaldienne pour  intervenir dans cette discussion. Une nouvelle fois on parle encore de l’inexplicable erreur de datation que M. Gunther a faite concernant la date d’apparition du procédé par le gélatino bromure d’argent. M. Gunthert ayant dit que la décennie 1880-1890 était « très précisément coupée en deux » par l’introduction d’une nouvelle technologie, le gélatino-bromure d’argent ou plaque sèche. Inexplicable,car elle est en parfaite contradiction avec la thèse même que l’auteur à mise en ligne et qui précise qu’  « A partir de 1879, le procédé au gélatino bromure d’argent connaît une extension rapide de sa diffusion en France, d’abord auprès des photographes amateurs, notamment en région,mais aussi des professionnel… » Neanmoins, M. Gunthert conteste les références que j’ai données qui précisent que le procédé est vulgarisé dès 1879 . Alors pour en finir, je l'espère, avec cette question, j’ai mis en ligne deux pages du bulletin de la Société française de photographie de septembre 1879 qui prouve de manière indubitable que le procédé est vulgarisé complètement à cette époque- il suffit de lire. J’ajoute que la probabilité de voir un voyageur ou un explorateur à Aden, connaissant ce procédé est d’autant plus grande que cette ville était sous domination britannique et que le gélatino-bromure s’est rependu initialement en Angleterre. De plus, la présence attestée de deux photographes professionnels fréquentant l’Hôtel de l’Univers rend l’hypothèse Revoil encore plus hypothétique.
Dutrieux/Photographie Thierry Selva/ DR
M. Gunthert reste cependant l'un  des défenseurs les plus ardents de la présence de Rimbaud. Il le fait d’ailleurs tout en finesse, laissant l’artillerie lourde aux autres. Ainsi,  M. Gunthert a parfaitement compris que nier la ressemblance de Dutrieux avec le barbu de gauche était inutile. Cependant, on le voit immédiatement amener des obstacles qui semblent totalement insurmontables. Ainsi, dans un premier temps, il souligne qu’aucun document ne prouve l’absence de Dutrieux à Aden au mois d’août. Cependant, toujours très objectif,  M. Gunthert se range à mon analyse de la lettre de Dutrieux et la déclare très convaincante et donc Dutrieux ne peut être à Aden au mois d’août. Mais voici que se dresse tout d’un coup un nouvel obstacle posé par M. Gunthert : Et si ce n’était pas Dutrieux sur la photo ? ( observons que M. Gunthert ne se pose jamais la même question concernant le pseudo-Rimbaud de la photographie).On a beau préciser que l’homme qui a donné la photographie à la Société de géographie de Paris connaissait Dutrieux, ce qui est un point essentiel (ils étaient tous les deux respectivement membre et secrétaire général de la société de géographie du Caire), cela ne suffit pas comme attestation. Donc,  il nous faut absolument une autre photo pour prouver que c’est bien Dutrieux. M. Gunthert sait bien qu’il est très difficile de trouver un autre portrait, et certainement il pense avoir mis là une bonne barrière et pour longtemps. Alors, je n’ai pas exactement une photo mais une sculpture à lui montrer.


Tombe de Dutrieux à Tournai/Photographie Thierry Selva /Droits réservés
La sculpture ressemble à la photographie que nous connaissons. Alors, on est peut-être en droit de penser que ceux qui ont fait élever ce monument n'auraient pas choisi un portrait qui ne lui ressemblait pas. La photographie aurait donc quelques raisons d'être authentique.
Je précise, en outre, qu'il existe à la Bibliothèque de Bruxelles une lithographie de Dutrieux qui s'inspire  exactement de la photo de la société de géographie mais je n'ai pas l'autorisation de la publier.
M. Gunthert a écrit récemment :
"Le problème n'est effectivement plus l'emploi du temps de Dutrieux. Je l'ai déjà écrit en commentaire de mon dernier billet: l'analyse de Bienvenu sur le courrier du 18 février 1881 me paraît à la réflexion tout à fait convaincante. Reste à vérifier que l'individu sur la photo de la Société de géographie est bien Dutrieux (nous avons déjà vu des cas d'attribution erronée, et l'identification ne se base pour l'instant que sur un seul portrait). Dès lors que nous aurons cette confirmation, il n'y aura plus de raison sérieuse pour soutenir l'hypothèse Rimbaud."
M. Gunthert se rangera-t-il à nouveau à mes raisons ? Va-t-il considérer qu'il n'y a plus de raison sérieuse de soutenir l'hypothèse Rimbaud ? Il est permis d'en douter.

mardi 15 février 2011

samedi 12 février 2011

Rimbaud et le traité de Banville par David Ducoffre (première partie)

Au printemps 1872, Rimbaud a bouleversé comme jamais les règles de la poésie en vers. Impossible de déterminer la césure des vers de onze syllabes du poème Larme. Certains poèmes contiennent des vers faux : une ligne de six syllabes apparaît au milieu des pentasyllabes du poème Âge d’or. Difficile de comprendre le schéma des rimes de poèmes tels que Jeune ménage, Comédie de la soif ou Larme toujours, pour ne pas parler de Bannières de mai. Ce joyeux massacre des conventions a connu des signes avant-coureurs. Par exemple, dès 1871, Rimbaud a pratiqué la rime hybride d’un mot se terminant par un « s » avec un mot qui ne se terminait ni avec un « s », ni avec un « z », ni avec un « x ». C’est le cas de la rime « vert-chou » :: « caoutchoucs » du poème Mes Petites amoureuses, doublement fautive : et le « c », et le « s » discréditent le choix du pluriel « caoutchoucs » comme rime au singulier « vert-chou ». Les audaces de Rimbaud s’inscriraient dans la continuité des audaces des poètes romantiques : Hugo, Baudelaire, Banville et quelques autres. Puis, brutalement, Rimbaud aurait aggravé la démarche provocatrice. Dans un tel cadre de compréhension, les métriciens étaient invités à dater chacun des types de transgressions successives. Avant Rimbaud, la lenteur de cette évolution permettait de mieux comprendre et considérer les résistances du système. A partir de 1872, il ne restait plus qu’à admirer la manière de destruction globale opérée par Rimbaud. Cette façon de voir est un peu schématique et ne manquait pas d’aboutir à un discours plus nuancé, mais nous restions enfermés dans une approche comparatiste entre les corpus des différents auteurs ou des différentes époques. Or, Jacques Bienvenu a découvert une cause externe à l’évolution métrique de Rimbaud : le Petit traité de poésie française de Banville.
Longtemps, nous avions cru que ce traité n’avait été publié qu’en 1872. Le document passait simplement pour contemporain de la dernière manière en vers de Rimbaud et personne ne songeait à l’envisager comme un élément déclencheur. Jacques Bienvenu a révélé que les quatre premiers chapitres de ce traité furent publiés dans L’Echo de la Sorbonne durant les vacances scolaires de l’été 1870. Avec beaucoup de perspicacité, le critique faisait remarquer que Banville avait répondu à la même époque à la première lettre de Rimbaud et qu’il était probable que cette réponse comportât une allusion à la publication à venir. Les quatre premiers chapitres du traité devenaient une source possible d’idées exprimées dans les lettres dites « du voyant », voire d’audaces de versification des trois poèmes contenus dans la lettre du 15 mai 1871 à Demeny. C’est parce que Banville aurait oublié de proscrire la rime d’un singulier avec un pluriel (appellation réductrice commode) que Rimbaud aurait osé balancer en tête de son poème Mes Petites amoureuses la rime provocante « vert-chou » :: « caoutchoucs » dont nous avons parlé plus haut. Telle est la thèse de Bienvenu à laquelle nous adhérons pleinement. On peut remarquer que, inclus dans la même correspondance, le poème Chant de guerre Parisien est connu pour sa rupture dans l’alternance des rimes masculines et féminines au dernier quatrain. Les quatrains précédents s’ouvraient par une rime masculine (sans « e » final) et se concluaient par une rime féminine (avec « e » final), ce qui forme une cadence féminine : « car » / « vertes » / « Picard » / « ouvertes » ou « chaud » / « pétrole » / « faut » / « rôle ». Le quatrain final inversait la distribution par une cadence masculine : « prélassent » / « accroupissements » / « cassent » / « froissements », qui faisait directement se succéder deux rimes féminines distinctes d’un quatrain à l’autre : « rôle » / « prélassent ». Des rimes potentielles avec le titre Odes funambulesques dans les banvilliens triolets du Cœur supplicié envoyé à Izambard et les mentions ironiques en marge des poèmes « Quelles rimes ! » achèvent de conforter cette hypothèse et nous avons évité de vider ici le dossier de manière exhaustive.
Jacques Bienvenu a par ailleurs donné une preuve éloquente de l’importance de cette lecture pour Rimbaud. Dans la lettre qui contient le poème Ce qu’on dit au Poète à propos de fleurs, Rimbaud se présente à Banville comme un « imbécile », ce qui fait nettement allusion au discours maladroit de l’auteur du Petit traité de poésie française accablant de ce nom son lecteur attendu, selon le préjugé qu’il ne serait pas naturellement poète, qu’il n’aurait pas reçu le don inné des rimes et qu’il serait réduit à apprendre à en singer le rendu esthétique par le respect des règles. Peu importe pour l’instant les énormités, bévues et niaiseries accumulées par Banville dans son traité, il n’en est pas moins certain que Rimbaud a dû beaucoup méditer cette lecture théorique d’un praticien pour lequel il avait de la sympathie et une certaine admiration. Or, la suite du traité a été publiée à la toute fin de l’année 1871, à peu près à l’époque de l’hébergement de Rimbaud par Banville. Par conséquent, le traité dans son ensemble pourrait avoir inspiré toute la révolution métrique de Rimbaud pour l’année 1872. Intervient ici une nouvelle thèse de Bienvenu. Paul Verlaine et Arthur Rimbaud auraient longuement discuté entre eux du traité, et ceci nous aurait valu autant les vers de 1872 de Rimbaud que les Romances sans paroles de Verlaine.
Nous sommes en mesure de prouver que Bienvenu a vu juste, et cette preuve ne va pas passer par une analyse au plan des rimes, mais par une analyse au plan du répertoire des mètres.

A suivre…

Bibliographie :

BIENVENU, Jacques, « Ce qu’on dit aux poètes à propos de Rimes », Parade sauvage, colloque n°5, actes du colloque de Charleville-Mézières de septembre 2004, 2005.
BIENVENU, Jacques, « Intertextualités rimbaldiennes : Banville, Mallarmé, Charles Cros », Parade sauvage n°21, 2006.
BIENVENU, Jacques, « L’Art poétique de Verlaine : une réponse au traité de Banville », Europe, n°936 (numéro consacré à Verlaine), avril 2007.

lundi 7 février 2011

L'impossible séjour de Dutrieux à Aden en août 1880, par Jacques Bienvenu

Voici quelques précisions sur la présence supposée possible de Dutrieux à Aden au mois d’août. L’emploi du temps de Dutrieux est mal connu en 1880. On sait seulement par une lettre qu’il se trouve en Egypte en décembre 1880 et qu’il y  parle de son séjour à Siout. Rien ne prouve qu’il y soit au mois d’août et j’émets  les plus grandes réserves sur un document récent qui aurait été trouvé. En fait, il suffit de lire la lettre de Dutrieux du mois de février 1881. Comme je l’ai déjà dit, Dutrieux aurait évidemment signalé au début de sa lettre qu’il avait vu Lucereau en novembre 1879 et aussi en août 1880. Il ne l’a pas fait et cela devrait suffire. Cependant, il se trouve que dans le corps de la lettre une preuve supplémentaire s’ajoute. En effet, Dutrieux cite un compte rendu d’article paru dans un journal égyptien la veille, et il n’en donne que des morceaux. Surtout,  il isole l’extrait suivant qui termine les citations du journal :
  
« […]…M. Lucereau dut retourner à Aden jusqu’au mois de juillet… »

Compte tenu de ce qui suit et de ce qui précède cet extrait, on saisit qu’il s’agit du dernier séjour de Lucereau à Aden, et donc il faut comprendre qu’il est resté seulement jusqu’au mois de juillet 1880. Pierre Dutrieux qui isole cette date, aurait eu encore une occasion de préciser qu’il était au mois d’août avec Lucereau. De plus, le docteur continue à commenter lui-même le journal en parlant des lettres du Caire que « paraît-il » Abou-Beker aurait reçu. Or nous savons que c’est Lucereau lui-même qui a  reçu ces lettres et qu’il les attendait au mois d’août. Les renseignements de Dutrieux sont donc de seconde main, il n’a jamais été à Aden au mois d’août 1880.

Delahaye inventeur de plusieurs poèmes inédits de Rimbaud ? (quatrième et dernière partie) Par David Ducoffre


Il reste d’autres indices d’authenticité à observer de plus près. En 1925, le texte de Delahaye a connu une nouvelle publication sous la forme d’un livre intitulé Souvenirs familiers et c’est une nouvelle version du poème qui nous est alors présentée. Le poème compte quatre vers supplémentaires où se rencontre un même art consommé des procédés hugoliens. Le trimètre par répétition avec proclitique à la césure : « J’ai mon fémur ! J’ai mon fémur ! J’ai mon fémur ! », s’inspire des audaces les plus avancées du théâtre hugolien et des Fleurs du Mal de Baudelaire. On retrouve cette pratique chère à Hugo et Verlaine des répétitions distribuées pour ainsi dire contradictoirement au plan métrique : « C’est cela que depuis + quarante ans je bistourne », « Ce fémur travaillé depuis quarante années ! » Les quatre vers supplémentaires remplacent précisément une ligne de points de suspension de la version de 1908, ce qui prouve que Delahaye avait eu d’emblée conscience de présenter un texte tronqué à cet endroit. Ajoutons que ces quatre vers favorisent l’équivoque obscène autour du mot « fémur ». Ces quatre vers auraient-ils été censurés en 1908, du vivant d’Isabelle ?
Le témoin de la vie de Rimbaud a fini par sacrifier la mention du premier hémistiche avec son occurrence verbale déroutante : « irruait ». Mais, ce qui doit attirer l’attention, c’est le toilettage de la ponctuation. Nous avons pu voir plus haut que, tant dans ces vers-ci que dans sa relation en prose, Delahaye proposait en abondance des points d’exclamation suivis de points de suspension « !... » ou « ?!... » Cette ponctuation sauvage est sanctionnée sur le texte imprimé de 1925, où apparaissent des points d’exclamation autosuffisants : « Apôtre ! », « des décavés / De nous ! », « chauve ! », « quarante ans de siège ! » Les guillemets disparaissent également. Seul Steve Murphy a songé à relever de telles variantes. En revanche, nous ignorons par quel tour de prestidigitateur, celui-ci peut soutenir que le trimètre « J’ai mon fémur ! J’ai mon fémur ! J’ai mon fémur ! » était transcrit : « J’ai mon fémur ! j’ai mon fémur ! j’ai mon fémur ! » en 1908, alors même qu’il admet que ce vers et les trois qui le suivent en 1925 étaient absents de la version initiale, comme il est facile de le vérifier ci-dessus. Dans tous les cas, ce toilettage est révélateur. Le poème témoigne de pratiques propres au dix-neuvième siècle et, si cette ponctuation enrichie est familière à la prose de Delahaye, va-t-on croire qu’il en usait indifféremment en fait de poésie en vers ? Ce manque de respect est plus probablement rimbaldien. A première vue, de telles audaces sont locales, peu abondantes même, sous la plume d’Arthur. Quelqu’un dira : « Zut alors, le faussaire serait bien un Delahaye autrement entreprenant que Rimbaud ! » Non, car cela est d’autant moins vraisemblable que deux poèmes rimbaldiens de L’Album zutique présentent un recours plus abondant à ce procédé particulier de ponctuation. Or, ce fameux Album zutique n’a été découvert que bien après les publications des Souvenirs familiers en 1908 et 1925 : Delahaye n’a donc pas pu s’inspirer du poème Exil dont cinq vers sur six se ponctuent par un point d’exclamation suivi d’un nombre variable de points de suspension : « !.... », « !.. », « !.... », « !.... », « !... », ni des Remembrances du vieillard idiot, autre poème satirique animé qui présente cinq exemples d’un tel type de ponctuation « !... », à quoi ajouter une variante avec point d’interrogation « Pardonné ?... » et sans doute aussi le cas tout de même bien particulier de la clausule, point d’exclamation plus point final : « et tirons-nous la queue !. » Selon Steve Murphy en 1999, Rimbaud « semble avoir inscrit des points de suspension après le mais qui n’apparaissent pas dans le fac-s. » La remarque nous paraît plus que jamais bien fondée. Il est désormais difficile d’en douter : Delahaye a réellement retranscrit un manuscrit rimbaldien !...
Enfin, dans son édition des Poésies, Steve Murphy a attiré l’attention sur la disposition des rimes. Il s’agit à l’évidence d’un poème en quintils. Quatre strophes nous sont finalement parvenues. Le premier quintil connu ne semble incomplet que pour les trois syllabes d’un nom de convention que Delahaye a préféré taire pudiquement. Mais, à s’en fier à la version de 1908, ce quintil débute par une proposition relative : « Dont la nef irruait… » Il nous manque donc le début du poème. Prétendue quasi-totalité du poème, la version de 1908 était amputée de quatre vers du troisième quintil connu : ne nous manquerait-il qu’un seul quintil initial ? Comment expliquer cette perte du début du poème, perte qui rappelle le cas d’un autre poème en quintils L’Homme juste dont il nous manque les vingt premiers vers ? Delahaye avait-il accès à un manuscrit mutilé ? Les feuillets du poème avaient-ils été séparés ? Le début du poème était-il transcrit en fin d’une lettre ayant disparu ? La pudeur suffirait-elle pour expliquer la non divulgation du début du poème ?
Pourquoi Delahaye a-t-il par ailleurs maintenu des lignes de pointillés après chacun des deux premiers quintils ? Il est pourtant tentant de lui faire confiance quand il prétend citer la quasi intégralité du poème. Etrangement, la fusion des troisième et quatrième quintils connus ne relève pas que du défaut d’impression de l’édition des Souvenirs familiers en 1925. Car, c’est en 1908 même que Delahaye a commis l’erreur de publier le dernier vers du troisième quintil connu en compagnie des quatre seuls vers connus du dernier quintil. Mal rimée, la « strophe » de 1908 était parfaitement hybride, mais nous ne pouvons manquer de reproduire ici l’état nouveau de 1925, dont on ne s’explique pas qu’il ne soit pas d’une correction achevée. Quatre vers inédits permettent le rétablissement d’un quintil entier, mais, de manière inexplicable, c’est le vers central du dernier quintil qui continue de manquer désespérément à l’appel. Ces quintils ont un schéma de rime du type ABABA. Fait non signalé par Delahaye, celui-ci a omis la mention d’un antépénultième vers avec une rime en « -nées » ! Ce vers absent figurait-il au bas du feuillet manuscrit ? Le feuillet était-il déchiré, altéré à cet endroit ? Y avait-il des raisons de ne pas divulguer cet alexandrin ? Delahaye l’a-t-il oublié en 1908, avant d’oublier de le rajouter en 1925 ? Encore une fois, il est impossible de rien résoudre en l’état actuel de nos connaissances. Les quatre vers inédits invitent tout de même à penser que Delahaye a consulté le manuscrit au-delà de 1908, à moins qu’il n’ait tenu en réserve ces quatre vers sur une transcription personnelle. Citons ce passage, mais aussi un extrait de la prose qui l’encadre et qui témoigne d’un remaniement important du texte :

[…] Dans une autre pièce, l’auteur du pamphlet républicain est pris à partie de façon bien plus rude. Il se trouve cette fois en présence de l’ennemi qu’il menace dans son influence, dans sa gloire, et ici je puis citer bonne part d’un morceau très amusant. Ecoutez cet homme qui accourt, essoufflé, haletant de fureur :

…………………………… Vous avez
Menti, sur mon fémur, vous avez menti, fauve
Apôtre ! Vous voulez faire des décavés
De nous ? Vous voudriez peler notre front chauve ?
Mais moi, j’ai deux fémurs bistournés et gravés !
………………………………………………………
Parce que vous suintez tous les jours au collège
Sur vos collets d’habit de quoi faire un beignet,
Que vous êtes un masque à dentiste, au manège
Un cheval épilé qui bave en un cornet,
Vous croyez effacer mes quarante ans de siège !
……………………………………………………....

Alors il se redresse, majestueux, superbe, il confond le Nord-Est et le pulvérise à jamais :
J’ai mon fémur ! J’ai mon fémur ! J’ai mon fémur !
C’est cela que depuis quarante ans je bistourne
Sur le bord de ma chaise aimée en noyer dur ;
L’impression du bois pour toujours y séjourne ;
Et quand j’apercevrai, moi, ton organe impur,
A tous tes abonnés, pître [sic !], à tes abonnées,
Pertractant cet organe avachi dans leurs mains,
Je ferai retoucher, pour tous les lendemains,
Ce fémur travaillé depuis quarante années ! (1)

Une telle littérature, bien qu’elle s’égayât aux dépens de ses adversaires ne captiva point M. N…  Cela vraiment le sortait par trop de ses habitudes.

(1) On m’excusera d’expliquer une chose que tout le monde comprend. Il s’agit d’un « assis », vieillard obstiné à ne pas changer d’opinion et qui symbolise le Courrier des Ardennes ; il est resté si longtemps sur la même chaise que les bords du meuble ont « travaillé » ses fémurs comme le ciseau d’un sculpteur.

Cette note explicative de Delahaye montre bien qu’il ne maîtrise pas le sens du poème. S’agit-il d’un voile pudique jeté sur l’obscénité du recours au singulier « fémur » ? Une impression domine fortement. Tout se passe comme si le scripteur n’avait pas conscience d’avoir affaire à un poème en quintils. Les deux premiers sont séparés par des pointillés au lieu de simples blancs typographiques. Les deux suivants sont fondus l’un dans l’autre. Nous ne pouvons souscrire à la présentation du poème par Steve Murphy dans son édition des Poésies. Les deux derniers quintils sont annoncés par un texte en prose qui les isole des deux quintils précédents, tandis que les lignes de pointillés ne peuvent être clairement associées ni à une initiative du poète, ni à un état lacunaire du document. Enfin, ni en 1908, ni en 1925, Delahaye ne fait observer la lacune de l’antépénultième vers, lacune évidente au plan du schéma des rimes. C’est Steve Murphy seul qui a ciblé cette anomalie dans son édition de 1999, mais en l’accompagnant d’une note maladroite qui laisse penser que Delahaye lui-même nous avait averti : « Le poème semblerait être organisé en quintils (non-typographiques si l’on peut se fier à Delahaye) avec le schéma rimique ababa : un v. manque ainsi au dernier quintil à l’endroit indiqué. » Cette remarque critique révèle un penchant de Steve Murphy à croire en l’authenticité du poème. Toutefois, Delahaye n’avait rien remarqué du tout au plan de la versification du poème, ce qui ne contribue pas peu à épaissir le mystère de cette citation. Est-il possible qu’il n’ait pas eu accès à un document de première main ? Comment a-t-il pu ajouter quatre vers au poème ?
Pour ceux qui voudront proposer ces deux derniers quintils, nous oserons suggérer la transcription suivante (notez bien notre ponctuation hypothétique du trimètre !...) :

J’ai mon fémur !...  J’ai mon fémur !... J’ai mon fémur !...
C’est cela que depuis quarante ans je bistourne
Sur le bord de ma chaise aimée en noyer dur ;
L’impression du bois pour toujours y séjourne ;
Et quand j’apercevrai, moi, ton organe impur,

A tous tes abonnés, pitre, à tes abonnées,
Pertractant cet organe avachi de leurs mains,
[…]
Je ferai retoucher, pour tous les lendemains,
Ce fémur travaillé depuis quarante années !


Inutile de continuer à songer à de pures inventions de la part de Delahaye. La question est de savoir qui possédait des manuscrits des « Immondes », celui d’un huitain de juin 71 à l’encontre de Desdouets (que Delahaye n’a pas daigné rappeler dans son livre de Souvenirs familiers de 1925) et un fragment de poème en quintils ? Delahaye ? Perrin ? Berrichon ? Verlaine ? Nouveau ? Un ardennais ? Où se trouvent aujourd’hui ces manuscrits ? Voilà de vraies et pour l’instant insolubles questions. Et quel grand manque de lucidité du public rimbaldien !... Quelle leçon !... Pour prendre les choses à tout le moins, cela nous a valu de laisser filer les manuscrits de deux poèmes inédits !…

jeudi 3 février 2011

Dutrieux à Aden en août 1880 ?

M. Gunthert s'est exprimé récemment sur la question de la présence de Rimbaud sur la photographie d'Aden. Il termine son article de la façon suivante :

"N’en déplaise à  Desse et Caussé, je ne suis pas convaincu par les comparaisons de portraits proposant d’identifier le personnage barbu comme étant Georges Révoil, et trouve la ressemblance avec Dutrieux plus évidente. Il faut remercier Jacques Bienvenu pour ce nouveau progrès dans l’étude du document. Mais la photo d’Aden porte l’empreinte d’une réalisation technique qui doit être mise en cohérence avec les autres informations disponibles, et qui désignent toutes le mois d’août 1880. Dutrieux, qui était en Egypte cet été-là, est-il passé par Aden à ce moment? Aucun document ne permet d’établir le contraire. Mais avec un peu de malice, on peut affirmer qu’il en existe un qui l’atteste bel et bien: c’est la photo de l’hôtel de l’Univers."

M.Gunthert dit qu'il n'y a aucun document qui  permette d'établir que le docteur Dutrieux n'était pas à Aden au mois d'août. Curieuse façon de présenter les choses. Peut-être faudrait-il commencer par inverser la proposition et dire qu'il n'y a aucune preuve qu'il y soit allé à cette date. Cependant je suis en mesure, avec un peu de malice, de prouver que M.Dutrieux n'était pas à Aden au mois d'août. Je donnerai cette information détaillée ces prochains jours. En revanche, j'approuve M. Gunthert quand il trouve que la ressemblance avec le barbu d'Aden est évidente. Signalons aussi que M.  Desse a  publié un dossier iconographique "Rimbaud retouché" sur le site Culture visuelle dont M. Gunthert est le directeur de la publication. Ce dernier semble avoir participé à ce dossier avec Jean-Jacques Lefrère. Il semble aussi qu'on y fasse référence à certains articles publiés dans le blog Rimbaud ivre.

mercredi 2 février 2011

Article "Rimbaud n'est pas Rimbaud"

 Voir sur l'excellent site d'Arrêt sur image, l'article "Rimbaud n'est pas Rimbaud"
Je précise ce que l'article qui vise à l'essentiel n'a pu dire, que pour l'identification de Dutrieux, je suis associé avec Daniel Courtial et pour l'identification de Lucereau, je suis associé avec David Ducoffre. Je ne suis pas seul à défendre la thèse que Rimbaud n'est pas sur la photographie. C'est un travail d'équipe !