mardi 23 novembre 2010

"Polémique autour du visage de Rimbaud", deuxième partie, par Jacques Bienvenu


Première photographie Carjat retouchée
avec " la marque de la famille"
sous la lèvre inférieure

Dessin de Berrichon envoyé à Isabelle Rimbaud

Comme nous l’avons vu, (cliquer sur le lien bleu précédent pour lire la première partie) la polémique ou plutôt la controverse sur le portrait de Rimbaud par Garnier cessa le 28 juillet 1951 dans Le Figaro littéraire. Dans une lettre du 23 juin 1951, René Char écrit à un ami qu’on lui signale ce jour une « baveuse » dans Le Figaro littéraire à propos de Rimbaud. Il souhaite organiser une « contre-attaque unique et définitive avec quelques preuves solides pour empêcher que cette affaire pourrisse ». Il suggère que des amis écrivent au Figaro pour étayer la thèse de l’authenticité et « rapidement rétablir l’équilibre du pour et du contre, le contre étant trop nombreux ». Il souhaite aussi qu’une radiographie de la peinture soit faite d’urgence. Il ajoute : « il ne faut pas nous endormir ». On observe que René Char éprouve le besoin de donner des preuves solides et, pour cela, il demande que soit faite d’urgence une radiographie. On voit aussi que le poète de L’Isle-sur-la-Sorgue avait compris en son temps toute l’importance d’une stratégie médiatique dans ce genre d’affaires. Mais il ne réussit pas à faire publier d’autres articles puisque l’on sait que Le Figaro littéraire abandonna rapidement la polémique sur une interrogation.
Il fallut attendre le début de l’année suivante pour qu’une étude assez longue, mais très peu connue, soit faite par un certain Jules Lefranc dans un article intitulé : Encore Rimbaud ! publié dans la Revue Palladienne N°17. M. Lefranc expose des arguments qui l’amènent à penser que ce tableau ne représente pas Rimbaud. Cependant, il a fait des recherches et reconnaît qu’il existait bien en 1872 une entrée Bd d’enfer au cimetière Montparnasse, juste en face de la rue Campagne première, cette entrée ayant été supprimée par la suite. M. Caradec reprendra cette question en lui donnant quelques précisions, en 1989, dans un article de Parade sauvage intitulé : « Devant la porte du cimetière du Sud ». Toutefois, M. Lefranc accumule les raisons qui lui font douter que Rimbaud ait pu être représenté sur le tableau. Il s’étonne qu’on attribue ce portrait à un certain Alfred-Jean Garnier dont on ne connaît même pas l’écriture. Il se demande pour quelle raison le tableau est daté de 1873 au recto sur le portrait et de 1872 au verso au dos de l’exécution. Il reprend l’argument de la raie de la chevelure à droite, qui est à gauche dans les portraits authentiques. Il trouve que le nez retroussé de Rimbaud ne correspond pas à celui du portrait. Surtout, il note que Rimbaud, qui a une tête d’enfant en 1872, comme dans le portrait de Fantin-Latour à la même époque, « fait adieu à sa juvénilité » dans celui de Garnier. Il s’étonne que Rimbaud ait posé en plein hiver sur un trottoir. Il ajoute : « Est-il raisonnable d’admettre que ce jeune homme grave, correctement coiffé et habillé représente le bohême Rimbaud, qui vers le moment de son retour de Charleville (en mai) recevait de Verlaine les recommandations suivantes : Faire en sorte au moins quelque temps d’être moins terrible d’aspect qu’avant : linge cirage peignage, petites mines ? » M. Petitfils fit un résumé de la controverse dans le « Bulletin des amis de Rimbaud » en mars 1952. Il écrivit avec humour : « rien donc ne s’oppose a priori à l’authenticité de ce portrait, si ce n’est pour certains, le portrait lui-même… » M. Petitfils maintenait néanmoins que le portrait était ressemblant par « la particularité des boursouflures du bas du visage qui caractérisaient aussi la physionomie d’Isabelle. » Pourtant, sur cette dernière question, M. Petitfils va changer radicalement d’avis. Dix ans après, dans sa première biographie de Rimbaud, on peut lire : « Il semble que l’auteur, le peintre Alfred-Jean Garnier, ait fait une esquisse directe en 1872, puis qu’en 1873 (date du tableau au recto) il ait ajouté maladroitement une couleur pesante et blafarde, qui a supprimé toute ressemblance. » Ceci est confirmé dans l’Album Rimbaud de la Pléiade, cosigné par Pierre Petitfils et Henri Matarasso, où il est écrit à propos du portrait attribué à Garnier et présenté comme présumé : « On suppose que son croquis a été alourdi par la surcharge d’une peinture exécutée l’année suivante et qui a ôté toute ressemblance ».
En 1954, le portrait est montré comme présumé à l’exposition du centenaire. Il fut représenté au musée d’Orsay en 1991 avec comme légende du catalogue : (Alfred-Jean ?) Garnier, Rimbaud( ?), 1872-1873. On voit bien que, 40 ans après, la question de savoir si Rimbaud est représenté sur le portrait est loin d’être réglée. Dans la version que nous avons donné du tableau et qui est fidèle à l’original on observe, en outre, que Rimbaud n’a pas les yeux bleus. Sa coiffure ne correspond pas non plus à ce que nous savons de Rimbaud en 1872 par le portrait de Fantin-Latour et par les dessins de Verlaine où le poète de Charleville a les cheveux longs.
Toutefois, dans sa biographie de 2001, Jean-Jacques Lefrère est catégorique : « Ressemblant et authentique, ce portrait l’était pourtant, mais il ne correspondait pas à l’imagerie traditionnelle : c’est son principal défaut. »
Examinons à présent les deux points qui méritent d’être discutés ici : l’authenticité et la ressemblance.Commençons par le premier point et rappelons les données du problème. L’origine du tableau est inconnue. C’est pourtant un élément décisif dans l’authentification d’une œuvre d’art. L’auteur du portrait n’est nullement établi, comme le reconnaît d’ailleurs M. Lefrère. La date écrite au recto ne correspond pas à celle du texte au verso. Ceci laisse donc la place à l’hypothèse d’une inscription manuscrite apocryphe, faite après coup sur un tableau de 1873 qui représenterait une personne inconnue. N’oublions pas le contexte historique. On est très proche en 1951 du fameux canular de La Chasse spirituelle qui a débuté en 1949 et qui a duré de longs mois. Le Figaro littéraire avait publié quelques années auparavant une fausse carte postale de Rimbaud adressée à Ernest Delahaye et on a longtemps cru à son authenticité, jusqu’à ce qu’un collectionneur signale, dans la revue Parade sauvage, que cette carte relevait d’un modèle de production en série nettement postérieur. Alors, on s’est seulement rendu compte du caractère invraisemblable de cette blague et du problème d’anachronisme qui concernait l’adresse de Delahaye. Un portrait de Rimbaud par un certain Jef Rosman était aussi apparu peu avant dans les colonnes du Figaro Littéraire qui fut aussi contesté à l’époque. Il partage avec le tableau attribué à Garnier ce fait artistique rare du morceau de bravoure littéraire où le peintre n’oublie pas de préciser scrupuleusement dans le détail le moment et l’endroit de son exécution. De même, l’identité du peintre Jef Rosman n’a jamais été clairement établie. On comprend alors le titre de l’article de Jules Lefranc : Encore Rimbaud ! Par ailleurs, pour le Garnier, aucune expertise n’a été réalisée. Comme nous l’avons vu, René Char voulait à l’époque de la controverse dans le Figaro littéraire faire une radiographie du portrait, mais celle-ci ne fut jamais exécutée. Il ne nous paraît pas possible d’affirmer ainsi l’authenticité du tableau dans de telles conditions.
Passons à la question de la ressemblance qui est peut-être la plus intéressante. Dans le Cahier de l’Herne de 1993, on trouve dans la « Chronologie de Rimbaud et du rimbaldisme », à la date de 1951 : « René Char et Jacques Dupin font reproduire et présentent dans Le Figaro littéraire, un portrait inconnu de Rimbaud, d’Alfred-Jean Garnier, si peu ressemblant que, malgré l’inscription au verso, il restera présumé ».
En effet, pour quelqu’un qui a en face de lui les portraits authentiques de l’époque, à savoir les photographies Carjat et le portrait de Fantin-Latour, il saute aux yeux que le Garnier ne leur est pas ressemblant. Pour quelles raisons M. Lefrère va-t-il à contre-courant d’un fait qui semble évident ? Le mieux est de lui laisser la parole : « Garnier n’a gommé ni les lèvres épaisses, ni les boursouflures et les méplats du bas du visage des Rimbaud : la marque de la famille selon Julien Gracq ». Quelle est au juste cette marque de famille selon Julien Gracq ? Voici ce que l’auteur du Rivage des Syrtes dit exactement : « Rimbaud. Je regarde ses portraits d’adulte, ceux d’Isabelle, de Vitalie. La marque de famille, les bosses et les méplats rudes de la souche paysanne, sont là, tout-puissants, accentués par l’âge, imprimés au nez, au menton, aux pommettes, d’un pouce dur. » (En lisant, en écrivant, 1981). On voit donc que Julien Gracq n’a pas songé à une des photographies de Carjat, mais qu’il s’est fondé sur les photographies d’adulte, c'est-à-dire africaines de Rimbaud, qui, au demeurant, sont floues (l’une d’elle est retouchée) et ne permettent pas de distinguer correctement les traits du visage, comme l’a maintes fois souligné M. Lefrère lui-même. L’argument résolument subjectif de Julien Gracq est donc exploité de manière contradictoire par M. Lefrère. Qui plus est, on retrouve sous sa plume l’argument complètement abandonné par M. Petitfils qui parlait de boursoufflures du bas du visage caractérisant aussi le visage d’Isabelle Rimbaud. C’est ici que cette question devient passionnante. On sait que Berrichon qui n’avait pas connu Rimbaud avait voulu réaliser un buste du poète. Or, nous savons exactement par sa correspondance avec Isabelle Rimbaud comment il envisageait cette question.
Aux environs du 31 décembre 1896, Isabelle Rimbaud écrit à son futur mari une lettre capitale pour la connaissance de l’iconographie rimbaldienne. Elle remercie Berrichon pour l’envoi d’un dessin qu’il a réalisé d’après la première photographie Carjat : « Vous dessinez comme vous écrivez : ce portrait d’Arthur est vivant. Je crois seulement que vous l’avez un peu rajeuni, qu’il n’avait pas les joues si pleines ; mais c’est peut-être moi qui me trompe. »
A cela, Berrichon répond le 2 janvier par une explication étonnante : « Ce dessin d’essai que vous trouvez rajeuni, ne l’est, rajeuni que par système ; il ne devait être qu’une impression documentaire pour le sculpteur de la figure synthétique. Et d’ailleurs, une entrevue avec Madame Rimbaud et avec vous était surtout dans le but d’une documentation aussi relativement à cette pourtraicture [sic] : l’air de famille au moins ! »
Dans cette réponse capitale, on comprend l’énigme du premier portrait Carjat qui paraît si jeune et que Berrichon a justement retouché, et on comprend aussi que le « système » Berrichon soit devenu le « système » Lefrère. De même que Berrichon a pétri le visage de Rimbaud en se fondant sur l’air de famille, de même Jean-Jacques Lefrère veut nous imposer ses visages de Rimbaud selon le même principe . Ainsi écrit-il dans La Quinzaine littéraire à propos du portrait d’Aden : « Le bas du visage est sans doute ce qu’il y a de plus caractéristique, avec ce menton un peu lourd rond et volontaire à la fois, que l’on voit aussi sur les photographies d’Isabelle Rimbaud, avec ces renflements sur les joues de part et d’autre de la bouche, et ces deux méplats sous la lèvre inférieure - tous méplats et boursouflures qui apparaissent sur plusieurs autres portraits de Rimbaud et que l’on retrouve également chez sa sœur : ce que Julien Gracq appelait la marque de la famille .» Mais enfin, que sont exactement ces méplats sous la lèvre inférieure et quelle est cette marque de famille ? On a vu que M. Lefrère cite Julien Gracq un peu par pose. On sait que Gracq parlait des portraits d’Afrique. En vérité, on ne peut comprendre le raisonnement de Lefrère qu’à partir du premier Carjat retouché par Berrichon. Car il faut le dire, M. Lefrère fait l’impasse complète dans ses écrits sur les retouches de Berrichon. Dès lors, on ne peut comprendre les méplats et boursoufflures qu’en se fondant sur le portrait retouché de Berrichon où précisément les traits du bas du visage sont fortement accentués, comme l’a remarqué François Ruchon il y a plus de soixante ans. Celui-ci s’appuyait à la fois sur la reproduction du portrait Carjat donnée par Delahaye en 1906 et présentée avec un commentaire qui parlait de « ressemblance absolue », et aussi sur la correspondance Isabelle-Berrichon qui montre les libertés que ce dernier prenait avec l’image de Rimbaud. Mais voici que le rapprochement entre le premier et le dernier biographe trouve ici une stupéfiante prolongation. On savait que le texte de la correspondance de Rimbaud avec sa famille, publié par Berrichon, était lourdement fautif. Or, voici que celui de Lefrère, comme par contamination le devient : ainsi, dans l’extrait de la lettre d’Isabelle que nous avons cité, un passage entier a sauté. Voici le texte donné par Lefrère avec le passage manquant rétabli entre crochets : « Vous dessinez comme vous écrivez : ce portrait d’Arthur est vivant. [Je crois seulement que vous l’avez un peu rajeuni, qu’il n’avait pas les joues si pleines ; mais] Mais c’est peut-être moi qui me trompe. » Suppression qui n’est pas anodine et qui ne permet plus de comprendre l’échange entre Isabelle et Berrichon. A cela s’ajoute le fait que Lefrère ne reproduit pas le dessin qui justement est en jeu ici, et qui avait été reproduit dans un article de La Revue d’Ardenne et d’Argonne de janvier-février 1897. M. Lefrère reproduit l’article dans son livre Correspondance posthume. Il publie toutes les illustrations qu’il énumère à la note 1 page 522 de son dernier livre. Toutes, sauf le dessin de Berrichon ! Mais les liens étroits qui se sont tissés entre Lefrère et Berrichon vont trouver leur aboutissement dans ce qui est réellement une farce. M. Lefrère va accuser Berrichon d’avoir commis une imposture précisément sur le portrait de Rimbaud ! Selon lui, il aurait fait un faux Fantin–Latour, pourtant signé et daté par l’auteur en 1872 ! J’ai expliqué les erreurs de raisonnement de M.Lefrère dans un article du Magazine Littéraire du mois de juin 2010. J’ai choisi ce dessin rehaussé à la gouache de Fantin-Latour comme emblème du site Rimbaud ivre pour lui redonner sa place dans l’iconographie rimbaldienne.
Je remercie vivement M. Steve Murphy, M.Alain Tourneux et Madame Véronique Thomé, conservateur à la Bibliothèque centrale des musées nationaux, pour m’avoir communiqué des documents très difficiles d’accès.

lundi 22 novembre 2010

PROCHAINS ARTICLES DU BLOG

"Polémique autour du visage de Rimbaud", deuxième partie, par Jacques Bienvenu. "Les problèmes que posent les poèmes de Rimbaud insérés dans les lettres de Rimbaud à Demeny et Izambard", par David Ducoffre. Dossier iconographique en plusieurs parties, par Jacques Bienvenu.

Ce blog aura une prolongation dans le cadre d'une revue papier du même nom comportant un certain nombre d'articles publiés ici.

jeudi 18 novembre 2010

La dame de l'Hôtel de l'Univers, par Jacques Bienvenu

Dans un article récent, j’émettais l’hypothèse que la femme représentée sur la photographie d’Aden n’était pas la jeune épouse de Bidault de Glatigné, mais sa mère sous réserve de vérifications. Je suis en mesure à présent de donner quelques précisions qui vont dans ce sens. Il faut d’abord rendre hommage au travail que Catherine qui dirige le forum Rimbaud a effectué. Celle-ci a démontré que Marie Scheller mariée une première fois à François Porte s’est en réalité remariée en 1873 à Aden avec un photographe nommé Charles Nedey. François Porte étant décédé en Moselle en 1870, il n’a pu partir avec son épouse à Aden. L’article, au demeurant remarquable, de M. Paul Gautier doit donc être légèrement rectifié. Je dis « légèrement » pour la raison suivante. Une tradition familiale très forte disait que Mme Porte était gérante de l’Hôtel de l’Univers à Aden. Or, ceci n’est pas contradictoire avec ce que nous savons à présent. Charles Nedey et Mme Porte ont été gérants de l’hôtel de l’Europe et, selon d’autres sources, ils ont abandonné cette gérance vers 1878. Ceci montre bien qu’il y a une forte probabilité pour que l’ex Mme Porte ait été employée comme gérante de l’Hôtel de l’Univers à ce moment-là. Sa compétence en ce domaine et le fait qu’elle soit libre invitent fortement à le croire. De plus, nous savons, selon nos propres recherches, que Bidault de Glatigné et Augustine Emilie Porte se sont connus à l’Hôtel de l’Univers, ce qui renforce encore notre hypothèse. La tradition familiale ne reposait donc pas sur une erreur. Simplement, elle était imprécise sur les dates, ce qui peut se comprendre aisément. La présence de l’ex Madame Porte sur la photographie d’Aden est donc très vraisemblable. Elle aurait 52-53 ans sur la photographie, ce qui paraît infiniment plus crédible qu’une jeune femme de 18 ou 19 ans !

dimanche 14 novembre 2010

Rimbaud invisible sur deux photos, par David Ducoffre*

*David Ducoffre est l'un des meilleurs connaisseurs de Rimbaud. Son dernier article paru en revue est : Belmontet, cible zutique, "Histoires littéraires", Janvier-Février-Mars 2010, N°41. Ouvrage paru sous la direction de Jean-Jacques Lefrère et Michel Pierssens.


Revenons sur deux photographies de lieux rimbaldiens : une de l’Hôtel de l’Univers, une de l’institut Rossat.Depuis plusieurs mois, il est question d’une photographie que ses inventeurs ont baptisée quelque peu improprement Coin de table à Aden, par référence au Coin de table de Fantin-Latour. Cette photographie nous montre la terrasse de l’Hôtel de l’Univers dans le port d’Aden, lieu nommé Steamer Point par les anglais. Sept personnes sont réunies et posent pour une postérité dont elles n’ont pas soupçonné la dimension à venir. Une seule personne a été identifiée : il s’agit de l’explorateur Lucereau, ce qui permet de préciser que cette photographie a été prise en 1879 ou 1880. Plusieurs autres identifications ont été proposées pour les autres personnages, mais jamais cette fois de manière décisive. La révélation d’une photographie de Jules Suel fumant le cigare dans ce même hôtel permet néanmoins de considérer comme hautement probable une autre identification. Bien que le document représentant Jules Suel ne soit pas très net et pose le problème de la miniaturisation des traits, un certain nombre de convergences frappantes s’établit avec l’homme d’âge mûr dans son habit à carreaux du Coin de table à Aden : mêmes cheveux poivre et sel, même couplage d’un bide proéminent à de longues jambes sèches, similaire position incommode d’un corps qui pourtant veut donner une impression d’aise, à quoi ajouter la triple coïncidence de l'hôtel de la chaise et de la consommation d’un cigare qui entre dans le domaine de la ressemblance stricte entre les deux détails photographiques.
Dans la foulée, on peut revenir sur le problème d’identification du seul personnage féminin de cette photographie. Les promoteurs du document du Coin de table à Aden prétendent qu’il s’agit de l’épouse de Bidault de Glatigné. Ils considèrent également que cette jeune épouse est alors enceinte de plusieurs mois, puisqu’ils partent du principe que la photographie date du mois d’août 1880, de manière à impliquer la présence de Rimbaud. Or, si la photographie qui nous est proposée de l’épouse de Bidault de Glatigné a bien un air de ressemblance avec la personne à identifier, les dimensions des oreilles ne concordent pas. Madame Bidault a une petite oreille et l’inconnue en possède une très grande. La disproportion est patente. Par ailleurs, c’est une pétition de principe que de prétendre que l’inconnue est enceinte. La photographie ne permet de trancher ni dans un sens, ni dans l’autre. Enfin, dans la mesure où l’épouse de Bidault de Glatigné n’a que 19 ans, voire à peine 18 ans en 1879-1880, sa présence est à exclure pour la simple et bonne raison qu’il ne faut pas être expert en photographies anciennes pour voir que la femme du Coin de table à Aden est une dame d’âge mûr ayant à tout le moins la quarantaine. C’est le physique d’une femme qui a bien vécu et on ne peut pas prétendre que, même au dix-neuvième siècle, une femme enceinte de dix-neuf ans présente un tel aspect de vieillissement, d’autant que l’éclairage pâle des visages sur la photographie nous cache sans doute bien des rides. Madame Bidault de Glatigné aurait-elle accepté d’être photographiée enceinte dans une position aussi désavantageuse, sans once de coquetterie féminine typique d’une personne de dix-neuf ans ? Pas même de bijoux ! Qui plus est, une superstition très répandue voulait qu’on ne prenne jamais de photographie d’une femme en pleine grossesse. Les photographies de femmes enceintes au dix-neuvième siècle sont la rareté même, nous semble-t-il. En résumé, ce n’est pas l’épouse de Bidault de Glatigné qui figure à cette table et il est bien plus plausible que la ressemblance s’explique par la présence de la mère elle-même, comme l’a proposé Jacques Bienvenu.
Que la mère ait la quarantaine ou plutôt 52-53 ans en 1879-1880, - et des vérifications sont en cours à ce sujet, puisque nous avions cru comprendre que les documents la concernant avaient été jusqu’ici présentés sous toute réserve, - sa présence paraît bien plus plausible sur cette photographie. La mère de madame Bidault de Glatigné était la gérante de l’Hôtel de l’Univers. Il est clair que sa présence sur cette photographie, à proximité du probable Jules Suel, tend à s’imposer à l’esprit. Et si cette inconnue ressemble à madame Bidault de Glatigné, la fille donc de la gérante de l’Hôtel de l’Univers, voilà qui rend résolument engageants les progrès accomplis par les divers chercheurs afin d’identifier le seul personnage féminin du groupe. En revanche, voilà qui rend assez comiques les observations sur le regard du personnage âgé à l’air égyptien qui se tient debout avec Lucereau : ce serait Bidault de Glatigné portant un regard tendre sur sa jeune épouse. Cette identification est-elle un tant soit peu crédible ? Un seul personnage sur cette photographie ressemble quelque peu à Bidault de Glatigné. Ce personnage, c’est le petit moustachu coincé entre le probable Jules Suel et la plausible gérante. On sait que l’allure stupide de son regard a retenu l’attention et il serait intensément comique que ce moustachu qui passe pour être Rimbaud, sans qu’un seul élément tangible de ressemblance n’ait jamais été avancé, soit finalement Bidault de Glatigné. En tout cas, selon nous, il faut simplement considérer que ce moustachu et l’homme d’allure égyptienne sont de parfaits inconnus en l’état actuel de nos connaissances, tout comme les deux barbus assis qui se situent à gauche sur la photographie.
A présent, si on veut passer outre à la question délicate de la ressemblance physique et affirmer que le moustachu c’est Rimbaud, voilà que se dresse un problème de contexte de taille. Pour réunir Lucereau et Rimbaud sur une même photographie, tout cela ne peut se fonder que sur une poignée de jours du mois d’août 1880. Or, quelle est l’existence de Rimbaud à ce moment-là ? Il a quitté précipitamment l’île de Chypre où il avait un travail. Il a erré en cherchant un nouvel emploi sur la Mer Rouge et a pris plusieurs fois le bateau. Ne se présentant pas nécessairement dans l’ordre, quatre de ses escales sont connues grâce à une lettre à sa mère datée du 17 août 1880 : Djeddah (Arabie), Souakim (Egypte / Soudan), Massaouah (Erythrée) et Hodeidah (Yémen). Selon le témoignage d’Alfred Bardey, plus fiables que ceux probablement de seconde main d’Isabelle Rimbaud et de Paterne Berrichon, Rimbaud est arrivé malade à Hodeidah, il a été soigné par un certain Trébuchet, employé de la maison Morand et Fabre, qui l’a envoyé à Aden avec une lettre de recommandation. Le témoignage de Bardey est d’ailleurs contradictoire avec celui de Rimbaud qui se contente d’indiquer à sa mère qu’il a été malade à son arrivée à Aden. Or, dans la mesure où le départ de Chypre semble d’une certaine gravité, il serait abusif de considérer le témoignage de Rimbaud à sa mère comme plus fiable que celui de Bardey qui évoque avec précision un nom, en sus d’une lettre de recommandation qui existe peut-être encore.
Dans tous les cas, Rimbaud a été engagé par Dubar pour la nouvelle maison Bardey. Alfred Bardey et le premier employé Pinchart (ou Pinchard) était en route pour Harar. Par conséquent, l’arrivée de Rimbaud était une aubaine pour Dubar. Il n’est pas possible qu’il ait fait attendre la personne recommandée. Il est tout de même naturel de penser qu’il ne s’est guère écoulé du temps entre l’arrivée de l’ancien poète et son embauche. Rimbaud ne pouvait pas se tourner les pouces et Alfred Bardey a témoigné d’une convalescence à Hodeidah, pas à Aden-camp ou Steamer Point. Enfin, après deux jours de travail à six francs la journée, Rimbaud déclare à sa mère qu’il n’a que sept francs en poche. Il faut donc comprendre que, de Chypre à Aden, Rimbaud a vécu et voyagé grâce à la débrouille et sans doute en acceptant les servitudes. Il n’avait pas d’argent de côté pour payer l’hôtel et ses sept francs sont ce qu’il lui reste de deux premières journées de travail pour la naissante ( !) factorerie Bardey, maison qui ne pouvait tout de même pas non plus faire crédit. Il n’a donc pas pu loger à l’Hôtel de l’Univers qui se situe à quatre kilomètres de son lieu de travail. Et il n’avait certainement pas intérêt à s’offrir une consommation dans cet hôtel. Non, Rimbaud n’a pas dégusté, « sous les vérandhas de l’Hôtel Suel », de « cette glace pilée, mélangée de Xérès, d’alcool, de citron et de cannelle, qui constitue le Sherry gobler et qui est la boisson préférée de l’Européen dans toute la zone torride » selon les dires d’Edmond Courtois dans ses souvenirs de voyage au Tonkin parus en 1890. Notre poète, qui n’a jamais été bourgeois, y compris dans sa vie africaine, fut voué à un comportement économe à sa descente de bateau. Il avait déjà quitté au moins quatre ports différents. A partir de là, on l’imagine chercher un logement gracieux d’entraide, et pas l’hôtel. C’est à Aden-camp qu’il faut chercher le lieu de résidence de Rimbaud le 17 août 1880, et nulle part ailleurs. Dans un tel cas de figure, il est donc normal qu’une rencontre entre lui et Lucereau n’ait jamais été évoquée par Bardey ou par un quelconque témoin. Finalement, si beaucoup de gens considèrent que ce moustachu ressemble assez peu au visage de Rimbaud à dix-sept ans sur les deux portraits Carjat, ce n’est sans doute pas parce qu’on connaissait assez mal les traits du Rimbaud adulte, mais tout simplement parce que nous sommes en face d’un quidam qui n’a rien à voir avec la poésie.
Il est d’ailleurs une autre photographie mythique dans l’iconographie rimbaldienne. Dans Face à Rimbaud, Jean-Jacques Lefrère a présenté les documents iconographiques rimbaldiens et notamment les huit photos qui sont généralement admises comme authentiques. Or, il présente une photographie de classe à l’institut Rossat dans la série des huit photographies dont on devrait pouvoir être sûrs qu’elles représentent Rimbaud. Cette photographie à l’institut Rossat est une révélation tardive qui nous vient du collectionneur Matarasso, dont il faut rappeler à tout le moins qu’il s’était fait l’acquéreur d’une carte postale de Rimbaud à Delahaye dont on sait aujourd’hui qu’elle est fausse. Or, qui nous dira la provenance de la photographie de classe ? Celle-ci n’est pas précisée dans l’Album Rimbaud de la Pléiade, bien qu’il fût concocté par Pierre Petitfils et Henri Matarasso eux-mêmes. Dans Face à Rimbaud, Jean-Jacques Lefrère n’a pas pu combler cette lacune. Mais ce qui nous étonne, c’est qu’il présente cette photographie comme authentique dans le dispositif des chapitres de son livre, puisque les documents suspects ont été reportés dans un chapitre à part, tandis que son discours, en partie repris de sa biographie de 2001, est formulé au conditionnel : « Plusieurs générations successives de Rimbaldiens ont reconnu les deux frères Rimbaud sur une photographie de groupe de l’institution Rossat, que l’on date généralement, de manière un peu arbitraire, de 1864. […] Arthur et Frédéric seraient respectivement le troisième et le quatrième à partir de la gauche. » Il précise encore que le « verso de cette photographie de très petit format (5,6 x 9 cm) ne porte aucune indication, pas même celle du photographe. »
Le temps est donc venu de conclure en ce qui concerne les certitudes sur la présence ou non de Rimbaud sur la photographie de groupe à l’institut Rossat et sur celle de la terrasse de l’Hôtel de l’Univers. Qu’il nous suffise de renvoyer ces deux icônes au chapitre 6 de Face à Rimbaud « Où le lecteur trouvera des « portraits de Rimbaud » à l’authenticité certaine, ou douteuse, ou fantaisiste, ou nulle, selon le point de vue de l’amateur, du détenteur du document ou de l’exégète du poète ». Ne serait-ce pas le seul classement indiscutable pour ces deux documents
?

vendredi 12 novembre 2010

Un Communard à l'Hôtel de L'Univers, par Jacques Bienvenu

Un certain Jules Renard, qui n’est pas - il faut le dire tout de suite - l’auteur de Poil de carotte, s’engagea le 15 août 1870 dans le régiment du17e chasseurs à Douai. Cela commence donc par une coïncidence rimbaldienne. En effet, à cette date, Izambard, le professeur de Rimbaud était à Douai où il reçut peu après le poète de Charleville sorti de la prison de Mazas début septembre. Izambard s’était engagé lui-même à Douai dans l’infanterie. Jules Renard avait 22 ans et, autre petite coïncidence personnelle, était professeur de mathématiques et aimait la littérature et la poésie. C’était un ardent républicain et après la défaite il devint officier fédéré pendant la Commune de Paris. Après l’échec des Communards, il partit à Londres, mais revint à Paris où il décida de se constituer prisonnier bien qu’il n’eut commis aucun crime. Il avait sollicité Victor Hugo qu’il admirait et le poète avait écrit une lettre en sa faveur. Il sera déporté en Nouvelle Calédonie - condamnation à perpétuité - mais il bénéficiera de la première amnistie partielle de 1879 qui précéda d’un an l’amnistie générale. Il revint en France cette année là sur un bateau Le Calvados où il eut la bonne idée de noter ses souvenirs dans un journal de voyage qu’il publia. Il fit escale à Aden le 16 septembre 1879, soit 13 mois avant l’arrivée d’un autre sympathisant de la Commune : l’illustre poète dont il est question sur ce blog. Comme le souligne la préface de l’ouvrage de ses souvenirs, il n’y a aucune haine et amertume dans ses propos. Le livre est bien écrit, Renard a une philosophie sereine. Ce qui le sauva pendant sa détention, c’est qu’il avait pu lire des ouvrages. Il s’était en particulier enthousiasmé pour François Villon. Il séjourna à l’Hôtel de l’Univers, ce qui n’avait rien d’extraordinaire pour un Français. Il était cloué par la chaleur et resta à l’Hôtel où il rédigea sa correspondance. Il ne s’aventurera pas au-delà de Steamer Point, dont il nous a donné dans son livre un témoignage précieux :

Dans les hôtels ou magasins où nous sommes entrés [En particulier l'Hôtel de l'Univers] , les habitants nous ont paru de mauvaise humeur. Voici ce qui semble écrit sur leur physionomie : « Ce pays est pour nous un purgatoire. Nous n’y sommes qu’à notre corps défendant et avec la pensée fixe de le quitter au plus vite. Or pour le quitter, il faut avoir fait ou refait fortune. C’est vous dire que nous ne connaissons que l’argent. N’attendez donc de nous ni hospitalité dans le sens large du mot ni sympathie. »

Le seul endroit où Renard a trouvé de l’humanité est l’hôtel d’Orient « tenu par un italien, M. Camérini, qui seul nous a fait un accueil cordial ». Ceci confirme bien les récentes et passionnantes informations sur le patron de l’Hôtel de l’Univers. Suel était prêt à accepter les pauvres hères pourvu qu’ils aient de quoi payer. J’ai bien peur que l’idée d’un Suel généreux et hospitalier ne soit encore qu’un mythe naissant faisant partie intégrante du nouveau mythe de l’Hôtel de l’Univers. Je doute que Suel aurait offert gratuitement à Rimbaud la chambre et le couvert s'il était passé à l'Hôtel de l'Univers, ce qui n'est de plus pas attesté, il faut le redire. On doit savoir accepter la réalité et ne pas créer une légende. Les souvenirs de voyage de Jules Renard s’intitulent : Notes et impressions d’un passager du Calvados, par Jules Renard,1879. Je ne les ai pas trouvés à la suite d’une longue recherche mais en quelques minutes, en me servant de l’admirable site Gallica de la BN. Il suffit, de lancer une recherche au mot : « Hôtel de l’Univers » pour les trouver. Les habitués de Gallica savent bien, d’ailleurs, les avantages que procure cette remarquable bibliothèque numérique. On trouvera ce document : ICI

samedi 6 novembre 2010

Le Mythe de l'Hôtel de l'Univers PAR JACQUES BIENVENU

Nous assistons sans aucun doute à un nouveau mythe qui se superpose à celui de Rimbaud : le mythe de l’Hôtel de l’Univers. Voici qu’une découverte récente vient de nous faire pénétrer à l’intérieur de l’hôtel dont nous ne connaissions que les arcades extérieures. Nous sommes de l’autre côté du miroir, avec en prime, dans le hall d’entrée, le portrait enfin trouvé de Jules Suel qui pourrait-être celui du personnage central de la photographie d’Aden. C’est tout simplement prodigieux ! Cela redonne du souffle à notre feuilleton. Cette photo assez floue, d’un personnage un peu éloigné, peut en effet laisser à penser que l’homme au pantalon à carreaux pourrait être le patron de l’hôtel. Cela n’aurait rien de surprenant finalement puisque la photo du « Coin de table à Aden » vient, nous dit-on, des archives de Suel. Certes, on est loin et même très loin de l’identification admise par tous de Lucereau et il faut être très prudent en ces matières. On se demande d’ailleurs pourquoi il est si difficile de trouver une photographie d’un personnage qui fréquentait tant de voyageurs et qui était un homme bien connu et établi à Aden depuis de longues années. Certainement d’autres photographies apparaîtront et elles confirmeront (ou non) sa présence, à mon avis assez crédible, sur la photo. Puisqu’un mythe est né, il faut l’entretenir et je voudrais y apporter ma modeste contribution. Je trouve ceci sous la plume d’un écrivain grand voyageur: « 11 juillet 1883 arrivée à Aden » Puis : « j’avais retenu, en allant porter mes sacs, une table dans la salle à manger de l’Hôtel de l’Univers ». - Notons au passage que nous en connaissons à présent la somptueuse entrée et que bientôt nous aurons une vue directe de la chambre que Rimbaud occupa en arrivant à l’hôtel - Le récit continue: « Tous les passagers descendus à terre étaient partis en excursion. Nous nous trouvions seuls sous la véranda de l’hôtel, assaillis par une nuée d’arabes, d’indiens et de juifs, marchands de café, de plumes d’autruches et d’autres produits du cru. Heureusement la maîtresse du logis, intrépide champenoise, aux bras robustes, faisait bonne garde, moins dans notre intérêt que celui de ses cuillers et de ses fourchettes. Il fallait la voir, quand la meute devenait trop familière, décrocher un certain fouet de poste spécialement consacré à son usage et en cingler les mollets nus des indiscrets »

Il semble que « la maîtresse du logis » pourrait bien être la gérante de l’hôtel dont M. Paul Gautier nous a révélé l’existence : Mme Porte : « Les parents d'Augustine Émilie sont, en effet, les gérants du "Grand hôtel de l'univers" fréquenté par tous les ressortissants français. Ils s'y installent après la guerre de 1870, venant de Metz… ».(Voir sur ce blog l'article du 2 juillet) Notons que Mme Porte vient de la ville de Metz qui n’est pas loin de la Champagne. Que Suel ait des gérants, c’est bien évident : un homme qui passe son temps assis sur un fauteuil, le cigare à la main, ne peut s’occuper tout seul de son hôtel. Dès lors, l’information donnée par M. Gautier, et bien négligée jusqu’à ce jour, semble capitale. Et je me demande si sur la photo ce ne serait pas plutôt la mère Porte que la fille. Cela semble d’abord plus crédible : vers les années 1879-1880 (rappelons que la vraie date de la photo est : octobre 1879 - août 1880) , la fille aurait 18 - 19 ans et la mère au moins une quarantaine d'années. (Cette dernière information est à vérifier, car plusieurs dates, données sur le forum Rimbaud à ce propos, ne conviennent pas par rapport à l'article de M. Gautier).Une personne d’une quarantaine d’années est bien plus crédible qu’une fille de 18 ou 19 ans sur la photographie. Si nous avons un portrait de la fille, il n’y aurait rien d’extraordinaire que celle-ci ressemblât à sa mère. Ce sont des choses qui arrivent. Et puis, la présence de la gérante de l’hôtel n’aurait rien d’incongru auprès du patron de l’hôtel. Décidément, cette photo a une sorte de caractère solennel et on se demande ce que viendrait y faire ce pauvre Rimbaud, vagabond et souffrant. D’ailleurs, il n’est pas attesté que Rimbaud ait logé à l’Hôtel de l’Univers en 1880. Il travaillait à quelques kilomètres et logeait probablement à Aden-Camp même, sur son lieu de travail ou à proximité, comme invite à le penser sa correspondance avec sa mère. Notons au passage que selon les dernières informations données : « Suel recevait tout le monde, ayant de quoi payer, avec la même insouciance et la même déférence ; mais, en homme correct, il savait, par le montant des notes, élever chaque convive à son rang; de sorte qu'en partant, tous étaient enchantés, ravis : les uns d'avoir payé en grand seigneur, les autres de n'avoir pas été pris pour de trop pauvres hères. ». On voit donc que Rimbaud aurait dû payer sa place. Cela coûtait en 1886, 5 roupies, soit environ 11 francs (information de la Revue française de l’étranger et des colonies). Le 17 août Rimbaud avait 7 francs en poche, dont une partie ou la totalité lui venait de son nouveau salaire journalier. Il y a peu de chances qu’en arrivant il se soit installé à l’Hôtel de l’Univers.

Naturellement, les dossiers en cours ne sont pas oubliés, loin de là, mais il faut parfois céder à l’actualité !