vendredi 25 juin 2021

La famille Rimbaud rue de Bourbon en 1860 (Mis à jour le premier juillet)

 


En 1860 la famille Rimbaud s’installe rue de Bourbon. Selon Claude Jeancolas Madame Rimbaud détestait cette rue où elle avait trouvé un logement au 73. C’était, précise-t-il, une rue populaire et crasseuse, un milieu qu’elle ne souhaitait pas à ses enfants. Le premier juin 1860 naissait Isabelle Rimbaud. (La photo de la rue de Bourbon en tête de notre article est extraite du livre Passion Rimbaud de Claude Jeancolas)


Des informations inédites sur la famille Rimbaud en 1860 ont été révélées par un message anonyme posté en commentaire de notre article sur Les Poètes de sept ans.

Ces documents sont accessibles au public et proviennent de diverses archives que nous avons pu identifier et commander. Cependant, avant d’en publier des images qui demandent des autorisations longues à obtenir nous pouvons en donner la description. 

Auparavant, Il est utile de montrer l’acte de naissance d’Isabelle Rimbaud (qui est en ligne aux archives des Ardennes). On observe qu’un certain Gérard-David Bailly âgé de soixante dix-huit ans ancien menuisier et domicilié à Charleville a signé comme témoin de la naissance.


Archives départementales des Ardennes. DR.


L’une des informations la plus importante est celle d’un recensement effectué à Charleville en 1860. On voit d’abord que la famille Rimbaud est recensée au 73 de la rue Bourbon qui s’appelait rue de Bourbon à l’époque. Frédéric le fils est indiqué à l’âge de six ans ce qui prouve que le recensement a été fait avant le 2 novembre date à laquelle Frédéric aurait eu 7 ans. Arthur n’y est pas mentionné car les recensements ne mettaient pas les enfants de moins de 6 ans. Le père de Rimbaud y figure.



Archives départementales des Ardennes. DR.

Le même recensement nous indique que la famille Bailly habitait au 55 rue Bourbon à moins de 10 numéros de la famille Rimbaud. Cette famille Bailly comportait le père qui a signé comme témoin de la naissance.


Archives départementales des Ardennes. DR.

Mais de plus grâce à un acte de baptême d’Isabelle Rimbaud on voit que la marraine d’Isabelle est Eléonore Bailly. On voit aussi que Frédéric Rimbaud qui n’avait que 7 ans le 12 juin 1860 était le parrain et qu’il a signé de son écriture enfantine.


Archives départementales de la Marne. DR.

Dans le recensement de 1860, Éléonore Bailly est repasseuse et âgée de 46 ans.


Grâce à ces archives nous pouvons en tirer quelques informations.


On apprend donc que Madame Rimbaud avait des amis dans une famille voisine. Ces gens étaient d’origine modeste. Le père était menuisier et ses deux fils avaient choisi le même métier. Il avait deux filles l’une sans profession et l’autre repasseuse. Ces amis étaient suffisamment convenables pour Madame Rimbaud pour choisir le père comme témoin de la naissance d’Isabelle et la fille comme marraine.


Pour le choix de la Marraine il est probable que Madame Rimbaud la fréquentait à la messe. Les Bailly devaient être catholiques. On peut s’étonner que Madame Rimbaud n’ait pas eu d’autres amis à Charleville que des voisins pour choisir le témoin et la marraine. On a pu dire que Madame Rimbaud déménageait souvent et se fâchait avec tout le monde. Le père d’Isabelle n’était pas témoin de la naissance alors qu’il figure au recensement de 1860.


La présence du père de Rimbaud rue de Bourbon au recensement de 1860 semble montrer que la séparation des époux n’était pas effective à ce moment-là. Cependant son absence comme témoin de la naissance de sa fille et à l’acte de baptême montre qu’il était parti avec son régiment.


On voit donc que les possibilités que nous offrent les archives permettent à des chercheurs inspirés de donner des détails biographiques inédits. 


Cependant il ne faut pas croire que ces précisions biographiques permettent d’expliquer par exemple Les Poètes de sept ans. N’oublions pas que Rimbaud vient d’écrire peu avant : « Je est un autre ». Ce n’est plus lui qui s’exprime mais le Voyant. Si des informations biographiques semblent crédibles il faut être très prudent. Je ne crois pas comme Alain de Mijola que Rimbaud ait mordu les fesses des petites filles de sa rue. Néanmoins des recherches sont en cours pour rechercher des petites filles de huit ans rue de Bourbon …


Cet article sera remis à jour avec les photographies des actes des archives quand nous obtiendrons les autorisations.

Note (premier juillet) : On peut voir sur le recensement de 1860 qu'au 12 rue Napoléon se trouve toujours Prosper Letellier libraire. Le 12 rue Napoléon est le lieu de naissance de Rimbaud.


Archives départementales des Ardennes. DR.




mercredi 16 juin 2021

Un numéro spécial du Progrès des Ardennes

 

Parimoine médiathèque Voyelles. DR.

Patrimoine médiathèque Voyelles. DR.


Émile Jacoby est connu pour avoir créé un journal « Le Progrès des Ardennes » dans lequel Rimbaud avait publié sous le pseudonyme de Jean Baudry un article intitulé « Le Rêve de Bismarck » en novembre 1870. De plus Rimbaud fut employé dans ce journal en avril 1871 pour y dépouiller la correspondance. (Voir notre article Rimbaud et Jacoby du 23 décembre 2020.).


Dans son article « Arthur Rimbaud et Le progrès des Ardennes : un rendez-vous manqué  » (Parade sauvage n°14) Gérald Dardart précisait qu’il y avait 16 exemplaires du Progrès des Ardennes à la Bibliothèque  municipale de Charleville dont un numéro spécial pour les élections de février 1871 (non daté).


Il donne d’ailleurs des extraits de ce numéro spécial mais sans jamais préciser que ce numéro spécial se présentait sous la forme d’une lettre manuscrite probablement confiée à un ami lithographe pour la publication.


Ce numéro spécial n’a jamais fait l’objet d’une publication et nous la donnons pour la première fois grâce au service Patrimoine de la médiathèque Voyelles (Ardenne Métropole) que nous remercions vivement.

 


jeudi 3 juin 2021

Quelques remarques sur Les Poètes de sept ans

 


Les Poètes de sept ans est un long poème de Rimbaud de 64 alexandrins. En voici le texte : 


Et la Mère, fermant le livre du devoir,

S'en allait satisfaite et très fière, sans voir,

Dans les yeux bleus et sous le front plein d'éminences,

L'âme de son enfant livrée aux répugnances.


Tout le jour il suait d'obéissance ; très

Intelligent ; pourtant des tics noirs, quelques traits

Semblaient prouver en lui d'âcres hypocrisies.

Dans l'ombre des couloirs aux tentures moisies,

En passant il tirait la langue, les deux poings

À l'aine, et dans ses yeux fermés voyait des points.

Une porte s'ouvrait sur le soir : à la lampe

On le voyait, là-haut, qui râlait sur la rampe,

Sous un golfe de jour pendant du toit. L'été

Surtout, vaincu, stupide, il était entêté

A se renfermer dans la fraîcheur des latrines :

Il pensait là, tranquille et livrant ses narines.

Quand, lavé des odeurs du jour, le jardinet

Derrière la maison, en hiver, s'illunait,

Gisant au pied d'un mur, enterré dans la marne

Et pour des visions écrasant son œil darne,

Il écoutait grouiller les galeux espaliers.

Pitié ! Ces enfants seuls étaient ses familiers

Qui, chétifs, fronts nus, œil déteignant sur la joue,

Cachant de maigres doigts jaunes et noirs de boue

Sous des habits puant la foire et tout vieillots,

Conversaient avec la douceur des idiots !

Et si, l'ayant surpris à des pitiés immondes,

Sa mère s'effrayait ; les tendresses, profondes,

De l'enfant se jetaient sur cet étonnement.

C'était bon. Elle avait le bleu regard, - qui ment !


A sept ans, il faisait des romans, sur la vie

Du grand désert, où luit la Liberté ravie,

Forêts, soleils, rives, savanes ! - Il s'aidait

De journaux illustrés où, rouge, il regardait

Des Espagnoles rire et des Italiennes.

Quand venait, l'œil brun, folle, en robes d'indiennes,

- Huit ans - la fille des ouvriers d'à côté,

La petite brutale, et qu'elle avait sauté,

Dans un coin, sur son dos en secouant ses tresses,

Et qu'il était sous elle, il lui mordait les fesses,

Car elle ne portait jamais de pantalons ;

- Et, par elle meurtri des poings et des talons,

Remportait les saveurs de sa peau dans sa chambre.


Il craignait les blafards dimanches de décembre,

Où, pommadé, sur un guéridon d'acajou,

Il lisait une Bible à la tranche vert-chou ;

Des rêves l'oppressaient chaque nuit dans l'alcôve.

Il n'aimait pas Dieu ; mais les hommes, qu'au soir fauve,

Noirs, en blouse, il voyait rentrer dans le faubourg

Où les crieurs, en trois roulements de tambour,

Font autour des édits rire et gronder les foules.

- Il rêvait la prairie amoureuse, où des houles

Lumineuses, parfums sains, pubescences d'or,

Font leur remuement calme et prennent leur essor !


Et comme il savourait surtout les sombres choses,

Quand, dans la chambre nue aux persiennes closes,

Haute et bleue, âcrement prise d'humidité,

Il lisait son roman sans cesse médité,

Plein de lourds ciels ocreux et de forêts noyées,

De fleurs de chair aux bois sidérals déployées,

Vertige, écroulements, déroutes et pitié !

- Tandis que se faisait la rumeur du quartier,

En bas, - seul, et couché sur des pièces de toile

Écrue, et pressentant violemment la voile !


Les Poètes de sept ans ne comporte qu’une note assez brève dans la dernière Pléiade que nous reproduisons ici : 


« Rimbaud contribue à son propre mythe en jetant un regard autobiographique, avec 10 ans d’écart, sur l’éveil précoce à la poésie. Il partage avec son enfant poète le rapport à la mère(V.1-4,28) l’agressivité dans la relation amoureuse, la perception panthéiste de la nature ( V.52-54), le sens de l’ennui dominical(v.44)de la solitude et de la différence. »


Si tous les commentateurs admettent la nature biographique du poème, on est en droit de se demander pour quelle raison Rimbaud qui a 16 ans choisit de se présenter à l’âge de sept ans. Si le poème est vraiment biographique il faut savoir que c’est à cet âge que Rimbaud rentre en 9ième à l’intistution Rossat et que sa mère aménage rue Bourbon dans un quartier pauvre où logeaient des ouvriers. Sept ans, c’est aussi l’âge de raison que Rimbaud a nommé dans sa Saison en enfer : 


« Reprenons les chemins d’ici, chargé de mon vice, le vice qui a poussé ses racines de souffrance à mon côté, dès l’âge de raison-qui monte au ciel, me bat, me renverse me traîne. »


Ce vice comme on l’a déjà dit pourrait être l’homosexualité considérée précisément comme un vice à l’époque de Rimbaud. Cependant l’homosexualité n’apparaît pas dans le poème. Au contraire l’enfant marque une attirance pour les filles. Celle de huit ans et les espagnoles et italiennes des revues illustrés.

Dans le poème on a voulu voir la masturbation dans l’expression «  les deux points à l’aine », ainsi que l’expression « âcres hypocrisie ». Ce n’est pas certain malgré l’assurance de certains commentateurs.


Dans un autre ordre d’idée, j’ai déjà indiqué que « le livre du devoir » pouvait être la grammaire du père de Rimbaud ce qui fait que ce père absent serait tout de même présent par l’intermédiaire de ce livre. C’est en effet au moment où Rimbaud va avoir sept ans que son père se sépare définitivement de sa mère.


Cela dit, il faut être prudent et ne pas tout ramener à une glose biographique. Ainsi Alain de Mijolla pense que la fille des ouvriers auxquels le jeune poète mord les fesses est un jeu érotique inventé par Rimbaud: «  quand on sait l’isolement auquel furent longtemps condamnées les enfants Rimbaud, la fréquentation d’une voisine, fille d’ouvriers de surcroit, apparait hautement improbable. Cf : L’ombre du capitaine Rimbaud, Les visiteurs du moi, « Les belles lettres », Paris 1981. Indépassable étude psychanalytique. Lorsque Rimbaud écrit qu’à sept ans il n’aimait pas Dieu on sait que ce n’est pas vrai car à cet âge il était catholique fanatique. Comme dans la Saison en enfer on est en présence d’une biographie fictionnelle.


Mais il y a un autre élément qui a une très grande importance pour ce poème : Il est inséré dans une lettre à Paul Demeny du 10 juin 1871 qui suit d’environ un mois la fameuse lettre du Voyant qu’il lui avait adressée. Le poème est daté dans la lettre du 26 mai 1871. Les Poètes de sept ans intervient donc après la révolution poétique que réclame Rimbaud. Dans cette période qui précède l’arrivée de Rimbaud à Paris le poète cherche à être publié. On sait que Rimbaud espérait que Demeny le publie à la Librairie artistique. C’est pour cette raison qu’il lui avait communiqué une liste de poèmes à Douai en 1870. Demeny n’avait pas donné suite pour cette publication. Cette fois Rimbaud tente à nouveau d’intéresser Demeny. Il lui demande de détruire son ancienne production pour bien montrer que seuls ses nouveaux poèmes ont de la valeur. Comme dans la lettre à Banville de Mai 1870, où il espérait être publié au Parnasse contemporain, il donne trois poèmes dont le premier-Les Poètes de sept ans- porte en en tête : À Monsieur Paul Demeny Les deux autres poèmes sont Les Pauvres à l’église et Le Cœur du pitre. À la fin de la lettre pour flatter son destinataire il demande un exemplaire des Glaneuses recueil poétique que Demeny avait publié à la Librairie artistique. Il ne faudrait pas comme on a l’habitude de le faire sous estimer la Librairie artistique. La preuve en est, comme je l’ai signalé dans une récente communication que Demeny avait publié en 1870 un ouvrage de Philippe Burty qui était un critique d’art très connu à l’époque.


Je ne crois pas que Les Poètes de sept ans soit destiné précisément à Demeny. Peu de temps après Rimbaud enverra à Banville le fameux poème Ce qu’on dit au poète à propos de fleurs, mais celui-ci  est personnel. Les Poètes de sept ans a vocation à être publié.


Le poème adressé à Banville était daté symboliquement du 14 juillet. On peut se demander si la date du 26 mai que Rimbaud a mis à la fin du poème n’a pas aussi une valeur symbolique. Le 26 mai se situe deux jours avant la fin de la semaine sanglante.


Les Poètes de sept ans est un chef-d’œuvre des vers de 1871. Il semble à première vue d’une lecture facile mais il cache encore bien des mystères.