Léon Dierx par Forain. DR. |
Moins connu que son compatriote Leconte de Lisle, Léon Dierx (1838, 1912) fut un poète apprécié de Rimbaud. On sait peu de choses sur lui et il semble bien oublié. Le but de cet article est de tenter d’en savoir un peu plus long sur ce poète qui fut très estimé de ses contemporains. Selon son ami Delahaye, Rimbaud avait envisagé de le contacter pour aller à Paris. Il l’avait connu par plusieurs poèmes qui avaient été publiés dans les deux livraisons du Parnasse contemporain. Il était mentionné dans la lettre du Voyant parmi les talents. L’un de ses poèmes publiés dans la seconde livraison Le Vieux solitaire aurait selon certains inspiré le fameux Bateau ivre. Voici ce poème :
Je suis tel qu'un ponton sans vergues et sans mâts,
Aventureux débris des trombes tropicales,
Et qui flotte, roulant des lingots dans ses cales,
Sur une mer sans borne et sous de froids climats.
Les vents sifflaient jadis dans ses mile poulies.
Vaisseau désemparé qui ne gouverne plus,
Il roule, vain jouet du flux et du reflux,
L'ancien explorateur des vertes Australies !
Il ne lui reste plus un seul des matelots
Qui chantaient sur la hune en dépliant la toile.
Aucun phare n'allume au loin sa rouge étoile ;
Il roule, abandonné tout seul sur les grands flots.
La mer autour de lui se soulève et le roule,
Et chaque lame arrache une poutre à ses flancs ;
Et les monstres marins suivent de leurs yeux blancs
Les mirages confus du cuivre sous la houle.
Il flotte, épave inerte, au gré des flots houleux,
Dédaigné des croiseurs aux bonnettes tendues,
La coque lourde encor de richesses perdues,
De trésors dérobés aux pays fabuleux.
Tel je suis. Vers quels ports, quels récifs, quels abîmes,
Dois-tu les charrier, les secrets de mon cœur ?
Qu'importe ? Viens à moi, Caron, vieux remorqueur.
Ecumeur taciturne aux avirons sublimes !
De gauche à droite : Dierx, dessin de Moretti, Rimbaud. DR. |
Contrairement à ce que l’on a pu dire, Dierx participait aux dîners des Vilains Bonshommes et il était peut-être à la présentation du fameux dîner du 30 septembre 1871 présidé par Banville. Ce qui est certain c’est qu’il a rencontré Rimbaud. Il était à la représentation de la pièce « Le bois » de Glatigny qui se tenait à L’Odéon le 15 novembre 1871. Edmond Lepelletier avait épinglé Verlaine et Rimbaud dans un article du Peuple souverain paru le lendemain :
« Tout le Parnasse était au complet, circulant et devisant au foyer, sous l’œil de leur éditeur Alphonse Lemerre. On remarquait ça et là le blond Catulle Mendès donnant le bras au flave Mérat. Léon Valade, Dierx, Henri Houssaye causaient ça et là. Le poète saturnien Paul Verlaine donnait le bras à une charmante jeune personne, Mlle Rimbaut(sic). »
Dierx s’était d’abord fait connaître de Leconte de Lisle dont il fréquentait le salon en 1864 et se lia d’amitié avec plusieurs poètes. On lui proposa de publier des poèmes dans le Parnasse contemporain où il donna des préoriginales de son recueil le plus important Les Lèvres closes paru chez Lemerre en 1867. Rimbaud le connaissait car dans l’album zutique il avait écrit un poème Vu à Rome, signé Leon Dierx et surtitré Les lèvres closes. On ne sait pas bien interpréter ce poème zutique, où l’on trouve peu de lien avec l’œuvre de Dierx.
L’auteur du Vieux solitaire a su se faire apprécier de tous les poètes car il était aimable et modeste. Il a connu tous ceux qui ont bien connu Rimbaud : Valade, Mérat, Verlaine, Mallarmé, Forain, Germain Nouveau, Charles Cros, notamment. Ce dernier lui proposa de publier un poème dans la Revue du monde nouveau en 1874 .
De 1872 à 1874 il donna 15 poèmes à la Renaissance littéraire et artistique. Dans cette même revue Mallarmé écrivait « L’œuvre poétique de Léon Dierx » le 16 novembre 1872 dont il faisait l’éloge.
Verlaine connaissait Dierx depuis 1867. Les deux poètes s’appréciaient et s’envoyaient leurs livres. Dierx fut un des rares à écrire à Verlaine quand il était en prison.
À partir de 1878 Dierx cessa de publier. Son silence dura trente ans. Un certain Henry Dérieux écrivit une étude sur lui en comparant son silence à celui de Rimbaud. Ce qui est curieux c’est qu’il fut désigné comme prince des poètes succédant à Mallarmé en 1898. Gloire qu’il n’attendait pas mais qu’il accepta avec humilité.
Il connaissait aussi Germain Nouveau qui le rencontrait chez Nina de Villars.
Léon Dierx était peintre. Son ami Albert Mérat fit don, en 1905, d’un tableau de Dierx représentant un paysage, au musée de Troyes. Il était aussi très ami avec Forain qui a réalisé le portrait que nous publions en tête de notre article.
On peut regretter que personne ne se soit avisé de le questionner sur l’auteur du Bateau ivre alors qu’il a vécu jusqu’en 1912, à une époque où l’œuvre du poète était bien publiée. Verlaine avait peut-être pensé à lui pour avoir des manuscrits quand il en recherchait dans les années 1880.