mardi 28 décembre 2021

Rimbaud et la métaphysique

 


Rimbaud et la métaphysique


Tout récemment une sonde a été envoyée dans l’espace pour étudier le mystère de l’origine de l’univers.

De tout temps les hommes ont observé le ciel, la lune le soleil et les étoiles. À la fin du 19e siècle on commençait à connaître la situation de la planète terre dans l’espace. À cette époque l’astronome Camille Flammarion avait publié de nombreux ouvrages sur ce sujet. Rimbaud fut sensible assez tôt au mystère de l’univers comme le montrent les vers de Credo in Unam envoyés à Banville le 14 mai 1870, mais écrits le 29 avril 1870 :


Pourquoi l'azur muet et l'espace insondable ?
Pourquoi les astres d'or fourmillant comme un sable ?
Si l'on montait toujours, que verrait-on là-haut ?
Un Pasteur mène-t-il cet immense troupeau
De mondes cheminant dans l'horreur de l'espace ?
Et tous ces mondes-là, que l'éther vaste embrasse,
Vibrent-ils aux accents d'une éternelle voix ?
— Et l'Homme, peut-il voir ? peut-il dire : Je crois ?
La voix de la pensée est-elle plus qu'un rêve ?
Si l'homme naît si tôt, si la vie est si brève,
D'où vient-il ? Sombre-t-il dans l'Océan profond
Des Germes, des Fœtus, des Embryons, au fond
De l'immense Creuset d'où la Mère-Nature
Le ressuscitera, vivante créature,
Pour aimer dans la rose, et croître dans les blés ?...

Nous ne pouvons savoir ! — Nous sommes accablés
D'un manteau d'ignorance et d'étroites chimères !
Singes d'hommes tombés de la vulve des mères,
Notre pâle raison nous cache l'infini !


Ces idées n’étaient peut-être pas complètement originales, mais n’oublions pas que Rimbaud n’a que 15 ans quand il écrit ce poème.


Cependant un an plus tard quand le génie du poète explose une idée profondément originale surgit. Ce n’est plus le mystère de l’univers mais le mystère de l’âme que Rimbaud décide d’explorer : « La première étude de l'homme qui veut être poète est sa propre connaissance, entière ; il cherche son âme, il l'inspecte, il la tente, l'apprend. Dès qu'il la sait, il doit la cultiver ; Cela semble simple : en tout cerveau s'accomplit un développement naturel ; tant d'égoïstes se proclament auteurs ; il en est bien d'autres qui s'attribuent leur progrès intellectuel ! — Mais il s'agit de faire l'âme monstrueuse : à l'instar des comprachicos, quoi ! Imaginez un homme s'implantant et se cultivant des verrues sur le visage. »


Il ne s’agit plus ici d’explorer l’univers, mais d’explorer l’âme humaine et de tenter de la sonder. L’idée profonde et nouvelle tient dans cette remarquable formule : « Je est un autre ». Pour Rimbaud il faut avoir du « moi » de l’individu une autre vision. Il estime que nous ne sommes pas les auteurs de notre pensée et ceci mérite une explication. Pour Rimbaud notre pensée est le résultat de toutes les autres, de ce que l’on a lu ; et ce que nous pensons est le fruit d’idées collectives qui sont dans l’air du temps. Un homme quelconque n’a pas d’idées originales. Mais le poète arrive à l’inconnu par un travail sur lui-même. Il cultive une âme « déjà riche plus qu’aucun ».


Pour le dire autrement, l’âme est le miroir inversé du monde extérieur. Elle est insondable elle aussi. On peut concevoir le mystère de la vie en observant le monde extérieur, l’univers infini ; mais le monde intérieur est aussi mystérieux. Chaque être humain observe le monde à travers ces deux mondes. Le profond mystère de l’être est là. Il appartient aux scientifiques de l’étudier, mais des poètes comme Rimbaud ont aussi leur mot à dire. Rimbaud a cru un moment être un Dieu. Il a pensé qu’il allait découvrir un grand secret. Mais cela n’a pas duré. Il s’est opéré vivant de la poésie comme l’a dit Mallarmé. Il avait cru acquérir des pouvoirs surnaturels. Il se rendra au sol avec une réalité rugueuse à étreindre.

mardi 14 décembre 2021

Rimbaud et Mesmer

 

DR. BNF.




Les Chercheuses de poux


Quand le front de l'enfant, plein de rouges tourmentes,

Implore l'essaim blanc des rêves indistincts,

Il vient près de son lit deux grandes sœurs charmantes

Avec de frêles doigts aux ongles argentins.


Elles assoient l'enfant auprès d'une croisée

Grande ouverte où l'air bleu baigne un fouillis de fleurs,

Et dans ses lourds cheveux où tombe la rosée

Promènent leurs doigts fins, terribles et charmeurs.


Il écoute chanter leurs haleines craintives

Qui fleurent de longs miels végétaux et rosés

Et qu'interrompt parfois un sifflement, salives

Reprises sur la lèvre ou désirs de baisers.


Il entend leurs cils noirs battant sous les silences

Parfumés ; et leurs doigts électriques et doux

Font crépiter parmi ses grises indolences

Sous leurs ongles royaux la mort des petits poux.


Voilà que monte en lui le vin de la Paresse,

Soupirs d'harmonica qui pourrait délirer ;

L'enfant se sent, selon la lenteur des caresses,

Sourdre et mourir sans cesse un désir de pleurer.



Dans le poème  Les Chercheuses de poux  on trouve à la fin un vers étrange : 


Soupir d'harmonica qui pourrait délirer ;


En recherchant les occurrences qui associent harmonica et délire, 


On trouve la description d’une séance de magnétisme chez le célèbre Mesmer que Rimbaud a pu lire.



Mesmer justifié.1784. DR.


Mais que viendrait faire Mesmer dans cette histoire de chercheuses de poux ? On a cru longtemps que le poème Les Chercheuses de poux avait une origine biographique à cause de plusieurs témoignages. Izambard, d’abord prétendait que c’étaient les sœurs Gindre qui avaient épouillé Rimbaud. Mathilde Verlaine  raconte qu’elle avait retrouvé des poux dans le lit du poète et Verlaine expliquait qu’il s’amusait à jeter des poux en passant à côté des prêtres. Mais ces anecdotes ne prouvent rien. Il semble bien que le poème ait une toute autre portée. On est en droit de penser que Les Chercheuses de poux dont on a aucun manuscrit a été composé à Paris en 1871, donc après l’arrivée de Rimbaud en septembre. La grande majorité des poèmes de 1871 ont une signification politique en rapport souvent avec la Commune. Les Chercheuses de poux semblent être une exception. Cependant en y regardant d’un peu plus près « les rouges tourmentes » du premier vers nous ramènent à un sens révolutionnaire


L’allusion à Mesmer pourrait avoir un sens politique. À l’époque de Rimbaud Mesmer était connu pour être un charlatan qui avait fait fortune en exploitant la crédulité des riches de la société qu’il électrisait dans des baquets. C’était souvent des aristocrates auxquels font peut-être allusion les « ongles royaux ». La lecture d’un texte de Mesmer a peut-être inspiré à Rimbaud d’autres poèmes. Le thème du charlatan existe dans Une Saison en enfer. Et que dire alors de « la comédie magnétique » de Parade et de ses charlatans ?