Jean-Michel Cornu de
Lenclos sur sa jument Comtesse,
compagne de nombreuses explorations sur les traces de Rimbaud.
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La préparation de notre
édition de Barr Adjam avec le lot de documents anciens qu’elle fit surgir
m’engagea à entreprendre des recherches à Harar. Une destination pas si
exotique pour moi qui « pivotait » depuis tant d’années dans « ces étranges
contrées ». Cette vie harari reste un épisode obscur qui a énormément contribué
au « mythe Rimbaud », paradoxalement elle n’avait jamais été
étudiée sur place. J’ai pu accéder en 2010 aux archives de la
mission catholique de Harar, localiser le dernier refuge de Rimbaud, renseigner
les photographies prises par Rimbaud lui-même en 1883, identifier
et documenter les inédits retrouvés dans les archives Bardey, et
commencer ainsi à mettre en perspective et à compléter les épisodes de
cette vie harari. Ce travail d’enquête sur le terrain tente de
reconstituer l’humaine condition d’un individu doublement marginalisé. Tout
d’abord, dans la continuité de son désaveu de la société
bourgeoise, marginal vis-à-vis des Européens qu’il fréquentait peu, sinon
pour ses affaires. Marginal aussi vis-à-vis de la société harari
qu’il chercha à "s’assimiler" pas sa maîtrise des langues et
par certaines pratiques. Un dépaysement que Rimbaud semble avoir fortement
investi, pas seulement sur le plan économique, en tout cas pas à cause de son
négoce mais grâce à lui. Notre hypothèse est que cette acculturation lui permit
une recréation de soi, métamorphose pas singulière si l’on songe à Gauguin et à
Monfreid. Cette expérience de l’ailleurs nous paraît être le ressort
décisif de ses séjours à Harar. Rimbaud trouva dans cette situation
d’expatriation, de marginalité, d’hétérodoxie, les raisons d’un renouvellement
de sa personnalité. D’autres profils à présent se dessinent pour la critique
littéraire, pour l’histoire ethnographique et pour l’histoire coloniale de ces
contrées. Le négociant Rimbaud a-t-il jamais été ce raté, ce malchanceux en
affaires, ce "tropical tramp" venu chercher dans l’anonymat d’une
cité perdue une expiation consentie ?