vendredi 19 juin 2020

Dossier Voyelles 3


L’affaire la plus importante concernant le poème Voyelles date de l’année 1961. Dans la Revue Bizarre, numéro spécial 21/22 du quatrième trimestre 1961, dirigée par Jean-Jacques Pauvert, paraissait un article intitulé A-T-ON LU RIMBAUD ? L’auteur restait anonyme sous les initiales R. F. On reproduisait en première page le manuscrit autographe du sonnet Voyelles. Les initiales R. F. seront expliquées par la suite. Ce sont celles de Robert Faurisson qui deviendra le regrettable révisionniste, mais qui était à l’époque professeur de lettres dans un lycée de jeunes filles.



Il s’agissait de révéler une nouvelle clé du sonnet qui relevait selon l’auteur de l’article d’une mystification érotique. La clé consistait a interpréter le sonnet selon la forme des voyelles. « C’est un blason de la Femme vue de haut en bas »[…]Les formes de Voyelles suggèrent les formes de la Femme. De plus l’évocation se fait in coïtu du point de départ à l’extase, du commencement à la pointe du sonnet ou pour parler comme Rimbaud de A jusqu’à ». Il résume par un schéma (voir ci-dessous) et expose longuement sa démonstration.



L’article de Bizarre restait confidentiel, mais un journaliste désirait lancer l’affaire. Dans Paris-Presse le 9 novembre 1961 un certain Jean-François Devais publiait un article intitulé « Un mystère Rimbaud éclairci » qui annonçait que le célèbre sonnet des Voyelles était un canular licencieux.

Le 11 novembre 1961 le même Devay écrivait un autre article « On se bat pour Rimbaud ». Dans le courrier de Paris-Presse, Pierre Bergé, l’ami d’Yves Saint -Laurent, prenait position contre en préférant l’interprétation de l’abécédaire. D’autres prenaient position pour l’interprétation érotique.

Dans la revue Arts, Robert Sabatier publiait le 29 novembre un article intitulé «  Le sonnet des voyelles a-t-il une interprétation érotique » ? un long article, en gros favorable.

Henri Cazals le 4 décembre 1961 publiait dans Combat « Rimbaud sans les voyelles ». Il terminait par cette phrase que reprendra Etiemble plus tard : « C’est le jour où le sonnet des Voyelles ne sera plus pris au sérieux que l’on pourra parler sérieusement de Rimbaud »

Dans France Soir du 16 décembre 1961 Anne-Marie de Vilaine dans son article «  Mauriac avait raison » révèle que l’auteur de l’interprétation sexuelle du sonnet est un professeur de lettres dans un lycée de jeunes filles à Vichy et qu’il se nomme Robert Faurisson. Mauriac intervient dans le titre de l’article car un lecteur effarouché avait écrit à Jean-Jacques Pauvert en lui disant que Mauriac avait raison en le traitant de Diable.

Le 28 décembre 1961, on pouvait lire dans France-Observateur un très long article intitulé : « Voyelles », un poème érotique ? 
Quatre rimbaldiens prennent position dans des articles que l’on résume ainsi : Antoine Adam : « Une démonstration éclatante ». André Breton : « J’approuve, mais… ». René Etiemble : « Pas de temps à perdre ». André-Pierre de Mandiagre : « Une tentative intelligente »


Le 28 décembre 1961, Robert Poulet publiait dans Rivarol  un long article intitulé : «  Une thèse révolutionnaire sur Rimbaud »

Le 3 janvier 1962 Pascal Pia dans Carrefour donnait un article fort intéressant intitulé « exercices de lectures » qui n’était pas favorable à Faurisson. Rappelons que Pia avait cautionné la fameuse fausse Chasse spirituelle en 1949 et qu'en 1962  il allait publier la seconde édition de l’Album zutique édité par Jean-Jacques Pauvert décidément bien présent dans cette histoire.

Le 13 janvier 1962, un article de Robert Kanters dans Le Figaro littéraire intitulé « Rimbaud livré aux professeurs ». L’article sur Voyelles est jugé utile et en partie convaincant.

Le 18 janvier 1962 René Lacoste dans Les lettres Françaises estime que la nouvelle étude apporte sur Rimbaud de nouvelles lumières.

Le 3 février 1962, Etiemble répond cette fois plus longuement aux interprétations de Faurisson dans Le Monde. Les mouches qui bombinent autour des puanteurs cruelles ne désignent pas la nature de la femme mais une allusion à La Charogne de Baudelaire. Le dernier tercet de Voyelles évoque « le silence éternel des espaces infinis » où retentira au moment de l’oméga, symbole de la mort, la trompette du jugement dernier; ces espaces où, selon le christianisme, circulent aussi les anges.

Enfin , un long article de O. Mannoni dans Les temps modernes de mars 1962 intitulé « le besoin d’interpréter ». L’auteur s’étonne de la passion extrême avec laquelle, au sujet de ces quatorze vers de Voyelles, les divers interprètes brandissent leurs diverses interprétations et il observe qu’ils manifestent une extraordinaire intolérance. 

Tous ces articles ont été retranscrits dans le numéro 23 de la revue Bizarre du deuxième trimestre 1962.

À suivre...

samedi 6 juin 2020

Dossier Voyelles 2



L’interprétation la plus importante du Sonnet des Voyelles intervint en 1950 avec Jacques Gengoux dans son livre : La pensée poétique de Rimbaud. Il trouve un premier intertexte dans L’Histoire de la Magie d’Eliphas Levi, livre publié en 1860 et donc que Rimbaud a pu lire. Cet intertexte est le suivant :


Qui fait écho au vers des Voyelles :
Silence traversé des Mondes et des Anges.

Cependant Gengoux va beaucoup plus loin avec la magie et l’occultisme et donne à partir du Sonnet des Voyelles une interprétation globale de la pensée poétique de Rimbaud pendant 134 pages !  

Cette thèse a été très critiquée dans  un livre entier consacré au Sonnet des Voyelles par Etiemble en 1968,  dont nous reparlerons . 



La biographe anglaise Enid Starkie qui avait parlé de Levi avant Gengoux développe la thèse que les couleurs des voyelles de Rimbaud correspondent à l’ordre exact donné par l’alchimie pendant le processus de la production du philosophe, l’élixir de vie. Elle se base aussi sur le vers :

Que l’Alchimie imprime aux grands fronts studieux.

Elle pense que Rimbaud a pu s’inspirer de deux sources complémentaires : l’abécédaire pour les couleurs de chaque voyelle; la doctrine alchimique pour leur ordre et leur signification. Elle est persuadée que Rimbaud a lu Le Dictionnaire mytho-hermétique de Dom Pernety dans lequel on peut trouver les symboles et métaphores qui abondent, dit-elle, dans le Sonnet des Voyelles.
Les thèses de Gengoux et Starkie pour le sonnet sont reprises en 1980 par un certain David Guerdon qui développe son explication dans son livre : Rimbaud la clef alchimique : chapitre VI, Le chemin initiatique de Voyelles.

Enid Starkie par Patrick George. DR.
À suivre...