Le sonnet des Voyelles est, à plus d’un titre un poème majeur de Rimbaud. Après que Verlaine en eu révélé l’existence dans ses Poètes maudits, d’abord dans la revue Lutèce en 1883, puis en plaquette en avril 1884 chez Vanier, Rimbaud fut pendant une longue période connu essentiellement comme l’auteur de ce poème. Il s’était créé à Paris au Quartier latin une école qui se réclamait de ce poème. Rimbaud était devenu sans le vouloir un chef de l’école décadente et symboliste. Il l’avait appris en 1888 par une lettre de Paul Bourde qui lui écrivait : « quelques jeunes gens ont essayé de fonder un système littéraire sur la couleur des lettres ». Dans la presse de l’époque on parlait du « fameux » ou du « célèbre » sonnet des Voyelles. La Nouvelle Revue de novembre 1887 citait « le fameux sonnet des Voyelles » suivi de cette remarque : « tel fut le premier manifeste de l’école symboliste ». Un réédition des Poètes maudits était donnée en 1888. Le 10 janvier 1890 dans L’Écho de Paris Maupassant citait le « célèbre sonnet d’Arthur Rimbaud, qui raconte les nuances des voyelles, vraie déclaration de foi, adoptée par l’école symboliste. » Maupassant poursuivait : « Pour beaucoup de nos grands hommes ce poète est un fou ou un fumiste. Pour d’autres il a découvert une absolue vérité. » On voit se dessiner ici deux opinions qui resteront longtemps d’actualité. Il y aurait un côté fumiste du sonnet déjà entrevu par Verlaine qui le considère « un peu fumiste » dans sa préface aux Poésies complètes de Rimbaud en 1895. De même, François Coppée a publié dans les Annales politiques et littéraires, en 1893, une Ballade des vieux Parnassiens qu’il convient de retranscrire ici :
Rimbaud, fumiste réussi,
Dans un sonnet que je déplore,
Veut que les lettres O, E, I
Forment le drapeau tricolore.
En vain le décadent pérore,
Il faut sans « mais », ni « car », ni « si »
Il faut sans « mais », ni « car », ni « si »
Un style clair comme l'aurore :
Les vieux Parnassiens sont ainsi.
En revanche dans son Traité du verbe, René Ghil avait pris très au sérieux la couleur des voyelles en en faisant toute une théorie dont Verlaine se moquait gentiment.
Un ouvrage de E. Vigié-Lecocq, La poésie contemporaine (1884-1896), résumait les impressions sur le sonnet de Rimbaud, faisant référence à l’audition colorée qui était en vogue à ce moment.
« Est-ce fantaisie d’ironiste ou observation curieuse de psychologue, se demanda-t-on ? Puis les témoignages se sont multipliés. On a constaté un phénomène rare et tout subjectif. Dans le cas d’audition colorée, chaque son varie de teinte suivant l’oreille qui le perçoit et ces impressions un peu flottantes échappent ou se faussent si l’on veut les déterminer rigoureusement. » Puis il donne un sonnet qui rend des impressions différentes de celles de Rimbaud.
Pour nos sens maladifs voluptueusement
Les sons et les couleurs s’échangent. Les voyelles,
En leurs divins accords, aux mystiques prunelles
Donnent la vision qui caresse et qui ment.
A , claironne vainqueur en rouge flamboiement,
E, soupir de la lyre, a la blancheur des ailes
Séraphiques. Et l’I, fifre léger, dentelles
De sons clairs, est bleu céleste ment.
Mais l’archet pleure en O sa jaune mélodie,
Les sanglots étouffés de l’automne pâlie
Veuve du bel été, tandis que le soleil
De ses baisers saignants rougit encore les feuilles.
U, viole d’amour, à l’avril est pareil :
Vert, comme le rameau de myrte que tu cueilles.
Cependant les études sur le sonnet des Voyelles vont continuer pendant tout le vingtième siècle.
À suivre…
Dans le Mercure de France du 1er novembre 1904, Ernest Gaubert proposait une « explication nouvelle du Sonnet des Voyelles d’Arthur Rimbaud », une des rares interprétation encore retenue de nos jours.
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