mercredi 25 mai 2016

Rimbaud et Van Gogh à Londres.


Van Gogh à 13 ans.
On pense à la photo de Rimbaud par Carjat


Lors de ma récente visite de l’exposition  Van Gogh en Provence qui se tient en ce moment  à Arles, j’ai eu une petite révélation personnelle. Dans une des salles on projetait un film Yes, Thèse Eyes Are the Windows de Saskia Olde Wolbers. À l’entrée de la salle on expliquait que le film concernait  la demeure où  avait vécu le peintre au 87 Hackford Road à Londres. On pouvait lire que Van Gogh y avait logé en 1873-1874 à l’âge de 19 ans. J’ai pris conscience à ce moment-là que Rimbaud et le peintre hollandais avaient donc résidé à Londres au même moment !

En consultant une bonne chronologie, on peut préciser les dates. En mai 1873, Van Gogh arrive dans la capitale anglaise. Il y est transféré par la succursale de Goupil & Cie. Rimbaud s’y trouve encore avant de partir deux mois plus tard. En 1874, Van Gogh, après être revenu à Paris de fin octobre à décembre, retourne à Londres début janvier jusqu’en mai 1875. Nouvelle présence simultanée du poète et de l’artiste puisque Rimbaud arrive à Londres avec Germain Nouveau en mars 1874. Il loge au 178, Stamford Street. Rimbaud se sépare de Germain Nouveau au bout de quelques mois et reste à Londres jusqu’au 31 juillet.

On a souvent associé le poète maudit et le peintre maudit morts tous les deux à 37 ans. Ainsi, Henry Miller pouvait écrire dans un essai bien connu Le temps des assassins : « Celui dont la tragédie ressemble le plus à Rimbaud est Van Gogh ». On pourrait d’ailleurs faire une belle étude sur ce sujet avec des parallèles saisissants. J’ai voulu simplement insister ici, sur cette coïncidence de la présence à Londres de ces deux artistes géniaux, non remarquée, sauf erreur, à ce jour.


J’ajoute qu’une rencontre entre Arthur et Vincent n’est pas exclue pour plusieurs raisons. Verlaine connaissait le peintre et dessinateur Félix Regamey qui l’avait reçu à Londres avec Rimbaud. Regamey pouvait très bien connaître Adolphe Goupil fameux éditeur d’Art et marchand de tableaux. Les deux poètes qui fréquentaient les expositions et les milieux artistes ont peut-être pu passer un jour à la galerie de Goupil. La même possibilité existe quand Rimbaud était avec Germain Nouveau qui connaissait les peintres. Ce sont de simples hypothèses naturellement.

JB


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dimanche 22 mai 2016

Rimbaud et Turner, par Jacques Bienvenu



Il faut aller voir à Aix-en-Provence une très belle exposition Turner et la couleur dans l’admirable Hôtel de Caumont récemment rénové. Pour les amateurs de Rimbaud, c’est l’occasion de souligner des liens que la critique a parfois remarqués entre le peintre anglais et l’auteur des Illuminations. On peut trouver ici ou là sur le web de bons dossiers à ce sujet. Par exemple : celui-ci (texte 3) auquel nous renvoyons qui met en regard un tableau de Turner View of Lyons et le poème Les Ponts des Illuminations.


Commençons par des éléments biographiques remarquables. Dans les années 1872-1874, Turner est exposé à la National Gallery. C’était déjà un peintre très connu dont les toiles se vendaient très cher à cette époque. Rimbaud est allé voir les peintures de Turner à Londres au moins deux fois : en 1872 et en 1874. Nous le savons par une lettre de Verlaine écrite en octobre 1872 : « mais zut pour ce farceur  de Turner : un mauvais Monticelli ! ». Cette lettre est connue, mais on a moins souligné une seconde adressée par Germain Nouveau à Richepin, le 26 mars 1874, peu après son arrivée à Londres avec Rimbaud. Ils n’ont pas encore eu le temps d’effectuer beaucoup de visites, mais assurément ils sont allés à la National Gallery voir les Turner. En effet, un jugement de Nouveau sur le célèbre peintre anglais nous l’apprend : « Pas fort Turner, un peintre anglais à qui Molin eût refusé des leçons de clairs de lune. Les Anglais pourtant l’encadrent sous verre ». On voit bien que cette vision des peintures de Turner l’a marqué, car il y revient de façon très dépréciative, à la fin de sa lettre, en exhortant Richepin à contacter Forain pour lui dire : « Si Forain a encore du temps à dépenser avant son casernement, qu’il tâche de venir (…) Turner est un vide ; qu’il vendrait de tableaux, Dieu ! ». Si on peut regretter les mauvais jugements de Verlaine et Nouveau à l’égard d’un artiste de génie, rien n’autorise à croire que ce fut aussi l’opinion de Rimbaud. Osons même penser que c’est lui qui a pris l’initiative d’amener son nouveau compagnon admirer les peintures du Maître anglais qu’il avait déjà vues deux ans auparavant. On remarque avec intérêt, pour la seconde visite, que 1874 est précisément la date où Nouveau recopie le poème Villes de Rimbaud dans lequel on peut lire : « J’assiste à des expositions de peinture dans des locaux vingt fois plus vastes qu’Hampton court. Quelle peinture ! » 

Turner avait réalisé de nombreux tableaux représentant Hampton Court.

Hampton Court from the Thames.DR Tate.

L’exposition Turner et la couleur confirme les ponts que l’on peut jeter entre le poète et le peintre. Une excellente étude sur la théorie de la couleur à l’époque de Turner passionné par cette question est donnée dans le catalogue, ce qui n’est pas sans rapport avec l’auteur de Voyelles. 




vendredi 20 mai 2016

Prochains articles et informations

Article d'Alain Tourneux en hommage à Claude Jeancolas.

Rimbaud et Turner par Jacques Bienvenu.

En préparation : Entretien avec Jean-Baptiste Baronian

Informations : on peut consulter des articles récents concernant Rimbaud publiés par 
Le Monde et Télérama.

samedi 14 mai 2016

Colloque international Rimbaud.


Un appel à contributions a été publié récemment pour un colloque international sur Rimbaud qui aura lieu en Sorbonne les 16-18 mars 2017. 

Rimbaud ivre attache une grande importance à cette manifestation. Comme il est précisé, le colloque concerne l’ensemble de l’œuvre sans se limiter à l’activité littéraire. Les domaines à explorer sont remarquablement choisis. (Voir la liste ci-dessous). Par exemple, connaître exactement les journaux auquels Rimbaud a pu avoir accès à Charleville nous semble capital (sujet 2). Il serait aussi très utile de connaître les livres de classe que Rimbaud a pu consulter. Quels livres Izambard pouvait-il utiliser en rhétorique en 1870 ? Quel était l’enseignement du latin et du grec, des langues vivantes ? (sujet 3). Les réponses à ces questions seraient du plus grand intérêt pour le chercheur.

Les organisateurs sont par ordre alphabétique : 

Olivier Bivort qui a dirigé le colloque de Venise Rimbaud poéticien en novembre 2013. Les actes de ce colloque sont disponibles aux éditions Classiques Garnier.

André Guyaux, éditeur des œuvres complètes de Rimbaud dans la Pléiade (voir notre entretien).

Muchel Murat, professeur à l'Université Paris IV Sorbonne et auteur de L’Art de Rimbaud, édité chez Corti en 2013 pour la seconde édition. 

Yoshikazu Nakaji dont les quatre cours donnés en avril-mai au Collège de France sont à présent tous disponibles en version vidéo et audio (voir notre entretien).

On remarquera que dans la première proposition de domaine à explorer on évoque de récentes contributions sur Mérat et Bouchor. La contribution sur Mérat est celle de Yves Reboul Mérat le Voyant publiée dans Rimbaud poéticien. La contribution sur Bouchor est celle publiée sur notre blog grâce à la lettre inédite communiquée par Yves Jacq.

Liste des sujets sur lesquels les communications doivent porter : 

1) Ce qu’a lu Rimbaud. Comme le montrent de récentes contributions sur Mérat ou Bouchor, les « célébrités de la poésie moderne » (Leconte de Lisle, Mendès, Aicard, Dierx) peuvent encore réserver des surprises. Le nom d’Edgar Poe apparaît dans un manuscrit retrouvé récemment. Les lettres à Izambard et à Demeny contiennent des listes de livres, l’Album zutique, un répertoire d’auteurs.

2) La presse, régionale (Le Progrès des Ardennes, Le Nord-Est) ou parisienne, disponible à la bibliothèque de Charleville à l’époque de Rimbaud.

3) La scolarité de Rimbaud, programmes, manuels et enseignants.

4) Les témoins. On sait peu de choses sur Izambard, Delahaye, Demeny, Bretagne, ou sur certains des amis parisiens de Rimbaud, comme Blémont, Valade ou Cabaner.

5) Les genres. Quel sens Rimbaud donne-t-il au mot « fantaisie » ? Qu’est-ce qui, à ses yeux, distingue « fantaisie » et « satire » ? Qu’est-ce qu’un « chant », un « chant de guerre », un « chant pieux » ? Qu’est-ce qui différencie une « ariette » d’une « romance », une « romance » d’une « chanson » ? À quels genres ressortissent Les Déserts de l’amour, les proses que nous appelons « évangéliques », et la Saison, dans son ensemble et dans ses différentes parties ?

6) Les nouveaux modèles interprétatifs. Le moment est venu de faire l’histoire du Rimbaud « textuel » des années 1960-1980. Les années 1980-1990 ont vu le triomphe de la lecture interprétative, de l’explication de texte et de la recherche intertextuelle. Peut-on fonder une nouvelle « herméneutique » rimbaldienne ? Les acquis récents de la rhétorique et de la linguistique sont-ils en mesure d’éclairer les particularités du discours rimbaldien ?

7) La science, l’histoire, la géographie. Le philomathe avait dans son « stock d’études » certaines des compétences de l’ingénieur, de l’architecte, de l’urbaniste, du botaniste, du chimiste, dont il fait usage dans sa poésie. La question du rapport avec l’histoire et les historiens n’est pas épuisée. La géographie n’a guère jusqu’ici suscité d’intérêt.

8) L’étude des contextes politiques, géographiques et ethnographiques, en Afrique et en Asie, permettrait de mieux comprendre ce que dit Rimbaud, dans sa correspondance, des diplomates, commerçants et explorateurs français ou italiens.

Pour les propositions de communications : voir le site fabula.


jeudi 12 mai 2016

La vidéo de la conférence "le mystère des visages de Rimbaud" à nouveau disponible.

Depuis quelque temps, la vidéo de la conférence que j'avais donnée à Charleville le 20 octobre 2015 n'était plus visible sur ArdennesTV. Grâce à Laetitia Champenois qui l'avait réalisée, elle est à nouveau disponible  sur notre blog. Qu'elle en soit vivement remerciée ici.

JB

samedi 7 mai 2016

Rimbaud et les lys, par Jacques Bienvenu.



Henri d’Artois, duc de Bordeaux, comte de Chambord


Dans Ce qu’on dit au poète à propos de fleurs, poème adressé à Banville, le 15 août 1871, la date d’envoi à son importance. Trois mois avant, Rimbaud avait envoyé un psaume d’actualité à Paul Demeny : Chant de guerre parisien. Ce poème se présentait comme une parodie des Odes funambulesques de Banville, en quatrains d’octosyllabes exactement comme celui qu’il lui envoyait à présent. Rimbaud, grand lecteur de journaux, avait toujours suivi avec passion l’actualité et les nouvelles parvenaient correctement à Charleville depuis la chute de la Commune en mai 1871. 

Quelle était exactement la situation politique en France à cette date ?

Un petit retour en arrière est nécessaire. La défaite de 1870 avait marqué la fin du Second Empire et l’avènement de la république, le 4 septembre 1870. Les élections législatives organisées en février 1871 après l’armistice donnèrent une  nouvelle assemblée qui comptait 240 députés républicains contre 400 monarchistes qui se divisaient entre orléanistes et légitimistes. Le Comte de Chambord, Henri d’Artois, descendant des Bourbons, était le prétendant à la couronne des légitimistes. On le désignait sous le nom d’Henri V. Il avait vécu en exil depuis 1830, mais la chambre vota le 8 juin 1871 l’abrogation de la loi d’exil après l’écrasement de la Commune en mai 1871 par le gouvernement de Thiers. Henri V revint en France en juillet. Les orléanistes proposèrent alors aux légitimistes une fusion acceptée par le Comte de Chambord et la restauration semblait alors acquise. Mais un curieux manifeste du Comte de Chambord prononcé le 5 juillet 1871 et largement diffusé par la presse jeta le trouble. Le prétendant Henri V acceptait de prendre le trône à la condition que le drapeau français bleu, blanc, rouge soit changé et redevienne l’ancien drapeau blanc des rois. Il terminait son manifeste en écrivant : "Henri V ne peut abandonner le drapeau blanc d’Henri IV".

Mais le drapeau républicain était devenu un symbole glorieux et ce retour en arrière n’était pas le bienvenu pour tout le monde. Des discussions passionnées s’engagèrent alors à ce propos. Toute la presse s’en faisait l’écho. 


Drapeau blanc des rois avec fleurs de lys


C’est sous ce climat politique que Rimbaud écrivit son poème qui commence par une attaque violente contre les lys, fleur la plus citée et la plus dénigrée de ce curieux  bouquet poétique :

Ainsi, toujours, vers l'azur noir
Où tremble la mer des topazes,
Fonctionneront dans ton soir
Les Lys, ces clystères d'extases !

À notre époque de sagous,
Quand les Plantes sont travailleuses,
Le Lys boira les bleus dégoûts
Dans tes Proses religieuses !

— Le lys de monsieur de Kerdrel,
Le Sonnet de mil huit cent trente,
Le Lys qu'on donne au Ménestrel Avec l'œillet et l'amarante !

Des lys ! Des lys ! On n'en voit pas !
Et dans ton Vers, tel que les manches
Des Pécheresses aux doux pas,
Toujours frissonnent ces fleurs blanches ! 

On a toujours cru que Rimbaud voulait se moquer de Banville et de son goût pour les lys. C’est une erreur. Certes, il y a beaucoup de lys dans les poèmes de Banville, mais la vraie raison est ailleurs. En réalité, on peut penser que Rimbaud attaque le lys blanc symbole de la royauté. On le voit d’autant plus qu’il associe cette fleur au légitimiste Kerdel (le lys de monsieur de Kerdel) grand partisan du Comte de Chambord.  

 Il y a plus. Il n’a pas échappé aux critiques que le poème commence par une parodie du premier vers du fameux Lac de Lamartine : 

Ainsi, toujours poussés vers de nouveaux rivages,

Que vient faire Lamartine dans cette histoire de lys ?

On peut remarquer que dans son célèbre recueil des Méditations où figure Le Lac, Lamartine avait écrit une ode en l’honneur de la naissance d’Henri V (qui était aussi duc de Bordeaux), naissance qu’il présentait comme un miracle. Lamartine avait écrit cette ode à une époque où il était royaliste et il s’en explique dans ses commentaires. 


Par ailleurs, en parlant des lys qu’on donne au Ménestrel avec l’oeillet et l’amarante Rimbaud faisait référence aux jeux floraux de Toulouse. Il était bien connu que Victor Hugo y avait obtenu en 1819 ( il avait dix-sept ans comme Rimbaud en 1871) un lys d’or à ces jeux pour un poème intitulé : Ode sur le rétablissement de la statue d’henri IV


Cette statue avait été détruite sous la révolution. Elle fut reconstruite en 1818. Le sujet était encore d’actualité en 1871 car les communards avaient arraché de son support l’effigie de Henri IV à cheval située à l’Hôtel de ville.

Statue de Henri IV au pont Neuf .


On est en droit de penser que ce poème a un contenu politique, d’autant plus que Rimbaud a daté son poème symboliquement du 14 juillet ! Ajoutons, s’il fallait le préciser, que Rimbaud n’aimait pas trop Henri V qui est nommément cité dans Vers pour les lieux :

Car le con de Badingue et le con d’Henri V
Sont bien dignes de cet état de siège

Rappelons que Badingue  ou Badindinguet désignait, en argot, Napoléon III associé ici à Henri V par  ce grand impoli de Rimbaud.

En 1871, les options politiques de Rimbaud sont bien connues. Communard, Il s’était violemment révolté contre les conservateurs et la religion catholique de son enfance. Le retour d’une royauté naturellement catholique avait de quoi l’épouvanter. 

Ce poème très riche est aussi, notamment, comme je l'ai montré, une raillerie sur le traité de poésie de Banville. C’est le Rimbaud caricatural, ironique et sarcastique qui s’exprime ici. D’ailleurs l’auteur du Bateau ivre reviendra aux fleurs et même au lys dans un poème d’une toute autre tonalité : Mémoire, écrit plus tard en 1872. Mais c’est une autre histoire.

mardi 3 mai 2016

Renaud, Rimbaud et Tintin.





Le chanteur Renaud, dont on parle beaucoup en ce moment, a raconté plusieurs fois que la poétesse Louisa Siefert était son arrière-grand-tante. On se souvient que dans une lettre écrite à Charleville, le 25 août 1870, Rimbaud conseille à son professeur de lire les Rayons perdus de Louisa Siefert. Il en cite un extrait et déclare que c’est « aussi beau que les plaintes d’Antigone dans Sophocle ». Selon le chanteur, Rimbaud avait entretenu avec la poétesse une correspondance assidue dont son grand-père avait hérité. Malheureusement, les lettres ont disparu pendant l’exode de la Seconde Guerre mondiale suite au bombardement d’un train. Ceux qui connaissent Rimbaud savent qu’il est tout à fait vraisemblable que le jeune poète ait écrit à Louisa Siefert.
Tout récemment, le chanteur vient de vendre pour la coquette somme d’un million d’euros une planche d’Hergé qui est la fin du Sceptre d’OttoKar. Voir l’illustration en tête. Il faut être un bon  tintinophile pour savoir où l’hydravion a amerri.