dimanche 10 septembre 2023

Venus Anadyomène, des singularités qu'il faut voir à la loupe

 

Premier manuscrit donné à Izambard

Venus Anadyomène


Comme d’un cercueil vert en fer blanc, une tête

De femme à cheveux bruns fortement pommadés

D’une vieille baignoire émerge, lente et bête,

Avec des déficits assez mal ravaudés ;


Puis le col gras et gris, les larges omoplates

Qui saillent ; le dos court qui rentre et qui ressort ;

Puis les rondeurs des reins semblent prendre l’essor ;

La graisse sous la peau paraît en feuilles plates ;


L’échine est un peu rouge, et le tout sent un goût

Horrible étrangement ; on remarque surtout

Des singularités qu’il faut voir à la loupe…...


Les reins portent deux mots gravés : Clara Venus ;

– Et tout ce corps remue et tend sa large croupe

Belle hideusement d’un ulcère à l’anus.

Arthur Rimbaud


Le poème Venus Anadyomène daté par Rimbaud du 27 juillet 1870 fut confié à son professeur Izambard, puis en octobre 1870 à Paul Demeny dans un ensemble appelé Cahier de Douai ou recueil Demeny.


La majorité des commentaires de Venus Anadyomène pense qu’un  poème de Glatigny : « Les Antres malsains » est  une source du poème de Rimbaud. Comme le poème de Glatigny décrit une prostituée qui a un tatouage ( Pierre et Lolotte) comme celui de Rimbaud (Clara Vénus) on en a déduit que Rimbaud décrivait une prostituée.La pratique des tatouages par les prostituées est connue depuis longtemps et l’on peut consulter ce livre qui lui est consacré.


Toute la question est de savoir ce qui amène Rimbaud à donner d’une femme une vision si dépréciative. Izambard et Demeny auraient pu être choqués par ce poème, mais nous n’avons aucun témoignage en ce sens. Selon une étude importante et déjà ancienne par Steve Murphy ce poème aurait une dimension politique et condamnerait le Second Empire qui permettait la dégradation de la femme et de la France. Il ne serait pas question de misogynie dans ce texte.


Il se trouve que Le Cahier de Douai est au programme du bac de français en 2024. Cela a donné lieu à plusieurs publications destinées aux élèves. Nous retiendrons celle de Jean-Luc Steinmetz et Henri Scepi. Dans sa préface Steinmetz évoque le poème Venus Anadyomène : « La femme qu’il montre émergeant d’une baignoire verte étonne par l’enlaidissement à plaisir de son corps. Projeté avec une incroyable audace, le dernier vers - « Belle hideusement d’un ulcère à l’anus » - résonne en violente antithèse face à l’ « étrangement belle de « Soleil et Chair ». Le Rimbaud du Recueil Demeny est donc capable d’inverser au besoin, pour notre plus grand étonnement, les critères de la beauté. » Dans le Dossier Henri Scepi évoque l’esprit satirique de Rimbaud : « Venus anadyomène par le mouvement de renversement des valeurs esthétiques et morales qu’il renferme : la satire y devient le ferment d’une profonde entreprise de subversion des normes et des règles de la Beauté, liée à un engagement politique dont l’épisode de la Commune donnera plus tard toute la mesure et l’ampleur. »


Cependant dans ces commentaires on ne souligne pas un vers essentiel : « Des singularités qu’il faut voir à la loupe… » Le regretté Marc Ascione avait suggéré que le syntagme : « Des singularités qu’il faut voir à la loupe… » constituait une consigne impérieuse, exigeant de la part du lecteur une attention redoublée à de petits détails et indices qui permettent de bien interpréter le poème. Précisons d’ailleurs que les trois points de suspension de la version du poème donnée à Izambard vers juillet 1870 deviennent dans la version donnée à Demeny vers septembre 1870, six points de suspension. C’est-à-dire que Rimbaud a voulu dans le manuscrit postérieur, souligner encore davantage l’importance de ces mots.

Second manuscrit donné à Demeny
DR. British Library


Si Rimbaud incite à relire son poème, c’est probablement qu’il cache quelque chose qu’il ne peut exprimer directement. On peut le comprendre aisément. L’image de l’ulcère à l’anus est choquante par l’évocation de certaines pratiques sexuelles qu’il suppose. Les bons pères de famille du Second Empire recherchaient souvent des plaisirs qu’ils ne pouvaient demander à la mère de leurs enfants. On peut s’étonner de la connaissance que Rimbaud pouvait avoir de ces pratiques. Il est probable que c’est dans les livres peut-être écrits par des hygiénistes qu’il a pu les lire. À noter que dans le livre d’un certain Alexandre Parent-Duchatelet on pouvait lire que Clara figure parmi les surnoms répertoriés dans la « classe élevée » pour les prostituées. 


On n’a pas assez relevé que Rimbaud n’hésitait pas à demander des « imprimés inconvenants » à son professeur Izambard (lettre du 12 juillet 1871, mais écrite  avant) . Rimbaud était tout sauf un innocent.

mercredi 30 août 2023

Le supplément de la Pléiade établi en 2021

 On se souvient que Takeshi Matsumura avait étudié minutieusement les modifications apportées entre l’édition de 2009 et le troisième retirage de 2015 des Œuvres complètes de Rimbaud dans la Pléiade. On peut se rapporter à l’article de notre blog.


Dans le dernier retirage de 2021, on trouve un supplément établi à cette date. Il s’agit de la lettre de Rimbaud à Jules Andrieu du 16 avril 1874 établie à partir du fac-similé donné par Alain Rochereau. La référence est précisée ainsi : C’était Jules.Jules Louis Andrieu ( 1838-1884), un homme de son temps, en ligne, 2018, p.208-209.


On constate que la Pléiade Rimbaud ne donne pas d’adresse internet, mais se contente d’écrire « en ligne ».


Dans le texte qui précède la lettre proprement dite, on rappelle que l’ouvrage que Rimbaud désire publier : L’Histoire splendide est un projet qu’Ernest Delahaye avait signalé. Ce qui montre que les souvenirs de Delahaye sont plus fiables que ce que nous disent certains critiques. André Guyaux écrit avant de divulguer le texte de la lettre : «  Si Rimbaud s’adresse à Andrieu, c’est aussi parce qu’il le sait très introduit dans les milieux éditoriaux britanniques et rompu à la vulgarisation historique et littéraire : l’ancien Communard (sic) avait publié une Histoire du Moyen Âge ( 1866) et gagnait sa vie en donnant des leçons particulières.».


Suit  une petite bibliographie dont la dernière mention est : «  Quelques remarques sur une lettre inédite de Rimbaud à Andrieu », en ligne sur le site « Rimbaud, le poète, 12 juin 2019.

Il s’agit d’une intervention d’Yves Reboul sur le site d’Alain Bardel que l’on peut lire ici.


On peut regretter que la bibliographie ne mentionne pas mon article publié dans le Rimbaud vivant N°58/ 2019 : « La lettre de Rimbaud du 16 avril 1874 et la transmission des Illuminations. » Je montrais en remarquant que sur le fac-similé de la lettre que tous les « f » minuscules ne sont pas bouclés vers le bas. J’en déduisais que la mise au net des Illuminations avait eu lieu après le 16 avril. Puis en utilisant d’autres arguments je prouvais que Rimbaud n’avait pas mis au net les Illuminations avec Germain Nouveau au printemps de 1874, comme on le croyait, mais juste avant de partir à Stuttgart en janvier-février 1875 à Charleville.


Enfin pour conclure je signale une coquille surprenante dans le texte qui précède la transcription de la lettre : « Mais Andrieu , littérateur parisien, d’intelligence hardie et fine, était son pré2021féré, (!) »

On se demande comment les éditions Gallimard si attentives ont pu laisser échapper cette coquille. Nul doute qu’elle sera corrigée dans la prochaine réimpression.

jeudi 20 juillet 2023

Rimbaud et la canicule


Le 25 août 1880, Rimbaud depuis peu à Aden écrit à sa famille : « la chaleur y est excessive, surtout en juin et septembre, qui sont les deux canicules. 35° la température nuit et jour constante d’un bureau très frais et très ventilé. »


En juillet 1886 il écrit de Tadjourah à sa famille « Je me porte bien, aussi bien qu’on peut se porter ici en été, avec cinquante et cinquante-cinq centigrades à l’ombre »


Le 23 août 1877, il écrit, toujours à sa famille, qu’il est venu au Caire «  parce que les chaleurs étaient épouvantables cette année dans la mer Rouge, tout le temps à 50° à 60° »


Le 20 février 1891, il écrit à sa mère de Harar que s’il rentrait en Europe il mourrait vite à cause du froid. Il ajoute même qu’il pense retourner à Aden, car la grande chaleur lui ferait du bien.


On voit que peu à peu il préférait la canicule d’Aden au climat de l’Europe.


Vous qui avez chaud en ce moment pensez à Rimbaud et méditez sur sa capacité à supporter la chaleur.

jeudi 13 juillet 2023

Rimbaud et le 14 juillet

 


Le 15 août 1871, Rimbaud a envoyé à Théodore de Banville une lettre de sept pages comportant le long poème : Ce qu’on dit au poète propos de fleurs.

Tout en haut de la première page, Rimbaud a écrit, en lettres minuscules, et soulignés : « Charleville, Ardennes, 15 août 1871 »


Cependant à la fin de la lettre, Rimbaud a daté son poème au 14 juillet 1871


Le 14 juillet est évidemment une référence à la prise de la Bastille de 1789. Le 15 août est adopté comme fête nationale par Napoléon III et célébrée pendant tout le Second Empire. Le 15 août est la date de naissance de Napoléon.


Mais pourquoi Rimbaud fait référence de ces deux dates à Banville ? Aucun commentateur n’a donné à ce jour une explication satisfaisante.



mardi 4 juillet 2023

Décès de Jacqueline Teissier - Rimbaud

 

Jacqueline Teissier-Rimbaud en 2014. DR.



Jacqueline Teissier-Rimbaud vient de nous quitter ce lundi 3 juillet. Elle avait 77 ans. C’était l’arrière-petite-fille de Frédéric Rimbaud. Depuis plusieurs décennies elle donnait beaucoup de son temps à l’association des amis de Rimbaud dont elle fut  secrétaire générale, trésorière, vice-présidente enfin membre d’honneur.


C’est grâce à son intervention que la panthéonisation de Rimbaud n’a pas eu lieu. On se souvient qu’une lettre que le président Macron lui avait adressée avait mis fin à cette initiative surprenante.


Depuis six mois Jacqueline n’habitait plus Levallois-Perret, elle avait préféré rejoindre Tarbes et les Hautes-Pyrénées où résident son fils et sa famille.

Ses obsèques seront célébrées le vendredi 7 juillet 2023, à 11 heures en l'église de Bagnères-de-Bigorre.

samedi 17 juin 2023

Histoire d'un carnet de Rimbaud, partie 2

 

Voir la partie 1 ici


On entendit plus parler du carnet de Rimbaud jusqu’en novembre 1988 où il apparut dans la collection de Jacques Guérin avec le titre suivant :


Manuscrit autographe de sa première œuvre. 58p.in-16. Reliure cartonnée toile noire. Joint L.A.S de Paterne Berrichon. Paris 20 juin 1922.2p.in-8et 2L.A.S. et MS aut.sign. de Jules Mouquet1934-1935,7p.in8



Ainsi 34 ans après l’article de Petitfils et celui des surréalistes on admettait à nouveau que le poème de Scarron était le manuscrit autographe de la première œuvre de Rimbaud ! On  reprenait les conclusions de Jules Mouquet qu’il avait exposées dans le brouillon de son article.


L’ensemble du carnet, des lettres de Berrichon et de Mouquet fut offert généreusement par le collectionneur Guérin au musée Rimbaud de Charleville.


Dans un article d’hommage à Pierre Petitfils « Documents rimbaldiens » Parade Sauvage 6, juin 1989, Steve Murphy écrit que l’attribution à Rimbaud est graphologiquement précaire et il annonce que Parade Sauvage publiera l’intégralité de la documentation et fera le point de ces incertitudes. Cependant la mise au point annoncée n’aura jamais lieu, néanmoins, il publiait la première page du carnet. 


Premier feuillet du carnet. PS 6

Pourtant l’écriture de Rimbaud est bien attestée. Le carnet provenait de Berrichon qui connaissait bien l’écriture de Rimbaud et Jules Mouquet, même s’il s’est trompé sur Scarron, avait bien reconnu l’écriture de Rimbaud qu’il connaissait parfaitement.Il aurait publié en tête d’un livre sur Rimbaud le premier feuillet. Mais je n’ai pas réussi à le vérifier. Il pourrait s’agir de son livre : « Verlaine raconté par Rimbaud ».


Aucune édition actuelle de Rimbaud ne mentionne ce carnet dans ses œuvres complètes, même pas dans les œuvres attribuées. Pourtant il s’inscrirait bien entre le Cahier des 10 ans et la grammaire qu’il avait annotée.


Un autre mystère existe pour la lettre de Mouquet que signale Pettitfils et le catalogue Guérin. Il existerait à la fin du carnet des mots au crayon « Vitalie Rimbaud à Charleville ». Or l’ensemble du carnet du musée que j’ai pu consulter ne comporte pas cette mention de Vitalie. 

Quoi qu’il en soit on connaît l’écriture de Vitalie et l’écriture du carnet n’est pas la sienne.

Le but de notre article est de faire réapparaître ce carnet de Rimbaud qui avait disparu de tous les commentaires.

dimanche 11 juin 2023

Histoire d'un carnet de Rimbaud, partie 1

Collection JB

 Le 20 juin 1922 Paterne Berrichon écrivait au libraire Ronald Davis « je céderais volontiers [ …] un petit carnet contenant de la main d’Arthur Rimbaud, un cours de littérature datant de la 8e année et  de la vie du poète ».

Précisons que 6 jours après, Berrichon publiait la publication des œuvres complètes de Rimbaud aux éditions de la Banderolle qui comportait notamment la révélation de la photographie la plus connue de Rimbaud. Berrichon décédait peu après le 30 juillet. On peut penser que Berrichon n’avait pas voulu publier ce carnet long de 56 pages dans les éditions de La Banderolle, préférant publier un extrait plus intéressant du « Cahier des 10 ans ».


Collection JB

Jules Mouquet qui avait découvert ce carnet demanda à Madame Ronald Davies l’autorisation de le publier sous forme d’article ou d’un livre éventuel. Cependant il ne devait pas publier cet article. Jules Mouquet décédait en 1949. 


Après sa mort Pierre Petifils retrouvait cet article dans ses papiers. Il en communiquait le contenu dans un article intitulé « Le premier sonnet de Rimbaud ? » dans le numéro spécial du centenaire de la revue Bateau Ivre de 1954.

Le contenu est le résumé d’un cours de littérature comportant des exemples de figures de rhétorique.

Pour la figure La Suspension on trouve ce sonnet :


Superbes monuments de l'orgueil des humains,

Pyramides, tombeaux dont la noble structure

Témoigne que l'art par l'adresse des mains

Et l'assidu travail peut vaincre la nature,


Vieux palais ruinés, chef-d’œuvre des Romains,

Et les derniers efforts de leur architecture,

Colysée, où souvent deux peuples inhumains

De s'entre assassiner se donnaient tablature,


Par l'injure des ans vous êtes abolis,

Ou du moins la plupart vous êtes démolis !

Il n'est point de ciment que le temps ne dissoudre.


Si vos marbres si durs ont senti son pouvoir,

Dois-je donc m'étonner qu'un méchant pourpoint noir

Qui m'a duré dix ans, soit percé par le coude ?


Se basant sur le brouillon de Mouquet qui l’attribuait à Rimbaud, Petitfils abonde dans son sens. Cependant c’est une erreur car il s’agit en fait d’un sonnet de Paul Scarron…


Pierre Petitfils vers 1960. DR.


Juste après la publication du Bateau ivre Petitfils reçoit une volée de bois vert de la part des surréalistes menés par André Breton qui se moquent de lui en publiant un tract intitulé: Ça commence bien !


: Messieurs les Critiques, où en est la véritable érudition française ? Le numéro spécial du Bateau Ivre (dépôt à Paris : E d. Messein) consacré au centenaire de Rimbaud a été entièrement rédigé par M. Pierre Petitfils, qu'on put croire naguère un exégète passable. De ces quelques pages, où un vent soufflant des Ardennes a bousculé l'ordre des préséances au point que le “ commerçant ” y tient autant sinon plus de place que “ l'homme de lettres ” (sic), nous ne relèverons pas les diverses énormités : ainsi Rimbaud, vivant portrait de sa mère (p. 14). Il est vrai qu'ici l'iconographie est d'une indigente fantaisie, pour ne pas dire pis, ce qui ne saurait surprendre au souvenir du tableau de Jeff Rosman, véritable inédit celui-là, que M. Petitfils, dans une lettre du 5 avril 1947, déclara être “ incontestablement un faux ”. Ce que devait contredire formellement l'expertise.

Mais notre homme se surpasse d'entrée de jeu : il étudie gravement l'attribution très probable à Rimbaud d'un texte qui serait son premier poème, recopié par lui, ou par quelque peste déjà dévote à sa gloire. “ Il n'y a aucun doute possible, nous sommes en présence d'une composition personnelle d'un écolier d'une douzaine d'années. Tout l'indique... ” Si le manuscrit peut être “ d'Arthur ou de l'une de ses sœurs ” l'esprit qui y règne, “ l'impassibilité déjà parnassienne ”, sont bien d'un garçon :


[citation du poème]


Le malheur est qu'il s'agit d'un sonnet presque célèbre... de Paul Scarron (1610-1660).

Cette pièce figure en bonne place, non seulement dans les Œuvres (choisies) de Scarron, réimprimées par M. Ch. Bausset en 1877 sur l'édition de 1663 (T. I, p. 80), mais dans l'Anthologie poétique française (XVIIe siècle) de M. Maurice Allem (Paris, Garnier, 1916, T. II, p. 84). Elle est si connue que le grand Larousse Universel du XIXe siècle la reproduit (s.v. Sonnet) à titre de “ curiosité du genre ”. D'après ces versions concordantes, signalons que l'erreur de copie au troisième vers consiste à avoir écrit témoigne au lieu de a témoigné. Au onzième vers, la faute de français qui “ ahurit ” M. Petitfils n'est pas un “ tâtonnement ” mais la transcription maladroite d'un archaïsme. Scarron écrivait : Il n'est point de ciment que le temps ne dissoude (sans r). “ La conjugaison de ce verbe est difficile ” avoue Littré, qui cite ce vers comme exemple, et y ajoute, d'après Ambroise Paré, dissoudant en participe présent : hésitations dues à la similitude des formes latines du subjonctif présent et du futur (je dissoudrai).

On ne peut que regretter la manière dont la mémoire de M. Jules Mouquet est mêlée à cette espièglerie. M. Petitfils s'abrite derrière un brouillon que celui-ci n'aurait pas eu “ l'audace ” (?) ou “ le temps ” de publier. S'il n'a pas le temps de feuilleter un dictionnaire, M. Petitfils par contre ne manque pas d'effronterie. Il découvrirait demain un Rimbaud-Turoldus ou un Rimbaud-Casimir Delavigne que nous n'en serions pas autrement saisis. Au fait, qu'en pensent MM. les membres du Comité de Patronage des fêtes de Charleville, et tout particulièrement M. Georges Duhamel, président des “ Amis (sic) de Rimbaud ”, dont le Bateau Ivre est en principe le bulletin de liaison ? Qu'en pensent les membres du Comité d'Action, parmi lesquels figure M. Pierre Petitfils - on aimerait savoir à quel titre ? Sans doute par voie d'héritage, comme le prouve cette dédicace à son Œuvre et visage d'Arthur Rimbaud :

“ A la mémoire de M. Elysée Petitfils, architecte de la ville de Charleville, auteur du socle du monument élevé à Rimbaud, Square de la Gare, son descendant dédie cet autre monument à la gloire du poète. ”

Et maintenant, bon voyage !

Pour le mouvement surréaliste : Jean-Louis Bédouin, Robert Benayoun, André Breton, Adrien Dax, Charles Flamand, Georges Goldfayn, Simon Hantaï, Alain Lebreton, Gérard Legrand, Nora Mitrani, Wolfgang Paalen, Benjamin Péret, José Pierre, Judith Reigl, Jean Schuster, Anne Seghers, Toyen, François Valorbe.

Pour l'internationale lettriste : Michèle Bernstein, Mohamed Dahou, Guy-Ernest Debord, Jacques Fillon, Gil J Wolman.

[Septembre 1954.] 


Fin de la première partie

mardi 18 avril 2023

Arthur Rimbaud vit ! Document inédit. Mis à jour le 11mai.

 





Dans la revue Les Hommes d’aujourd’hui du 17 janvier 1888 Verlaine écrivait qu’on n'avait plus de nouvelles de Rimbaud. La fausse nouvelle de la mort de Rimbaud fut colportée plusieurs fois à partir de 1886. Dans sa notice sur les Illuminations (octobre 1886) Verlaine écrivait : « On l’a dit mort plusieurs fois. Nous ignorons ce détail, mais en serions bien triste » et dans une lettre à Vanier du 24 février 1887 il dit ne pas savoir si son ancien ami est toujours vivant. C’est à la suite de ces rumeurs qu’il composa « Læti et errabundi » achevé en septembre 1887 mais publié le 29 septembre 1888 dans La Cravache. Dans ce poème Verlaine écrivait :

On vous dit mort, vous, que le Diable/ Emporte avec qui la colporte/ la nouvelle irrémédiable/ qui vient ainsi batte ma porte ! 

Je n’y veut rien croire. Mort, vous,/ Toi, dieu parmi les demi-dieux !/ Ceux qui le disent sont des fous ./ Mort mon grand péché radieux/ 


La question de savoir si Rimbaud était vivant en 1888 était donc à l’ordre du jour. 


Le document que nous publions n’a jamais été signalé. Il s’agit du journal Le  Parisien du 22 octobre 1888 qui annonçait triomphalement des nouvelles d’Arthur Rimbaud et qui précisait « Arthur Rimbaud vit ! »

Il publiait pour cela une lettre du vice-consul de France à Aden E. de Gaspary datée du 29 mai  1888 :


Monsieur Rimbaud Arthur est en ce moment au Harrar où il représente diverses maisons de commerce de cette place. J’ignorais que ce monsieur se fut occupé de travaux d’art. Sa santé est parfaite et il a accompli dernièrement avec succès un voyage au Choa.


Signé E.de Gaspari( sic),

Consul de France


Il faudra attendre le 2 novembre 1889 pour que sous la plume de Paul Bourde on donne des nouvelles de Rimbaud au Harrar. Cependant Jean-Jacques Lefrère écrivait dans Rimbaud le disparu que l’information semblait être passée inaperçue.


Verlaine a-t-il connu cette information du Parisien ? C’est très probable, car Le Parisien comme son nom l’indique était connu à Paris. Ses amis à l’époque ont dû l’en informer.


Je remercie Olivier Bivort de m’avoir communiqué ce document.

Mise à jour : Gabriel Mourey était un poète marseillais ami de Mallarmé. Il est très peu connu et mériterait quelques recherches.

Concernant le personnage qui a renseigné Mourey sur Rimbaud, nous avons plusieurs informations : 


  1. La date de la lettre de Gaspary : 29 mai 1888
  2. Il s’agit d’un ami de Gabriel Mourey passionné de littérature et d’art ultramoderne qui s’amuse à recueillir des documents sur ce que l’on est convenu d’appeler le mouvement décadent.( pourquoi Mourey ne donne pas son nom et donne tous ces renseignements?)

3) C’est nécessairement quelqu’un qui savait qu’on avait annoncé la mort de Rimbaud à partir de 1886 : La Vogue 5 juillet 1886, Le symboliste, 7 octobre 1886, Le temps 24 octobre 1886


Fénéon écrit dans le symboliste du 7-14 octobre 1886 :

Un liminaire de M. Paul Verlaine veut renseigner sur Arthur Rimbaud : ce disparu voguerait en Asie, se dédiant à des travaux d’art. Mais les nouvelles sont contradictoires ; elles le dirent marchand de cochons dans l’Aisne, roi de nègres, racoleur pour l’armée néerlandaise de la Sonde. Ce printemps, la Revue des Journaux et des Livres annonçait le « décès » de M. Arthur Rimbaud, poète et agronome. À la même époque, M. Bourget tenait d’Anglais qu’il était mort, récemment, en Afrique, au service de trafiquants d’arachides, d’ivoire, de peaux. Feu Arthur Rimbaud, – le dénomma un sommaire de la Vogue.


On peut donc émettre l’hypothèse que Félix Fénéon est l’ami qui a renseigné Gabriel Mourey.



vendredi 14 avril 2023

Un nouveau commentaire sur l'article de Gilles Lapointe.

 Alain Bardel vient de mettre en ligne sur son site, peu après le nôtre, un compte rendu de l’article de Gilles Lapointe sur « H » l’illumination de Rimbaud.

La trajectoire d’Alain Bardel est exemplaire. Professeur de français dans un lycée il a commencé par faire un site pour ses élèves. Peu à peu son site est devenu une sorte de référence pour les rimbaldiens. Il a fait de nombreuses publications dans diverses revues notamment dans un dictionnaire Rimbaud. Enhardie par cette notoriété il publie régulièrement des analyses de textes. Concernant le dernier en date, j’éprouve le besoin de faire quelques commentaires.


La critique de l’article de Gilles Lapointe est l’occasion pour lui de donner un historique des études sur « H ». L’érudition d’Alain Bardel est certaine. Néanmoins cette érudition a ses limites comme nous allons le voir. Son propos est de montrer qu’il n’y a plus d’énigme de « H » depuis longtemps et que la masturbation est la clé de l’énigme. Selon lui le premier à avoir donné une solution satisfaisante est Louis Aragon en 1921. Malheureusement Bardel ne donne pas le texte d’Aragon correspondant qui aurait été utile. Passons. Puis Bardel convoque le livre d’Etiemble écrit en 1936 dans lequel celui-ci affirme que le sujet de « H » est clair et qu’il s’agit de la masturbation. Observons que sauf erreur Etiemble n’a pas cru bon d’en reparler dans la réédition de 1950. 

C’est alors que Bardel convoque Robert Faurisson dont il prétend qu’il a reformulé l’hypothèse d’Etiemble dans la revue Bizarre de 1961 dont il cite cet extrait :


 « Rimbaud fait d'Hortense (au cours du poème) le symbole de l'Habitude [...] et finit donc par évoquer généralement la masturbation comme le dit R. Étiemble. »  


Le problème est que cet extrait donne l’impression que Faurisson donne raison à Etiemble ce qui est totalement faux. En effet la phrase qui suit l’extrait de Faurisson le montre :  


« Mais comme ne le dit pas R. Etiemble, les trois premières phrases(il n’explique pas la première et fait un contresens sur la troisième) et surtout la dernière ( si énigmatique et qu’il passe totalement sous silence, ainsi qu’Antoine Adam) concernent la personne même de Rimbaud. » 


Pour justifier l’ « hydrogène clarteux » Bardel convoque le Littré qui dit-il explique qu’il s’agit du gaz d’éclairage. Bardel oublie la note plus pertinente d’Antoine Adam dans la Pléiade de 1983 : 


« Le mot clarteux n’est pas une création de Rimbaud. Il est signalé par Z. Zeligson, Dictionnaire des patois romans de la Moselle,1922-1925.Il est synonyme de clair. L’hydrogène clarteux, c’est très simplement le gaz. »


Quand Bardel parle de consensus sur l’énigme « H » il se trompe. Dans son admirable livre publié par l’Imprimerie Nationale en 1986, Cecil Hackett écrit : 


« Selon nous, c’est dans un contexte social qu’il faut interpréter H : Hortense est l’idole, la femme idéale de Soleil et chair, prostituée par les « monstruosités » de la vie bourgeoise, la Femme sur qui l’homme a « saigné noir ».


Sans oublier des critiques et non des moindres comme Yves Bonnefoy et Albert Py qui placent ce poème sous le signe du Haschich.


Rimbaud devait bien se douter que sa charade donnerait l’auto-érotisme comme solution évidente. C’est la raison pour laquelle je pense que l’hypothèse de Gilles Lapointe est plus subtile et me semble juste.


On se demande quel est le but de la glose de Bardel. Sans doute  veut-il se donner le rôle d’arbitre et donner son avis personnel distribuant comme à son habitude les bons et les mauvais points. Bardel n’est pas un chercheur et il n’a jamais rien trouvé à ma connaissance. Ses commentaires transpirent l’ennui comme dans son dernier article de Parade sauvage où rester éveillé reste une performance.

samedi 1 avril 2023

Une nouvelle interprétation de "H"

 

DR. JB.



Toutes les monstruosités violent les gestes atroces d’Hortense. Sa solitude est la mécanique érotique, sa lassitude, la dynamique amoureuse. Sous la surveillance d’une enfance, elle a été, à des époques nombreuses, l’ardente hygiène des races. Sa porte est ouverte à la misère. Là, la moralité des êtres actuels se décorpore en sa passion ou en son action – Ô terrible frisson des amours novices, sur le sol sanglant et par l’hydrogène clarteux! trouvez Hortense.

Le manuscrit de « H » est l’un des rares à ne pas être accessible par internet. Sa localisation est inconnue. On ne connaît qu’un fac-similé publié par Bouillane de Lacoste dans Rimbaud et le problème des « Illuminations », Mercure de France, 1949, P.167. C’est celui que nous avons mis en tête de notre article. Le texte qui suit est conforme à celui de la Pléiade.

Gilles Lapointe écrivain Québécois vient de publier un article de 45 pages dans la revue Parade sauvage intitulé : Rimbaud et Victor Hugo, L’énigme de « H ».

« H » est le titre d’une illumination bien connue de Rimbaud qui a reçu de multiples interprétations. Dans son article précis et bien documenté Gilles Lapointe en rappelle un certain nombre notamment celle d’André Guyaux : « H » comme habitude qui désigne le plaisir solitaire expliquant par exemple « Sa solitude est la mécanique érotique »

L’écrivain Québécois propose de montrer que H et Hortense désignent Victor Hugo. Cette illumination ferait suite à L’homme juste de Hugo qui montre que ce poème vise Victor Hugo.

Gilles Lapointe fait référence à un article de mon blog intitulé : Rimbaud ou le meurtre du père Hugo. J’y écrivais qu’après avoir écrit la lettre du Voyant dans laquelle Rimbaud avec quelques réserves écrivait que Les Misérables de Hugo était un vrai poème : « La vraie surprise est que deux mois plus tard, en juillet, dans L’Homme juste, l’opinion de Rimbaud change dans un sens radical. Ce sont même des insultes que profère Rimbaud contre l’auteur des Châtiments. L’explication de cette évolution donnée par Yves Reboul est que Rimbaud, qui avait entre-temps appris l’écrasement de la Commune par les Versaillais, ne supportait pas la position de Hugo qui implorait le pardon des communards après les avoir attaqués ». Puis Lapointe ajoute : est-ce aller un peu trop loin que de laisser entendre, comme le fait Bienvenu, que Hugo aurait « attaqué » les communards et qu’« enfoncer le père Hugo deviendra l’une des priorités » de Rimbaud ? Notre lecture de « H » tend à le confirmer.

En fait j’avais déjà signalé une attaque de Rimbaud contre Hugo dans un article intitulé «  Chanson de la plus haute tour ou le château romantique »(Parade sauvage numéro spécial hors série, 2008). 

Je montrais en particulier que dans le cinquième sizain du poème «  Chanson de la plus haute tour »

 Ah! Mille veuvages

De la si pauvre âme

Qui n'a que l’image

De la Notre-Dame!

Est-ce que l'on prie

La Vierge Marie ?

: «  qui n’a que l’image de la Notre Dame » renvoie inévitablement au poète auteur universellement connu de Notre Dame de Paris et à sa piété dont Rimbaud s’était déjà moqué dans l’Homme juste. Les veuvages ne font pas allusion à Verlaine comme certains le pensaient. Hugo venait d’enterrer son fils à Paris le 18 mars 1871. Faut-il rappeler que Hugo avait exprimé dans Les Contemplations les douleurs de son âme après la mort de sa fille. Parmi les veuvages il faut donc comprendre ces deuils et la souffrance de l’Exil.

Dans son article Gilles Lapointe analyse les phrases de « H » qui semblent justifier sa thèse. Ainsi il écrit : « L’énoncé suivant, banal en apparence, est cependant hautement significatif – « Sa porte est ouverte à la misère » – et désigne de façon explicite, et même deux fois plutôt qu’une, l’auteur des... Misérables : il est même étonnant que ce fait textuel n’ait pas été jusqu’ici davantage souligné. N’oublions pas que le roman de Hugo a d’abord porté le titre Les misères. »

Il poursuit : « Sous la surveillance d’une enfance » de « H » se rapporte aux soins constants que réclama Hugo, un enfant d’une fragilité si extrême qu’il serait même « né » deux fois ! 

De même : l’expression « Ô terrible frisson des amours novices » pourrait bien évoquer pour sa part les amours déçues de Fantine et d’Éponine, véritables portraits de la misère amoureuse dans Les Misérables.

On est certain que Rimbaud a lu Les Misérables et j’ai pour ma part montré que dans Solde, l’expression « splendeurs invisibles » se trouve dans les Misérables.

Gilles Lapointe ajoute : « L’expression « hydrogène clarteux » pourrait aussi évoquer de manière parodique les «constellations, ces hydres étoilées » et autres visions stellaires qui associent directement Hugo aux corps célestes bourdonnants, aux « flueurs d’astres lactés et essaims d’astéroïdes.

Je laisse au lecteur le soin de découvrir comment Gilles Lapointe dans son  article explique que Hortense est Victor Hugo.

Pour conclure je dirai que l’article m’a convaincu et qu’il est rare d’avoir une nouvelle interprétation décisive d’un poème aussi commenté que « H ».