Dans
la première partie de son livre : Du Nouveau chez Rimbaud,
Eddie Breuil rappelant les incertitudes de la transmission des
manuscrits des Illuminations reproduit un extrait de la lettre
de Verlaine adressée à Delahaye envoyée deux mois après
l'entrevue de Stuttgart :
Si
je tiens à avoir détails sur Nouveau, voilà pourquoi. Rimbaud
m'ayant prié d'envoyer pour être imprimés des « poèmes en
prose » siens, que j'avais ; à ce même Nouveau, alors à
Bruxelles ( je parle d'il y a deux mois), j'ai envoyé ( 2fr.75 de
port !!!) illico...
Eddie
Breuil interprète ce passage en estimant possible : « que
par poèmes en prose siens, Verlaine n'ait pas fait
allusion à des poèmes de Rimbaud mais à ceux de Germain Nouveau.
En effet, la tournure de la phrase dans laquelle « siens »
est lu comme une référence à Rimbaud est ambigüe : Nouveau
et Rimbaud ayant été évoqués précédemment [...] ».
Je
laisse à Eddie Breuil cette interprétation d'une phrase de Verlaine
dans laquelle Je ne vois rien d'ambigu. « siens » se
rapporte naturellement à Rimbaud dont le nom est mentionné au début
de la phrase. Verlaine connaissait les règles de la syntaxe.
Concernant
les « 2fr.75 de port », il signale que j'avais donné un
poids approximatif situé entre 70 et 90 gr dans mon article du
Magazine littéraire intitulé « Les poids des Illuminations ». J'avais montré que cela correspondait
dans tous les cas (envoi recommandé ou non) à la totalité des
feuillets des poèmes en prose. Eddie Breuil fait un tout autre
calcul. Il considère que l'hypothèse la plus élevée de 90 grammes
(il précise 91,66 (!) grammes d'après une autre source) ne peut
excéder dix-huit feuillets au format A4 au grammage de 80. Un
feuillet au format A4 pèse 5gr et 18 x 5 = 90. Je ne comprends
pas ce que viennent faire des feuillets de format A4 ( 21x29,7cm)
pour les manuscrits des Illuminations. Je n'avais pu détailler
mes calculs dans mon article mais observons par exemple que le
feuillet que donnent en premier les éditeurs Après le Déluge
mesure 117x112mm pour un grammage de 80. Ce qui donne un poids de
1gr. La plupart des autres feuillets mesurent environ 20cm sur 13cm
pour un grammage de 60. Ce qui donne dans ce cas 1,56 gr. On est loin
des 5gr d'un feuillet A4. Il en résulte évidemment une erreur
d'Eddie Breuil sur le nombre possible de feuillets contenus dans le
paquet de Verlaine et son interprétation.
En
revanche, je pense qu' Eddie Breuil a raison quand il conteste la
pagination admise des feuillets des Illuminations et quand,
par ailleurs, il suggère que des blancs sur les feuillets on été
utilisés pour transcrire des textes afin d'économiser du
papier.(p.59)
Dans
un chapitre intitulé « Le rôle joué par Rimbaud dans la
copie des Illuminations »
Eddie Breuil tente de montrer que Rimbaud a été le copiste
de Germain Nouveau.
L'histoire
du rôle joué par Germain Nouveau dans les manuscrits des
Illuminations commence par un mémoire de Jacques
Lovichi publié en 1962 à l'université d'Aix-en-Provence. Ce mémoire
annonçait une thèse sur Germain Nouveau qui ne fut pas soutenue.
Néanmoins, Jacques Lovichi a publié en 1975 dans le numéro 6 de la
revue Rimbaud vivant un article intitulé « Germain
Nouveau et les Illuminations ». Il suggérait que
les deux poèmes où l'écriture de Nouveau est attestée sont de
l'auteur des Valentines. Il concluait : « Je suis
depuis plus de quinze ans l'involontaire lieu géométrique d'une
vertigineuse interrogation. Et je n'ai toujours pas trouvé la
réponse » (p.25). Dans le numéro 10 de Rimbaud vivant
André Guyaux répondait à Jacques Lovichi. Son article
s'intitulait : « L'écrivain et son scribe ». Il y
donnait un argument confirmant la paternité du texte Métropolitain :
dans la partie copiée par Nouveau celui-ci avait laissé un blanc et
c'est Rimbaud lui-même qui, de sa main avait ajouté le mot
« Guaranies ». Ceci n'avait jamais été signalé
auparavant.
En
1978, Alexandre Amprimoz publiait au Canada une thèse remarquable
sur Germain Nouveau. Il avait lu, à Aix-en-Provence où il avait
résidé, le mémoire de Jacques Lovichi. Amprimoz reprit, dans une
biographie de Nouveau publiée en 1983, l'idée déjà exprimée dans
sa thèse que la participation de Nouveau aux Illuminations
aurait pu être bien supérieure à celle d'un simple secrétaire.
Jacques
Lovichi était resté prudent en reconnaissant qu'après 15 ans de
réflexion , il n'avait pas la solution. Eddie Breuil lui, l'a
trouvée cinquante ans plus tard et tente de nous expliquer que les Illuminations ont
été composées en partie, voire en totalité par Germain Nouveau.
« Peut-on
comprendre opéradiques ? » demande Eddie
Breuil à la page 78 de son livre. Il estime qu' il s'agit là d'une
erreur manifeste et qu'il faut lire sporadiques. Il mentionne
un article d'Underwood qui signale la présence de ce mot chez les
Goncourt à propos de Watteau. Le problème est qu'il le cite mal car
selon lui le chercheur britannique aurait mentionné la forme
opératique plus proche de l’Anglais. Underwood a bien écrit
« opéradique ». Observons au passage que c'est Bouillane
de Lacoste qui est à l'origine de cette découverte comme le signale
Underwood.
|
Underwood, Revue de littérature comparée, n°35, 1961, p.454 |
En
outre, Eddie Breuil manque un argument qui aurait pu servir sa
thèse : le texte sur Watteau des Goncourt a été repris dans
La Renaissance littéraire et artistique le 22 mars 1873 dans
un article intitulé : Trois notes sur Watteau. Eddie
Breuil note que Nouveau s’intéressait à Watteau. Il cite le poème
Style Louis XV de Nouveau, évoquant des peintures exquises de
Wateau, qui paraît justement dans le numéro précédent de La
Renaissance du 15 mars 1873, mais il en donne une autre
référence : celle d'un numéro de 1873 paru dans L'Artiste
où le même poème avait paru sous un autre titre. Signalons que
Verlaine avait reçu à Londres tous les numéros de la
Renaissance et que Rimbaud aussi avait pu lire l'article des
Goncourt.
|
Extrait de l'article Trois notes sur Wateau comportant le mot "opéradique" |
Pour
expliquer le fait que Rimbaud éprouve du mal à déchiffrer les
manuscrits de Nouveau, Eddie Breuil cite Michael Pakenham qui parle
de l'écriture très peu lisible de Nouveau. Mais dans le même
temps l'auteur reproduit dans son livre une magnifique illustration
d'un manuscrit de Nouveau d'une écriture admirablement lisible et
qu'il met en regard du manuscrit de Rimbaud « Villes ».
C'est un vrai miroir pour ceux qui douteraient encore de l'écriture
de Nouveau dans les poèmes en prose de Rimbaud.
Selon
Eddie Breuil nous aurions aussi l'explication du mot « Baou »
du poème Dévotion dont le sens attesté par Mistral pourrait
désigner l'herbe d'été en provençal. Précisons que nous n'avons aucun
manuscrit qui permet d'assurer la transcription exacte des mots de ce
poème. Mais comment comprendre que dans le poème Ouvriers
qui serait aussi de Nouveau selon Eddie Breuil,
on trouve le mot « flache », ardennisme typiquement
rimbaldien ? Enfin l'auteur utilise des reproductions
partielles de manuscrits qui montrent des corrections qui sont
simplement des corrections d'auteur et qu'il interprète comme une
mauvaise lecture par Rimbaud du texte de Nouveau : «
Nombreuses sont les traces qui semblent montrer que Rimbaud a
reproduit des systèmes d'écriture d'une façon hâtive, parfois
sans comprendre ce qu'ils tendaient à indiquer. » Rimbaud
piètre copiste, ne comprend même pas ce qu'il écrit !
C'est
un peu dommage qu'Eddie Breuil ait donné à son ouvrage un tour
aussi radical. Il n'était pas absurde de poursuivre les
interrogations de Jacques Lovichi. C'est aussi une bonne idée de
parler de Germain Nouveau poète incontournable pour ceux qui étudient Verlaine et Rimbaud. Pour ma part, je ne doute pas que Rimbaud
soit l'auteur des Illuminations et
je reconnais qu'il n'y a rien de nouveau dans cette opinion.
Le lecteur peut se forger sa propre idée en lisant le livre d'Eddie Breuil édité chez Champion.
L'illustration
au début de l'article est reproduite grâce au remarquable reprint
de
La Renaissance littéraire et artistique réalisé par les
éditions Slatkine qui sont propriétaires des éditions Champion.