vendredi 7 novembre 2014

La seule lettre rendue publique, dans laquelle Forain parle de Rimbaud, par Jacques Bienvenu






On sait que Jean-Louis Forain n’aimait pas que l’on parle du temps où il connut Rimbaud. Il fut souvent interrogé, mais jamais on ne put obtenir de lui des renseignements importants sur l’auteur du Bateau ivre. Un de ses biographe Jean Puget écrivait : « Forain, toute sa vie tira le rideau sur cette sorte de complicité dans les relations de Verlaine et Rimbaud. Il esquivait toute question concernant cette amitié fameuse dont il avait été l’intime et presque seul témoin. » Puget ajoute que pendant dix ans de relations suivies et amicales avec Forain il n’obtenait aucune réponse quand il prononçait notamment le nom de Rimbaud.

Cependant, il y eut une exception, celle du Figaro du 24 novembre 1923 dans l’article Le Point final où Forain évoque sa relation avec Rimbaud, publiquement, l’année même où il fut nommé membre de l’institut. Il convient de tenter d’éclairer cet événement.

Marcel Raval avait publié le poème Poison perdu dans les Feuilles libres de septembre-octobre 1923. Il en donnait simplement la transcription en le présentant comme inédit. Il n’en indiquait pas la source et ne remerciait personne pour cette publication.

On sait que Breton déclara le 21 octobre dans L’Intransigeant que Poison Perdu ne pouvait pas être de Rimbaud. Le lendemain Marcel Raval répliquait dans le même journal. Il convient de donner en entier cette information capitale :

« C’est l’obligeance de M. J-L Forain qui m’a valu de pouvoir publier ce sonnet. Personne n’ignore les liens de camaraderie qui unirent le poète et le peintre. Or c’est en 1874 exactement que Rimbaud remit lui-même à son ami le manuscrit de ce sonnet, qui est aujourd’hui en possession de ce dernier. »

C’était vraiment la pire chose qui puisse arriver à Forain, lui qui tenait tant à la discrétion sur ses relations avec Rimbaud, surtout à l’époque où il était membre de l’Institut. Le comble est que Raval indiquait comme date 1874, c'est-à-dire après le drame de Bruxelles. André Breton exigea alors qu’on produise le manuscrit de Forain. Il était impossible alors au peintre de s’esquiver. Mais dans Le point final ce n’est pas un manuscrit trouvé chez Forain qui a été publié et à cet article était joint une réponse écrite de Forain :

« Mes souvenirs sont formels. Le sonnet  Poison perdu est d’Arthur Rimbaud. Lui-même m’en avait remis une réplique de sa main, sinon le manuscrit original ainsi que d’autres vers de lui entre les années 1872-1873.  Ces manuscrits, je les ai conservés jusqu’en 1874. Partant faire mon service militaire, je les avais confiés à l’un de mes amis. Après ma libération, j’ai oublié de les lui réclamer et lui de me les rendre. Mon ami s’appelle encore ou s’appelait M. Bertrand Millanvoye. »

Observons la première phrase : «  mes souvenirs sont formels ». En 1923, ses souvenirs datent de cinquante ans… On peu s’étonner qu’il se souvienne précisément de Poison perdu. Du moins, il prend soin d’éliminer la date fâcheuse de 1874 donnée par Raval. En mars 1874, Forain était pourtant à Paris au moment où Rimbaud y séjournait avant de partir à Londres avec Germain Nouveau. Cette mémoire de Forain est d’autant plus surprenante qu’il avait complètement oublié le nom de Millanvoye dans les années 1880 au moment où Verlaine réclamait désespérément des poèmes inédits de Rimbaud. L’information qu’il donnait sur Millanvoye était connue depuis 1911 par Berrichon qui avait pu les faire acheter par Louis Barthou.

Un certain Maurevert a raconté comment il avait eu connaissance de ces poèmes de Rimbaud transmis par Forain à Millanvoye. C’est lui d’ailleurs qui le fit savoir à Berrichon. Cependant, il affirmait, après la polémique de Poison perdu, que dans le dossier de Millanvoye qu’il avait consulté, on ne trouvait pas de trace de ce poème contredisant l’information donnée par Forain.

Tout cela laisse un peu perplexe sur la déclaration de Forain. Il y des chances que Marcel Raval n’ait pas inventé qu’il avait pris la copie du poème chez le peintre. Répétons qu’aucune mention de la source du poème n’était indiquée dans Les feuilles libres, peut-être à la demande de Forain. Mais après la polémique où il était impliqué le peintre ne pouvait garder le silence. Il cautionnait à sa manière le fait que Poison perdu était de Rimbaud, mais déniait posséder le manuscrit. Marcel raval n’est plus intervenu estimant sans doute que la caution donnée par Forain suffisait et qu’il valait mieux en rester là.

Sur cette question voir la notice Poison perdu du Dictionnaire Rimbaud.