samedi 19 août 2017

Premier bilan du dossier "Solde" (Mis à jour le 27 août)




Depuis que j’ai écrit un article sur Solde le 11 juillet, il convient de faire un bilan des informations qui ont été publiées.

Mon étude sur ce poème, dont j’ignorais qu’elle allait devenir un dossier a pris appui sur un article récent de Steve Murphy. Je ne crois pas que le sujet principal qu’il développe - la première phrase de Solde - soit pertinent. Pierre Brunel a dit brièvement et exactement ce qu’il fallait dire à ce sujet. Néanmoins l’article de Murphy, comme je l’ai dit, est utile et il a engendré sur ce blog une suite inattendue. 

J’ai, dans un premier temps, montré par une affiche publicitaire du temps de Rimbaud qu’il était inutile de consulter un dictionnaire pour comprendre que le mot Solde était bien attesté dans son sens actuel de vente au rabais. j’ai aussi montré qu’il existait une troisième acception de ce mot dans l’argot des gens de lettres : « chose de médiocre valeur ». Puis j'ai découvert que le mot inquestionnable avec deux n se trouvait dans un dictionnaire consulté sur Gallica.

Suite à cette étude j’ai eu la bonne surprise de recevoir un article de Lucien Chovet qui s’était fait connaître du monde des rimbaldiens par un article publié en 2001 dans Histoires littéraires et qui expliquait l’origine de la phrase : « Prends-y garde, ô ma vie absente ! » qui n’était pas de Rimbaud, mais de Marceline Desbordes-Valmore. Cette découverte a été publiée la même année par Olivier Bivort qui l’avait faite auparavant de manière totalement indépendante.

L’article « Inquestionnable. Louis XVI précurseur de la poésie moderne » de Lucien Chovet mériterait d’être commenté. À première vue, il participe d’un débat ancien sur l’illisibilité des Illuminations en déclarant que certains poèmes de Rimbaud sont volontairement ambigus et que leur sens est indécidable. Cette thèse a été réfutée, mais Lucien Chovet repose le problème en des termes séduisants. Murphy serait d’ailleurs bien placé pour en faire la critique lui qui écrivait naguère : « Nous croyons toutefois avec Riffaterre, que les Illuminations ne peuvent être tenues pour des textes indécidables ». Le texte de Lucien Chovet nous révèle aussi une fascinante traduction de Louis XVI et la qualité littéraire de son article, qui a le mérite d’être bref et dense à la fois, sera à mon avis une référence. Je le remercie d’avoir choisi mon blog pour alimenter un débat qu’il contribue à rendre, je crois, passionnant.

Par ailleurs, je pense avoir élucidé le sens de l’expression « Élans insensés et infini aux splendeurs invisibles » qui ne doit pas être pris dans le sens « explorer l’invisible » de la lettre du Voyant mais dans le sens de « splendeurs invisibles de Dieu » comme le montre un intertexte trouvé chez Victor Hugo. Il faut comprendre que les élans insensés sont des élans mystiques.

Ensuite, en étudiant le manuscrit de Solde, ce qui d’ailleurs avait déjà été fait depuis longtemps, je suis arrivé à la conviction que Rimbaud n’avait pas fait de faute d’orthographe en écrivant « ignore » au lieu de « ignorent ». J’en ai trouvé une belle justification dans la grammaire du père de Rimbaud que le poète avait annotée. Cette découverte toute récente et que j’ai donnée presque à l’état brut appelle des commentaires que j’ai l’intention de publier, car nous sommes à présent au coeur d’un problème profond : le style et la langue poétique de Rimbaud. Voilà la grande affaire ! Naturellement, ces questions essentielles ont déjà été abordées par de très grands rimbaldiens comme : Atle Kittang, Albert Henry, André Guyaux, Cecil Hackett, Pierre Brunel. Plus récemment, c’est encore à Olivier Bivort que revient le mérite de revenir sur ce sujet. J’indique en plus de son article sur la grammaire de Rimbaud déjà cité, les deux articles suivants qui sont en ligne : Rimbaud plus linguiste qu’alchimiste ; Rimbaud et la langue : modélisations et perspectives.

Observons que dans son livre L’art de Rimbaud au chapitre Grammaire de la poésie, Michel Murat écrit : « Il ne s’agit pas de la grammaire de Rimbaud ; celle-ci reste à écrire ». Ceci nous encourage à commencer ici modestement cette étude. Je donnerai prochainement un document inédit sur la grammaire du père de Rimbaud qui fera le bruit d’un coup de revolver et JE PÈSE MES MOTS…

Affaire à suivre donc. J’invite nos amis rimbaldiens, spécialistes ou amateurs passionnés, qui commencent à rentrer de vacances à bien vouloir me donner un coup de main, car le sujet où je m’aventure est ardu.

Mise à jour du 22 août

Il semble qu'un problème similaire à celui du manuscrit de Solde se trouve dans le poème Génie.
Le manuscrit montre une correction qui ne serait pas de Rimbaud  : relevé / relevées



Tous les éditeurs récents ont transcrit : "tous les agenouillages anciens et les peines relevés à sa suite".

Commentaire en préparation.

La discussion se poursuit sur notre précédent article.

Mise à jour du 27 août.

La date d'édition de la grammaire de Rimbaud est 1854. C'est aussi la date de naissance du poète. Vous me suivez ?

jeudi 10 août 2017

Le livre du père (Dossier «Solde»), par Jacques Bienvenu



Collection Jacques Bienvenu. DR.

Rimbaud a écrit dans le poème Solde : « ce qu’ignore l’amour maudit et la probité infernale des masses ». Depuis la seconde pléiade sur Rimbaud la majorité des éditeurs corrige une supposée faute d’orthographe du poète et rectifie en : « ignorent ». On voit bien en agrandissant le manuscrit que la correction au crayon n’est pas de Rimbaud.



Intuitivement j’étais persuadé que « le prodigieux linguiste » avait volontairement écrit « ignore ». Je pense avoir trouvé une raison merveilleuse à cette orthographe de Rimbaud.
Il faut d’abord savoir qu’il existe, ce qui est peu connu, une grammaire ayant appartenu au père de Rimbaud sur laquelle le capitaine avait écrit :

 « La grammaire est la base, le fondement de toutes les connaissances humaines ». 

Rimbaud a écrit au-dessus de la maxime de son père : 

«  Pensez tout ce que vous voudrez 
 Mais songez bien à ce que vous direz ! ». 

Un excellent article d'Olivier Bivort nous avait alertés sur l’importance de ce document en 2004. Une quarantaine d’annotations autographes de Rimbaud y figure.

Dans cette grammaire, que visiblement Rimbaud a méditée, on trouve l’explication de l’accord du verbe que Rimbaud a effectué dans le chapitre qui traite de cette quetion : 



                                     Cliquer sur l'image pour l'agrandir

« Il doit suffire pour faire comprendre que l’emploi du pluriel ou du singulier, dans les verbes, dépend entièrement des vues de l’esprit, et que vouloir contraindre les écrivains à n’employer jamais que le premier, c’est mettre des entraves au génie, c’est priver la langue de ses ressources, de son infinie variété; en un mot, c’est vouloir que les pensées se jettent dans le même moule. Comme le dit avec beaucoup de sens un écrivain, il y a deux classes d’hommes, ceux qui ont du génie et ceux qui en sont privés ».

Suivent deux exemples où les deux sujets sont situés après le verbe comme dans Solde :

À Paris règne la Liberté et l’égalité … (Montesquieu)

Mais pourquoi, dira-t-on, cet exemple odieux
Que peut servir ici l’Égypte et ses faux Dieux ? (Boileau)

La raison du verbe au singulier  dans la phrase de Solde est donnée ici : 

« Lorsque l’on considère SÉPARÉMENT chaque partie d’un sujet multiple, on met le verbe au singulier ». C’est ce que Rimbaud a fait en considérant séparément l’amour maudit et la probité infernale des masses .

Remarquons dans le texte de la grammaire l’importance du mot génie répété deux fois. 

samedi 5 août 2017

Le sens de « splendeurs invisibles » dans le poème « Solde », par Jacques Bienvenu (Mis à jour le 8 août)



Depuis longtemps, on a remarqué la présence d’oxymores dans l’oeuvre de Rimbaud, notamment dans le poème Solde qui nous occupe en ce moment. On chercherait en vain chez d’autres écrivains ces alliances de mots qui sont typiquement rimbaldiennes, par exemple : « délices insensibles » ou « probité infernale ». Cependant il existe une exception, et de taille, que je vais révéler : « splendeurs invisibles » existe textuellement dans une oeuvre illustre : Les Misérables de Victor Hugo. 

La voici : 
« Il était […] ému dans les ténèbres par les splendeurs visibles des constellations et les splendeurs invisibles de Dieu. »




Les chercheuses et les chercheurs de poux ne pourront pas objecter que Rimbaud ne l’a pas lue car, j’ai une attestation en béton : la lettre du Voyant à Paul Demeny dans laquelle Rimbaud écrit :

 « Hugo, trop cabochard, a bien du vu dans les derniers volumes. Les Misérables sont un vrai poème ».
Sans Hugo, on aurait pu croire que les splendeurs invisibles représentaient ce que le poète voyant avait ramené de sa quête de l’invisible. Or le doute n’est plus possible : L 'Élan insensé et infini aux splendeurs invisibles est un élan mystique comme ceux que Rimbaud avait associés aux bizarreries de style à la fin des brouillons d'Une saison en enfer : « Je hais maintenant les élans mystiques et les bizarreries de style » .
Mais il y a plus : 

Celui qui dans Les Misérables observe les splendeurs invisibles de Dieu s’appelle Monseigneur Bienvenu. On comprend alors que dans le temps imaginaire dont Lucien Chovet nous a parlé, Victor Hugo a bien prévu que j’allais écrire cet article et c’est lui bien évidemment qui m’a soufflé mon texte. il n’y a aucun hasard dans cette affaire.

Observons au passage qu’Isabelle Rimbaud qui croyait que son frère était toujours resté catholique ne se trompait pas sur le sens des splendeurs invisibles puisque précisément elle relève cette exclamation de Solde comme significative de sa foi chrétienne. (Reliques, Rimbaud catholique).Toutefois, il semblerait plus crédible aujourd’hui que Rimbaud parlât seulement de la foi datant de l’époque qui précédait sa première communion.

Oui, mais… nous sommes devant un nouveau problème. Si Rimbaud solde son expérience de voyant, pourquoi figurerait dans cet inventaire la foi de son enfance ? Certains critiques observent que des poèmes de 1872 invoquent le Seigneur et  prétendent que Rimbaud aurait eu à cette époque un retour vers la foi.. Où est la vérité ? À moins que cette question  soit indécidable,  idée que j’emprunte à nouveau à Lucien Chovet…

L’illustration en tête de l’article représente Monseigneur Bienvenu par Brion.

Mise à jour du 8 août 

Pour information : les auteurs des trois articles sur Solde qui font l'objet de notre étude, Steve Murphy, Lucien Chovet et Jacques Bienvenu sont réunis dans l’article en ligne : « Le premier manuscrit du Clair de lune », La Giroflée 7 – Bulletin Bertrand – Automne-Hiver 2014, p.19. Voir les notes 6 et 8.

mercredi 2 août 2017

Dossier "Solde".

Nous devrions continuer ce qu’il est convenu d’appeler le dossier Solde pendant le mois d’août. J’attire l’attention sur l’article de Lucien Chovet d’une rare qualité littéraire et qui jette des ponts nouveaux sur les Illuminations. J’en reparlerai. 

Viendrons-nous à bout de Solde ? En tout cas les critiques n’auront pas de commissions !