Source : Gallica |
Dans La
France moderne du 19 février 1891 était
annoncé un scoop : on avait retrouvé Rimbaud qui commençait à
devenir une légende. Le texte de ce scoop est parfois mal
retranscrit ou n'est pas mentionné (voir l'annexe à la fin de
l'article) . Voici ce texte :
Cette
fois-ci, nous le tenons !
Nous savons
où se trouve Arthur Rimbaud, le véritable Arthur Rimbaud, le grand
Arthur Rimbaud, le Rimbaud des Illuminations !
Ceci
n'est pas une fumisterie décadente.
Nous affirmons que nous connaissons le gîte du fameux disparu.
Qui
veut accepter un pari ?
Petites
revues et grands journaux, qu'on se le dise...Nous ne le dirons pas.
Or
sur la même page, la revue phocéenne annonçait la disparition d'un
autre poète : Germain Nouveau : « Ce poète a quitté
la scène mondaine. Où est-il ? Nul ne le sait ! »
On y citait un article de Camille de Sainte-Croix reprochant à
Verlaine d'avoir oublié son « frère de lettres » et
« compagnon d'armes ». Comme pour prouver la filiation
littéraire entre Nouveau et Verlaine La
France moderne
donnait à lire un sonnet du poète provençal intitulé : Un
peu de musique.
Ce sonnet était composé en vers de sept syllabes à rimes
féminines comme Mandoline
un poème des Fêtes galantes. Nouveau parodiait visiblement Verlaine.
Le
sonnet de Nouveau avait été publié pour la première fois dans le
numéro 16 du 24 mai 1873 de La Renaissance
littéraire et artistique que
Verlaine avait lu à Londres. Un peu de
musique a
peut-être incité Verlaine à composer son Art
poétique écrit
au plus tard en 1874 : « De la musique avant toute chose /
Pour cela préfère l'impair / Plus vague et plus soluble dans
l'air ». On sait que Verlaine ne connaissait pas encore
l'auteur des Valentines
à cette époque.
Laurent
de Gavoty, seul poète qui ait, semble t-il, cherché à joindre
Rimbaud de son vivant1
à Aden, le 17 juillet 1890, lui demandait de collaborer à la revue
comme chef de l'école décadente et symboliste ! La
France moderne avait
déjà signalé discrètement qu'il connaissait la retraite de
Rimbaud, le 24 juillet 1890. Cette information ne pouvait pas émaner
dune réponse de l'auteur des Illuminations
: le délai
d'une semaine étant trop court pour le courrier de l'époque. Il est
plaisant d'observer que sur la même page de la revue, Laurent de
Gavoty publiait un article intitulé : Excentriques
disparus (voir
notre image en tête de l'article), dans lequel il disait ne pas
apprécier à titre personnel les décadents et les symbolistes !
Dès 1890, Rimbaud commençait à être connu dans les milieux
littéraires. Le sonnet Voyelles avait
été imprimé par un très grand nombre de revues. Maupassant le
cite dans La Vie errante,
publiée en
1890, en précisant : « le célèbre sonnet d'Arthur
Rimbaud ». La Plume
offrait au public, le 15 mai 1890, un long article de Pierre
l'Ardennais (alias Rodolphe Darzens), transmis par Mallarmé et
consacré à Rimbaud. Le 15 septembre 1890, la même revue réalisait
un numéro exceptionnel consacré aux décadents
et divulguait un poème inédit de Rimbaud Paris
se repeuple.
On ignorait alors ce que le poète était devenu. Des légendes
couraient sur lui. Dès lors, en février 1891, la réapparition de
Rimbaud pouvait en effet être considéré comme un scoop. Nouveau,
lui, devra attendre de longues années avant de faire à son tour sa
réapparition.
On voit qu'une disparition peut être suivi d'une réapparition. Ceci est instructif. Petites revues et grands journaux, qu'on se le dise...Nous le dirons.
Annexe :
L'annonce
de la réapparition de Rimbaud dans La
France moderne
a été transcrite au fil du temps par les critiques et les
rimbaldiens. Elle fut signalée pour la première fois dans le numéro
spécial du centenaire du Bateau ivre
en septembre 1954. La retranscription était légèrement fautive. Il
était écrit « le grand Rimbaud, le véritable Rimbaud »
au lieu de l'inverse. Il manquait aussi le mot « -ci » et
les points de suspensions à la fin. En 1968 Etiemble retranscrit
une version encore plus fautive. (n°126, Génèse
du Mythe). Il
reproduit les erreurs du Bateau ivre et
en ajoute
une : « le véritable Rimbaud » au lieu de «
le grand Rimbaud ». Il donne de plus une mauvaise référence :
Bulletin des amis de Rimbaud de 1950
au lieu de 1954 (voir notre article sur les erreurs d'Etiemble). La
« Pléiade » de 1972 revient à la transcription fautive
de 1954. Jean-Jacques Lefrère adopte le texte de la « Pléiade »
auquel il
ajoute une erreur très personnelle. Il remplace le mot «
fumisterie » écrit en italique par le mot « plaisanterie »
(dans la biographie et l'édition de la correspondance de
Rimbaud). Enfin
on peut regretter que la dernière « Pléiade » ne
mentionne pas l'annonce de La France
Moderne du
19 février 1891 dans la section Vie et
documents où
elle aurait eu sa place. Elle n'est pas davantage signalée dans le
récent Dictionnaire Rimbaud de
la collection « Bouquins ».
1 Germain
Nouveau écrira à Rimbaud à Aden deux ans après sa mort.
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